𝓒𝓱𝓪𝓹𝓲𝓽𝓻𝓮 31
Son air mauvais indiqué par son plissement de nez n'était pas très crédible car son visage tacheté de tâches de rousseurs lui donnait un air plutôt naïf. Ses yeux comme deux billes noires me jetaient pourtant des éclairs, alors j'aurais dû être impressionnée, je suppose. Il tourna la tête, curieux malgré sa méfiance, et ses boucles brunes comme on voit dans les représentations des princes Troyens, souples et parfaites, tombèrent en cascade d'or sur ses épaules. Je finis par rire, nerveusement, un peu prise de court aussi par sa présence. Il avait une certaine classe, et plus que physiquement, il avait quelque chose dans sa façon de se tenir. Pas très grand mais imposant, bien en appui sur ses deux pieds, à priori persuadé que rien ne pourrait le faire tomber, même pas le mistral en rage que provoquait la mer.
« Je ne voulais pas dire ça, pardon, je me suis mélangée ! »
Il sourit de plus belle, comme si je me piégeais de plus en plus. Soudain, assez brutalement, il prend mon bras et me plaque contre la paroi de la falaise.
« Je vais reposer ma question, c'est ta dernière chance. Après, tu nourris les poissons. Qui es-tu ?
-Aïe ! »
J'essaye de le repousser, sans succès. Il commence un rire, assez léger, presque moqueur.
« Ce que tu viens de voir est une espèce présumée disparue. Tu mens. Si tu viens d'ici, tu aurais eu une tout autre réaction. Sauf si tu viens d'un endroit où tu en a déjà vu ? Comme dans un cirque en Terre d'Ombre, il parait qu'ils en ont beaucoup. Ça explique pourquoi tu n'es pas si surprise, je me trompe ? »
Je lève mes yeux vers lui, une légère rage au creux de mes iris.
« Oui, tu te trompes. Je... »
Si je ne dis rien, il va me pousser de la falaise. S'il protège une espèce disparue des cirques, c'est peut-être que c'est une bonne personne ? Ou pas, et il ment. Mais je ne veux pas me faire jeter sur les rochers pointus qui me narguent en contrebas, et je finis par soupirer.
« Je suis une Eveillée. Je suis coincée ici. Et je suis là parce que j'ai choisi de suivre un sentier au lieu d'aider mon père adoptif à faire un petit déjeuner. T'es content ? »
Il fronça les sourcils. De toutes les énormités qu'il aurait pu entendre, celle-là semblait dépasser ses espérances. Il finit par rire.
« N'importe quoi. Aucun Eveillé n'est resté si longtemps. Sauf Lucille. »
Mes yeux s'écarquillent. Quelqu'un d'autre est resté si longtemps ? Donc ce n'est peut-être pas quelque chose d'anormal !
« Lucille !? Qui c'est !? Elle est rentrée chez elle !? »
Il me relâcha, toujours perplexe.
« Non, j'ai menti pour voir si t'étais sérieuse. T'es sérieuse ?
-Tu veux rencontrer mon père adoptif ? Il pourra te le dire aussi. Sûrement mieux que moi. »
Il secoue la tête et se rongea l'ongle, tandis que je poussai un soupire déçu. J'aurais voulu que cette Lucille soit vraie, j'aurais peut-être eu des réponses à mes questions. Mais non, elles restent en suspens, et rient de mon malheur. Ou de ma soif de savoir, qui commence sérieusement à se dessécher.
« Ton histoire me paraît tordue, quand même.
-Plus tordue que votre portail tenu par un Marchand de Sable et un Horloger ? »
Si je dois répondre à ma question par son expression faciale, alors j'en conclu que oui, et largement. Un grognement sourd résonne dans la caverne, me rappelant l'existence fascinante du griffon.
« Il n'est pas dangereux ? »
Ma voix se fait toute petite, à moitié mangée par les rugissements des vagues. Il plisse les yeux, mais finit par comprendre ma phrase en tendant bien l'oreille.
« Si. Mais je m'occupe de lui depuis qu'il est sorti de l'œuf, alors il me considère comme son papa. Je crains juste son adolescence, s'il se rebelle, je ne pourrai pas faire grand-chose. »
Surprise, je ravale un nouvel écarquillement de mes yeux. Il semble devenir de plus en plus amical à mesure que je l'interroge sur le griffon.
« C'est encore un bébé !? »
Il fronce les sourcils et hoche la tête, comme s'il craignait cependant mes réactions.
« Oui, il n'a que deux mois là. Il est assez petit pour son âge. C'est peut-être un petit griffon. »
Là, il haussa les épaules, attendant une réponse de l'univers. Quelques mèches bouclées glissèrent alors dans son dos, tandis qu'il reculait un peu pour me laisser de l'espace, croyant peu à peu mon histoire.
« Qu'est-ce qu'il mange ?
-Zodiaque ? De tout. Mais surtout de la cervelle d'humaine. »
Je le fusille du regard, pendant qu'un sourire fend son visage enfin détendu.
« Et alors celles des jeunes fouineuses, c'est ses préférées. Quelle chance, n'est-ce pas ?
-Je ne suis pas une fouineuse ! J'étais juste curieuse.
-La curiosité tue le lutin. »
Perplexe, je relève les yeux vers lui. Il a changé le proverbe, ou il n'existe que sous cette forme ?
« Qui cherche trop, tombera de haut. »
Son expression faciale est particulièrement sérieuse, si bien qu'il en est difficile de rester de marbre. Petit à petit, je sens l'envie de sourire.
« Lutin curieux perdra ses yeux. »
Je pince l'arrête de mon nez, comme si ça allait m'aider à garder ma crédibilité.
« Oh, j'en ai un autre : Lutin interrogateur ne sera jamais à l'heure.
-Mais je ne comprends pas, tu les invente ?
-Je suis un poète. Lutin indiscret finit enterré. Ils viennent tout seuls. Lutin fouineur finit sous les fleurs. »
Je finis par commencer un rire, et il claque des doigts avant de me pointer du bout de son index, comme s'il voulait me montrer une victoire. Je n'arrive pas à comprendre ce qu'il cherche, et j'essaye donc de reprendre mon sérieux en le dévisageant, sans succès.
« Je n'arrive pas à savoir si tu es méfiant ou si tu me laisse passer ?
-Je ne suis pas méfiant. Car Golem méfiant se casse les dents. Cependant, je te garde à l'œil. Si tu sais venir jusqu'ici, tu sauras comment revenir. Et tu reviendras. »
Je hausse les épaules, amusée.
« Lutin qui revient ne perd pas son chemin. »
Surpris de ma capacité à rimer, il ouvre de grands yeux ronds avec un sourire, et hoche la tête.
« Exactement. Je n'aurais pas dit mieux. Astal, c'est ça ?
-Elle-même. Tu veux bien que je revienne, donc ?
-A une condition. Tu reviens seule, et, disons, demain matin. Ça te va ?
-ça me va !
-Super. Si tu brises cette promesse, je laisse Zodiaque te manger vivante. Puis je jetterai ton reste agonisant et sanguinolant dans la mer pour entendre tes derniers os se briser contre les roches et se faire emporter au loin par la mer qui rongera les restes de tes lambeaux de chair. »
Je m'arrête sur cette dernière phrase et relève timidement les yeux vers lui.
« D'accord. Je pense que je tiendrai la promesse, on n'aura pas besoin d'aller dans de tel extrême.
-Seul le temps nous le dira. Aller, ouste. Avant que je te donne à manger à Zodiaque. »
Il n'aura pas besoin de le dire deux fois. Trouillarde comme je suis, je me retourne, escalade les quelques mètres à peine de falaise et retrouve enfin la plaine. D'en bas, je l'entends crier :
« Lutin fouineur doit être à l'heure ! »
Que je traduis, non pas par une pensée philosophique, mais bien par un ordre qui m'est adressé pour que je sois là dés l'aube de demain. Il n'a effectivement pas l'air méchant. Je le vois comme un enfant qui a trouvé un trésor et qui a besoin de le partager à quelqu'un. Et comme je ne connais rien de ce monde, je pense que je suis la personne idéale. Satisfaite, je tourne les talons et retourne voir Aeglos, qui doit commencer à s'inquiéter.
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