𝓒𝓱𝓪𝓹𝓲𝓽𝓻𝓮 12
Je bondis sur mon lit, réveillée en sursaut, avant de comprendre que ce n'était qu'un rêve. Je regarde autour, prête à voir mes murs blancs, mes guirlandes et mes fausses plantes. Ou bien ma mère entrer par la vieille porte, une grimace sur ses lèvres tandis qu'elle me reprocherait quelque chose. Mais non, autour les murs sont en bois, et je suis dans un grand lit à baldaquin où des rideaux translucides balayent le sol avec douceur, reflétant des ombres sur le parquet. Je suis toujours dans mon rêve étrange, mais j'ai eu encore un rêve dans ce rêve. Je baille et m'étire, puis me lève sur la pointe des pieds hors de mon lit pour aller à la fenêtre, observant le grand pré sur lequel j'ai une vue absolument magnifique.
Je me retourne et traverse ma chambre pour descendre les marches de la maison d'Oromë, incapable de me glisser de nouveau sous les couettes pour me rendormir. J'arrive dans le salon et observe la grande baie vitrée, ouverte, comme s'il n'y avait aucun danger. Ce qui doit être le cas, si elle est ouverte. J'esquisse un sourire en me faufilant à l'extérieur, marchant dans la douce herbe qui se frotte à mes chevilles. Les animaux dorment, paisiblement, et c'est tout ce monde qui semble être endormi. En marchant un peu, j'observe des endroits briller plus loin, au sol, de vert, de rose, de bleu et de jaune. Je me dirige vers une de ces petites lumières, et contemple une jolie fleur. Ses pétales sont luminescents, et elles éclairent un peu d'une leur rosée. Dans la rivière, c'est le même phénomène mais sous forme d'algue. La nuit entière est aiguillée de végétation lumineuse, comme pour nous empêcher de nous perdre. Une pensée vient se creuser dans mon crâne, et je ne peux la repousser. Alors je cède, et obéis à ce mot : cours.
Je m'élance à la poursuite du vent, et cours tout droit, le plus loin, le plus vite. Comme si j'avais besoin que la terre me redonne le sentiment d'être éveillée et que pour cela, il me fallait courir, à perdre haleine. Mais, le sentiment de l'acide dans mes veines ne vient pas, et je comprends que je n'ai peut-être pas de limite à la fatigue, peut-être que ce rêve me donne des ailes. Pourtant je finis par m'arrêter, mes pieds humides de rosée, et je lève la tête, contemplant les diverses lunes qui traversent la nuit et les marques de leur grandeur astrale. C'est magnifique. Les feuilles se frottent les unes contre les autres dans une douce mélodie, et une courant d'air frais vient rafraîchir mon visage brûlant. Ça a tout d'une nuit d'été, douce, calme, comme une part de Paradis que Dieu ou je ne sais qui aurait accordé aux humains pour leur montrer que l'hiver est éphémère. Il a raison.
Une légère brume s'est levée et tapisse le bout de la prairie de coton. Au loin, se détachant de la noirceur de la nuit, une silhouette s'immisce dans la lueur des plantes. En fait, elle est elle-même lumineuse. Je la vois se baisser, et quelque chose se met à briller. Elle avance, et recommence : même résultat. Comme si elle faisait s'illuminer les plantes. Alors que je me rapproche d'elle, je réalise sa grandeur. Elle doit faire trois ou quatre fois ma taille, sans pour autant être large. Dans son dos, je crois voir un énorme sac à dos, à son échelle. En réalité, il s'agit d'une coquille. Cette forme qui donne lumière à l'obscurité est un escargot humanoïde. Il ne paraît pas visqueux ou gluant, non, mais sa peau est translucide et granuleuse comme celle d'un mollusque. Elle est d'un bleu presque blanc, là tirant sur le rose. Son visage est en place comme celui d'un humain, avec quelques airs de lutin : malicieux, presque sournois. Deux antennes partent de son front, brillantes comme des lucioles au bout. De sa coquille est accrochée des plumes, des os, et des petites lanternes.
Un sourire impressionné s'échappe de mes lèvres tandis qu'il se relève en me voyant. Il s'approche doucement comme si je n'étais qu'une pauvre biche, et tend sa main, composée de longs doigts, pour appuyer sur mon nez. Il rigole, d'un ton grave, ronronnant comme un chat, et cueille une fleur. Il ferme ses mains autour, et souffle dessus, avant de me la tendre. Si avant elle était plutôt banale, la voilà d'un rose fuchsia, et lumineuse comme celle du champ ; je l'attrape délicatement, et lui sourit.
« Merci. »
Il hoche la tête, me contourne, et s'en va, de l'autre côté de la prairie, là où les fleurs de brillent pas. J'entends un rire en cloche résonner, quelques mètres derrière moi. En me retournant, j'aperçois Oromë, avec son sourire de magasine, qui s'avance vers moi.
« La fougue de la jeunesse hein ? Debout au milieu de la nuit pour découvrir le monde ! »
Je souris aussi. Ses pas sont aussi nus que les miens, pourtant me semble plus léger. Elle est dans une chemisette de nuit toute légère, flottante dans la brise comme un nuage. Elle passe une main dans ses cheveux blonds, qui tombent sur ses épaules en cascade.
« Qu'est-ce que c'était ?
-Lui ? Le Marchand de Lumières. Et lui... »
Elle pointe du doigt au loin une énorme bête. Il ressemble à un renard, en bien plus massif, et complètement noir. Son poitrail est d'un vert menthe, sur certains endroits partant sur le bleu turquoise. Il se glisse comme une ombre sur les fleurs, et referme sa gueule pleine de dents dessus. Lorsqu'il relève la tête, la lumière a disparue.
« C'est le Voleur de Lumière. Chacun veille à ce que l'autre ai du travail, sans jamais se croiser. Ils sont mignons, ils pensent que s'ils continuent d'errer dans la nuit, c'est parce qu'ils adorent ça. En fait, ils réparent leurs erreurs mutuelles. L'un nous aide à ne pas nous perdre, l'autre veille à l'harmonie de la noirceur. »
Je ris un peu en les voyant faire. Ils ressemblent à deux frères.
« Ils ne te feront pas de mal, mais ne prendront pas te défense non plus. »
Elle regarda la fleur dans mes mains, amusée.
« Tu n'arrivais pas à dormir ?
-Non. Et puis, c'est étrange de dormir dans un rêve. Parce que du coup, je me demande où va mon esprit.
-Dans un monde encore différent. Ici, c'est le monde des rêves. Tu ne viens là que lorsque, comme son nom l'indique, tu rêves. Enfin, ici...dans les cocons qui bordent la limite, mais tu as l'idée. Le monde du sommeil, il est plus rare. Il existe pour nous, et pour ceux qui, dans de rares cas, ne rêvent pas.
-Et on peut y accéder ?
-Non. Enfin, si, mais il n'y a rien à voir. C'est un peu comme l'espace : très grand, en même temps donc très petit, très vide, sans rien. Et juste nos âmes errantes, surveillées pas Arachnée. C'est une grosse araignée vaguement humaine qui tisse sa toile autour de nos âmes pour ne pas qu'elles partent à la dérive. C'est tout. »
Je hoche la tête, pas sûre d'avoir envie de me rendormir. Je ne dis pas que j'ai peur des araignées, mais de là à me laisser me faire encoconnée...Oromë passe sa main dans mes cheveux.
« Je vois bien ton air inquiet. Mais tu sais, Arachnée n'est vraiment pas méchante, et de toute façon, lorsque tu dors, tu n'as aucune conscience de là où va ton âme. »
Elle tend sa main pour que je la prenne, ce que je fais sans hésiter.
« Aller, viens. On va se recoucher. Demain, ce sera ta première vraie journée ici. »
Je souris à cette idée et la suis, pour retourner dans sa maison. Pourtant, quelque chose me tracasse. S'il n'y a pas de deuxième monde de rêve, où est-ce que je vais lorsque je rêve de ce garçon, à bord du bateau ?
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