SOUVENIRS D'UN EMPIRE (ET DE SA PERTE)

𝕾𝖔𝖚𝖛𝖊𝖓𝖎𝖗𝖘 𝖉'𝖚𝖓 𝖊𝖒𝖕𝖎𝖗𝖊 (𝖊𝖙 𝖉𝖊 𝖘𝖆 𝖕𝖊𝖗𝖙𝖊)
𝔖𝔬 𝔠𝔞𝔩𝔩 𝔬𝔲𝔱 𝔪𝔶 𝔫𝔞𝔪𝔢 )

La famille Romanov n'était plus ; mais la rumeur courait que le second héritier au trône avait été le seul à survivre du bain de sang dans lequel avait péri le Tsar Nikolaï II, son père. Au milieu des usurpateurs, prêts à tout pour toucher du doigt la récompense que Marie-Sophie Dagmar de Danemark offrirait à quiconque était en mesure de lui rapporter son petit-fils, Yoongi faisait face à une douloureuse question : est-ce que Jimin était bel et bien le tsarévitch

yoonmin
anastasia romanov!au
russian czar!au
bolchevick revolution!au
(ndla: jamais pensé voir celui-là en tag mdr)
amnesia
death & grief & nightmares
flashbacks
handjobs / masturbation
voyeurism
mention of rimjob
top!yoongi
bottom!jimin

(ndla: des libertés historiques sont prises en terme d'âge: jimin est plus vieux qu'anastasia quand l'assassinat de sa famille a eut lieu, et il a été retrouvé plus rapidement qu'elle, histoire qu'il ne soit pas un enfant pendant sa vie au palais avec yoongi, pour des raisons évidentes...)

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"Il n'a pas parlé depuis son arrivée, expliqua le docteur Jung Hoseok en poussant une porte, Yoongi à ses talons. On suspecte qu'il est atteint d'amnésie traumatique. 

Le noiraud épousseta un peu les flocons de neige qui étaient tombés sur les épaules de son manteau quand il était descendu du fiacre qui l'avait déposé devant l'hôpital. La tsarine Marie-Sophie, bien que recueillie dans ses appartements privés à Paris dans l'espoir de se changer les idées du climat lugubre qui régnait à Saint-Petersbourg, lui avait même assigné un calèche royal pour qu'il puisse mener à bien sa mission. 

"Un fermier l'a retrouvé un peu plus loin dans la forêt. Il a tout juste réussi à dire qu'il s'appelait Jimin Romanov, avant de s'évanouir sur le brancard. Il était à un stade avancé d'hypothermie et de malnutrition — il risque même de perdre un orteil ou deux —, et son corps est marqué par les coups. 

Yoongi ne put empêcher son cœur de battre un peu plus fort, et de serrer la malle dans sa main un peu plus fermement. Serait-ce possible, après tout ce temps ? 

Non, sûrement était-ce une erreur. Une énième visite qui finirait, comme pour toutes les autres, par un échec, quand il découvrait que le jeune homme qui prétendait être le tsarévitch porté disparu, celui qui était censé succéder à son père le Tsar Nikolaï II et à son frère Alexei, n'était qu'un imposteur comme les autres. Un vaurien qui profitait du déchirement d'une famille, et d'une femme en particulier, pour en soutirer la coquette somme d'argent qu'elle promettait à quiconque pourrait ramener son cher et bien aimé petit-fils, Jimin, en vie. 

"Veuillez me suivre, demanda poliment le Docteur Jung en jetant un coup d'oeil par-dessus son épaule. Nous l'avons mis dans une chambre privée. 

Ils parcoururent un long couloir, flanqué de part et d'autres de portes blanches, et bien que n'appréciant que médiocrement les hôpitaux, Yoongi ne fut pas surpris de sentir ses pieds accélérer peu à peu, comme s'il était déjà impatient de découvrir celui qui prétendait être Jimin. 

Le nombre d'échecs et d'arnaques essuyées aurait dû avoir raison de lui, aurait dû ternir une fois pour toute sa détermination. Et pourtant, alors qu'il s'approchait chaque pas un peu plus de la chambre, quelque chose lui murmurait, bassement, que cette fois-ci était peut-être la bonne. Parce que tout comme l'Impératrice, il n'avait pu se résoudre à abandonner, à baisser les bras : à chaque fois qu'il se disait que c'était la dernière visite, ses rêves étaient encore plus peuplés du souvenir de Jimin, de ses rires et du sourire qu'il n'avait rien que pour lui. L'espoir de pouvoir un jour le serrer de nouveau dans ses bras était suffisant pour qu'il endure encore un peu sa lourde tâche. Pour qu'il ne puisse conclure qu'il avait péri avec les derniers Romanov, ou dans la forêt, dévoré par les loups et par le froid, quand il avait tenté de s'enfuir. 

"Ne soyez pas trop insistant avec lui, il a encore besoin de beaucoup de repos, dit le médecin en se retournant vers lui, une main sur la poignée de la chambre n°395. 

Peut-être, que de l'autre côté, se trouvait celui qu'il cherchait désespéramment depuis trop longtemps. 

Quand la porte s'ouvrit enfin, Yoongi relâcha le souffle qu'il n'avait pas eu conscience de retenir, et fit un pas, hésitant, à l'intérieur. Là, un lit simple, aux draps trop blancs, reflétant la neige presque aveuglante qui tombait dehors ; un paravent au tissu terni, et un petit lavabo, à peine suffisant pour faire sa toilette. Le noiraud dû calmer le sang qui tambourinait dans ses tempes, si fort que c'était presque tout ce qu'il pouvait entendre, avant de relever le visage en direction du patient allongé dans le lit. Et son souffle — sûrement qu'il oublia comment respirer, l'espace d'un instant. 

Car l'homme allongé sous les draps était d'une beauté stupéfiante. Certes, ses cheveux  blond étaient emmêlés, son visage marqué par la fatigue et la dureté de l'hiver sibérien, la lueur absente dans ses yeux, ses lèvres pleines gercées et ses joues amaigries ; mais, malgré toutes les épreuves et la douleur qu'on pouvait lire sur ses traits, il était beau. Cela faisait trop longtemps qu'il n'avait pas vu Jimin, trop longtemps depuis qu'il était porté disparu ; le souvenir de son visage, aussi douloureux qu'il était pour lui de l'admettre, était comme une flaque d'eau trouble, qui devenait de plus en plus opaque au fil du temps. Et pourtant — par Dieu, et pourtant —, l'homme en face de lui lui ressemblait. Les coups sur sa peau étaient distrayants, et l'espace d'un instant, Yoongi aurait voulu faire demi-tour en clamant que cela ne pouvait être le tsarévitch, mais. Mais

Mais il y avait quelque chose dans la façon dont le blond le regardait, quelque chose que son esprit, sûrement fourbe après tant de recherches, assimilait au pétillement dans ses yeux dès qu'il le voyait, jadis. Quelque chose dans la courbe de ses lèvres. Quelque chose dans les traits de son nez. 

De trop nombreuses fois, Yoongi avait été berné par le physique ressemblant d'un prétendant, par la précision des détails qu'il apportait sur sa vie d'antan, avant la chute de l'empire. Il avait été tenté de croire, de trop nombreuses fois, que ce qu'il avait sous les yeux était celui recherché par toute la Mère Russie. Il suffisait parfois d'un tic de travers, ou une version qui ne correspondait pas, pour que le jeune homme découvre la supercherie. Pourtant, à présent, c'était tout juste si le noiraud n'était pas planté là, sur place, la bouche légèrement bée. 

Serait-ce vraiment... ? 

Sous le regard insistant du nouveau venu, le bel éphèbe, dans le lit d'hôpital, ne put que détourner la tête et s'enfoncer plus profondément sous les draps, comme s'il voulait disparaître. Pour être honnête, Yoongi ne lui en voulait pas trop ; la présence d'inconnus pouvaient être éprouvante pour des patients souffrant d'amnésie traumatique. 

"Alors ? 

Le noiraud jeta un coup d'oeil en direction du médecin, qui le regardait avec un petit sourire. 

"Je—

Un temps. 

"J-Je pense que ça pourrait bien être Jimin Romanov. 

---

"Est-ce que tu te souviens du jour où on a pris ça ? demanda Yoongi en déposant la photographie sur les draps, en face de Jimin. 

Le Docteur Jung lui avait indiqué que les événements qu'il avait vécu ces dernières années, traumatiques même pour le plus brave et fort des hommes — on ne ressortait pas forcément indemne de la vision de sa famille assassinée sous ses yeux — étaient probablement la cause de son amnésie et son mutisme. Car, en effet, depuis que Yoongi était entré la première fois dans la chambre 395, il y a deçà une semaine, le jeune homme n'avait pas prononcé un seul mot. 

Pour être tout à fait honnête, c'était bien la première fois que le noiraud faisait face à ce cas. D'habitude, les escrocs qui se présentaient à lui fournissaient une montagne de détails, comme s'ils voulaient persuader le jeune homme qu'ils étaient bien le tsarévitch tant recherché : où l'oncle Vald habitait, comment sa mère s'habillait pour le Premier de l'An, si son père fumait la pipe ou le cigare. Yoongi était toujours un peu réticent face à ces belles histoires, parce que tout le monde pouvait savoir cela. 

Jimin, lui — ou du moins, celui qui était supposé être Jimin, quelque soit son nom —, ne disait mot. N'essayait de convaincre l'émissaire de l'Impératrice de son identité. Mais Yoongi voulait creuser un peu plus, voir si quelques brides de souvenirs revenaient au jeune homme, avant d'envoyer un télégramme à la Tsarine Marie-Sophie en France ; trop de fois, il l'avait déçu, en lui présentant ceux qui se disaient être son petit-fils. Cette fois, si le noiraud était amené à présenter le blond à l'endeuillée, ce ne serait que s'il était absolument convaincu. 

Alors, depuis une semaine, sous autorisation du Docteur Jung, qui lui offrait toujours un sourire doux et compatissant, il venait tous les jours pour essayer de rappeler à son bon souvenir sa vie d'antan. Aujourd'hui, il était venu avec diverses photographies de la famille impériale, espérant que les visages de ses parents et de ses frère et sœurs, jadis tant chéris et aimés, allaient réveiller quelque chose, n'importe quoi, dans sa mémoire. 

A son plus grand plaisir, l'homme dans le lit ne resta pas impassible à ce que le noiraud lui présentait. A la place, d'une main un peu tremblante et hésitante, il saisit la photo qui lui était présentée — mais Yoongi ne voulait pas voir cela comme un signe particulier, non, c'était trop tôt. Cela pouvait être juste un simple réflexe. Avalant avec difficulté la boule qui s'était formée dans sa gorge, il commença : 

"Eux, dit-il en pointant deux personnages, ce sont tes parents, le Tsar Nikolaï II et sa femme, la Tsarine Alix. 

Sur la photographie en noir et blanc, un peu floue, le couple abordait un léger sourire, entourés de leurs enfants. 

"Et eux, ce sont tes frère et sœurs : ici, c'est Olga, l'aînée. Quand tu es né, elle te portait partout dans ses bras, même quand tu ne voulais pas, dit-il avec un petit sourire. Elle, c'est Tatiana ; elle t'a appris à faire de la luge dans les jardins du Palais. Ici, continua-t-il en pointant une autre personne, c'est Maria : elle aimait beaucoup lire, mais tu lui piquais toujours ses livres pour qu'elle te prête un peu plus d'attention. 

Il scruta un instant le visage du blond, espérant trouver quelque chose, n'importe quoi, sur ses traits. Une reconnaissance, un chagrin, un sourire, un amour. Mais rien, seulement des yeux perdus et vides, vides de toute émotions et remplis, à la place, d'une confusion qui serrait le cœur du noiraud amèrement. Sûrement se demandait-il pourquoi on lui montrait tout cela. Pourquoi, peut-être, ces visages semblaient vaguement familiers, sans comprendre qui ils étaient réellement. Une certaine frustration, aussi. 

"Elle, c'est Anastasia. Elle... Elle t'aimait beaucoup. Tous, d'ailleurs. Elle allait souvent piquer des biscuits dans la cuisine pour que vous fassiez des goûters en secret dans vos chambres. Et lui, c'est ton frère, Alexei. Il était souvent malade, et tu n'aimais pas ça, alors tu ramenais toujours plein de peluches pour lui tenir compagnie, quand tu étais petit. 

Il y eut un petit silence, pendant lequel il se racla la gorge pour chasser les émotions. Yoongi, bien que n'étant pas de sang royal, avait pratiquement grandit avec eux ; c'était un domestique,  quand il était plus jeune, et c'était lui qui avait aidé l'Impératrice et Jimin à s'enfuir par une porte dérobée, quand les révolutionnaires avaient investi le palais, en ce triste jour de la chute de l'Empire. A la mort des Romanov, quand le peuple criait dans la rue que le Tsar n'était plus, il avait également aidé Marie-Sophie à fuir illégalement le pays pour la France — et la matriarche de la dynastie lui avait toujours été redevable. Sûrement que c'était pour cela qu'elle lui accordait sa confiance, et qu'elle ne l'avait toujours pas répudié pour lui avoir présenté autant d'arnaques. 

"Tu te souviens du jour où on a pris cette photo ? répéta-t-il, plus doucement. 



Дворец Санкт-Петербург, 7 годами ранее
Palais de Saint-Petersbourg, 7 ans plus tôt



"Les enfants, je vous prie, tenez-vous correctement ! résonna la voix amusée de la Tsarine Alix dans l'un des salons d'apparat du Palais. 

Le photographe attitré de la famille impériale releva le nez de son appareil, les lèvres pincées ; il savait qu'il ne pouvait faire de reproches, en particulier quand le Tsar Nikolaï II était en premier plan, mais les enfants étaient plus ou moins dissipés, et cela faisait plus d'une demi-heure qu'il tentait tant bien que mal de prendre un cliché correct. Yoongi, lui, était un peu en retrait, un plateau en argent soutenant une coupelle de biscuits entre les bras ; et il devait bien se retenir de sourire face à ce spectacle, et face aux regards pétillants que lui envoyait régulièrement Jimin, le cadet de la fratrie, du coin de l'œil. 

"Anastasia, rend-moi ma broche ! 

"Maria, ne pousse pas !

"Où est mon collier ? 

"Alexei, arrête de manger, tu vas tâcher ta chemise ! 

"Bon, les enfants, interrompit leur mère en claquant des mains, on se calme ! 

La fratrie sembla reprendre un peu ses esprits sous les ordres de leur maternelle, et, avec un certain amusement, Yoongi put voir la façon dont les masques de royauté et de léger flegme propre aux russes se composer sur leurs visages graciles. Apprécia, secrètement, l'espace d'un instant, la façon dont Jimin continuait de lui lancer des regards en coin, un sourire satisfait de lui peint sur ses lèvres. Comme si ce jeu silencieux auquel il s'adonnait, le léger frisson qui l'accompagnait, valait le coup de se faire rappeler à l'ordre par la tsarine. 

"Attention, regardez bien l'objectif ! déclara le photographe en hissant le flash à bout de bras. 

Un dernier regard dérobé, et Jimin reprit sa position initiale, le menton bien haut et le buste gonflé, le regard déterminé. Yoongi ne devrait pas penser à de telles choses, il le savait parfaitement... mais Dieu, ce qu'il était beau. Il avait beaucoup grandi, ces derniers mois, et pris en musculature, sculptant petit à petit le corps de divinité grecque dont il avait hérité. Son 17e anniversaire approchait à grand pas, et, au détour d'un couloir, il avait surpris l'Impératrice parler avec son mari d'une prochaine alliance. 

Il l'imaginait presque déjà, la longue hermine de sa cape glissant sur les pavés de la Basilique, la lourde couronne incrustée de bijoux, passée de générations en générations, sur sa tête. Le globe et la main de la justice au creux de ses mains, le poids de la puissance de son royaume sur ses épaules, son éternel sourire en coin. Il ferait un tsar remarquable, un de ceux dont on se souviendrait pour des générations. Et même s'il n'était que l'héritier, il y avait déjà quelque chose de grand et d'auguste dans sa posture, dans son regard ; les éclats des hauts lustres et les dorures au plafond se réverbérant dans ses prunelles déterminées. 

Le photographe donna encore quelques instructions, et la famille impériale changea sensiblement de posture ; mais bientôt, la tâche dut être écourtée — un caprice d'un des plus jeunes, il lui semblait. Même aujourd'hui encore, quand Yoongi regardait la photo et le regard vide du patient dans le lit, il ne se souvenait plus la façon dont la séance avait touché à sa fin. 

Ce dont il se souvenait, en revanche, comme gravé au fer rouge dans son esprit, était la façon dont Jimin s'était approché de lui, un air mutin et joueur sur son visage, avant de prendre un halva au chocolat* [*pâte de noix glacée au chocolat] disposé sur le plateau que tenait le noiraud. La façon dont il avait croqué la gourmandise sans quitter son regard, beaucoup trop de non-dits et d'interdits derrière ses longs cils papillonnants. 

"Tu as apprécié la vue, Yoongi ? 

"Je— Sire—, bégaya le jeune homme, le cramoisi sur ses joues devant tant d'insolence. 

"C'est bien, dit-il après la non-réponse du noiraud. Alors continue de me regarder encore. 

---

Le brouillard s'était ajouté à la neige, ce matin-là, créant un tableau mort de blanc et de gris, de vent et de blizzard, annonçant une journée lugubre et morose. Quoi qu'il fasse, Yoongi devait rester ici, auprès du Docteur Jung, le temps que la tempête sibérienne se calme. C'était presque du suicide de vouloir quitter l'hôpital de campagne, aussi froid et inconfortable était-il ; les flocons avaient dévoré le moindre recoins de la forêt, et la ville était beaucoup trop loin pour qu'il puisse l'attendre sans finir gelé. 

Et puis... Et puis il y avait ce visage, qui le faisait revenir, inexorablement. Ces yeux, de la même couleur que le vent qui soufflait dehors, comme des nuages gris s'accumulant au dessus de ses iris autrefois si lumineux. Ces traits, frappés par la dureté de l'Homme.

Il ne pouvait pas partir, même si la tempête se calmait. Il ne voulait pas. Ne pouvait se résoudre à laisser derrière lui le patient de la chambre 395, cet homme apeuré et perdu qui ressemblait beaucoup trop à Jimin. A celui qu'il avait perdu. Car une voix, au fond de lui, vile et perfide, lui susurrait qu'il pouvait bien avoir le tsarévitch sous les yeux. Celui que la Mère Russie avait égaré, et que le noiraud avait peut-être retrouvé. 

Et c'était cette même voix qui le conduisit, en ce matin glacial, à retrouver la même place auprès de son chevet, des souvenirs d'antan dispersés sur les couvertures, comme des pièces d'un puzzle qu'il voulait désespéramment reconstituer — preuve de son ancienne vie, là où tout était plus facile, là où sa famille était encore en vie. Le Docteur Jung s'occupait de la rééducation physique, de panser les cicatrices qui recouvraient sa peau tannée par le froid hivernal et le vent hurlant, et Yoongi s'occupait de panser les blessures plus profondes. Celles invisibles, mais marquées à l'encre indélébile. 

Il y avait quelques progrès, néanmoins. Certes, Jimin ne parlait toujours pas, avait toujours la main tremblante quand il apportait la nourriture à ses lèvres, avait besoin que quelqu'un le porte quand il devait aller aux toilettes, pleurait et se réveillait en sueur la nuit, mais. Mais. Il ne sursautait plus quand Yoongi entrait dans la pièce, n'évitait plus son regard autant qu'avant, laissait ses doigts glisser sur les photographies qu'on lui tendait. Une partie du noiraud se disait qu'il voulait, lui aussi, comprendre. Se souvenir, de qui il était, de ce qu'il aimait, de qui il aimait. 

"Tu te souviens de ce parfum ? 

Il avait sorti de sa petite malle une bougie parfumée, à moitié consumée — l'une des rares reliques qu'il avait réussi à retrouver quand il était reparti en cachette au Palais, après que l'invasion des bolcheviques. Le cœur serré quand il avait revu ces couloirs et ces salons désertés, abandonnés, vestige d'un empire autrefois si glorieux et si prospère. 

"T'en avais plein, dans ta chambre. Tu adorais leur odeur, expliqua-t-il alors que Jimin, toujours plongé sous les couvertures, tendit un doigt timide en direction de la tige de cire, laissa la pulpe de ses doigts parcourir le froid de la chandelle. 

Celle en question avait une odeur de musc, d'épices, et de quelque chose qui lui rappelait toujours Jimin — quelque chose d'inexplicable, quelque chose d'intangible, mais quelque chose de lui. Il souriait toujours quand il laissait l'allumette enflammer la tige, la beauté surréelle qu'avait pris la chaleur s'illuminant sur son visage gracile. 

"Tu aimais en allumer une avant de te coucher, se remémora-t-il avec un petit sourire face au froncement de sourcils du blond. Tu oubliais toujours de les éteindre, et une fois, tu as failli mettre le feu à tes rideaux vu que tu t'étais endormi. Alors, quand je faisais mon tour de ronde, je m'assurais toujours que la flamme était soufflée quand je passais devant ta chambre. 



Дворец Санкт-Петербург, 5 годами ранее
Palais de Saint-Petersbourg, 5 ans plus tôt



La lune était déjà haute dans le ciel ténébreux de Saint-Petersbourg quand Yoongi arriva enfin près des quartiers du prince héritier. Il avait déjà parcouru tout le Palais, aidant les domestiques à ranger les derniers détails, soufflant les bougies qu'il trouvait sur son passage, saluant les gardes en fraction. Il avait été toujours dans sa routine de faire un dernier tour de ronde avant de rejoindre sa propre chambre de valet, dans l'aile ouest du Château, peut importe s'il ne devait se lever que dans quelques heures à peine, juste avant que l'astre diurne baigne la Russie de ses rayons ocres. 

La famille impériale était partie se coucher tôt, ce jour-là ; une visite à Moscou était prévue dans leur agenda le lendemain, bien que le jeune homme était persuadé que le Tsar Nikolaï II travaillait encore dans son bureau. 

"Bonsoir, Jeongguk, salua Yoongi avec un sourire, alors qu'il s'approchait de la grande porte incrustée d'or, qui marquait le territoire du tsarévitch. Je viens vérifier les bougies du Prince Jimin, et récupérer sa vaisselle. 

Le jeune homme avait en effet demandé, alors qu'il quittait le dîner, à ce qu'on lui ramène du thé et un peu d'eau de vie dans sa chambre, prétextant un mal de crâne naissant qu'il se devait de soigner. 

Le garde impérial hocha la tête avec un rictus, qu'il ne se permettait uniquement parce qu'il avait en face de lui Yoongi, un ami, avant d'ouvrir la porte qu'il gardait, dans un cliquetis d'épée et de cuirasse. Le noiraud pénétra alors un petit hall, qui servait de vestibule pour tous les invités qui souhaitaient rencontrer le Prince ; à sa droite, la porte qui menait à son bureau privé, bien que celui-ci soit très peu utilisé par le tsarévitch, au plus grand dam de sa mère, qui l'avait décoré spécialement pour son fils. En face de lui, la double porte, ornée de moulures dorées, qui donnait directement sur sa chambre. 

Avec infime précaution, il actionna délicatement la poignée, par peur de réveiller le jeune homme. De toute évidence, Jimin avait laissé sa tasse sur sa table de chevet; il n'avait qu'à se dépêcher pour—

Il se figea quand il entendit les soupirs. 

Il était impossible de méprendre ces sons pour autre chose que des soupirs, râles et discrets, mais assourdissant les oreilles du jeune homme comme une sonnette d'alarme. Ce n'était pas des plaintes d'inconfort, ou des souffles de frustration — mais plutôt des gémissements de plaisir, dégoulinant de concupiscence et avides de luxure. Yoongi le savait bien, parce qu'il lui arrivait de lâcher les mêmes soupirs, dans la forteresse de sa chambre de bonne, pensant avec un frisson d'interdit à des certains yeux ambres. 

Il aurait dû faire demi-tour, aurait dû prétendre n'avoir rien vu, n'avoir rien entendu ; bien sûr qu'il était commun pour les domestiques d'un Palais aussi vaste que celui-ci de se retrouver dans des situations pareilles, mais son devoir était de disparaître comme un fantôme, sourd aux bruits et aveugles aux mouvements. C'était le pour quoi il était payé — devait prétendre qu'il ne savait pas que la Princesse Olga voyait en cachette un garçon de la ville, et, ce soir, que le Prince Jimin s'adonnait à un plaisir solitaire. 

Pourtant, le noiraud se rendit vite compte qu'il était figé sur place ; avec toute la bonne volonté qu'il y mettait pour tourner les talons et oublier ce fâcheux incident... il ne pouvait pas. Car là, éclairé seulement par la pleine lune et les étoiles du firmament russe, recouvert par les riches couvertures de son lit, se trouvait l'héritier. Allongé comme une divinité de l'érotisme, ses cheveux étalés sur l'oreiller dans un halo de dorure, le visage incliné vers la fenêtre et ses traits baignant dans l'argenté de l'astre nocturne, comme un tableau, comme un rêve. 

Si le domestique n'avait pas entendu ses gémissements un peu plus tôt, sûrement aurait-il cru qu'il était endormi, paisible, en proie d'un songe agréable ; mais cela était sans compter sur le mouvement, infime aux premiers abords, de son poignet, là, sous les couvertures. Et comme si cela ne lui était pas venu à l'esprit plus tôt, les joues de l'aîné se cramoisirent à cette vue — par tous les saints.

Un autre râle, discret et pourtant cacophonique dans le silence de la chambre, vint le tirer de ses pensées, et Yoongi ne put qu'observer et conjecturer, le regard hagard, les mouvements de bras de Jimin contre sa verge ; imaginait la façon dont sa main se refermait autour de son membre, imaginait la façon dont il essuyait les gouttes salées le long de son gland, imaginait la façon dont il serrait sa paume contre son sexe, imaginait — dieu, il ne pouvait se permettre de telles pensées. Pas quand le blond était le successeur du plus grand empire que la Terre ait porté, pas quand il était là, seul, avec ses pensées et ses fantasmes. 

Mais la tentation de regarder était trop forte, et que Dieu lui vienne en aide, mais il ne pouvait décrocher son regard de la forme sous ses draps, comme le fruit du pêché, tellement tendancieux et diabolique. Il ne pouvait bouger, à l'ombre de la porte, observant sans être vu, se demandant quelles images lascives et lubriques se projetaient derrière ses paupières closes. Imaginait-il d'une belle blonde, les lèvres pleines et la poitrine généreuse ? Imaginait-il un grand brun, le corps fin et les muscles tendus ? Imaginait-il—

"Y-Yoongi, se brisa la voix du jeune homme dans un râle plus prononcé, rejetant la tête en arrière sous les vagues de son désir, puissantes et implacables. 

Le noiraud se figea, un frisson tour à tour brûlant et glacial parcourant sa colonne vertébrale. L'avait-il vu ? Non, c'était impossible, il était trop bien caché dans l'encadrement de la porte, et le visage du jeune prince était tourné vers la fenêtre, les yeux mi-clos. 

Serait-ce possible ...?

Serait-ce possible que l'attraction envers le jeune blond, l'attraction qu'il avait tant de fois cherché à réprimer, honteux et ne méritant pas ne serait-ce que de rêver de lui — serait-ce possible que cette attraction soit réciproque ? Serait-ce possible que le cadet fantasmait sur lui, sa main sur sa peau tendue et palpitante, imaginant celle du noiraud à la place ? 

Et, comme pour confirmer toutes les questions sans réponse qui embrumaient l'esprit du domestique, Jimin prononça son nom à nouveau, dans un grognement étranglé. C'était suffisant pour que, quelques secondes après, les mouvements sous la couverture de plus en plus rapide et sa respiration de plus en plus hachée, il vienne dans un cri silencieux, les sourcils froncés et la bouche entrouverte. 

[Yoongi, sortant des appartements du jeune prince sans la tasse de thé qu'il était venu chercher, marmonna une excuse en direction de Jeongguk, et se précipita vers sa chambre de domestique ; il n'atteint même pas son lit pour saisir son propre sexe gorgé de sang et de plaisir. Délirant, il se souvint des gémissements de Jimin ; cela fut suffisant pour que, quelques instants après, il jouisse dans un râle dans sa main, là, adossé à la porte basse de sa chambre. Par tous les saints.]

---

Il avait suffit d'un seul cri pour que Yoongi se réveille en sursaut. Il y eut un instant où ses sens, encore flous et incertains, ne comprirent pas où il était ; par la fenêtre, seules les ténèbres de la nuit et les ombres, menaçantes et terrifiantes, de la forêt non loin de l'hôpital. Resta un instant allongé, les bras écartés, le regard fixé sur le plafond écaillé de la chambre que le Docteur Jung lui avait accordé, essayant de contrôler sa respiration comme s'il venait de courir un marathon. Le jeune homme ne saurait dire exactement ce dont il rêvait — quelque chose de noir et de frustrant. Quelque chose de déplaisant, aussi. 

Un autre cri, et son corps se mit en action, rejetant les couvertures et se précipitant vers sa porte, le cœur battant ; car ces appels de détresse, ces cris lugubres, profonds dans la poitrine, ne venaient de nulle part autre que la chambre de Jimin. 

En moins de deux, il était déjà dans le couloir, ne prêtant pas attention à la façon dont le carrelage glacé agressait ses pieds nus, ni la façon dont les courants d'air froid s'infiltrait dans ses vêtements. Fort heureusement, il avait insisté pour avoir la chambre adjacente à celle du blond — si cela ne tenait qu'à lui, il serait resté à son chevet, jour et nuit, tenant sa main et caressant ses cheveux jusqu'à ce qu'il se remette, mais Jung le lui avait formellement interdit, par peur de brusquer et d'apeurer le patient. 

Il ouvrit la porte à la volée ; et la vision qu'il vit, dans cette petite chambre mal chauffée et beaucoup trop blanche même dans la pénombre du soir, lui serra le cœur instantanément. 

Car là, perdu au milieu des draps trop fins de son lit trop inconfortable, les larmes dégoulinant de son visage balafré, se trouvait Jimin. Gigotant dans une sorte de demi-sommeil, de cauchemar vivant et effrayant, serrant contre lui son oreiller comme une protection contre ses démons, contre le monde, contre lui-même, aussi. Les cris déchirant sa poitrine et les sanglots étranglant sa voix ; se couvrant les oreilles comme pour empêcher ses tourments maudits de lui susurrer, vils et mesquins, des mots qui avaient l'impact du tonnerre et des bombes. 

Yoongi dû se tenir à la porte pour ne pas s'effondrer, les larmes montant aux yeux aussi rapidement que les eaux se retiraient avant le tsunami. Comment pouvait-il rester sain d'esprit, infaillible, quand tout ce qu'il voyait était le corps frêle de Jimin recroquevillé contre lui-même ? Quand tout ce qu'il entendait était ses plaintes de désespoir ? Quand tout ce qu'il ressentait, comme sur sa propre peau, était les griffures qu'il se faisait sur son visage, délirant ? 

Et puis, sortant de sa torpeur, se giflant mentalement pour réagir, il se précipita vers lui. Et tant pis si Jung lui avait ordonné de ne pas trop le toucher, de peur de le faire régresser dans son mutisme apeuré ; car l'animal sauvage tapi au fond de lui griffait sa peau de l'intérieur, grondant, possessif, pour qu'il prenne l'ange blond et torturé dans ses bras. Jimin se débattit quand il sentit les mains sur lui, mais Yoongi ne faiblit pas, ramenant l'homme qui avait tout perdu contre lui, contre son torse. Caressant ses cheveux et essuyant autant qu'il le pouvait ses larmes, lui murmurant, la voix tremblante, des paroles apaisantes. Priant les dieux, tous ceux qui se trouvaient là-haut, que ses mots pourraient calmer, un temps soit peu, le feu ardent qui le consumait de l'intérieur. 

Rêvait-il de sa famille ? Du jour où ils avaient été lâchement assassinés ? De la façon dont ils avaient dû s'échapper du Palais, sous les cris des révolutionnaires ? Était-ce le visage du corrompu Raspoutine, cher au cœur naïf de sa mère l'Impératrice, qui revenait le hanter ? 

Qu'importe au final, car toutes ses questions s'écroulèrent comme un château de cartes quand, dans un geste de dernier espoir, les poings de Jimin vinrent s'accrocher à sa tunique, et qu'il enfouit son visage larmoyant dans son cou. 

Et, craquant enfin, le noiraud laissa les premières larmes goutter le long de son visage en serrant un peu plus fort le blond dans ses bras. 

Pleura, parce que celui qu'il aimait ne se souvenait plus de son visage, de son nom, ne se souvenait plus des mots qu'il employait pour décrire l'étincelle dans ses yeux. Pleura, parce que celui qu'il aimait avait assisté à l'assassinat sanglant et implacable de sa famille, parce qu'il avait vécu beaucoup trop de choses pour que cela ne laisse de séquelles, parce qu'il avait erré pendant dieu sait combien de temps dans les bois. Pleura, parce qu'il regrettait sa vie d'avant, regrettait quand Jimin le regardait encore avec cet air d'adoration dans les yeux, regrettait leurs rencontres en cachette et toutes les promesses que leurs baisers renfermaient. Pleura, parce qu'il lui était insupportable de le voir pleurer, apeuré, acculé, terrifié, perdu, sans que lui ne puisse faire quoique ce soit — tout ce qu'il pouvait faire, c'était de le serrer plus fort encore contre lui ; avec un peu de chance, il pourrait absorber un peu de sa douleur et rendre sa nuit plus douce. 

Pleura, aussi, parce que les derniers soupçons, les derniers remparts qu'il avait mentalement érigé quand il l'avait vu la première fois, s'écroulèrent. C'était une évidence, maintenant, et personne ne pourrait lui prouver le contraire : celui qu'il tenait contre lui, agité par des noirceurs innommables, était bel et bien l'héritier du trône de la Mère Russie, le fils de Nikolaï II — c'en était fini, d'écumer le pays tout entier à la recherche de la moindre trace, du moindre indice. 

Il venait de retrouver celui qu'il pensait perdu à jamais. 

Et quand Jimin cessa de trembler, quand il cessa de crier, quand il cessa de pleurer, Yoongi ne le lâcha pas. Il ne le lâcherait plus jamais, à partir de maintenant. 

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Дворец Санкт-Петербург, 3 годами ранее
Palais de Saint-Petersbourg, 3 ans plus tôt


Si cela n'en avait tenu qu'à lui, Yoongi aurait été partout sauf ici. Il aurait préféré errer dans les steppes gelées de Sibérie, aurait préféré entreprendre un voyage autour de la Mère Russie, partir aux confins de la Mongolie, plutôt que d'être dans la Grande Salle de Bal du Palais impérial, à présent. Aurait préféré mendier dans la rue, grelotter de froid dans la forêt, plutôt que se tenir droit et d'offrir du champagne aux invités, la mâchoire serrée et l'envie irrépressible de tout casser. 

Ce n'était pas la musique, ni les invités, ni son travail de domestique ; non, les musiciens étaient excellents, les convives courtois et d'humeur légère et joyeuse, et son devoir de servir toujours aussi ancré profondément en lui depuis qu'il était entré au Château. Le Tsar, à l'occasion de l'anniversaire de sa fille aînée, avait organisé une grande réception à son honneur, prouvant encore une fois que la Couronne était faite de fastes et de grandeurs ; et que le couple impérial était gracieux et admiré, tourbillonnant sur le parquet ciré avec un sourire sincère sur les lèvres.

Pourtant, sous la naïve excuse derrière le carton d'invitation que la haute noblesse avait reçu, se trouvait une raison beaucoup plus politique, et beaucoup plus rageuse aux yeux de Yoongi. 

Car là, au milieu de la foule, splendide dans sa tenue d'apparat princier, dansait Jimin avec l'héritière d'Autriche. 

Ses parents avaient profité du Bal pour introduire les deux jeunes descendants, murmurant quelques mondanités entre eux, les admirant valser au centre de la Grande Salle dans un tourbillon de rubans et d'étincelles. Sûrement imaginaient-ils déjà les alliances et la paix qui découlerait de leur union entre les deux empires, du mariage de leur fils et fille pour l'intérêt commun.

Et si les concernés savaient parfaitement pourquoi on les avait forcé à danser ensemble, sous couverts de sourires crispés et de regards autoritaires, au moins avaient-ils la décence de ne rien laisser paraître, valsant au milieu des invités comme s'ils en avaient toujours eu l'habitude. Jimin, son sourire princier et poli toujours peint sur son visage, tenait fermement la princesse Ingrid par la taille et la faisait tourbillonner dans l'air, semblant apprécier les gloussements de rire que l'héritière laissait échapper au son des violons. Et, quand la danse toucha à sa fin après de longues et douloureuses minutes, le jeune homme ne sembla pas lâcher la belle, se penchant à son oreille avec un rictus en coin pour lui murmurer quelque chose qui la laissa rire à gorge déployée. 

Dieu, ce que Yoongi se retenait de ne pas briser entre ses gants blancs les coupes de champagnes qu'il tendait aux invités ; il ne pouvait se permettre de se faire virer du Palais par la porte arrière, comme un malpropre — il ne pouvait se le permettre, au risque de tout perdre, y compris Jimin. Il savait qu'il n'avait aucun droit sur le jeune homme, savait qu'il ne pouvait pas s'interposer, savait qu'il ne pouvait pas clamer son amour auprès du Tsar et de la Tsarine. C'était contraire à l'étiquette, à la morale, à tout ce qui était bon et censé pour un homme de son rang, et si Jimin le choisissait au lieu de la Princesse Autrichienne, alors il tomberait en disgrâce lui-aussi ; et le noiraud aimait trop son cadet pour qu'il perde tout ce qu'il avait toujours connu dans le seul dessein de le suivre. Il ne pouvait se permettre de le laisser vivre dans la domesticité et la pauvreté comme lui l'avait fait toute sa vie — parce que, même si le bel éphèbe était habitué aux fastes et aux luxures de l'Empire, Yoongi avait envie de continuer de le couvrir de cadeaux et d'attention. 

Alors, tout ce qu'il pouvait faire, c'était de rester là, impuissant, contentant aussi bien qu'il pouvait la rage qui pulsait dans ses veines, observant le jeune couple en toute apparence heureux se pavaner, au centre de l'attention. Parce que derrière la jalousie inflammable qu'il ressentait au plus profond de lui-même, il y avait également cette infime partie d'incertitude, qui lui susurrait des paroles viles et grossières — et s'il n'était pas assez ? Si Jimin se détournait de lui ? Que lui trouvait-il, à ce valet qui avait vécu dans la médiocrité toute sa vie ? Comment pourrait-il lui offrir une vie convenable ? 

Yoongi n'avait qu'une envie, de fuir la Salle de Bal pour ne plus voir ni entendre ce qui attaquait son cœur avec des milliers de couteaux. 

Quand, un peu plus tard dans la soirée, le prince emprunta le couloir qui menait à ses appartements, il sentit soudainement une main s'abattre sur sa bouche et le tirer vers une alcôve. Horrifié, prêt à dégainer son épée d'apparat, quel ne fut pas son soulagement quand il réalisa que le mystérieux homme n'était nul autre que Yoongi. 

"Tu es fou, tu m'as fait peur ! Qu'est-ce que tu—

Mais Jimin n'eut le temps de finir sa phrase, les lèvres de son aîné s'écrasant contre les siennes avec force. 

Ne le méprenez pas, Yoongi était un être de douceur, en particulier quand cela le concernait ; et pourtant la brutalité et la bestialité dont il était parfois assujetti était tout simplement excise, ses grandes mains prenant en coupe son visage et le pressant encore plus contre lui, comme s'il avait peur de manquer de ses baisers. Ses lippes comparables à poison ;  un alcoolique qui prenait son dernier verre.

Et, bien que le blond ne pouvait que soupirer sous ses caresses, il le repoussa un peu, le temps de pouvoir vraiment observer son visage. Pourquoi avait-il été aussi soudain, pourquoi ses baisers étaient-ils aussi précipités et voraces ? Bien entendu, ils leur arrivaient de se retrouver au détour d'un couloir désert, dans un cagibi ou derrière un rideau épais pour s'embrasser encore et encore, loin des regards indiscrets de domestiques qui pourraient tout raconter à ses parents ; bien entendu, Yoongi venait régulièrement le rejoindre dans sa suite, quand le soir était tombé et qu'il avait fait toutes les tâches de la journée, pour se perdre dans ses bras ou succomber à ses soupirs. Mais là, à présent, il y avait quelque chose qui clochait, quelque chose qui n'allait pas. 

"Amour...? demanda-t-il avec une pointe d'inquiétude quand le noiraud posa son front contre le sien.

Ses mains étaient presque crispées sur ses hanches, tandis que le jeune homme caressait la base de son cou dans un geste rassurant. 

"Ça me rend fou, murmura-t-il contre son cou. De te voir avec elle, parce que je sais que je ne peux pas rivaliser.

Le baiser qui en suivi était l'un des plus doux que Jimin ne lui ai jamais donné. Tous deux savaient que, comparé à une princesse autrichienne, comparé à une femme, il n'était rien. Lui, le domestique qui aimait rendre fou son prince d'un coup de rein ? Il n'était rien. Et le blond savait qu'il était inutile de lui murmurer des paroles rassurantes — elles ne sonneraient que fausses et sans saveur dans sa bouche, comme les tentacules poisseuses du mensonge. Alors, pour ne pas se brûler la langue par des promesses qui ne se réaliseront jamais, il l'embrassa, aussi gracieusement et aussi légèrement qu'une plume qui valse dans le vent, que les premières fleurs qui bourgeonnent, que les premiers rires d'un enfant, que le premier baiser hésitant qu'ils avaient partagés. 

"Peut-être, murmura-t-il contre ses croissants de chair en glissant sa main dans la sienne ; mais ce soir, c'est toi qui partage ma couche, pas elle. Toi qui sait comment m'aimer, pas elle. 

Quand ils arrivèrent enfin dans les appartements princiers, la lune claire éclairant son lit comme cette fois bénie où il l'avait surpris en train de se toucher en pensant à lui, Yoongi lui montra, à bien des égards, la façon dont il pouvait l'aimer. 

D'abord, un peu tremblant face aux aveux que venaient de lui faire Jimin, il le goûta de sa langue, de sa bouche, ses mains écartant ses fesses avec une poigne de fer qui faisait gémir le blond, et embrassant, cajolant, bénissant de ses lèvres le trésor qui s'y trouvait. Le jeune homme, le visage écrasé contre un oreiller de velours, ne pouvait que gémir son nom, son bassin se soulevant du lit au fur et à mesure de ses caresses, pestant et jurant quand ses flatteries s'accompagnaient d'un ou deux doigts, profonds et longs en lui ; le bras rejeté en arrière pour agripper tantôt les cheveux ébènes de son amant, tantôt pour lui tenir la main, leurs doigts enlacés dans le bas de son dos, son érection douloureuse frottant contre les draps avec un plaisir non contenu. 

Ensuite, parce que l'aîné ne voulait pas qu'il jouisse tout de suite, il l'avait retourné sur le dos et avait ravagé sa bouche. Avait embrassé les lippes qu'il voyait sans cesse en songe, pendant que l'héritier encerclait de ses bras ses épaules pour le rapprocher, laissant sa bouche diabolique parcourir son cou et lui murmurer mille et unes choses qui ne pouvait que le laisser rougissant. Leurs torses calqués l'un contre l'autre, un pouce qui titillait un bourgeon de chair, une main qui agrippait une fesse, une claque, un râle, un gloussement, un je t'aime. Et Yoongi saisit l'une des cuisses de son amant pour l'accrocher à sa hanche, ses reins mimant l'activité à laquelle ils s'adonneraient sous peu, leurs membres frottant l'un contre l'autre dans un moment des plus jouissif, la profondeur de ses yeux chantant son amour pour lui comme un leitmotiv. 

Et puis il l'avait de nouveau retourné, claquant son fessier pour bonne mesure avec un petit rire. Le jeune homme avait pris appui contre le mur, à genoux sur son lit, sa verge caressant ses oreillers, et le noiraud n'avait pu que faire qu'un avec lui ; son torse déjà humide de leur activité nocturne et interdite pressé contre son dos, entourant de ses bras le corps si frêle et si gémissant de son amour. Son bassin claquant contre le postérieur du prince, la tête blonde rejetée contre son épaule, sa bouche dévorant encore une fois ses clavicules, comme s'il n'en avait pas assez. Parce qu'il n'en aurait jamais assez de lui, n'en aurait jamais assez de ses soupirs et de ses râles et de son nom prononcé dans un souffle et la façon dont il agrippait l'arrière de son crâne pour le rapprocher de lui une nouvelle fois. 

Et puis l'explosion. L'orgasme. L'acmé. La jouissance. Le climax. Le point de non-retour. Là, dans les bras de celui qu'il aimait, venant en de beaux rubans blancs dans un grognement satisfait, un cri silencieux, une dernière caresse. 

Quand ils s'effondrèrent enfin sur le lit, le visage de l'héritier pressé contre son torse, Yoongi eut tout le mal du monde à ne pas s'endormir. Il ne pouvait s'autoriser de laisser Morphée l'emporter dans des contrées plus cotonneuses ; s'il laissait le sommeil prendre le dessus, il y avait de grandes chances qu'il ne puisse se réveiller à temps le lendemain matin, et il avait beaucoup de responsabilités — du moins, autant qu'un domestique pouvait avoir. Et, au fond de lui, il ne pouvait pas se permettre à ce qu'on les découvre dans une position aussi intime. 

Mais ce n'était pas grave, puisqu'il pouvait observer aussi longtemps qu'il le voulait le visage endormi de son amant avec un petit sourire, ses doigts caressant ses joues rondes et ses cheveux soyeux. 

Un jour, il se le promettait, il se réveillerai à ses côtés. 

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[To Build a Home The Cinematic Orchestra]

Yoongi ne croyait pas particulièrement aux signes du destin. Il lui avait toujours semblé enfantin de penser que s'il trouvait un trèfle à quatre feuilles, alors la fortune lui sourirait ; que si la pluie avait épargné les fleurs des champs, alors une bonne nouvelle viendrait à lui ; que s'il lançait une pièce dans la fontaine, alors son vœu s'exaucerait. Non. Il ne croyait pas aux coups du sort, même si la probabilité très mince de retrouver son amant dans cet hôpital de campagne, bien qu'amnésique, aurait dû lui prouver du contraire. 

Et pourtant, il lui fallut bien admettre que ses croyances et ses préjugés sur ce qu'il pensait de la bonne fortune avait été chamboulés en ce mardi matin, un de ces matins dont il se souviendrait toute sa vie. La neige avait cessé de tomber, et le brouillard s'était dissipé, laissant une vue claire et rafraîchissante sur la vallée, comme un certain renouveau après la tempête qu'ils avaient dû essuyer la nuit précédente. Le noiraud était parti prendre une tasse de café dehors, et l'air avait été si pur qu'il l'avait respiré à plein poumons, comme une pommade qu'on applique, rassurante, après tous les douloureux souvenirs qu'il se forçait à voir resurgir pour espérer faire sortir Jimin de sa torpeur. 

Si quelqu'un lui avait dit, alors qu'il laissait le vent doux et mélodieux caresser ses joues rosées, que le blond retrouverait la mémoire dans seulement quelques minutes à peine, sûrement que le jeune homme lui aurait ri au nez, le cœur serré, l'espoir maigre. Et pourtant, sûrement aurait-il dû interpréter le ciel dégagé et clément comme un de ces signes, puisqu'alors qu'il tirait les rideaux dans la chambre du patient, Jimin prononça — enfin — son prénom. 

"Y-Yoongi ? 

La voix était si faible, si hésitante, si timide, que le noiraud crut, l'espace d'un instant, l'avoir rêvé ; que son esprit fatigué lui faisait miroiter la vile illusion d'une conversation qu'il n'aura sans doute jamais. Mais, le cœur battant, manquant d'arracher les grands rideaux de l'hôpital dans sa précipitation, il se retourna tout de même en direction du lit, les yeux écarquillés et perplexes. Là, Jimin le regardait avec un certain choc d'avoir réussi à prononcer enfin un mot, son prénom qui plus est ; mais, derrière les nuages de surprise et d'incertitude de ses yeux sombres, se trouvait aussi, étincelant comme un diamant, une pointe d'affection propre qui lui donnait le vertige. 

"Yoongi, répéta-t-il, plus confiant — et dieu, son sourire. 

Un sourire, qui, bien qu'encore incertain et courageux, brillait plus que toutes les étoiles dans le ciel ; un de ces sourires que Yoongi ne pensait plus jamais admirer, ne pouvait plus jamais se voir accorder. Un de ces sourires qui valait plus que les mots, qui valait plus que tout ce qu'ils auraient pu se dire — je te reconnais, je me souviens, j'ai réussi à dire ton nom... je t'aime. 

Et peut-être que le Docteur Jung lui avait interdit de faire des gestes brusques, mais il n'avait d'autres choix que de se précipiter pour le prendre dans ses bras, le tirant du lit et le faisant valser dans la pièce avec un rire mouillé de larmes. Le gloussement que le blond laissa échapper en serrant son aimé par les épaules était, d'un point de vue purement objectif, le son le plus mélodieux et le plus rassurant qu'il n'ait jamais entendu ; aucun homme, même pas les vaillants soldats qui gardaient le Palais, aurait pu rester insensible face à ce tableau. 

Yoongi le reposa délicatement par terre, comme une poupée de porcelaine ; et peut-être que Jimin avait été traité comme un bijou toute sa vie, comme le fils du Tsar qui monterait un jour sur le trône, mais il y avait quelque chose dans la façon dont le noiraud tenait son visage entre ses mains qui était encore plus fort. Comme s'il était le dernier rubis de la Terre, et que le jeune homme avait peur de le briser. 

"Yoongi, souffla-t-il encore une fois, juste pour apprécier ce nom qu'il avait maintes fois prononcé ; juste pour apprécier ce goût de liberté, quand la mémoire lui était soudain revenue, quand les souvenirs avaient défilé à une vitesse folle dans son esprit. 

Quand il sentit une larme fraîche tomber sur sa joue, l'héritier rouvrit doucement les paupières ; là, le visage penché au-dessus du sien, les yeux brillants de larmes et de joie de son aimé, de celui qui avait attendu à ses côtés depuis si longtemps pour qu'il sorte de sa torpeur. 

"J'avais cru te perdre, mon amour, murmura-t-il, la voix étranglée, ses yeux papillonnant le long de ses traits comme redécouvrant sa beauté pour la toute première fois. 

La gorge bloquée par l'émotion, Jimin ne put répondre à cet aveu déchirant ; à la place, il resserra ses bras autour des épaules de son aîné, et, ses propres perles salées dévalant les vallons de son visage, vint enfin embrasser les lippes de son amant. Dans un baiser qui sentait bon les promesses et les souvenirs, le renouveau et l'avenir ; pétillant comme des bulles de champagnes, frais comme une rose qui éclot, vorace comme l'océan qui renverse les bateaux. Il y avait un peu de tout cela, à travers ses croissants de chair, mais surtout un remerciement silencieux. 

Remerciant Yoongi de l'avoir aidé à sortir du Palais quand la révolution retournait la capitale à feu et à sang, même s'il n'avait eu l'occasion de lui dire plus tôt, les bolcheviques les séparant avec horreur. Remerciant Yoongi d'être parti dans cette quête folle et désespérée pour le retrouver. Remerciant Yoongi de ne pas avoir perdu espoir, de ne pas avoir baissé les bras. Remerciant Yoongi d'être resté à son chevet, d'avoir cherché à lui faire retrouver la mémoire. 

Remerciant Yoongi d'avoir continué à l'aimer même quand lui ne se souvenait plus de son visage. 

"Je t'aime, murmura-t-il contre ses lèvres avec une admiration telle qu'il était impossible de la contenir.

"Et je t'aime encore plus, répondit l'autre avec un sourire impossible à retenir. 



[Quand, quelques semaines plus tard, Yoongi accompagna Jimin rejoindre sa grand-mère Marie-Sophie à Paris, il le fit le cœur léger et la main du blond dans la sienne. Qu'il était bon de le voir sourire dans les rues de la capitale, après toutes les horreurs qu'il avait subi, lui dérobant quelques baisers près de la Seine. 

"Comment pourrais-je vous remercier, jeune homme ? demanda sa grand-mère avec un rictus malicieux et ému. Votre prix sera le mien. 

"Je ne veux pas de votre argent, Madame, dit-il avec une lueur de contemplation alors qu'il admirait le blond flâner près des rosiers. Laissez-moi juste le combler jusqu'au restant de mes jours, et je serais le plus heureux des hommes. ]

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yasssss, premier os depuis longtemps !! j'avais ce projet depuis pas mal de temps, je suis contente de pouvoir enfin le publier ! 


si vous voulez mieux comprendre la chute de l'empire, j'ai trouvé la série-documentaire "the last czars" sur netflix vraiment bien faite, je recommande pour ceux/celles qui veulent en savoir un peu plus ! bon et sinon il y a l'éternel disney "anastasia", mais je ne suis pas sûre que votre prof d'histoire approuverait cette source.... mdr 

en plus !!! je me suis mise à apprendre le russe un peu pour le fun (merci a certain someone uwu), donc je trouvais que ça faisait du sens de faire un os dessus ! 


et puis la scène du cauchemar je l'ai écrit entre "louder than bombs" et "we are bulletproof : eternal", wow les larmes c'était sanglant ptdr 

et pour la première fois ever dans les os, j'ai mis une musique pour un mood de lecture parce que c'était ce que j'écoutais à ce moment-là ! je ne pense pas faire ça de façon systématique, mais dites-moi quand mm si vous avez aimé ! 


bref, qu'en avez-vous pensé ? dites-moi tout, vous me faites toujours plaisir !! et si vous avez des idées, des concepts, des ships ou autres, n'hésitez pas à me le dire!!! 

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