SPECTRE

𝕾𝖕𝖊𝖈𝖙𝖗𝖊
ℑ'𝔪 𝔤𝔥𝔬𝔰𝔱, 𝔦𝔩𝔩𝔢𝔯 𝔱𝔥𝔞𝔫 𝔪𝔬𝔰𝔱 )

Si Yoongi s'était figé la première fois qu'il vit Jimin, c'était parce qu'il n'avait pas revu de fantôme depuis qu'il avait 12 ans. 

yoonmin
ghost!au
korean folklore & demons
human world
lime (what the hell is happening to me)
handjob
slight dirty talk 

REPOST DU PROJET "CALENDRIER DE L'AVANT" DE YMASWELL

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La première fois qu'il le vit, Yoongi manqua de se faire renverser.

La rue était bondée cette après-midi-là, les bureaucrates se dépêchant de rentrer auprès de leurs biens aimés et bouchant les grandes avenues par leur impatience, tandis que le vent automnal soufflait entre les gratte-ciels de verre et de béton. Le jeune homme, ses cheveux argentés camouflés sous un bonnet enfilé à la va-vite, jonglait tant bien que mal entre ses bouquins d'architecture qu'il avait emprunté, son café tant mérité après une journée aussi merdique, son sac qui manquait de craquer et de reverser tout son contenu par terre, y compris son précieux ordinateur qu'il avait payé une petite fortune, et enfin, son téléphone, qui n'arrêtait pas de vibrer sous les messages incessants d'Hoseok qui voulait lui raconter le dernier potin.

C'est là qu'il le vit, alors qu'il traversait le passage piéton pour rejoindre la bouche de métro. Lui, en plein milieu de la route, qui le regardait droit dans les yeux, comme s'il savait que Yoongi était le seul à pouvoir le voir. Lui, les cheveux noirs qui ne dansaient pas sous les caresses de la brise. Lui, et son sourire triste. Il était là, à un pied du sol, laissant les passants pressés et les voitures ignorantes passer à travers lui.

Et si Yoongi se figea, et s'il manqua de faire tomber tous les livres qu'il avait entre les mains, et s'il sursauta quand un taxi klaxonna de rage parce qu'il n'avançait pas... c'était parce qu'il n'avait pas revu de fantôme depuis qu'il avait 12 ans. 

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Il savait qu'il n'aurait pas dû s'emballer. Il savait qu'il en faisait toute une histoire et qu'il réagissait probablement de façon disproportionnée, laissant son impulsivité battre dans ses veines plutôt que d'écouter sa raison et son bon sens. Il était stressé, en ce moment, avec les examens qui approchaient et la pression de trouver un job une fois son diplôme en poche dans quelques mois ; et quand il l'avait vu lui, il avait passé une journée particulièrement éprouvante, alors nul doute que cela aurait pu très bien être une illusion de son esprit fatigué et ne tournant qu'à la caféine. Cela arrivait à tout le monde de revoir des choses jadis familières : lui, c'était parfois le goût dans sa bouche des mochis que lui faisait sa grand-mère, ou l'odeur des huiles essentielles sur son oreiller quand il était malade, ou la fumée des bâtons d'encens accrochés sur le perron qui repoussaient les mauvais esprits et qui lui piquait toujours les yeux.

Peut-être aurait-il dû attendre que l'esprit fasse de nouveau son apparition avant d'entreprendre son voyage en train jusqu'à Daegu. Au moins aurait-il pu songer à économiser un aller-retour payé à la dernière minute. Cela faisait plus de 13 ans qu'il n'avait pas revu de fantôme, alors c'était peut-être bel et bien le coup de son imagination fatiguée par sa vie quotidienne. Mais il se devait d'en avoir le cœur net, et quoi de mieux que de commencer sa quête de réponses en allant faire un tour chez sa Halmeoni [*grand-mère], prévenant simplement Hoseok qu'il ne serait pas là pour le week-end et qu'il ne pourrait pas aller en boîte samedi soir comme ils l'avaient prévu. S'il y avait bien quelqu'un qui pourrait l'aider, au moins un temps soit peu, c'était bien elle.

Rabattant sa capuche sur sa tête, il s'enfonça un peu plus dans son siège, ignorant le regard médusé du grand-père sur la banquette en face de lui et se contentant de contempler d'un œil absent le paysage qui défilait sous ses yeux. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas pensé aux esprits. Certes, il touchait toujours par mécanisme le collier de pierre d'œil de tigre qu'il n'enlevait jamais, censé rendre invincible et protégeant des mauvais esprits ; et certes, comme tous les Coréens, il partait souvent prier au temple pour la bonne fortune et la santé. Mais les sciences, la technologie, le cinéma, le capitalisme, Mickey Mouse et Coca Cola avaient débarqué; et toute une génération de jeunes cœurs s'était peu à peu détournée des traditions que leurs ancêtres avaient instauré, n'attirant que les reproches des plus âgés de leur manque de piété et de foi.

Le premier esprit avait été un Dalgyal kuishin, quand il avait 4 ans. Le souvenir de cette rencontre était un peu flou maintenant, à vrai dire, mais il se souvenait du principal. C'était un fantôme sans visage, reconnaissable à ses vêtements blancs et son visage lisse, qu'il ne fallait absolument pas regarder, sous peine de tomber malade et de mourir. La crainte qui entourait ce mythe était presque palpable, et les gens évitaient parfois de prononcer son nom trop fort, par peur de le faire apparaître auprès d'eux, comme une sorte de malédiction. Certains parlaient de ses griffes qui arrachaient la vie de nos corps, d'autres des crocs qui pouvaient trancher une tête, d'autres de son silence implacable et terrifiant. Les histoires à son propos n'étaient jamais très certaines, puisque personne n'en était ressorti vivant de cette rencontre. Personne, à part... Yoongi. 

Quand il avait raconté sa rencontre à sa Halmeoni, cette-dernière avait été frappée d'effroi, elle qui pourtant côtoyait souvent les créatures d'un autre monde. Mais les jours étaient passés, et Yoongi n'était toujours pas tombé malade ; au contraire, il était presque plus vigoureux qu'avant, riant toujours autant et regardant le monde de son regard curieux et naïf qui faisait toujours fondre les adultes. Pendant longtemps, ni sa grand-mère ni les autres chamanes n'avaient compris ce phénomène ; mais bien vite, quand le petit garçon vit un second esprit, ils furent bien obligé de conclure que c'était un cas rarissime.

Yoongi était « simplement » un garçon qui voyait les fantômes et qui n'en était pas affecté. 

Et puis, à l'âge de ses 12 ans... plus rien. Les visages, que les autres trouvaient effrayants et que tous disaient de se méfier, ceux qui peuplaient ses rêves et ses journées, ceux qui jouaient avec lui et ceux qui le suivaient partout... disparurent. D'un coup, d'un seul, ils n'étaient plus là ; et de la même façon que personne n'était parvenu à expliquer pourquoi il n'était affecté, personne n'avait réussi à expliquer pourquoi ils étaient partis aussi soudainement. Parfois, leurs présences lui manquaient un peu, il voulait bien l'admettre.

Jusqu'à hier, lorsqu'il avait vu ce jeune homme en plein milieu de la rue.

Il avait fini par s'endormir contre la fenêtre froide, les questions sans réponses trottant dans sa tête. Se réveillant en sursaut lorsque le train était entré en gare, il saisit son sac dans lequel il avait enfoncé des affaires au hasard, juste de quoi se changer le lendemain, et siffla un taxi à la sortie des quais. Dans la voiture, il répondit brièvement à son meilleur ami qui s'inquiétait de ce changement de plans soudain, sachant pertinemment que l'argenté n'était pas allé dans sa ville natale depuis des années, à juste titre ; et quand Yoongi regarda par la fenêtre les rues qui défilaient, les rues autrefois si familières mais qui à présent l'accueilleraient comme un étranger, il n'était pas certain que ce soit une bonne idée, tout compte fait. L'impulsivité dont il faisait toujours preuve lui jouerait un mauvais tour, un de ces quatre. Il avait eu presque envie de faire marche arrière, de dire au conducteur qu'il pouvait faire demi-tour, mais il avait déjà fait tout ce chemin, alors autant aller jusqu'au bout.

Quand le taxi ralentit devant la maison de sa grand-mère, il en eut presque le souffle coupé, les souvenirs se crashant sur son visage avec une force comparable aux vagues se brisant sur la digue. C'était une maison de banlieue, aux mauvaises herbes poussant sur le petit bout de jardin devant le perron, qu'il avait souvent, petit, comparé à celles de la Nouvelle-Orléans quand il en voyait à la télévision. Les poutres apparentes, le saule pleureur qui ombrageait la porte d'entrée, les volets écaillés et fermés à l'étage, les amulettes qui ornaient les lampadaires accrochés à la façade et qui semblaient chanter sous le vent frais – rien n'avait changé. Quand il donna quelques billets au chauffeur, il se força à ne pas grimacer quand ce dernier repartit en trombe, le laissant tout seul et soupirant.

Les questions plein la tête quant à la façon dont il serait accueilli, lui qui avait abandonné les mythes, les légendes, et le mystérieux héritage de sa famille depuis bien longtemps, il toqua à la porte, un peu hésitant. Serait-il accueilli comme le fils prodigue qui revenait à la maison ? Ou comme le mouton noir, le traître à son rang et à son don, qui avait préféré s'enfuir ? Les prochaines minutes seraient cruciales et détermineraient si oui ou non il avait bien fait de rentrer à Daegu.

Accroché à sa hauteur, il y avait des bâtons d'encens, dont la fumée, toujours entêtante, lui piquait les yeux comme quand il était gamin, et il savait, quand il rentrerait dans la maison – s'il rentrait –, qu'il sentirait aussi l'odeur capiteuse des parfums de sa grand-mère et de la myrte.

« Qui est-là ? murmura une voix, la porte doucement entrouverte.

« Halmeoni... c'est moi. 

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Et voilà comment Yoongi se retrouva dans le salon de sa grand-mère, qu'il n'avait pas vu depuis bien trop longtemps, en train de siroter du thé qu'elle faisait pousser dans son jardin – selon ses dires, c'était une spécialité particulière qui permettait de chasser les Kumiho, ces renards à neuf queues vivant pendant un millénaire et se transformant en jeune femme qui séduisait les hommes pour leur manger le foie ou le cœur. Enfant, il buvait la même concoction, l'écoutant parler de ces séductrices maléfiques qui pouvaient conduire un homme, une famille, un clan, et parfois même un empire tout entier à sa perte.

Pendant un long moment, sa grand-mère avait redécouvert son visage de ses mains, les yeux larmoyants et chantant quelques prières de remerciements pour les dieux. C'était une panesou, quand elle était jeune : c'étaient des sorciers privés de la vue mortelle, qui prédisaient l'avenir, chassaient les démons par exorcisme, et dont le public avait une grande confiance. Quand Yoongi était parti pour Séoul, elle lui avait fait part dans une lettre qu'elle n'exerçait plus, trop affaiblie par des années à combattre les esprits malfaisants qui peuplaient cette Terre – et il avait toujours été surpris de lire son écriture propre et soignée, malgré sa cécité. Peut-être que le don de voir les esprits venaient d'elle, après tout. C'était la seule explication logique.

C'était une partie de sa vie qu'il dissimulait à beaucoup. Il était difficile d'associer une enfance passée à comprendre les fantômes et les démons qui venaient d'un autre monde, d'un autre temps, à sa vie actuelle, plus moderne. Il avait un appartement au cœur de Séoul, faisait des études d'architecture et entamait sa dernière année. Avait son colocataire et meilleur ami, Hoseok, qui finissait lui aussi ses études de journalisme ; une ex, avec qui il gardait de bons contacts, Soo, qui avait monté son cabinet d'expertise immobilière ; Namjoon, qui avait été récemment engagé dans une énorme société d'électroniques et qui vivait avec sa petite-amie avocate ; son voisin, Seokjin, qui avait créé son atelier de chocolat dans le quartier le plus huppé de la capitale ; et Areum, la créative de la bande, qui avait ouvert sa galerie d'art dans Hongdae.

Autant dire que de mêler ces deux vies était particulièrement compliqué ; seul Hoseok connaissait, et encore en partie, sa vie d'avant, lorsqu'il vivait encore ici, avec sa Halmeoni.

« J'en ai revu un, dit-il simplement dans un petit silence confortable après qu'elle lui ait raconté comment un jeune couple de fiancés étaient venus toquer à sa porte pour avoir sa bénédiction, la semaine dernière.

Il ne releva pas les yeux quand il entendit le tintement de la cuillère que l'on fait tomber sur la soucoupe, sachant pertinemment quelle expression aborderait le visage fripé de celle qui avait toujours été là pour lui.

« Je sortais des cours, expliqua-t-il à demi-mot – marchant sur des œufs, craignant toujours que sa grand-mère lui reproche le chemin qu'il avait emprunté – ; et je l'ai vu. Il était en plein milieu de la route, et il me regardait, comme s'il savait qu'il n'y avait que moi qui puisse le voir. J'ai détourné les yeux et... la seconde d'après, il n'était plus là.

Il sentit les mains douces d'Halmeoni prendre la sienne, et il leva enfin les yeux vers elle. Son regard éteint, aveugle, et ses pupilles presque blanches semblaient scruter son visage.

« Je ne l'ai pas revu depuis, continua-t-il, soudainement nerveux par cette intensité. Je... Je ne sais pas quoi faire, Halmeoni. Cela fait tellement longtemps depuis que le dernier est parti, j'ai du mal à comprendre ce qu'il se passe...

La vielle femme eut un petit sourire, avant de dire :

« Tu te souviens, quand tu m'avais accompagné chasser l'Esprit qui font mourir les femmes en couches ?

« Oui ?

Il n'était pas sûr de vraiment bien s'en souvenir – combien de fois l'avait-il accompagné dans ses séances d'exorcisme, traquant les esprits, étant les yeux qu'elle n'avait pas, avec la capacité de voir les « non-visibles » ?

« Cette nuit-là, j'avais eu une vision à propos de toi, mon enfant.

Un silence, le crépitement des bougies seulement audible.

« Tu ne m'en as jamais parlé, balbutia-t-il.

« Parce que je ne savais pas encore comment l'interpréter, répondit-t-elle avec un sourire rassurant. J'ai rêvé que 13 ans après la dernière apparition, jour pour jour, une dernière âme viendrait à toi pour que tu puisses l'aider.

Hier, était-ce vraiment la date qui marquait la fin de ces visites ? Pris dans son tourbillon de responsabilités, il n'en avait eu conscience.

« Halmeoni, j-je ne suis pas médium, je ne peux pas l'aider à rejoindre l'au-delà...

« Je sais, mon enfant, rassura-t-elle en posant une main sur sa joue, son sourire toujours aussi éclatant qu'à ses 20 printemps, ses yeux vides brillant étrangement. Laisse-le venir à toi. Laisse-le te parler. Laisse-toi s'habituer à lui. La solution viendra toute seule. 

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« Jimin, offrit-il avec un sourire quand Yoongi lui demanda son nom.

Une semaine s'était passée depuis sa visite chez sa grand-mère ; le trajet retour avait été fait les bras remplis de sacs contenant du thé chassant les démons, d'amulettes, de bougies et de bâtons d'encens bien particulier. Avant qu'il ne parte, elle avait purifié une dernière fois le collier d'œil de tigre qu'il avait autour du cou, marmonnant quelque chose à propos de la pollution des grandes villes interférant avec les ondes protectrices. Quand Hoseok avait dit qu'il pourrait protéger tout un régiment, il avait fait taire ses rires d'un regard noir.

Jimin était apparu un matin où Hoseok était en cours, et que l'argenté travaillait sur l'une des maquettes qu'il allait présenter au jury pour l'un de ses derniers grands oraux. Il n'était pas réapparu depuis qu'il était rentré de Daegu ; et pendant un moment, sa raison continuait à croire que ce n'était bel et bien qu'une illusion, mais les dires de la panesou à propos de sa vision le confortait dans le fait qu'il était réel. Se faisant discret, jusqu'à ce moment où l'étudiant était en train de se verser une tasse de café – qu'il manqua de renverser sur sa précieuse maquette. Il avait passé un bon moment à expliquer au jeune fantôme que non, on n'apparaissait pas comme cela sans prévenir, même auprès d'un homme qui avait la faculté de le voir.

« Yoongi, enchanté.

Jimin avait un beau sourire, c'était indéniable. Tout à propos de lui était beau, à vrai dire, même s'il était un peu plus transparent que les mortels de ce bas-monde. Des cheveux d'un noir de jais qui encadraient son visage souriant, ses beaux yeux en amande et ses traits fins. Par les cieux, il fallait que le dernier fantôme auquel il ait affaire soit d'une beauté à damner un saint.

« Je sais, répondit le spectre avec un autre sourire.

« Vraiment ? Comment—

« Ton nom est sur la boîte aux lettres. C'est qui, Hoseok ?

« Mon coloc', soupira Yoongi en s'asseyant sur le canapé, sa tasse tenue fermement dans ses mains. Qui, d'ailleurs, ne voit pas les esprits comme moi, alors, s'il-te-plaît, ne commence pas à lui faire peur sinon il va se casser d'ici en courant, et j'ai besoin de lui pour payer le loyer.

Jimin eut un petit sourire, et vint s'installer à côté de lui.

« Je ne crois pas être un esprit frappeur, alors je ne pense pas pouvoir déplacer les objets.

En guise de démonstration, il tendit la main pour s'emparer du mug encore fumant ; et Yoongi découvrit bien vite qu'il avait été inutile de se tendre rien qu'à cette idée, puisque sa main passa directement au travers. Quand il était petit, l'argenté avait fait connaissance de nombreux spectres qui avaient la faculté de déplacer les objets ; mais au bout d'un certain peur, les farces ne lui faisaient plus peur.

« Bon dit-moi, demanda l'étudiant au bout d'un certain temps, alors que la conversation était aisée et légère.

Ils avaient un peu parlé de ce que faisait Jimin – ou du moins, avant. C'était un étudiant en école de commerce, qui avait déjà envisagé de monter un business de cosmétique d'ultra luxe. Il aimait sortir avec ses amis, était dans le club de natation de son école, faisait également parti du BDE et était l'un de ceux que l'on venait voir dans les couloirs pour organiser les soirées étudiantes. En somme toute, c'était un homme apprécié par tous, et nul doute que si Yoongi l'avait rencontré quand il était encore fait de chair et d'os, qu'ils se seraient appréciés.

« Tu vas me demander comment je suis mort, c'est ça ?

Il y avait une lueur triste dans ses yeux, mais quelque chose de résigné, aussi.

« Oui.

« Je— Je ne suis pas très sûr, en fait. C'est... un peu flou ? Je crois que je me suis fait renverser par une voiture. Assez bêtement en plus, je crois que je ne regardais pas où je mettais les pieds...

Il y eut un petit moment de flottement, dans lequel Yoongi, un peu impuissant, ne savait pas quoi faire, quoi dire. Comment réagissait-on après une annonce pareille ? Faire une blague en disant qu'il fallait toujours regarder à gauche et à droite quand on traversait ? Un peu mal placé, si vous voulez mon avis.

« Tu sais que je ne suis pas médium ? souffla-t-il doucement après quelques instants muets.

Jimin, qui avait baissé la tête pendant son explication, replanta son regard, bien qu'un peu transparent, dans celui de l'étudiant.

« Je ne peux pas t'aider à aller dans l'au-delà. Je ne sais pas ce qui te retient ici, sur Terre, et je ne peux t'en défaire. Je ne veux pas que tu espères trouver en moi une solution qui mettra fin à ton errance. Je... Je ne peux que te voir, rien faire de plus.

Il y eut encore un petit silence, et, avec un sourire qui respirait la bonté et la sincérité, un sourire qu'il était rare de voir dans une société d'hypocrites et d'apparences, Jimin le rassura :

« Ce n'est pas grave. Au moins j'aurais quelqu'un à qui parler. 

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La cohabitation se passa. Yoongi était toujours aussi perdu quant à ce qu'il pouvait faire pour Jimin, perdu quant à ce que lui avait dit sa grand-mère. Il repensait souvent à sa vision, au fait qu'il pouvait l'aider, bien que lui-même n'en soit pas persuadé. Les questions, les doutes, et une certaine responsabilité pesaient déjà lourd sur ses épaules, et, parfois, il se demandait ce que deviendrait Jimin si... s'il devait rester. S'il ne pouvait pas trouver de solution pour rentrer, pour trouver un futur meilleur, plus « adapté » pour sa condition.

C'était paradoxal, à vrai dire. Yoongi voulait qu'il cesse d'errer, parce qu'il savait que c'était une existence de misère et de malheur, et qu'il ne souhaiterait cela même pas à son pire ennemi ; et d'un autre côté, il avait, avec le temps, commencé à apprécier la compagnie du jeune homme, et redoutait le jour où il se réveillerait et où le jeune homme ne serait plus là, ayant accompli sa dernière volonté pour rejoindre un semblant de paradis.

Alors, en attendant que le jeune homme trouve une solution – comme s'il n'avait que ça à faire avec le boulot, sérieusement –, le noiraud restait dans leur appartement. Parfois, il partait se balader en ville, apparemment n'ayant pas d'attache particulière comme certains esprits que Yoongi avait pu croiser ; certains, notamment des Arang [*fantôme d'une jeune fille qui hante le village pour retrouver son meurtrier] ne pouvaient pas aller plus loin que les limites de leurs villes. Mais la plupart du temps, Jimin restait avec eux.

C'était sûrement la partie la plus étrange : Hoseok, Jimin et Yoongi, à la seule différence que l'un d'entre eux était seulement visible par l'argenté. Fort heureusement, il était le seul à pouvoir l'entendre également ; si son colocataire commençait à entendre une voix sortie de nulle part, il allait hurler dans tous les sens, et l'étudiant en architecture n'avait clairement pas la patience de gérer cela pour l'instant.

Alors, en attendant, il devait ruser pour pouvoir lui répondre. L'étudiant en journalisme, bien que connaissant la situation de sa grand-mère, ne connaissait pas la curieuse faculté que détenait son meilleur ami, et n'était pas près de le découvrir, de toute façon. S'il y avait une personne à qui il pourrait se confier, ce serait éventuellement Namjoon, car il était beaucoup plus posé et rationnel qu'Hoseok ; mais, encore une fois, peut-être que c'était Yoongi lui-même qui n'était pas prêt à dévoiler un secret aussi gros, aussi improbable, qui pouvait avoir plus de conséquences néfastes que nécessaire. Il était alors peu opportun de commencer à converser avec le spectre à haute voix, et passer pour un fou. Parce qu'en effet, Jimin trouvait cela apparemment très drôle de lui poser les questions les plus loufoques qui soient dans les moments les moins propices.

Comme par exemple cette fois où, alors que toute la petite bande était réunie autour de pizza et d'un film dans leur salon, il s'était approché de l'oreille du jeune homme pour lui demander si Seokjin et Areum avaient déjà couché ensemble – pour répondre à sa question, chers lecteurs, oui. Ou encore cette fois où il l'avait suivi sur le campus, et, se penchant par-dessus son épaule pour admirer les plans sur lesquels il était en train de travailler, il lui avait demandé s'il avait une quelconque attirance sexuelle pour les hommes. 

Mais la plupart du temps, quand ils étaient que tous les deux, ils pouvaient parler pendant des heures. Comme ce dimanche-là, un peu pluvieux, où Hoseok était parti à la salle pousser un peu de fonte.

« Et donc Namjoon se dit que c'est une excellente idée de préparer le déjeuner avec seulement un tablier—

« Tu veux dire que—

« Qu'il était à poil en dessous, oui, oui, rigola Yoongi en vissant les deux planches de bois ensemble. Donc il se dit « je vais faire des pancakes à ma chérie pendant qu'elle part chercher des fleurs et du jus d'orange », et – putain d'Ikea de merde, c'est pas les bonnes vis.

A quelques pas de lui, Jimin ne put s'empêcher de rigoler, tant par la situation cocasse dans laquelle s'était probablement fourré le meilleur ami du jeune homme, que par les jurons réguliers de Yoongi, bataillant du mieux qu'il pouvait à construire une étagère depuis qu'Hoseok l'avait littéralement détruite en rentrant bourré un soir – typique de sa part, me diriez-vous.

« Et qu'est-ce qu'il s'est passé ensuite ?

« Donc ça sonne, et là y a bel et bien sa meuf, mais également ses parents derrière elle...

« Oh non, le fantôme commença à ricaner.

« ... Et le pire c'est qu'elle lui dit avec un sourire crispé, « chéri, je t'ai dit que j'allais chercher mes parents à la gare ».

A ces mots, les rires du noiraud retentirent dans la pièce – ou du moins, dans sa tête –, et le cœur de Yoongi ne put que se serrer face à cette mélodie. Plus rien n'avait d'importance, à présent ; ni les planches éparpillés autour de lui dans le salon, ni le fait qu'il était censé maudire Hoseok pour être un danger public ambulant, ni le fait que l'homme en face de lui n'était qu'un fantôme. Sa vie était un peu plus douce rien qu'à l'entendre, et était persuadé que la vie de bien d'autres le seraient également s'il n'était pas le seul à pouvoir l'entendre.

C'était... c'était la même mélodie que les lendemains qui chantent. La même mélodie des violons des anges, que les notes de piano de l'aube, quand le ciel était peint de touches pâles et cotonneuses, avant les trompettes sonnantes du soleil ne retentissent. C'était le murmure doux et envoûtant des cascades, le souffle mélodieux du vent dans les cheveux, le rire d'un nouveau-né, la promesse des amants. Il était persuadé que les âmes entendaient le même rire, quand elles montaient au Paradis ; est-ce que Jimin, pendant tout ce temps, aurait caché le fait qu'il était un ange ? La condition d'esprit était bien trop réductrice pour lui, il méritait la grandeur, la soie, les dorures et des orchestres entiers pour accompagner sa voix.

Alors, un peu confus par les sentiments qui agitaient sa poitrine, il se retourna vers la notice d'utilisation chiffonnée entre ses mains, espérant que l'esprit ne puisse voir la légère rougeur qui colorait ses joues.

« Comme quoi, il faut toujours écouter sa copine, conclut Jimin après un temps, s'essuyant une larme transparente au coin de ses yeux.

Si Jimin avait été un ange, cela aurait été des paillettes d'or qui auraient agrémenté ses prunelles.

Yoongi n'était pas certain s'il le regardait ou non, prétendant être concentré par les instructions de l'étape numéro 5 imprimées sur le papier en face de lui ; et, nonchalamment, changeant de sujet pour des raisons évidentes, il dit :

« Et sinon, je t'ai raconté la fois où Seokjin s'est fait baffer en plein coït parce qu'il s'est trompé de nom ? 

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Jimin fit une crise de panique un jeudi soir.

Yoongi s'était endormi lamentablement sur le canapé devant une série quelconque, sans entendre Hoseok qui était rentré – plus tard, il vit qu'il avait mangé les restes dans le frigo, et estima, à juste titre, qu'il n'avait pas eu le temps de grignoter quelque chose avant d'aller chez son plan cul.

L'argenté avait été réveillé au son de pleurs et de reniflements, et, comme par instinct, avait tout de suite compris que quelque chose n'allait pas chez le fantôme ; se réveillant, un peu hagard, pour trouver un noiraud inconsolable à côté de lui.

Le jeune homme semblait enfin prendre conscience qu'il était mort ; c'était assez curieux, par ailleurs, que de le voir traverser les 5 étapes du deuil qui était d'habitude réservées aux vivants, aux proches qui lui disaient au revoir. Plus tôt dans la journée, il était parti se balader en ville, et il avait confié en rentrant avoir vu Taehyung et Jeongguk, ses meilleurs amis, absolument effondrés, ayant perdu toute trace de joie et de bonne humeur qui drapaient habituellement leurs sourires. Dans son chemin de désolation, il avait aussi rendu visite à ses parents et à son petit frère. Il ne les avait pas trouvé dans la maison de famille, sûrement de sortie ; mais à la place, des dizaines de portraits de lui dans le salon, et des bougies éclairant un petit autel qu'ils avaient construit à son image. Ce qui l'avait fait craquer, sûrement, c'était d'avoir retrouvé une photo de lui et de Jihyun sous l'oreiller de son cadet, lui qui pourtant ne montrait que de rares signes d'affection timide, quand il était encore en vie.

Cela avait été assez compliqué de le calmer, les grosses larmes transparentes coulant le long de ses joues sans discontinuer. De toute évidence, il était plus facile de réconforter quelqu'un quand on pouvait le prendre dans ses bras, quand on pouvait le laisser pleurer sur son épaule ; et là, bien que Jimin se soit complètement lové contre le torse de l'argenté, chaque mouvement de la part du dernier passait à travers son corps. C'était frustrant, pour les deux, et face aux hoquets de tristesse et ses tremblements incessants, Yoongi avait été un peu pris de court.

Alors il l'avait embrassé. Avait pris son visage en coupe, même si, si Hoseok était rentré dans le salon à ce moment-là, il aurait seulement vu son meilleur ami les mains en l'air. L'avait regardé dans les yeux, lui avait chuchoter que tout allait bien. Lui avait promis qu'ils trouveraient une solution ; et même s'il disait cela seulement pour le calmer, sur le moment, il savait au fond de lui qu'il remuerait ciel et terre pour revoir l'étincelle de bonheur qui éclairait habituellement ses yeux de la plus belle des façons. Et puis l'avait embrassé.

Le baiser avait été froid, et, pour être honnête, il avait eu l'impression qu'il embrassait l'air. S'il se concentrait bien, il pouvait deviner la courbe des lèvres et la silhouette de sa bouche contre la sienne, et même si Jimin non plus ne sentait pas réellement le contact physique, au moins s'était-il calmé un peu.

Yoongi voyait les fantômes, et venait juste d'en embrasser un

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Un soir, après une journée particulièrement harassante, Yoongi fixait le plafond de sa chambre, les bras écartés sous la couette ; et, après un temps, les pensées bourdonnantes dans son esprit, laissa sa main droite se balader le long de son torse, lentement, doucement, connaissant son corps suffisamment pour savoir ce qui le ferait tilter. Sa main caressa son buste, passant légèrement sous son T-Shirt de concert, remonta jusqu'à ses boutons de chairs, parcouru l'intérieur de ses cuisses, effleura le dessus de son caleçon, et :

« Jimin ?

Il y eut un silence, avant que la voix étouffée du noiraud, de l'autre côté de la porte de sa chambre, ne se fasse entendre :

« Oui ?

« Oh je—... Je croyais que tu étais là.

« Pourquoi je— oh.

Jimin se matérialisa près de son lit ; pourtant, avec la noirceur de sa chambre et l'absence de lumière de la ville filtrant à travers ses rideaux, il était particulièrement difficile de deviner les formes floues et transparentes de l'esprit. Malgré tout, le seul fait de sentir sa présence et de sentir son aura près de lui était suffisante pour encourager sa main à sortir son membre de sa prison de textile et de la laisser faire de longs va-et-vient le long de sa peau déjà tendue et palpitante.

Il ne savait pas vraiment pourquoi il faisait cela. Peut-être qu'il en avait envie depuis bien trop longtemps. Peut-être les rires et les regards de Jimin lui laissait sous-entendre que, dans une autre vie, ils auraient pu être amis ; et si Yoongi aurait été assez hardi, peut-être l'aurait-il invité, rien qu'eux, à prendre un verre.

« Est-ce que... Est-ce que ça te dérange ? demanda l'aîné presque timidement, n'étant pas sûr s'il franchissait là une ligne interdite, tracée au sol à la bombe fluorescente. N'était pas sûr si un garçon qui voyait les fantômes pouvait se comporter ainsi avec eux.

Mais est-ce que leur relation était aussi normale qu'ils le prétendaient ? Probablement pas.

« Non ! Je veux dire, reprit Jimin, je... ça ne me dérange pas tant que ça ne te dérange pas non plus.

Yoongi soupira, et, un peu hésitant, répondit :

« J'ai—J'ai envie que tu sois là.

« D'accord, dit la voix, se rapprochant un peu plus de lui pour être, à ce qu'il entendait, au niveau de son cou.

Sa main continua de travailler le long de sa verge, son pouce étalant l'humidité sur le bout de son gland, ses doigts se serrant à la base de son sexe et un soupir quittant ses lèvres entrouvertes. Un flash de lumière dans la nuit, et, pendant ce moment de grâce trop court pour être pleinement apprécié, l'argenté vit la façon dont Jimin le regardait. Dévorant sa silhouette du regard, malgré la timidité qui s'y reflétait ; le spectacle qu'il procurait était un délice pour les yeux, et Yoongi, fermant un moment les paupières, imagina ce regard-là, véritable, s'ils étaient tous deux fait de chair.

« Est-ce que tu peux me parler ? J'ai l'impression que tu n'es pas là si tu ne parles pas, je ne te vois pas dans le noir.

Il y eut un petit silence, et soudain : « J'ai tellement envie de te toucher.

La voix de l'âme était un peu étranglée, comme si le spectacle auquel s'adonnait Yoongi le rendait pantois et tremblant.

« C'est vrai ? soupira-t-il en fermant momentanément les yeux.

« Oui, et j'ai envie que tu me touches aussi.

Jimin était peut-être un ange, mais à présent, c'était un démon. Un être érotique, construit de luxure et de concupiscence, la voix lourde, chaude, faite de velours et de satin, faite d'obscénité liquide, de magma en effusion, sulfureuse, incandescente. Les yeux noirs, deux billes de charbon qui semblaient trouver leur puissance dans les formes tremblantes du jeune homme ; et Yoongi ne saurait dire, à ce moment précis, s'il était la proie ou le chasseur. Parce que Jimin était-là, à sa merci, lui susurrant dans son oreille tous ses fantasmes, comme s'il pouvait lire en lui comme dans un livre ouvert ; mais d'un autre côté, son aura était tellement imposante, tellement forte et vibrante, que l'argenté ne pouvait que se sentir un brin intimidé. Il s'était transformé si vite, si rapidement que Yoongi avait du mal à suivre le rythme.

Un faible grognement, pendant lequel l'aîné s'obligea à ralentir le rythme, ne voulant par goûter à son acmé trop tôt, préférant écouter les chuchotements tendancieux cousus d'envie, et de débauche du fantôme.

« Où est-ce que tu voudrais que je te touche ? murmura-t-il dans la pénombre.

« Partout, souffla le noiraud contre son oreille, si proche que cela ne put que tirer un frisson agréable chez le mortel. J'ai envie que tu m'embrasses, que tu me plaques contre les murs, que tu me prennes, que tu—

« Putain, Jimin.

L'intéressé sourit, fier des réactions qu'il tirait de son aîné, appréciant avec gourmandise le tableau érotique qu'était Yoongi. Par Jeoshung Saja* [dieu des morts dans la mythologie coréenne], ce qu'il aurait voulu être celui qui enroulait sa main autour de son membre, être celui qui tirait de lui cette symphonie de sons plus doux à l'oreille que le précédent. Nul doute que, s'il avait été humain, son érection n'aurait pas mis beaucoup de temps pour déformer son jean.

« Tu en as envie aussi ? continua-t-il, la langue pâteuse sous cette vision pêcheresse. Tu as envie de me sentir contre toi ? Envie de m'embrasser ? Envie de sentir ma bouche contre ta peau ? Contre ton sexe ?

« Putain, putain, putain, répéta Yoongi comme un leitmotiv, comme une prière, comme l'envie d'en avoir beaucoup plus.

Et, soudain, une caresse froide et agréable le long de son torse ; Jimin qui traçait les vallons de son buste du bout des doigts, un souffle d'air sur la peau terriblement chaude du jeune homme, le regard gourmand, carnassier, prêt à tout pour pouvoir le toucher pour de vrai.

Sûrement était-ce ce jeu de chat et la souris qu'ils jouaient depuis trop longtemps, ces mots qui pouvaient être interprété comme du flirt, qui le poussaient à aller plus vite, plus fort ; parce que jamais, en temps réel, n'aurait-il été aussi rapide pour pouvoir presque goûter à la délivrance. Il était là, à sa merci, tremblant et à deux doigts d'être traversé par une vague de chaleur orgasmique qui promettait de lui faire voir des étoiles ; et cette jouissance, ou du moins cette promesse, dépendait uniquement de Jimin, de ses prochains mots, de son souffle contre son oreille. Le coup de grâce qui leur ferait définitivement franchir le point de non-retour.

« Je te laisserai même jouir dans ma bouche si tu es sage.

Et cela eut le mérite d'envoyer Yoongi au Nirvana, planant au-dessus du sol comme Jimin lorsqu'il l'avait vu la première fois, son esprit embrumé par le plaisir, par le désir, par cette boule de chaleur qui venait d'éclater à l'intérieur de lui.

« Wow, souffla-t-il simplement, une fois la vague passée.

Jimin aurait tellement voulu lui dire qu'il avait envie de goûter à sa semence, à ses longs rubans blancs qui décoraient son abdomen comme des éclats de peinture. Mais peut-être que cela était trop, du moins pour la première fois.

Après s'être nettoyé – sous les insistances sarcastiques du fantôme –, Yoongi ne put que plonger dans le sommeil avec bonheur, ses muscles lâches et son esprit presque vide, heureux, dans ce cocon post-orgasmique qu'il aimait peut-être autant que la félicité elle-même. Pourtant, avant de sombrer pour de bon dans les bras de Morphée, il fit un mouvement, comme s'il voulait agripper le bras du noiraud pour l'empêcher de partir. Bien entendu, ses doigts traversèrent les membres translucides de l'esprit, mais au moins le jeune homme comprit où il voulait en venir, et, avec un petit sourire, resta à son chevet.

« Reste avec moi ce soir.

Toujours, manqua de s'échapper du bout de sa langue, mais avant que le spectre ne puisse dire quoi que ce soit, l'étudiant était déjà bel et bien endormi.

(Le lendemain, Yoongi ne put qu'être embarrassé face à la question espiègle d'Hoseok « avec qui étais-tu au téléphone hier, hyung ? »).

---

« Comment as-tu su que je pouvais te voir ?

C'était là une question qui tournait en boucle dans la tête de l'étudiant. Quand il était petit, il s'était toujours demandé ce qui poussait les esprits venir le trouver directement, ce qui leur faisait comprendre qu'il pouvait les voir et les entendre ; et si même sa grand-mère ne savait pas comment il faisait pour avoir « la vue », il était alors peu probable qu'elle sache répondre à cette question.

Jimin était tout simplement le fantôme qui était resté auprès de lui le plus longtemps ; les autres, quand il était enfant, ne restaient que quelques jours maximums, parfois juste le temps de jouer un peu avec lui et ses figurines de dinosaures, parfois juste pour engager une discussion légère. Ils n'avaient aucune raison de rester plus longtemps, de toute façon, parce que tous semblaient comprendre presque immédiatement que ce garçon curieux n'était pas médium, et, par conséquent, ne pouvait les aider à rejoindre un endroit plus doux pour ces pauvres âmes. Autant éviter de perdre du temps précieux.

A l'époque, cela ne le dérangeait guère ; au contraire, il était amusant de voir tous ces esprits, que les mortels qualifiaient parfois d'horrifiants, le regarder avec une certaine tendresse pendant qu'il expliquait pourquoi Maman T-Rex devait protéger ses petits des méchants messieurs en hélicoptère. Mais à présent, maintenant qu'il avait grandi et que des années s'étaient écoulées, la question venait de réapparaître, comme un message caché que la buée révèlerait sur le miroir de la salle de bain.

« Hmm ? demanda Jimin, allongé sur le ventre sur le tapis imitation persan du salon, occupé à lire un livre dont Yoongi tournait régulièrement les pages.

« Quand tu m'as trouvé, tu me regardais directement, comme si tu savais que j'étais le seul à pouvoir te voir. Comment tu le savais ?

Il sut que cette question piqua la curiosité du noiraud, si on en croyait à la façon dont il se redressa pour s'assoir, les jambes croisées à l'indienne, en face de son aîné. Il se gratta un moment la tête, comme si lui non plus n'avait pas de réponse préconçue à lui apporter.

« Je ne sais pas trop. Cela faisait des semaines que j'errais, mais personne ne me voyait. Ils passaient tous à travers moi, ne s'arrêtaient pas, et même quand ils regardaient dans ma direction, je savais qu'ils ne me voyaient pas moi.

Yoongi ne put s'empêcher d'avoir un petit pincement au cœur. Il n'avait jamais eu ce genre de discussion avec les autres, ou du moins, s'il en avait, il était trop jeune pour comprendre réellement ce qu'ils pouvaient vivre. Trop jeune pour compatir, trop jeune pour éprouver de la pitié. Peut-être que les spectres, malgré leurs vocations à horrifier les populations, à les tourmenter les vivants de leurs désolations, ne pouvaient se résoudre à faire de même pour lui. Voyant dans ses grands yeux noirs une innocence dont ils étaient jadis emprunts. Alors probablement que tous les esprits qu'il avait rencontré l'épargnait autant qu'ils pouvaient, parce que lui, au moins, n'avait pas peur d'eux. Lui les acceptait, leur souriait, devenait leurs amis le temps de leurs séjours infortunés. Alors bien entendu qu'il pouvait comprendre le ton de douleur qu'il y avait dans la voix de Jimin. A sa place, il serait sûrement devenu fou.

« Et puis je t'ai vu. Tu ne me regardais pas encore, t'étais occupé à ne rien laisser tomber – à ce souvenir, Yoongi lui offrit un petit sourire. Mais je savais que tu me verrais. Il y avait quelque chose dans ton aura, quelque chose d'étincelant, quelque chose qui m'avait tout de suite fait comprendre que tu étais différent des autres. Tu étais comme un phare, tu— c'était comme si le monde était en noir et blanc, et toi tu étais le seul point de couleur de ce tableau.

Yoongi releva le regard en sa direction, pour ne rencontrer qu'une sincérité et une certaine émotion dans ses pupilles. Dire qu'il avait été touché par ce qu'il venait de dire n'était qu'un euphémisme – jamais on avait parlé de lui ainsi ; jamais quelqu'un n'avait trouvé en lui une source de réconfort, un point d'ancrage. Il y avait ses amis, bien entendu, mais il n'était pas certain que ce soit exactement la même situation : Jimin avait erré dieu seul sait combien de temps, et Yoongi ne pouvait qu'imaginer le soulagement qu'il avait dû ressentir en le voyant pour la première fois.

Lentement, il lui présenta sa main, la paume ouverte vers le ciel ; et même si tous deux savaient parfaitement que si Jimin l'enlaçait sur la sienne, elle passerait à travers, le noiraud le fit quand même. Parce qu'ils avaient probablement tout deux besoin de cela, à présent, qu'il n'était pas nécessaire de commenter.

« Je suis content que tu m'aies trouvé, alors.

« Moi aussi, répondit-il avec un petit sourire.

---

« Yoongi.

Le susnommé ne put que grogner, les rayons matinaux du soleil filtrant à travers les rideaux légers de sa chambre. La veille avait été mouvementée : Namjoon et Seokjin étaient venus boire un verre chez eux, qui avait fini en je-ne-sais-combien de bouteilles de soju qui devaient encore traîner sur le sol du salon. Aux dernières nouvelles, c'était le week-end ; dimanche, peut-être ? L'argenté ne saurait vraiment dire, le sang tambourinant dans ses tempes d'une façon peu agréable – depuis quand une gueule de bois l'était réellement ? – et voilà que Jimin voulait déjà de son attention. Il était beaucoup trop tôt pour se faire hanter, et tenta, tant bien que mal, de lui dire cela, la langue un peu pâteuse.

« Yoongi, le spectre appela encore.

« Jimin, sérieux, laisse-moi dormir.

Le noiraud soupira un peu, à moitié exaspéré que le jeune homme ne veuille pas le regarder, mais ne se laissa pas décourager et essaya de nouveau :

« Hyung, sérieusement, insista-t-il en référence à sa dernière phrase, tu devrais voir ça.

Sur le lit, la forme humaine soupira, et, lentement, releva son visage de l'oreiller pour venir jeter un coup d'œil en direction de la voix du fantôme ; mais quand sa vision embrumée fit la mise au point, ses yeux s'écarquillèrent, et, sous le coup de la surprise, fit un mouvement brusque qui causa sa chute du lit.

Malgré la gravité de la situation, Jimin ne put s'empêcher de lâcher un petit rire, qui redoubla quand il vit la tête de Yoongi émerger des couvertures et le regarder toujours avec cette lueur de surprise et d'incompréhension au fond de ses prunelles.

« Tu... Tu es... Tu es vivant ?

Parce que se tenant devant lui, les pieds fermement ancrés sur le sol et non flottant comme il en avait l'habitude jadis, se tenait le noiraud, fait de chair, d'os et de sang, sa peau caramélisée brillant sous la lumière matinale, beau et magnifique dans sa... nudité ? Les yeux de Yoongi remontèrent vite vers son visage, un peu embarrassé, pour se concentrer davantage sur le visage, radieux, du fant— du jeune homme.

« Mais qu'est-ce qu'il s'est passé ?

« Je n'en sais rien ! J'ai senti une drôle de vibration dans ma poitrine, et puis je sentais plus mes jambes ni mes bras, ou alors ils devenaient très lourds d'un coup. Ma tête arrêtait pas de tourner et j'avais envie de vomir et de boire des litres d'eau à la fois, alors je suis venu dans ta chambre parce que je me disais que c'était la fin, tu vois ?

Yoongi ne put qu'hocher la tête, un peu ébahi, face au discours décousu du jeune homme en face de lui.

« Et là j'ai l'impression que je me suis évanoui, parce que quand je me suis réveillé, j'étais allongé sur le sol de ton salon, ce qui était vraiment bizarre parce que ça ne m'est jamais arrivé quand j'étais—euh — fantôme ?

L'argenté savait que les esprits ne ressentaient ni la fatigue, ni la faim, la soif, la chaleur et le froid. Ils n'étaient plus vivants, après tout, et toutes les réactions physiques qui faisaient des mortels des humains leur avaient été enlevé au moment où ils étaient passé de vie à trépas. Alors le fait que Jimin ait fait un malaise dans son salon était non seulement étrange, mais il ressentait également un léger sentiment de culpabilité pour avoir été endormi et non présent quand cela été arrivé.

« Quand j'étais évanoui, j'ai rêvé que j'étais dans une grande salle aux murs blancs, super éclairée et qui faisait mal aux yeux, et au milieu, il y avait quatre grandes figures noires dans les habits traditionnels. Je crois que c'était les Jeosung Saja [*émissaires du dieu de la mort] ? Ils avaient des grands chapeaux et je n'ai pas pu voir leurs yeux, ce que j'ai trouvé bizarre, parce que normalement, celui qui va mourir est le seul à pouvoir les voir, donc je me suis dit que vu que je suis mort, je devais pouvoir les voir aussi, non ?

Trop souvent, quand il était petit, les gens avaient confondu Yoongi pour un porte-parole des divinités qui apportaient la mort ; trop souvent, il avait dû leur expliquer qu'il n'avait aucun lien avec les cieux, qu'il ne pouvait communiquer avec les dieux ou les Jeosung – tout ce qu'il pouvait faire, c'était de parler avec les conséquences, avec les pauvres âmes qui étaient passés entre les mains sombres de ceux qui avaient ce genre de pouvoir sur leurs vies. Alors non, il ne pouvait pas réellement répondre à la question de Jimin, mais il ne pouvait qu'approuver son interrogation, et écouter, fébrile et impatient, la suite de son récit.

« Ils ont commencé à parler, mais leurs voix étaient dans ma tête et c'était du coréen ancien, alors je n'ai pas tout compris. Ils se sont approchés pour embrasser chacun leur tour mon front, et puis la seconde d'après, je suis transporté dans une autre salle, cette fois super sombre mais quand même claire, si ça fait du sens ? Et là devant moi il y avait les Kkoktu [*trois entités funéraires qui protégeaient, soignaient, et divertissaient le défunt juste après sa mort] ? Ils étaient en train de m'enlever une sorte de cape noire que j'avais sur moi et que je n'avais pas conscience de porter, et ils m'ont dit quelque chose du genre qu'ils n'ont pas l'habitude de la retirer, et que les autres auraient oublié ?

Le cerveau de Yoongi tournait à une vitesse rare, en particulier après une gueule de bois un dimanche matin. Est-ce que la cape que les Kkoktu enlevaient représentait la mort ? Et que le fait de l'ôter des épaules de Jimin montrait qu'il était de nouveau vivant, que la volonté des divinités de trépas n'était plus ? Que son âme était libérée des griffes des Jeosung ? Et qu'est-ce que les entités funéraires avaient voulu dire en disant que les autres auraient oublié ? Que tout le monde aurait oublié qu'il était mort, qu'il pourrait revenir à sa vie d'avant, comme s'il n'avait jamais été fantôme ? Que seul Yoongi, qui connaissait sa véritable nature, pourrait être en mesure de se souvenir de cette sombre période où ses proches avaient pleuré sa perte ?

« Et quand je me suis réveillé sur le sol de ton salon et que j'ai voulu aller dans ta chambre, je me suis pris la porte au lieu de passer au travers ; quand j'ai regardé mes mains, elles n'étaient plus... transparentes. Et me voilà.

Et me voilà. Quelle drôle de déclaration quand on revenait des morts, quand on revenait de ce monde entre les vivants et ceux qui n'étaient plus. Sûrement que Jimin ne réalisait pas vraiment la situation, ne réalisait pas qu'il était de nouveau... parmi eux. Qu'il pouvait retrouver sa vie qu'il avait avant, qu'il pouvait de nouveau rire avec ses amis et serrer sa famille dans ses bras. En tout cas, l'argenté, lui, avait encore du mal à associer 2+2, et à se dire que Jimin était... là.

Mué d'une pulsion étrange, ce-dernier se redressa, jeta sur le côté les couvertures, et se précipita vers le noiraud pour le prendre dans ses bras, le souffle coupé. Il était là. Il était vivant. Un corps ferme contre lui, sa chaleur corporelle qui passait même à travers le T-Shirt de pyjama que Yoongi portait. La sensation était indescriptible, comme si on retrouvait quelqu'un qui était parti à l'étranger et que, après des mois à échanger virtuellement, il était enfin là. C'était tout juste s'il avait les larmes aux yeux, quand il sentit les bras de Jimin s'enroulèrent à son tour, un peu hésitant, autour de son torse, le rapprochant encore plus de lui, comme un point d'ancrage, comme pour vérifier que tout cela était bel et bien réel. L'odeur de sa peau était exquise, son souffle dans sa nuque, les tremblements de surprise et de soulagement contre son épiderme, rien de tout cela n'était un rêve. Ce n'était pas possible, c'était bien trop réaliste pour que ce soit simplement l'objet de son imagination.

En tout cas, quand Yoongi se recula un peu pour pouvoir mieux admirer son visage, ses traits qui n'étaient à présent plus transparents, il vit à juste titre quelques perles scintiller le long de ses grands cils.

« J'avais envie de faire ça depuis bien trop longtemps.

« Moi aussi, souffla le cadet en retour, ses yeux papillonnant.

Il ne saurait dire qui s'était penché vers l'autre en premier ; mais tout ce qu'il savait, c'est qu'il y avait une paire de lèvres contre les siennes à présent, sa bouche bien plus chaude et douce de celle qu'il avait quand il était spectre. Ces lippes qui promettaient beaucoup de choses, une pluie d'étoiles et la grâce des dieux. Yoongi n'était pas sûr de tout comprendre à travers ce message, ces symboles que Jimin dessinait de sa langue, mais cela n'avait pas beaucoup d'importance. Parce que ce baiser avait un goût d'avenir, de remerciement... et de vie. De putain de vie.

Quand, quelques instants plus tard, ils se détachèrent de nouveau, une lueur qu'eux seuls comprenaient scintillant dans les orbes de l'autre.

« Tu aurais des vêtements à me prêter ? demanda Jimin soudainement, un peu timide d'être le seul dénudé.

« Oh ! Bien sûr, oui !

Plus tard, après avoir mangé plus que de raison – « Hyung, je n'ai pas mangé depuis des mois, et à chaque fois que Jin venait à l'appart j'avais la haine parce que je ne pouvais pas goûter son kimchi » – et après avoir été plus qu'évasifs aux questions d'Hoseok sur la façon dont ils se connaissaient – « Yoon', Nam et Jin étaient hier à l'appart, comment est-ce que tu as pu le faire entrer sans qu'on ne s'en aperçoive ? » – ils s'allongèrent enfin sur le lit de l'aîné, sur le côté et se regardant dans les yeux. Un petit sourire qui voulait dire tant sur leurs lèvres.

Le lendemain, quand Jimin se réveilla en premier, les yeux papillonnant, n'ayant jamais aussi bien dormi depuis une éternité, il ne put qu'observer, les larmes aux yeux, la façon dont Yoongi avait agrippé sa main dans son sommeil. Comme s'il ne voulait pas qu'il parte, comme s'il avait peur que ce n'était qu'une illusion, que pour un temps. Le noiraud, lui, savait pertinemment qu'il ne se débarrasserait pas de lui aussi facilement.

(Et les Kkoktu avaient raison quand ils disaient que les autres ne se souviendraient de rien, que tout allait être comme avant et que personne, à part Yoongi, ne saurait qu'il avait été mort, un temps. Taehyung et Jeongguk l'avaient au contraire engueulé de n'avoir donné aucune nouvelle pendant deux jours, et Jimin avait dû ravaler ses larmes quand il les avait revu et qu'il avait pu les reprendre dans ses bras.)

Yoongi ne revit plus de fantômes à partir de ce jour. Ce n'était pas bien grave, parce que le plus important était à présent là, à ses côtés. Vivant et heureux. 

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coucou les babes ! je suis super heureuse de vous retrouver pour cet os que j'avais écrit à l'occasion du projet "calendrier de l'avent" sur le compte de YMASWELL ! hésitez pas à aller jeter un coup d'oeil, il y a plein d'autres auteures talentueuses qui ont aussi participé, des vrais chefs d'oeuvres ! (vous pouvez aussi retrouver le receuil dans ma liste de lecture "proud of that shit // collabs"!)

sinon, qu'en avez-vous pensé ? pour une fois c'était du lime mdr, oupsie ? 

certains d'entre vous, notamment hanjinz et YoonSoo28, étaient plutôt hypées sur l'idée d'un bonus à propos du passé de la grand-mère... ce serait un os un plus court, et obviously il n'y aura pas nos protagonistes (quoique), ou, du moins, pas de relation citronnée... qu'est-ce que vous en dites ? c'est quelque chose qui vous plairait ou pas ? 

votez, commentez, partagez, j'ai hâte d'avoir vos avis !! 

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