SUREAU NOIR
𝕾𝖚𝖗𝖊𝖆𝖚 𝖓𝖔𝖎𝖗
( 𝔜𝔬𝔲𝔯 𝔩𝔬𝔳𝔢 𝔦𝔰 𝔟𝔩𝔬𝔬𝔡𝔶 )
"Sureau [\sy.ʁo\] ; nom masculin (ancien français seur, altération de seu, du bas latin sabucus). Arbre ou arbuste (caprifoliacée) à croissance rapide et dont les tiges ont une moelle importante. Arbre sacré qui abritait les divinités dans la mythologie celte ; symbole de l'au-delà, fleur de la Déesse porteuse de mort. "
La dernière fois qu'il s'était figé de la sorte, c'était quand il avait découvert les corps de ses amis dans une mare de sang.
vhope
murder + major character deaths
mention de suicide, trouble dissociatif de l'identité implicite
flashbacks + ptsd
top! taehyung
bottom! hoseok
REPOST DU RECUEIL "ROCKY FLOWER SHOW"
DE rhsteam !
GAGNANT DE LA CATEGORIE ONESHOT DES WATTY KPOP AWARDS, 2e EDITION !
---
Sureau, sureau, donne moi tes fleurs,
Et que la joie abonde dans ma maison ;
Sureau, sureau, donne moi ton cœur,
Et que le sang coule à en perdre la raison.
"Hyung, grogna Taehyung contre son cou, je vais —
Hoseok se mordit la lèvre, le souffle court sous les coups de reins précis et hypnotiques de son amant, fermant un instant les yeux sous l'avalanche de sensations. Les grandes mains de Taehyung de part et d'autres de ses cuisses, sa bouche chaude contre sa gorge, son corps contre le sien et le clouant contre le matelas, l'obligeant à prendre, encore et encore, n'ayant cure des gémissements à peine étouffés de son aîné et de ses ongles qui se plantaient dans son dos.
"Attends-moi babe, j'y suis— gn — j'y suis presque...
Le jeune homme se redressa alors, ses doigts se serrant autour de ses hanches pour raffermir sa prise, pistonnant contre son bassin sans merci, le claquement de peaux contre peaux résonnant de la plus exquise et luxueuse des mélodies dans la chambre tamisée. Et quelle vision était Hoseok, les yeux roulant en arrière, les lèvres entrouvertes dans une cascade de soupirs et d'insultes, le dos se cambrant pour venir rencontrer les va-et-vient impitoyables de son petit-ami.
"T'arrêtes pas, implora presque le brun.
Il laissa une main glisser le long du torse humide de son partenaire, main que Taehyung saisit dans la sienne pour entremêler leurs doigts et serrer légèrement. Il n'avait pas l'intention d'aller où que ce soit, si ce n'était de l'autre côté de l'orgasme avec lui, dans ce monde vacillant et destructeur de l'acmé que tous les deux chassaient avec envie et impatience.
"T'y es presque ? demanda-t-il, haletant, sa mâchoire serrée sous les sensations délicieuses du corps de son aimé sous lui.
"Bordel, continues comme ça et je n'en aurais plus pour longtemps, grogna Hoseok en réponse après un mouvement particulièrement meurtrier.
Le plus jeune eut un rire, bref et essoufflé, avant de retomber sur ses avant-bras de part et d'autre du visage de son petit-copain, et de tenter tant bien que mal de l'embrasser malgré leurs respirations hachées et leur jouissance crépitant sous l'épiderme. Parmi ses murmures contre ses lippes — qu'il était beau, qu'il était magnifique sous lui, qu'il se débrouillait si bien pour lui —, Taehyung lui chuchota aussi un :
"Alors viens pour moi.
Et cette voix, si rauque et si électrifiante, suffit à Hoseok pour lâcher prise, pour laisser l'explosion magmatique prendre possession de son corps, pour rejeter la tête en arrière et pour gémir longuement, son sexe encore sensible entre leurs deux ventres et décorant sa peau caramel de flocons blancs. Et l'homme au-dessus de lui le suivit, sa main toujours dans la sienne, le visage caché dans ses cheveux, un grognement bas et un tremblement de bassin plus tard.
Tout sembla stopper à partir de là, des battements de son cœur erratique aux spasmes de ses muscles, de l'impatience qui bouillonnait dans son bas-ventre sur le point d'exploser, pour ne laisser place qu'à un sentiment de béatitude, comme s'il flottait sur un nuage pour ne jamais en revenir, le corps chaud et lourd de son amant contre le sien comme point d'ancrage dans cette réalité si précaire.
C'était un dimanche après-midi pluvieux, et Taehyung n'avait pas eu de mal à le convaincre de passer la journée au lit, les moments tendres et lents, rattrapant leur retard sur leur série et échangeant quelques baisers entre deux génériques, prenant leur temps et appréciant le confort de l'autre. Il était presque aisé de deviner que cette douce journée finirait de cette manière, l'épisode depuis bien longtemps abandonné et Hoseok chevauchant avec un regard plein d'étincelles les genoux de son petit-copain quand celui-ci avait enfin glissé une main fraîche sous son t-shirt.
Il ne se rendit pas compte qu'il avait fermé les yeux, l'esprit encore trop enraciné dans ce moment post-orgasmique presque hors du temps, et ne les rouvrit qu'à moitié lorsqu'il sentit une serviette fraîche sur son torse, essuyant sa semence. Taehyung lui rendit son sourire fatigué, et jeta sans ménagement le tissu à travers de la chambre pour le rejoindre dans le parfum des draps et dans la chaleur de ses bras, sourd aux protestations de son homme que la serviette allait laisser des marques sur le parquet s'il la laissait mouillée là. Un baiser tendre contre ses lèvres, et ses protestations disparurent dans sa voix, pour ne laisser place qu'à un tendre rictus et un soupir de bien-être.
Rien n'avait prédestiné leur cocon confortable à éclater comme une bulle de savon, comme une goulée d'air qui remonte à la surface ; la pluie continuait de battre contre les fenêtres de leur chambre, les rires du sitcom faisaient office de fond musical, et la lumière de leur lampe de chevet baignait la pièce dans un voile chaud et réconfortant. Rien n'aurait pu empêcher Hoseok de fermer les yeux, de se laisser transporter par la respiration calme de son amant, et de le laisser profiter un peu de la chaleur de son torse contre sa joue. Rien.
Et pourtant, ce moment de grâce presque hors du temps fut brisé aussi vite qu'une coupe de champagne qui éclate, quand, caressant toujours le bras de son aîné du bout de la pulpe de ses doigts, Taehyung se raclât la gorge timidement pour demander :
"Tu sais quel jour on est, demain ?
"Hmm ? répondit le basané, les paupières toujours closes.
"On sera le 3 février.
Et ce fut suffisant. Cette simple date, cette simple phrase, fut suffisante pour le figer d'horreur, comme si on avait tiré ses draps réconfortants pour le plonger dans un bain glacé, les rires maniaques et moqueurs torturant ses oreilles, les longs doigts froids et ténébreux de la peur serrant son cœur dans une poigne de fer et d'épines.
Comprenant sa soudaine rigidité, Taehyung serra encore plus fort les bras autour de son torse, enfouissant son visage dans son cou dans un signe réconfortant, mais rien y faire.
Demain, ils seraient le 3 février, et cela ferait exactement 5 ans depuis que tous leurs amis avaient été brutalement et sauvagement assassinés dans un bain de sang, laissant lui et l'homme qui lui murmurait à présent des paroles qui se voulaient réconfortantes à son oreille les seuls survivants de ce véritable massacre.
Demain, ils seraient le 3 février, et Hoseok ne pourrait que revivre avec agonie cette journée qui avait changé sa vie à jamais.
---
"Love, je suis rentré !
Hoseok se déchaussa à l'entrée, jetant ses clés dans le bol qu'ils avaient ramené de leur voyage au Maroc, serrant la bouteille de vin qu'il avait dans la main. Son amant ne lui répondit pas tout de suite, mais il entendait sa voix fredonnée plus loin dans la salle de bain, et le jeune homme se dit qu'il était en train de faire la lessive, très certainement. Avec un soupir, il traîna sa carcasse fourbue par une intense journée de travail jusqu'à la cuisine, pour poser la bouteille de rouge sur le plan de travail, à côté de la cocotte en train de mijoter. Et, comme un démon qui le suivait de son regard mauvais et vil, il fit un effort considérable pour ne pas lever les yeux et lire la date sur le calendrier du frigo, les lettres grasses brûlant en lui comme une marque au fer rouge.
Il avait fait tout pour ne pas y penser. À ce que voulait dire ce 3 février. Ce matin, en arrivant au bureau ; ce midi, quand Hwasa et lui avaient partagé leur pause déjeuner et qu'elle décrivait son week-end ; ce soir, dans le métro, quand les grandes affiches tape-à-l'œil annonçaient un programme spécial plus tard dans la soirée sur une chaîne de télévision connue. Il avait tout fait pour ne pas y penser, avait pris deux autres dossiers alors qu'il croulait déjà sous la charge de travail, avait éteint son téléphone pour ne pas voir la date, dansant avec méprise et sadisme sur son écran dès qu'il recevait une notification.
Quand était venu le premier anniversaire de cet... évènement, leur psychologue leur avait conseillé de ne pas se morfondre. De ne pas pleurer, et quitte même, de ne pas se rendre sur leurs tombes encore fraîches. Cela faisait parti du processus du deuil, ou une connerie du genre, alors Taehyung et lui avaient instauré une nouvelle tradition : celle de se faire un repas en tête-à-tête, rien que tous les deux, et de se rappeler d'eux. Des souvenirs qu'ils avaient partagé avec chacun de leurs amis, et même si leurs gorges étaient serrées sous l'émotion, la culpabilité et la souffrance du survivant encore plus exécrable et insupportable qu'en ce jour-là, ils s'efforçaient de boire, de manger, et de penser à leurs défunts.
De se rappeler Jeongguk qui faisait la grimace quand Yoongi lui donnait un whisky 12 ans d'âge à boire en soirée, insistant qu'il savait tenir l'alcool et se pelotonnant contre Hoseok sur le canapé.
D'oublier les yeux vides de vie de Jeongguk, son visage si jeune dans ses derniers instants, gisant dans son propre sang sur le carrelage de la cuisine.
De se rappeler de la mélodie des rires de Jimin, et de la façon dont son corps était secoué de ricanements quand il se jetait sur la première personne à côté de lui.
D'oublier le visage contre terre de Jimin, sa main tendue vers la porte d'entrée comme dans un dernier espoir de s'échapper, traînant son corps dans un bain de pourpre morbide.
De se rappeler la façon dont Namjoon recommandait toujours, avec cette étincelle d'excitation qui lui était si caractéristique, ce nouveau recueil de poésie qu'il venait de finir et qui l'avait transcendé.
D'oublier la grimace de douleur de Namjoon, que la mort avait figé, ni de ses larmes encore fraîches sur ses joues tâchées d'hémoglobine quand il l'avait retrouvé sur le pas de sa chambre.
De se rappeler cette façon silencieuse et douce que Yoongi avait à s'occuper d'eux, quand il glissait sa carte vers la serveuse, l'œil pétillant de les savoir aussi bien repus et une pique de fausse réprimande pour tromper l'ennemi.
D'oublier la façon dont Yoongi avait tenté de protéger Jimin sous son corps, la main encore agrippée à son pull, alors que son dos était lézardé de coups de couteau sanguinolents.
De se rappeler les exclamations bruyantes de Seokjin quand il disputait une partie contre Taehyung, challengeant quiconque pourrait faire mieux que lui avec un rire contagieux.
D'oublier les yeux révulsés de Seokjin sur le tapis du salon, ce même tapis qu'il avait nettoyé le week-end d'avant, sa bague de fiançailles rougie par le carmin répugnant.
Il dut physiquement se secouer la tête pour chasser ces images — ces mêmes images qui le hantaient, encore et encore, inlassables et cruelles, comme des fantômes en peine venant le torturer dans ses rêves, même après toutes ces années. Aujourd'hui, il ne devait pas penser à cela, même si tout le poids de cette fameuse nuit ne semblait que peser lourd, toujours plus lourd sur ses épaules. Aujourd'hui, il devait se rappeler de leurs rires et de leurs sourires, et non de leurs prunelles vides de toute humanité et de leurs corps baignant dans une mare de sang. Il se devait de le faire — pour survivre, pour les honorer, toutes ces conneries qui ne le feraient pas plonger dans la première bouteille de bourbon qu'il trouverait sous la main.
Avec un autre soupir, il réduisit un peu le feu sous la marmite, et quand il se retourna, découvrit un bouquet de fleurs sur l'îlot de la cuisine. Il n'avait jamais été très fort pour les nommer, mais il savait que c'était la première fois qu'il voyait celles-ci ; puisqu'au milieu des roses aux pétales délavés, il y avait des fleurs à branches, formant comme un tableau impressionniste avec leurs points blancs. Il était indéniable que Taehyung avait toujours eu du goût en terme de bouquets, garnissant leur appartement de ses tulipes et de ses œillets, mais à présent le parfum de ces fleurs inconnues était presque trop entêtant, presque trop envahissant, à la limite du haut-le-cœur.
"Tae ? appela-t-il de nouveau, avec ce besoin soudain et presque maladif d'être proche de lui pour ne pas sombrer dans la folie.
Seule la chanson humée par son amant lui répondit, et le jeune homme se rendit à sa rencontre, traversant leur appartement éclairé par quelques lampes et bougies en direction de la salle de bain. Taehyung avait toujours la manie de fredonner quand il travaillait, que ce soit en train de découper les légumes, de refaire le lit ou même de lire un livre sur le canapé, la tête de son aîné sur son torse et ses doigts dans ses cheveux. C'était une habitude qu'il avait appris à aimer, avec le temps, sa journée bercée au son de ces mélodies sommaires, fruit d'une musique qu'il avait entendu quelque part ou du générique de fin de leur série.
Un fin sourire s'étira le long des lippes d'Hoseok, et il pressa inconsciemment le pas, pressé de voir le visage de son petit-ami comme s'il ne l'avait pas vu depuis des années.
"Su... eau... donne-moi... coeur..., chantonnait Taehyung, l'odeur de lessive chaude emplissant bientôt ses narines.
"Sureau, sureau, entendit-il au fur et à mesure qu'il se rapprochait, et Hoseok fronça des sourcils.
Était-ce une nouvelle chanson ? Taehyung ne l'avait murmurée avant, et pourtant... pourtant il y avait un air affreusement familier derrière ces mots. Il ne saurait mettre le doigt dessus, comme lorsqu'on cherche un mot pendant de longues minutes, là, quelque part derrière son esprit, mais échappant toujours à sa conscience tentant de la rattraper, un rire enfantin à la limite du moqueur.
"Sureau, sureau, donne-moi tes fleurs, et que la joie abonde dans ma maison, fit la chanson, et Hoseok poussa légèrement la porte de la salle de bain, pour voir Taehyung, dos à lui, plier les serviettes et les déposer sur une pile.
Les prochains mots prononcés par son petit-copain eurent le mérite de le figer sur place, le glaçant de tout son être.
"Sureau, sureau, donne moi ton cœur, et que le sang coule à en perdre la raison.
Car la dernière fois qu'il avait entendu cette chanson, c'était justement 5 ans auparavant, avant qu'il ne découvre ses amis massacrés.
---
Le silence.
Le silence et la migraine.
C'était ça qui l'avait réveillé, ce matin fatidique, 5 ans plus tôt.
Au début, clignant des yeux pour chasser les dernières traces de sommeil, il n'y avait pas trop prêté attention — préférant s'étirer tel un chat dans les draps encore chauds, admirer d'un œil encore absent les flocons de neige qui tombaient mollement contre les fenêtres de la chambre, laisser son visage baigner dans la lueur du matin hivernal. La journée promettait d'être radieuse. Ses muscles étaient encore endoloris de sa chute sur la piste la veille, se rappelant avec une grimace la façon dont Jimin avait éclaté de rire en le voyant tomber à la renverse.
Ce fut le son des ricanements de son cadet faisant encore écho dans son esprit qu'il tendit l'oreille. Cela faisait une semaine qu'ils s'étaient installés dans le chalet de montagne de l'oncle de Seokjin pour passer quelques jours de vacances bien mérités, et tous les matins, cela avait été la même routine ; Hoseok se faisait réveiller par les rayons du soleil, et passait quelques instants pour chasser les dernières traces de sommeil derrière ses paupières et à écouter avec un sourire attendri les bruits du salon. La musique que Namjoon mettait sur les enceintes au saut du lit. Les premières disputes de Jeongguk et Taehyung quand ils lançaient une partie sur le grand écran du salon en attendant que tout le monde se réveille. Les bruits familiers des plats dans la cuisine quand Yoongi préparait le petit-déjeuner et le humement bas de Jimin qui l'accompagnait, probablement perché sur l'îlot central en train de suivre d'un regard doux les mouvements de son petit-ami. La claquement de la porte d'entrée et les salutations excentriques quand Seokjin rentrait avec les croissants sous le bras.
Mais là... rien.
Pas de rires. Pas de cris. Pas de musique.
Il se redressa sur un coude, fronçant des sourcils. Était-il le premier levé ? Étaient-ils partis sur les pistes sans même l'attendre ? Cela ne se pouvait. Rejetant les couvertures et se redressant, ce fut là qu'il le sentit.
Car, tout comme il avait remarqué le silence, il remarqua la migraine.
Il lui avait seulement suffi de poser le pied à terre pour recevoir une onde de choc jusqu'à son crâne, le faisant siffler entre ses dents et mordre sa mâchoire. La main pressée contre son front, comme si cela pouvait atténuer la douleur, il se hissa hors du lit tant bien que mal ; ils n'avaient pas excessivement fait la fête la veille, alors pourquoi n'avait-il envie que d'une chose, celle de se précipiter jusqu'à la salle de bain pour chercher un cachet d'aspirine ? Ses oreilles bourdonnaient et il avait l'étrange impression que quelque chose lui échappait.
Sureau, Sureau...
Il ouvrit abruptement les yeux. Avait-il entendu quelque chose ?
Non, non, essaya-t-il de se convaincre en secouant sa tête comme pour chasser physiquement les maux qui s'immisçaient dans son esprit telles des tentacules viles et poisseuses. Ce ne devait être qu'un tour de son imagination. Peut-être devrait-il rester se reposer un peu ici cet après-midi, plutôt que de suivre ses amis sur les pistes.
Se frottant les paupières presque frénétiquement, balayant les dernières traces de sommeil — et son acrimonie naissante —, Hoseok ouvrit presque à l'aveuglette la porte de sa chambre, il lança à la volée :
"Jin-hyung, est-ce que tu es parti cherché les croissants ou est-ce que tu veux que j'y ai—
Il se stoppa net et ouvrit les yeux, confus, en sentant quelque chose sous son pied. Quelque chose de froid et de visqueux, quelque chose qui n'était pas commun pour une maison de vacances habitée par 7 amis. Se tenant contre l'embouchure de la porte, il leva sa jambe pour pouvoir vérifier, les sourcils froncés, ce sur quoi il avait marché.
"Qu'est-ce que—
Car là, sous sa voûte plantaire, se trouvait du sang. Le rouge carmin si caractéristique badigeonné contre sa peau basanée, vulgaire chewing-gum morbide.
S'était-il blessé durant son sommeil ? Est-ce que la chute qu'il avait fait la veille était plus grave que prévue ? Pourquoi ne le remarquait-il que maintenant ? Il n'avait qu'à se nettoyer la plaie avant de partir chercher le petit-déjeuner.
Mais quand il leva les yeux, une seconde stupeur arrêta de nouveau son cœur.
Car là, tout du long du couloir, jurant avec horreur contre le parquet, comme le conte du Petit Poucet revisité de façon macabre... se trouvait un parterre de sang. Par tous les saints. Les gouttes noires jurant de la plus odieuse et terrifiante des façons contre le parquet clair, galets maléfiques le conduisant tout droit vers les enfers. Était-ce une farce ? Était-ce un tour de ses amis ? Ils savaient très bien qu'il détestait les films d'horreur, voulaient-ils le tourmenter et rire de ses réactions dès le matin ?
"J-Jin-hyung ? appela-t-il, la voix tremblante, n'ayant cure si le ton craintif qu'il prenait ne faisait que les délecter dans leur jeu.
Devait-il suivre ces traces ? Que trouverait-il au bout de ce sentier macabre ? Avec un frisson, il ne put s'imaginer quelle surprise les garçons lui avaient concocté, persuadé qu'il sursauterait à coup sûr. Et surtout : pourquoi diable personne ne lui répondait ?
"Yoongi-hyung ? appela-t-il de nouveau, faisant un pas prudent le long du couloir, évitant avec précaution le vermillon collant et métallique.
Mais toujours aucune réponse, et ce ne fut que le silence qui lui fit écho — si ce n'étaient les bruits de son cœur, si lourds et si douloureux dans sa poitrine, battant avec force dans ses oreilles comme pour le prévenir du danger. Si forts qu'ils auraient pu réveiller la maison toute entière.
Sureau, Sureau...
"Eh oh ? Y'a quelqu'un ?
La lumière matinale éclairait le bout du couloir ; lorsqu'ils avaient tiré les chambres à la courte paille, Hoseok avait hérité de celle la plus éloignée du foyer de la maison, et souvent s'était-il plaint de ne pas pouvoir bénéficier de la chaleur de la cheminée. Mais à présent, il avait l'impression que les murs s'allongeaient, qu'il ne marchait que sur place, et que sa lente procession jusqu'aux parties communes n'était que douleur et torture. Comme dans ces films hitchcockiens, où la tension était palpable et où les violons criaient jusqu'à leur apogée funeste et souvent léthale. Quel était le mal qui se tapissait dans l'ombre ? Quel était ce bourdonnement dans ses oreilles ?
"Gguk-ah ? Minnie ? Vous êtes là ?
Sureau, Sureau...
Le silence lui répondit une nouvelle fois, assourdissant, ne lui laissant imaginer que le pire, comme un cauchemar éveillé.
"Répondez-mo—
Mais ses mots se turent dans sa bouche quand il arriva au bout du couloir, et qu'il découvrit avec une horreur comme jamais il n'en avait ressenti avant, l'atroce spectacle qui l'attendait.
Tout n'était que noir, chaos et désespoir.
Que sang, tuerie et destruction.
Car là, jonchant dans leur propre sang... se trouvaient les corps sans vie de ses amis.
Il y eut un moment. Un moment de flottement, où, les yeux écarquillés dans un masque d'effroi, ces visions d'horreur s'imposèrent dans son esprit.
Il ne se sentit même pas tomber à genoux, glissant le long du mur, le cœur au bord des lèvres, si choqué qu'aucun son ne pouvait sortir de sa bouche. Muet dans sa torpeur. Tremblant. Les larmes aux yeux. Mais la douleur de sa chute n'était rien comparée à celle dans sa poitrine, son cœur déchiré en mille morceaux et cette furieuse envie de vomir ses trippes, tant la scène qui se déroulait devant ses yeux vitreux semblait tout droit sortie d'une vision d'apocalypse.
"N-Namjoon, eut-il la force d'articuler, incrédule.
Car à ses pieds, les larmes encore fraîches se mélangeant avec le cruor rubicond qui peignait son visage déformé dans un masque de supplice, se trouvait Namjoon. Ses plaies si profondes dans son thorax qu'il pouvait presque voir ses poumons, et ses mains tâchées du carmin quand il avait essayé tant bien que mal de stopper sa propre hémorragie.
"Namjoon, répéta-t-il, soudain plus alerte en voyant ses blessures, ses mains voltigeant autour de sa silhouette ensanglantée sans vraiment savoir que faire.
Pas de pouls. La vision sous ses yeux était pourtant évidente — le rouge, partout, sur ses vêtements, sur le sol du chalet, même jusqu'à ses cheveux — mais, frénétique, il chercha un pouls. Un pouls, c'est tout ce qu'il demandait, même faible, même presque infime, mais quelques battements de cœur pour lui prouver qu'il était encore en vie, qu'il y avait de l'espoir. L'effroi glacial qui l'avait gelé sur place fut balayé d'un revers de la main par l'hystérie incompréhensible, pulsant dans ses veines dans une adrénaline saccadante.
"Namjoon, réveille-toi !
Mais pas de réponse, et le corps sans vie de son cadet ne put qu'encaisser le soubresaut de ses coups, Hoseok tapant du point sur sa poitrine dans un énième désespoir, dans une énième tentative de le faire revenir d'entre les morts. D'incompréhension, de frustration, de haine de ne pouvoir lui venir en aide... et de désespoir, aussi.
"Namjoon, bordel, réveille-toi ! hurla-t-il, ses cris faisant écho entre les murs recouverts du rouge poisseux.
Les frissons le saisissèrent, manquant un autre haut-le-cœur, quand il réalisa qu'il ne reviendrait pas. Hoseok le savait, au fond de lui ; il n'était pas assez naïf pour croire qu'il se serait tiré d'un tel carnage. Mais il y avait une pointe d'espoir, une pointe de déni, qui le poussa à agripper les pans de la chemise de son ami et de le secouer, encore et encore, à lui crier de se réveiller, à le supplier d'ouvrir les yeux. Mais le corps du brun retombait, à chaque fois, inerte, contre le sol.
"Mais qu'est-ce qu'il se passe ? Pourquoi tu ne réponds pas ? hurla-t-il de nouveau.
Le corps de son cadet retomba une énième fois sur le sol, les yeux vides et fixant à jamais le plafond, dénués de toute passion et de toute vivacité ; et Hoseok ne put que retenir, avec toute la difficulté du monde, un sanglot dans sa gorge.
Que s'était-il passé ? Pourquoi ne se réveillait-il pas ? Était-ce un cauchemar ? Qui lui avait fait cela ? Qui était le monstre qui lui avait infligé toutes ces blessures ? Pourquoi quelqu'un avait décrété que Namjoon méritait de mourir, sur le parquet froid d'un chalet perdu en montagne ?
Il fallait qu'il trouve les autres ; la pensée avait jailli dans son esprit comme un rappel, une alarme, la lumière d'un phare qui maintenait sa tête hors de l'eau. Il tomberait de nouveau dans la spirale des questionnements, malheureusement sans réponse, une fois qu'il aurait trouvé ses autres amis pour pleurer sur leurs épaules.
Mais il eut à peine besoin de se retourner, ses genoux craquant et son short blanc qui lui faisait office de pyjama maculé de sang — de sang qui n'était pas le sien et qui appartenait à Namjoon, sa conscience lui rappela-t-elle comme un coup de poignard dans ses entrailles, à la limite de lui provoquer un autre haut-le-cœur — qu'il tomba nez à nez avec le reste du massacre, les yeux brillants de larmes et les cris sourds bloqués dans sa gorge.
Par tous les saints.
Au plus près de lui, gisant dans sa propre hémoglobine, les pupilles vides et la main tendue vers la porte d'entrée comme un dernier espoir vain, se trouvait Jimin. Jimin et son beau sourire, Jimin et ses yeux pétillants, à présent figés à jamais dans un masque de douleur et de terreur, le carmin tâchant ses joues douces comme le sang vient gâcher les premiers parterres vierges de neige. C'était un spectacle qu'il n'aurait jamais pensé, n'aurait jamais voulu voir, mais qui à présent sera gravé pour le restant de ses jours dans sa mémoire — la douceur et la brutalité, ce mélange si paradoxal et si brutal, peint sur les lèvres du jeune blond. Pourquoi l'avait-on tué ? Pourquoi Jimin, cet ange sur terre, ce garçon qui pouvait décrocher les étoiles pour les gens qu'il aimait, l'homme qui rêvait d'aventure et de nouveaux horizons, l'homme qui avait le cœur sur la main et d'une générosité sans fin... Pourquoi était-il mort une telle violence ? Charcuté d'une telle façon ? Il méritait une fin sur un lit de roses et une pluie d'astres derrière ses paupières, mais voilà que la dernière chose qu'il avait vécu était la peine et la souffrance.
A moitié sur lui, comme voulant le protéger de tous les dangers du monde, se trouvait le corps de Yoongi, accroché désespérément à son pull comme s'il ne voulait pas le laisser partir. Ses cheveux, poisseux par le sang, retombaient sur le torse de son petit-ami, et si le décor avait été différent, dans une autre vie ou dans un autre monde, Hoseok aurait sourit de cette affection digne de Shakespeare. Mais la réalité en était plus cruelle encore ; car, unis dans la mort, Yoongi et Jimin avaient toujours été des étoiles gravitant l'une envers l'autre, et le jeune homme aurait pu hurler rien que de savoir que la dernière pensée de son aîné était de protéger son amant.
Et lui ? Pourquoi l'avait-on tué ? Méritait-il aussi une mort aussi violente que celle-ci ? Il avait s'était toujours amusé en pensant à son avenir, disant qu'il mourrait sur scène ou d'une crise cardiaque par l'adrénaline ; mais le voilà, le sang coagulant sous son corps, son dos lacéré de coups de couteau sanguinolents, la bouche déformée dans un rictus martyr.
Sureau, Sureau...
Hoseok releva rapidement la tête. Quelle était cette chanson qu'il avait toujours l'impression d'entendre, au loin, comme annonciatrice d'un sinistre présage ? Comme les trompettes de la mort annonçant son tour prochain ? Étaient-ce les fantômes encore frais de ses camarades venant le hanter, comme si leurs corps décharnés et recouverts d'incarnat n'étaient pas suffisants ?
Tant bien que mal, le jeune homme se redressa, détournant des yeux pour ne pas voir ces yeux vides et squelettiques le suivant partout, le manque de lumière et d'émotion plus saisissant et véhément que de voir leurs silhouettes endormies à jamais.
Namjoon, Jimin, Yoongi... Où étaient les autres ?
Hagard, les prunelles baignées de larmes et la vision trouble, les mains tremblantes, il déambula. Est-ce que le tueur était toujours ici ? Serait-il la prochaine victime sur cette longue liste noire ? Retrouverait-on son corps également, recroquevillé près de l'entrée ? Crierait-on pour qu'il se réveille également ? Tant de pensées qu'il n'avait la force d'analyser et de répondre. Peu importe si cela était inconscient, s'il était la proie facile ; il avait juste une envie, celle de retrouver les autres. De s'assurer qu'ils étaient bien vivants, ou d'être là s'ils pouvaient encore être sauvés.
Il arriva dans la cuisine, et son pied buta contre un objet. Troublé, le jeune homme baissa les yeux... et ce qu'il vit lui saisi de nouveau les intestins. Se précipitant vers l'évier le plus proche, il laissa la gerbe secouer son corps mince, sa bouche irritée par la bile amère et translucide. Les larmes dévalant ses joues, il se rinça rapidement la bouche, avant de baisser le regard de nouveau.
A ses pieds... se trouvait Jeongguk. Egorgé. Les yeux révulsés. Une longue entaille le long de son abdomen, comme si le tuer d'un seul coup n'avait pas été suffisant. Comme si celui qui avait fait cela, ce sauvage, s'était complu à le voir s'étouffer dans son propre sang.
Hoseok tomba de nouveau à genoux à ses côtés.
"Non, non, non, pas toi...
Et Jeongguk — sweet Jeongguk, le Jeongguk qui souriait de toutes ses dents et qui gloussait aux blagues de ses hyungs, le Jeongguk qui grandissait beaucoup trop vite, le Jeongguk qui roulait des mécaniques pour prouver à tout le monde qu'il était le plus fort — ne put que le regarder en retour, ses orbes si vides qu'Hoseok dû presque physiquement détourner les yeux pour ne pas à avoir affronter la dure réalité.
"Pas toi, Gguk, pas toi ! cria-t-il plus fort.
Car la simple vue de leur plus jeune, là, allongé sur le carrelage froid de la cuisine, était tout simplement indécente et insupportable. S'il avait pu, tant bien que mal, se contenir quand il avait découvert Namjoon, Jimin et Yoongi, à présent... à présent il avait envie de se déchirer la cage thoracique pour pouvoir hurler encore plus fort toute sa peine et sa haine, toute son incompréhension, espérant que son cri soit suffisamment puissant pour les faire revenir tous à la vie. Il était si jeune. Si jeune, si innocent, et voilà que le sang noir venait amèrement et douloureusement tâcher ses joues de ses sombres intentions.
Inconsciemment, c'est ce qu'il fit — le visage enfoui dans le pull du brun, sanglotant et hurlant jusqu'à en perdre haleine, ses cris presque sourds à ses oreilles, les phalanges si blanches accrochées au vêtement pour ne pas le laisser partir, comme pour retenir la Mort elle-même ou Charon, de l'emmener loin de lui.
... -seok ?
Il se redressa brutalement, les sanglots laissant des striures laides sur ses joues. Avait-il entendu son nom ? Était-ce le fruit de son imagination meurtrie ? Était-ce un piège, un leurre, que le tueur, peut-être encore tapi dans l'ombre, lui tendait ?
Hoseok ?
Là, il l'avait entendu de nouveau. Était-ce bien réel ? Lâchant à contre cœur le pull de Jeongguk, sans oser lui accorder un nouveau regard, il se redressa, encore plus tremblant qu'il ne l'était auparavant, pour suivre la source de la voix. Si le tueur l'attendait de l'autre côté, et puis quoi ? N'était-ce pas préférable que de crever là avec ses amis, plutôt que de devoir supporter la lourde peine et la culpabilité d'être vivant ?
Les voilà, les cinq étapes du deuil, accélérées de la plus grotesque des façons : le déni — l'impossibilité de croire que eux, eux qui n'avaient jamais fait de mal à personne et qui étaient toujours bons avec tout le monde, soient la proie d'une tuerie aussi sanglante que celle-ci —, et le marchandage — que le monstre, la silhouette vile cachée dans la pénombre prenne son corps à lui s'il le voulait, qu'il le massacre et le sacrifie sur l'autel de la résurrection si cela voulait dire que tous les autres pourraient de nouveau respirer.
Hoseok ?
La voix le sorti de nouveau de sa torpeur et de sa longue agonie, de ce cercle vicieux où il ne pouvait que se frapper soi-même. Essuyant les larmes qu'il n'avait même plus conscience de pleurer, et n'ayant pas le cœur de se retourner pour voir une dernière fois le jeune homme gisant sur le carrelage, il quitta prudemment la cuisine. Sûrement, si le spectacle sous ses yeux n'était pas aussi saisissant, aurait-il remarqué le gros couteau de cuisine manquant dans son fourreau.
Il traversa le couloir à la recherche de la voix. Était-ce Seokjin ? Était-ce Taehyung ? Était-ce le damné écœurant et haïssable qui l'attendait au détour d'un mur, se complaisant de le voir souffrir de la sorte, de découvrir les corps uns à uns dans un glas retentissant, avant de lui ôter la vie, le sourire déformé dans un rictus carnassier la dernière vision de ce monde ? En avait-on après lui ? Les cadavres de ses amis n'étaient-ils qu'un jouet, un accessoire d'une mise en scène tout aussi habile que révoltante ? Avait-il conduit à la perte de l'humanité dans une autre vie pour mériter un tel destin ?
Mais toutes ses pensées se coupèrent net quand il pénétra dans le salon. Son sang se glaçant. Ses muscles se rigidifiant. Son envie de tourner de l'œil encore plus sévère, le cœur toujours aussi rapide battant avec une force presque insurmontable dans sa poitrine.
Il s'était tout imaginé.
Le tueur.
Un autre de ses camarades.
Une autre mise en scène, plus barbare, plus cannibale, plus morbide encore — son nom en lettres de sang, une menace, un chantage.
Mais il ne s'attendait pas à voir Taehyung.
Vivant.
Là, au milieu du salon, sur le tapis beige que Seokjin avait nettoyé avant leur arrivée et à propos duquel il leur avait demandé de ne pas mettre leurs chaussures sales dessus. Agenouillé, le visage lui aussi rayé de larmes immondes qui creusaient ses cernes et qui intensifiait le pourpre de son visage congestionné. Agenouillé, vivant, et la tête de l'aîné de la fratrie sur ses genoux, se balançant presque imperceptiblement d'avant en arrière comme une mère désolée qui chuchotait une berceuse à son nourrisson, n'ayant conscience qu'il était mort, squelettique et rigide entre ses bras — le déni.
Hoseok ne sut si ses jambes flanchèrent ou le précipitèrent au côté de son cadet, mais tout ce dont il eut conscience, c'était le mouvement de recul du jeune homme, presque aussi imperceptible que son balancement névrosé et anxieux.
"Taehyung, souffla-t-il, les larmes au bord des yeux et le cœur au bord des lèvres.
Tremblant — comment ne pas l'être ? — il leva une main en direction de son visage, comme pour le toucher, pour s'assurer qu'il était vivant, chaud sous la pulpe de ses doigts, comme pour s'assurer qu'il n'était pas le produit de son imagination déjà hallucinante, venant le tourmenter encore une fois. Était-il mort ? Était-ce un test ? Ou une autre vision tout droit venue des enfers qui le pousserait à se donner la mort lui-même, ne pouvant supporter un tel spectacle ?
"Tu as... réussit à articuler le plus jeune.
"C'est moi, murmura-t-il en guise de réponse, espérant que cela calmerait ses doutes.
Sûrement que la voix de son aîné sorti Taehyung de sa torpeur — depuis combien de temps était-il là, à serrer Seokjin dans ses bras ? Depuis combien de temps avait-il découvert le sang éclaboussant les murs ? Depuis combien de temps avait-il dû affronter, seul, la vue de cette pièce de théâtre maudite et sanguinolente ? — car, d'un mouvement infime, il accepta. Tendit la joue en direction de cette main si réconfortante, pauvre phare dans cette tempête infernale, et la laissa lui caresser les perles salées sous ses orbes, peu importe s'il étalait de l'hémoglobine sur sa peau si belle et si basanée.
"Tae, souffla-t-il de nouveau, comme une promesse, comme pour lui dire qu'il n'était plus tout seul à présent.
Et, front contre front, ils pleurèrent tous les deux, mélangeant leurs larmes aux écumes carmins sur le visage de Seokjin sous eux, ses yeux vides fixant leur tristesse et leur peine être criées dans la maison vide et pourtant peuplée de leurs âmes perdues.
Ils pleurèrent, secoués de sanglots, et le sang noir du cadavre sur leurs genoux continua sa lente progression sur le tapis beige du salon.
---
Sureau, sureau, donne moi tes fleurs,
Et que la joie abonde dans ma maison ;
Sureau, sureau, donne moi ton cœur,
Et que le sang coule à en perdre la raison.
L'impression de remonter à la surface. Comme lorsqu'on a retenu sa respiration au fond de l'eau beaucoup trop longtemps, les poumons brûlants, l'oxygène impossible à retenir, et ces quelques mètres qui nous séparent du clapotis, de l'air, du soleil.
C'était exactement ce que ressentit Hoseok quand il revint à lui, à la limite de l'hyperventilation : l'impression d'avoir coulé dans les profondeurs sans nom de l'océan, et d'avoir été ramené à la vie par quelques pressions énergiques sur sa cage thoracique. Se redressant d'un bond, les yeux grands ouverts au bord de la panique et la respiration sifflante, comme s'il venait d'être plongé la tête la première dans ce bain infernal, plein de souvenirs dangereux et perfides, faisant des bulles de goudron noir et visqueux à la surface gelée.
"Hoseok ! s'écria une voix, encore un peu lointaine dans son esprit embrumé.
Au-dessus de lui — pourquoi était-il à terre ? — se trouvait le visage inquiet et déformé par le tourment le doux visage de son amant, les mèches retombant devant ses yeux assombris par l'anxiété. Ses mains étaient de part et d'autre de ses joues, contact tiède qui semblait l'avoir presque ramené à la vie, légères et pourtant l'ancrant à la réalité tel un port d'attache.
"Hoseok, murmura-t-il de nouveau, le soulagement lavant ses traits comme le Styx lave les péchés, un fin sourire tremblant se dessinant timidement sur ses lippes.
Qu'est-ce qu'il s'était passé ? S'était-il évanoui ?
Encore groggy, il se redressa tant bien que mal pour s'adosser contre le mur du couloir, à même le sol, observant distraitement son petit-ami s'asseoir à son tour face à lui — la pression presque visible alors qu'elle quittait ses épaules, mais le froncement de sourcil inquiet déformant toujours son front.
"Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demanda doucement Taehyung, comme pour ne pas le brusquer, verbalisant les mêmes questionnements en ébullition dans sa tête.
Hoseok ouvrit la bouche, pensant que la réponse viendrait toute seule, limpide, jetant un coup d'œil autour de lui pour se refamiliariser avec les murs protecteurs de son appartement, blancs, propres, sans aucune éclaboussure de sang.
Il se figea à cette pensée.
Sans aucune éclaboussure de sang.
Et avec la même force que ses souvenirs s'étaient précipités sur lui, tout revint au galop d'une force implacable et presque destructrice. Une mer déchaînée.
Le 3 février. Les 5 ans du massacre. Le dîner qu'il devait faire avec Taehyung pour qu'ils se remémorent avec douleur les sourires de leurs camarades disparus. Les fleurs blanches dans la cuisine, inconnues mais qui ressemblaient à du sureau. Et le sureau... cette mélodie, hypnotisante et glaçante à la fois, murmurée par son petit-ami d'un air de rêverie, figeant ses os, comme si du magma polaire était venu couler le long de sa colonne vertébrale, léchant machiavéliquement son épiderme de ses insinuations septentrionales.
Le sureau. La chanson. Taehyung.
Cela fut assez pour qu'il ait un soudain mouvement de recul à la vision même du visage de son amant, reculant autant qu'il pouvait contre le mur, se recroquevillant sur lui-même tel un enfant apeuré, et pestant tout bas en se rendant compte qu'il ne pouvait aller plus loin.
"'Seok ? demanda de nouveau le jeune homme face au changement brusque de comportement.
"N'approche pas ! implora-t-il presque, les mains devant lui dans une pathétique tentative de se défendre. Je me souviens de tout, à présent !
Taehyung leva à son tour lentement ses mains — suffisamment lentement pour ne pas l'effrayer plus que de raison —, espérant apaiser ses craintes.
"D-De quoi tu parles, love ? De quoi est-ce que tu te souviens ?
"De ce jour-là ! J'ai tout compris ! Tu pensais pouvoir me le cacher pendant tout ce temps ?
"Love, s'il-te-plaît, implora l'amant à son tour, calme toi, de quoi est-ce que tu parles ?
L'homme plaqué contre le mur était manifestement retourné. D'abord, il s'était effondré sans prévenir au milieu du couloir, et était resté plusieurs minutes dans les vapes, inconscient, sourd des supplications de son petit-copain et des tapotements sur ses joues dans l'espoir de le refaire émerger. Il n'avait jamais eu aussi peur de sa vie — du moins... jamais aussi peur à l'exception de ce jour-là, il s'entend.
Hoseok essuya une larme qu'il n'avait pas conscience de pleurer, la respiration trop forte et sa tête bourdonnant comme lorsqu'elle avait bourdonné en ce matin fatidique. Ne voyait-il pas l'évidence ? Tout était limpide. Cette chanson, celle du sureau et des fleurs et du sang, était la même qu'il avait entendu ce jour-là, terrorisant son ouïe, comme un fantôme prenant un malin plaisir à le hanter, le torturant et lui rappelant douloureusement que lui était encore vivant, alors que tous les autres n'étaient plus que des amas de chair, bientôt des cendres dispersées au vent. Comment Taehyung aurait pu la connaître, jusqu'à la murmurer inconsciemment et rêveusement quand il triait le linge, s'il n'était pas le tueur ?
Ces 5 dernières années avaient été passées à lutter contre les démons du passé, et à s'interroger sur cette question qui demeurait, peu importe le nombre de fois où il avait supplié le ciel de lui donner quelques clés pour déchiffrer cette énigme, sans réponse : pourquoi eux ? Pourquoi avaient-ils été la cible d'un aussi monstrueux spectacle ? Pourquoi Seokjin, Yoongi, Namjoon, Jimin et Jeongguk avaient-ils dû mourir, passant eux aussi leurs derniers instants à s'interroger sur ce qu'ils avaient fait pour mériter ce funeste sort ?
Et surtout : pourquoi Taehyung et Hoseok avaient-ils été les seuls à survivre à cette tuerie ? Le tueur — quiconque ce bâtard était, et que Dieu lui vienne en aide si cela était son petit-ami — n'aurait pas eu de mal à les tuer tous pendant leur sommeil, sans craindre de réveiller le voisinage, comme un ange de la mort, silencieux dans la nuit, et disparaissant dans le blizzard. Pourquoi avaient-ils été épargnés ? La police n'avait su quoi leur dire : il n'y avait pas d'indice, pas de preuve, pas d'ADN, pas de trace dans la neige qui indiquait l'arrivée de l'intrus, alors ils avaient supposé à un vagabond qui cherchait refuge et qui, pris de peur, avait aveuglément porté les coups de grâce. Si Hoseok était toujours en vie, c'était sûrement parce qu'il avait hérité de la chambre la plus éloignée du couloir.
Mais à présent... Cette chanson murmurée par Taehyung remettait tout en perspective. Et si, s'il n'y avait pas de trace qui indiquait la présence d'un étranger, cela voulait-il signifier que le tueur venait... de l'intérieur ?
Taehyung était déjà débout, quand Hoseok l'avait découvert dans le salon, le corps sans vie de Seokjin sur les genoux.
Quand il croisa de nouveau ses yeux, tout sembla limpide.
"Comment as-tu pu ? demanda-t-il d'une voix basse, tremblante.
Son amant ne put que le regarder en retour, confus, avec un froncement de sourcil.
"Comment as-tu pu ? répéta-t-il avec une agressivité nouvelle. Comment as-tu pu pleurer leur mort, comment as-tu pu serrer leurs parents dans tes bras, alors que tu en es la cause ? Comment as-tu pu vivre avec moi chaque jour, à me réconforter tous ces putains de 3 février, alors que...
"Non, secoua Taehyung de la tête, ses yeux brillants à son tour.
"Est-ce que tu jubilais ? Est-ce que tu jouais avec moi, joues encore ? Est-ce que c'était un de tes plans, de tous les tuer pour m'avoir ? Est-ce que tu comptais me tuer aussi, attendre d'avoir une confiance aveugle en toi pour m'égorger à mon tour dans mon sommeil, comme tu l'as fait avec eux ? Comme tu l'as fait avec Jeongguk ?
"Non, love—
"Ne m'appelle pas comme ça ! s'emporta l'aîné d'un coup de colère blanche. C'est toi, je sais que c'est toi ! Qui d'autre pourrait connaître cette chanson ? Moi-même en avait encore oublié l'existence avant que tu ne la fredonnes ! Tu as baissé la garde, c'est ça ? Tu te disais que 5 ans étaient suffisants pour que je ne me souvienne de ce chant horrible qui résonnait comme les trompettes de la mort ?
"Hoseok, tenta-t-il d'implorer de nouveau.
"Ou est-ce que tu pensais que ces 5 ans était la bonne occasion pour me tuer enfin ? enchaîna Hoseok, presque délirant, ne lui laissant l'occasion de s'expliquer — pour quoi faire, au juste ? il ne lui servirait que des excuses lamentables qui ne tariront en rien la blessure insurmontable qui venait de se rouvrir dans son cœur.
"Tu ne sais pas ce que tu dis, souffla l'autre.
"Tu les as tués, Taehyung ! Tu les as massacrés, un par un ! accusa-t-il, implacable, la respiration de plus en plus saccadée. T'ont-ils regardé avec effroi ? T'ont-ils supplié de les épargner ? Se sont-ils débattus avec toi ? Dis-moi Taehyung, dis-moi comment ils sont morts, je mérite bien de savoir quels ont été leurs derniers mots, après tous ces mensonges !
"Non, secoua-t-il encore la tête, les larmes dévalant ses joues.
"Et après, réussit Hoseok à dire malgré le sanglot dans sa voix, tu as poussé le vice jusqu'au bout, tu leur as fait cet affront, après les avoir tué, de prendre Seokjin dans tes bras et de pleurer sa perte !
"Non, non, non ! s'écria Taehyung en coupant la tirade accablante et mortelle. Tu ne sais pas ce que tu dis ! Tu ne sais pas ce que tu as vu !
"J'étais là, ce matin-là ! C'est moi qui les ai découverts, c'est moi qui ai tenté de réanimer Namjoon, moi qui ai fermé les paupières de Jimin ! Que voulais-tu que je vois d'autre, à part le sang et la désolation ? Qu'est-ce qui as bien pu m'échapper, dans ce carnage, pour que ce ne soit pas toi ?
"Tu ne sais pas ce que tu dis, rugit-il de nouveau, coupant définitivement la parole de son aîné.
Taehyung essuya une autre larme, et, reniflant, profitant de la surprise silencieuse d'Hoseok pour dire :
"Tu ne te souviens que du matin. Tu ne te souviens pas de la soirée.
Un froncement de sourcil.
"Qu'est-ce que —
"Je me suis juré de ne rien dire. De ne rien dire à la police. De ne rien te dire à toi. J'avais trop peur que cette découverte te mène à ta perte, définitivement.
Il rejeta la tête en arrière en fixant les luminaires en clignant frénétiquement des paupières, espérant chasser ses larmes salines plus rapidement. Définitivement ?
"Je ne sais pas trop ce qu'il s'est passé. Ni même pourquoi cela s'est passé. Je sais juste que tu as changé du tout au tout et... et que tu es reparti te recoucher après, comme si de rien n'était, prenant une douche avant de te glisser sous la couette. Comme un masque qu'on arrache. C'était si... si soudain. Et j'étais là, en plein milieu du salon. J'ai passé toute la nuit à trouver une explication logique à ce qu'il s'était passé, mais rien n'est venu. Et tu es réapparu. De nouveau toi.
"Tae—
"Sache, dit-il soudainement en prenant ses mains dans les siennes, que je t'aime. Je t'ai toujours aimé. Peut-être que cela fait de moi un monstre, coupable tout autant, mais je t'aime.
"Taehyung, demanda-t-il de nouveau, sa colère dissipée pour ne laisser place qu'à la confusion et à un étrange malaise, l'impression de suffoquer et de devoir se gratter jusqu'à l'os pour déloger ce qui n'allait pas dans son corps. Qu'est-ce que tu veux dire ?
"Ce n'est pas moi le meurtrier.
Prenant une grande respiration et plongeant ses prunelles dans celles de son amant, Taehyung lâcha ces mots, pareils à des coups de poignards, qui changèrent sa vie comme 5 ans auparavant :
"C'est toi. C'est toi, Hoseok, qui les as tous tués.
.
ooop surpriseeee
vraiment super ravie de vous présenter cet os du tout premier recueil collaboratif de rhsteam ! en plus des Watty Kpop Awards (qui arrivent prochainement pour leur seconde édition !), on a décidé de faire en plus de cela un ptit projet pour s'amuser ! hésitez pas d'aller y jeter un coup d'oeil, il y en a vraiment pour tous les goûts, je suis sûre que vous allez trouver notre bonheur ;)
qu'en avez-vous pensé ? il m'arrive souvent de sacrifier un ou deux perso dans les intrigues, mais là, 5 d'un coup, c'est un record !! est-ce que vous aviez deviné que c'était hoseok le coupable ?
warning : je n'ai pas voulu trop épiloguer dessus pour que tout le monde puisse s'imaginer les raisons derrière ses actes (et parce que c'est plus drôle de vous laisser sur des mots de la fin de la sorte), mais l'idée sous-jacente c'était qu'il n'était pas vraiment lui-même quand il a commis tout cela, qu'un autre alter ego plus violent a pris sa place !
hésitez pas en tout cas me dire ce que vous en avez pensé, j'ai trop hâte de vos retours !!!
hésitez pas également à voter, à partager, et à vous abonner, vous me feriez immensément plaisir !! au plaisir de vous revoir soon, j'ai plein d'autres idées qu'il faut que je couche sur le papier !!
love u !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top