𝓒𝓱𝓪𝓹𝓲𝓽𝓻𝓮 11
Dans le bateau, ils étaient des dizaines à crier, pleurer, geindre. Ils avaient mal, ils avaient soif. Les plus jeunes criait à leur mère pourtant défunte, les plus fort les prenait dans leur bras. Les parois poisseuses du navire collaient dans mon dos encore transpirant, le sang se mélangeait à la sueur, les larmes, et l'eau de mer pas si différente de celle qu'il coulait des yeux des enfants. J'avais envie de leur dire que tout irait bien, mais je mentirai. Parfois, ce n'est pas un péché, ça rassure. Mais ils n'avaient pas besoin d'être rassuré, ils avaient besoin de savoir qui allait s'en sortir. Et, en l'occurrence, sûrement pas grand monde.
Un garçon, celui qui chantonnait, se fit pousser avec nous, jeter parmi les presque morts. Il tituba, manqua de tomber, et finit par s'écrouler, à quelques centimètres de moi. Ses cheveux bouclés et blond ne cachait qu'à moitié deux oreilles de félin. Ma main se mit, par reflexe, sous sa tête, pour ne pas qu'il la cogne. Il la releva, se tira sur la distance restante entre lui et moi, et se laissa tomber sur mes genoux. Durant quelques secondes, je cru qu'il venait de mourir, là, sous mes yeux. Pourtant, non. Son torse se souleva difficilement, je compris bien vite qu'il fallait blâmer ses côtes probablement cassées, et il gémit de douleur. Je caressai ses cheveux, espérant qu'il s'endorme et que l'agonie, cavalière cruelle, le laisse, au moins quelques instants.
« Comment tu t'appelles ? »
Ma voix se fit comme un murmure au milieu du brouhaha. Peut-être que je la voulais ainsi ? Rassurante, familière, discrète comme un serpent qui vient s'endormir au creux de son oreille. Les paupières closes, il soupira difficilement :
« Je ne sais plus. »
Anaria. Je le regarde, là, somnolant ou agonisant, et je ne peux ôter ce nom de ma tête. Anaria. Celui qui se bat, celui qui reste, celui qui aime. Anaria. Son souffle se calme, me signalant avec douceur qu'il dort, que la douleur le laisse au moins pour quelques minutes, comme si elle avait répondu à mes prières. Pourtant, je ne vais pas la remercier. Est-ce qu'elle lui a fait un salut pour l'avoir supporté ? Non. Et elle allait le retrouver d'un instant à l'autre, prête à l'assaillir.
Mes paupières finissent par se fermer aussi, au rythme de la coque en bois qui nous berce contre les vagues. Certaines s'infiltrent au travers des planches, et coulent, glacées, le long de ma colonne. Le contraste est violent, désagréable, et pique sur certains endroits de mon dos où la peau est partie pour dévoiler ma chair rouge, sans pudeur. Je serre les dents, rageant de ne pas avoir le sommeil de plomb que certain parmi nous ont. Mais c'est ceux-ci qui semblent le plus à l'agonie. Face à moi, je la vois, la mort. Elle danse, lançant ses pans de cape noire au-dessus d'elle, et entre ses longues jambes qui la font passer d'une âme à une autre. Elle se tourne, se retourne, passe en revue chaque jeune aggloméré les uns contre les autres, comme une cougar en quête de son prochain cavalier. Elle m'écœure. Je la vois circuler entre nous, s'arrêtant sur les plus jeunes, hésitante, puis continuant sa route, la tête haute. Elle s'approche d'une jeune fille, passe sa main dans ses cheveux, et l'emporte. Un garçon, sur qui elle dormait, essaye de la réveiller, la secoue, crie, et pleure. Il sanglote, prie un Dieu de la laisser revenir, enrage, et la resserre dans ses bras. La Mort, satisfaite sûrement, passe sa langue noire sur ses lèvres décharnées et se détourne du spectacle, en quête d'un autre acte. Elle abaisse sa main sur trois autres innocents, avant de s'enfuir comme un serpent dans la faille d'une planche, dans la mer froide qui se jette contre nous, essayant de nous atteindre. Je veux lui courir après, lui hurler dessus qu'elle n'est pas à sa place. Pourtant, ce serait mentir. Et puis, lorsque je vois le visage apaisé des morts, j'en viens à me demander si ce n'est pas une délivrance pour eux. Je les envierai presque.
Est-ce qu'elle ne serait pas finalement notre plusfidèle compagne ? Là du début, jusqu'à la fin, là dans la misère, ledésespoir. Là dans le rien, là dans le désastre. La seule qui est encore ici,avec nous, sans nous lâcher. Je me mords la lèvre, et finit par mettre ma mainà moi sur Anaria, pour lui dire, à cette belle mort, qu'elle peut s'abaissersur tout le monde mais pas lui. Car lui est à moi, à partir de maintenant,d'aujourd'hui, de ce présent. Elle n'effleurera pas une seule de ses bouclesd'or de ses ongles sales. Il est mien, et ainsi recommence une histoire.
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