𝓒𝓱𝓪𝓹𝓲𝓽𝓻𝓮 10
« Il est où Lucas ?
-Lucas ?
-je suis arrivée seule ? »
Elle hoche la tête. Je pâli. Ça veut dire qu'il est sûrement seul, là dehors, sans personne. Elle passe sa main sur ma joue, d'un instinct étrangement maternel.
« Ne t'inquiète pas, il ne doit pas être loin. Et puis, ce n'est qu'un rêve, il ne peut rien lui arriver. Comment tu t'appelles ? »
Ses mots sont trop rapides pour mon cerveau, pas encore habitué à cet univers bien différent et pourtant semblable au nôtre. Le temps que j'analyse ses premiers mots, elle commence une autre phrase. Je ferme les yeux et pince l'arrête de mon nez, essayant de donner le maximum de ma concentration pour comprendre. Puis, vient le moment de ma réponse, que je ne sais pas donner. Mon prénom ? Qu'est-ce que j'en sais. Si j'en suis son raisonnement, c'est plutôt normal, mon prénom ne vient pas de ce monde de rêve, alors peut-être qu'un système d'amnésie me l'a fait oublier ?
« Je ne sais plus, je... »
Elle sourit, de nouveau. Un sourire de mannequin, inhumain ou presque.
« Ce n'est pas grave. En attendant, il va falloir t'en trouver un autre. Mais, tu sais quoi ? Chaque chose en son temps. »
Cette phrase me percute. Oui, à ce propos. Le temps, comment est-il ici ? Plus long, plus court ? Je regarde par la fenêtre, et je réalise que je suis incapable de répondre à cette question pourtant simple. Suis-je dans le passé, ou le présent ? Un futur ? Un temps encore différent que l'on ne connait pas ? Est-ce que ce concept existe ici ?
« Quand sommes-nous ? »
Ma question semble la surprendre.
« Oh, ça va être difficile d'y répondre, tu sais. Tu veux dire, par rapport à l'échelle de temps de ton monde ? On ne peut comparer. Mais si je devais te dire la date d'ici, ce serait trois demi-lunes et six cercles. Ça ne t'aide pas trop, si ? »
Je secoue la tête. Monde différent, temps différent.
« L'Horloger serait plus apte à te répondre.
-Quoi ?
-On en parlera aussi plus tard. Tu arrives à te lever ? »
Je la regarde quelques secondes avant de comprendre sa phrase, et pousse sur ma main pour me redresser. Je titube un peu, me sentant plus légère que prévu. J'ai le sentiment d'être plus libre, plus agile, et je souris, instinctivement. Elle me tend une main, sûrement pas protection. Je m'attrape plutôt à un meuble, craignant son contact, et commence à faire quelques pas sur le parquet tiède. Elle applaudit, et je réalise que je suis comme une gamine qui commence à faire ses premiers pas. Je lève la tête.
« Comment vous vous appelez ? »
Elle se relève, tirant sur les draps pour refaire le lit.
« Oromë.
-Vous parlez ma langue ou je parle la vôtre ?
-Ni l'un ni l'autre. Dans un rêve, il n'y a pas de question de langage. »
Je souris.
« C'est vrai. »
Elle me regarde quelques secondes, lissant la couverture du bout des doigts, puis se retourne et s'en va dans la salle à côté.
« Suis-moi. »
Je ne comprends rien à ce rêve. Il y a souvent plusieurs types : Des rêves où on se bat, des rêves où on découvre, des rêves où on voit un futur ou un passé alternatif...Or, je ne sais pas si je suis dans la première ou la deuxième option. Je la suis, cogitant en silence. Elle attrape la poignée d'une baie vitrée de verre et de bois, et ouvre. Le vent fait courber de l'herbe d'un vert que je n'ai jamais vu, le soleil traverse des arbres fait de coton couleur pomme, des montagnes se dessinent à l'horizon, et une rivière vient couper le pré en face de moi en deux. Des animaux étranges s'y abreuvent, sans crainte. Sûrement des variantes de nos vaches et moutons. Et chevaux, et poules. Une sorte de gros chat, ou renard, dort sous plusieurs arbres. Son pelage est bleu, et c'est comme si une ligne d'herbe parcourait son dos jusqu'à sa tête, où des champignons rouges se sont donnés rendez-vous. Des cerfs aux cornes énormes transparente se courent après, la langue dehors comme des chiens, le pelage noir comme des panthères. Des oiseaux rouges, violets, bleus et noirs marchent et se baignent, une lumière douce brillant au niveau de leur cœur. Oromë tend une main devant elle, m'invitant à marcher dans cette version de Paradis que je n'aurais jamais pu imaginer.
Je ris un peu alors que le bout des herbes chatouille mes mollets, le vent sur mes joues. L'air est léger, et c'est comme si un poids dans ma cage thoracique qui, d'habitude, tirait vers mes poumons sans que je m'en rende compte, venait de s'en aller. Depuis tout ce temps, je ne réalisais pas que c'était de l'acide dans mes veines. Mais là, l'air si doux me rappelle ce que c'est que d'être pur, sans vie polluée. Je me dirige vers la rivière, où l'eau transparente circule doucement, caressant des cailloux. De l'herbe se trouve aussi dans le fond. Je marche un peu dedans, elle est fraîche mais pas glaciale.
« C'est beau...
-Je ne sais pas, je ne m'en rends plus compte. »
Oromë me regarde avec satisfaction, heureuse de me voir aussi épanouie probablement. Au loin, un homme s'approche, une sorte de hache dans la main, du bois sous l'autre bras. Il fait un geste de main, et s'approche de la jeune femme derrière moi, lâchant ses affaires pour la prendre par la taille, et l'embrasse. Ils ressemblent à ces pubs pour doliprane, où cachets de vitamines. Sa tunique blanche vole un peu, suivant les courbes de son corps. L'homme porte une chemise aussi, dans la même matière que la mienne mais marron, et ses cheveux longs sont attachés en un chignon parfaitement en bataille, si bien que c'en est rageant. Il la lâche pour me regarder. Oromë sourit, contre lui :
« C'est la petite de ce matin...
-Je l'avais reconnue, même si elle est bien plus vivante comme ça. Comment tu te sens ?
-Euh...Bien ? Merci, et vous ? »
Il rit.
« ça va aussi, je te remercie. Je suis Aeglos, au fait, enchanté. »
Je hoche la tête, le son ne voulant plus passer le seuil de ma gorge. Je regarde le ciel, parfaitement dégagé, d'un bleu parfait. Je suis dans la définition du rêve, simple, clair et précis. Un beau monde, une température parfaite, des gens gentils et beaux aussi. Oromë disparaît quelques instants et revient, une assiette dans les mains. Elle s'assoit à côté de moi, me faisant signe de l'imiter, et j'obéi sans poser de question.
« Bon, il est temps que je te parle, que je t'explique. Tu veux bien ? »
Je hoche la tête, questionnant du regard les aliments un peu étranges qui se trouvent dans l'assiette. Elle m'invite à en prendre un, ce que je fais sans réfléchir et goûte. Est-il nécessaire de préciser que c'est sûrement la meilleure chose que j'ai mangé ? Sucré, mais pas trop, aux traits de rose, de fleur d'orangé et de vanille. Peut-être presque un peu citronné.
« Tu es venu ici grâce à trois éléments importants, eux-mêmes qui font que les rêves existent. Le Marchand de sable, l'Horloger, et les Croques Mitaines. L'Horloger t'as accueilli. Il s'occupe de la chronologie des rêves. Est-ce que le temps passe plus lentement, ou plus vite.
-Il s'en charge avant le rêve ou pendant ?
-Ni l'un, ni l'autre. Il s'en occupe après. Lorsque ton rêve est fini, il décide de quand est-ce qu'il te renvoie dans ta réalité, en fonction de ses envies et de tes besoins. Pendant le rêve, tous les autres temps s'arrêtent, et il n'y a que dans ton avance. »
Tout me brouille. Est-ce que j'ai déjà eu cette information et je l'ai oubliée au réveil ? Ou est-ce que c'est tout nouveau ?
« Je le savais ?
-Je ne sais pas. »
Je cogite, retourne mon cerveau, cherche la moindre idée claire. Mais rien. Mon esprit flotte dans mon crâne, endormi et pourtant réveillé.
« Qui sont les autres ?
-Le Marchand de Sable s'occupe des rêves. Ils les créé, les alimente, vous envoie dedans. Comme un cocon différent par nuit, où chacun trouve réconfort. Parfois, deux personnes ont le même cocon.
-Comme ici, avec Lucas et moi ?
-Non, là, c'est différent. Finalement, il y a les Croque-Mitaines. Ils portent plusieurs noms, mais celui-ci est le plus connu. Eux déchirent les cocons et s'amusent à réveiller en sursaut les endormis. »
Je hoche la tête. Dans un certain sens, je suis perdue. Est-ce que cette histoire est le thème de mon rêve, ou est-ce que c'est la réalité sur le monde des endormis ?
« D'accord, donc si je ne suis pas dans un cocon partagé avec Lucas, je suis où ? on est où ?
-Votre cocon a été déchiré, c'est pour ça que vous avez pu voir l'entre deux mondes. Vous étiez dans le même cocon, mais un croque-mitaine l'a ouvert.
-D'accord. Et c'est un évènement qui change de d'habitude ?
-Oui, beaucoup. Normalement, le Marchand de Sable veille à ce que ça n'arrive pas, et lorsque ça arrive, il vous renvoi de suite dans votre monde. Or, vous êtes ici. Vous avez passé la frontière des cocons et de votre réalité. Vous êtes littéralement dans le monde des rêves, là où le Marchand de Sable, l'Horloger et les Croques-Mitaines viennent. Vous êtes... »
Elle désigne de la tête la paisible prairie qui nous entoure, incluant sa maison, ses animaux, les montagnes au loin et la forêt.
« ...Là. »
Je fronce les sourcils.
« D'accord, mais...pourquoi ? Pourquoi le Marchand de Sable ne m'a pas déjà réveillée ? »
Elle hausse les épaules, et commence à triturer l'herbe. Je la regarde faire, et remarque alors ses lèvres roses bouger, comprenant qu'elle les compte. Je m'amuse à anticiper les chiffres, tandis qu'elle relève la tête dans un soupire.
« Je ne sais pas pourquoi. Ce...ce n'est pas normal. Il doit avoir une idée ou...Je ne sais pas.
-Et quelqu'un sait pourquoi ?
-Sûrement ? Je veux dire, si tu trouves un prophète dans ce monde, il pourrait bien te dire ta destinée, mais je ne sais pas où tu peux en trouver. Il n'y en n'a pas dans tous les coins de rue, tu sais ? »
Je soupire. Ce rêve est un mélange de plein de rêve.
« Ecoute, de toute façon tu risques d'être coincée là quelques temps, profites-en ! Tu es dans un rêve, tu ne risques rien. Découvre, et peut-être que tu finiras par te réveiller. »
Je hausse les épaules. Pourquoi pas. Elle sourit tendrement et passe sa main dans mes cheveux dans une grande délicatesse, puis se relève.
« Viens avec moi, on va te préparer une chambre. Je pourrais te prêter des livres sur ce monde si tu veux.
-Merci. Dites, comment ça se fait que vous en connaissez autant sur les Echoués si ce n'est pas quelque chose de normal dans votre monde ? »
Elle rit un peu.
« Si, les Echoués sont courant. Ce qui est rare, c'est de les voir rester aussi longtemps. Des cocons qui se déchirent, il y en a toutes vos secondes. Sauf que, voilà, comparé à toi, ils sont renvoyés de suite dans leur monde. »
Oromë soupire et regarde le ciel, pensive.
« Mais c'est étrange, il n'y en a pas beaucoup depuis ton arrivée. Normalement, ça fait comme des flashs dans le ciel. Là...il n'y en n'a pas un seul. »
Je suis son regard, et contemple sa raison. Il n'y a rien. Elle m'aide à me relever aussi et retourne dans la maison, sans fermer la porte. Vu la température dehors, il n'y a pas besoin.
« Aller, viens. Je vais te montrer ta chambre. »
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