𝓒𝓱𝓪𝓹𝓲𝓽𝓻𝓮 23
Ce n'était pas si dur à comprendre, mais au cas où, trois Aurores sont l'équivalent de trois jours. Et ils passent vites. Aeglos m'appelle depuis le bas, craignant un retard, et je dévale les marches jusqu'à lui. Il passe sa main dans mes cheveux, en ricanant légèrement.
« Qu'est-ce que c'est que cette tignasse !?
-Je n'ai pas eu le temps !
-Mhm. Bon, ça ira. Onyx ne voit pas clair, je ne suis pas sûr qu'elle remarque tes épis. »
Il sourit, et passe la porte pour aller dans le grand jour. Je le suis, savourant l'air frais et les cris d'oiseaux. Ceux-là même qui, nichés entre les arbres, préparent sûrement un nid. J'en vois passer quelques-uns, une branche fièrement tenue dans le bec, décorant le ciel bleu de leur présence. Oromë m'appelle, déjà de l'autre côté du portail. Elle nous attend de pied ferme, rigolant un peu face à ma masse de cheveux indomptable qui semble en faire des siennes. Je passe ma main dedans pour les aplatir : sans succès. En tout cas, je pense.
Je soupire, voulant rester à la maison plutôt que d'aller rencontrer « Onyx ». Depuis trois jours -pardon, Aurores-, Oromë crache dans son dos, la traitant de sorcière, folle, et hystérique aveugle. Si je peux me permettre, ça me paraît plutôt péjoratif. Je ne peux pas l'imaginer autrement qu'une vieille folle aux cheveux noirs, immenses, avec de longs ongles et des yeux blancs, qui répète « la prophétie » avec une voix d'asthmatique en pleine crise pulmonaire. Ou alors je me fie un peu trop aux préjugés, c'est à ne pas écarter. Toujours est-il que même sur le trajet, le couple commence à se prendre la tête à ce sujet :
« Je ne pense pas que ce soit une bonne idée.
-Oromë, on a eu cette conversation une vingtaine de fois : Onyx n'est pas dangereuse, juste curieuse.
-Probablement assez que pour en faire son cobaye. Astal n'est qu'une gamine, mais surtout une Eveillée, tu ne vas pas me faire croire qu'elle va la rencontrer par pure curiosité.
-Tu veux qu'on fasse un pari ? Si j'ai raison, tes Varcelles n'entrent plus dans la maison pour les six prochains mois.
-Ne les mêle pas à ça ! D'autant plus que je ne veux pas miser la vie d'Astal pour un pari, c'est complètement irrationnel. »
Son bon sens me rassure un peu. Mes mains restent moites à mesure qu'on s'approche du même pont de téléportation que celui de la boutique de vêtements. Je commence à bien connaître le chemin, d'autant plus qu'il n'est pas si difficile. Oromë passe sa main dans la mienne, remarquant inévitablement mon inquiétude.
« Tout va bien, Astal. Je n'ai pas confiance en elle, mais on reste dans la même pièce. Au moindre problème, je serais là. Et Aeglos aussi. »
Je hoche la tête avec un sourire un peu forcé, sûrement pour la rassurer, mais avale tout de même difficilement ma salive. Si c'est une sorcière, je doute qu'elle puisse faire quoi que ce soit, mais admettons. Ça me rassure toujours plus que rien.
Aeglos ouvre la porte du magasin. Même chemin que pour les vêtements, mais cette fois, il appui sur un bouton différent.
« On change de monde ? »
Ma voix se fait toute petite malgré le peu d'espace de la pièce. J'essaye de me racler la gorge, comme si ça allait la faire plus assurée. Ça n'a pas l'effet escompté.
« Oui, on va au bord du monde de l'ombre. »
La voix d'Aeglos est bien plus grave, sérieuse. Oromë reprend, rassurante comme à son habitude.
« Mais ne t'inquiète pas, ce n'est pas dangereux. D'autant plus que tu es avec nous, et qu'Aeglos est un orc. Tu ne crains rien. »
Nouvel hochement de tête, ne pouvant plus laisser sortir le moindre son. Je resserre un peu la pression de nos deux mains sans même m'en rendre compte. Ce n'est que lorsqu'elle y répond que je réalise.
« Désolée...Je panique un peu, il faut croire.
-C'est normal, ne t'excuse pas ma grande. Mais je t'assure que tout ira bien. »
Aeglos ouvre le rideau. L'ambiance de la nouvelle pièce n'est pas la même : Les murs sont sales, humides comme moites. Il y a de la moisissure sur le toit, de la boue sur le sol. Les vêtements sont ternes, et le vendeur n'est pas une jolie rousse mais un homme immense et maigre, dévisagé par une large cicatrice similaire à une brûlure qui semble avoir mangé presque toute sa tête, montant jusqu'au haut de son crâne.
« Cole.
-Aeglos. »
C'est froid, distant, comme deux connaissances qui veulent faire bonne impression sans s'aimer pour autant. Comme une marque de respect que les deux ne veulent pas honorer et qui, pourtant, persiste. Je me fais toute petite entre les deux. Oromë attrape ma capuche et l'abat sur ma tête.
« Ta fille ?
-Ma nièce. »
Pas un mot de plus. Il ouvre la porte du magasin, fuyant la conversation et avance dans la rue. Ils ont beau dire que cette partie du monde ne craint pas, je ne peux pas me sentir en sécurité pour autant. Les maisons, vieilles, bancales et pour la plupart comme à moitié détruites s'empilent les unes sur les autres, créant de véritables murs. Des sortes de passerelles en vieux bois, rongés par l'humidité passent au travers, faisant des raccourcis un peu dangereux. Des cordes sont tendues, des tissus ternes et abîmés dessus, attendant un jour un peu différent des autres pour sécher. Mais le ciel est trop gris pour ça, menaçant, sombre au possible comme le crépuscule d'une journée de tempête. Les pavés, glissant par la pluie et sales, ne sont qu'à moitié mit. Certains manquent à l'appels, d'autre carrément cassés. Les seules lumières sont celles du peu de torches pas éteintes contre les murs, et celles qui sortent des fenêtres en carreaux sales et gras des habitations.
Un frisson remonta ma colonne jusqu'à mon crâne. Il fait froid, et l'humidité s'infiltre sous mes vêtements pour me rendre moite jusqu'aux os. Des âmes titubantes trébuchaient à la moindre occasion, se rattrapaient sur des soldats, entamaient une dispute qui finissait en bataille. Des femmes peu habillées étaient postées à l'entrée des ruelles, ce qui semblait être une cigarette entre les lèvres, et sifflèrent au passage d'Aeglos. Un enfant passa en courant devant nous, poursuivi par deux ou trois soldats. Une femme un peu âgée au loin criait à ceux qui pouvaient entendre de le rattraper, car il avait son sac. Un rire malicieux s'échappa des lèvres du garçon alors qu'il plongeait dans la noirceur d'une rue.
Des âmes brisées, errantes. C'était une valse de désolation, et l'empathie pour ce peuple me mordait la gorge.
« Personne ne les aide ? »
Mais aucune réponse, juste un silence pesant. Est-ce que je pouvais les accuser ? Finalement c'était la même chose dans ma réalité. Mais ça faisait plus mal, exposé comme ça.
« On ne peut rien faire. »
Ce n'était pas complètement vrai. Pas complètement faux non plus, par conséquent. On tourna à une rue, et Aeglos se planta net devant une porte. Il tendit son poing, prêt à toquer, mais la vieille porte en bois s'ouvrit seule. Un courant d'air froid et humide comme dans des catacombes se glissèrent autour de nous pour nous envelopper. Il était presque bruyant, presque parlant. Comme s'il nous criait dessus d'entrer, sans discuter. On le fit, bien sûr.
Le couloir était sombre, presque complètement noir. Heureusement, quelques papillons aux ailes brillantes volaient par-ci par-là, nous montrant plus ou moins un chemin que je n'appréciais pas. Oromë resserra la pression de nos mains, signe qu'elle n'était évidemment pas à l'aise non plus.
L'odeur de l'endroit était assez repoussante. Un mélange entre les vieux pages de livres, le sang, le brûlé et l'humide. Ça semblait bien décrire l'endroit. Les murs semblaient se fermer sur nous, étroit comme un couloir de la mort. Un rire surgit de nulle part, venant de très loin et pourtant d'à côté. Je sursaute, un peu perdue. Une voix féminine, lourde comme un cri mais faible comme un murmure sortit des murs. C'était grave et gras comme le croassement d'un corbeau, mais sifflant comme un serpent prêt à mordre.
« Approchez, approchez, ne craignez rien. »
Je ne peux faire autre chose que me rappeler de toutes les fois, majoritairement dans des films, où cette phrase était fausse, et où il s'agissait en fait d'un piège. Une partie de moi me dit que ce serait trop évident pour en être un. L'autre que la psychologie inversée fait beaucoup de ravage pour de bonnes raisons.
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