SALOMON ET LES EVADES
𝕾𝖆𝖑𝖔𝖒𝖔𝖓 𝖊𝖙 𝖑𝖊𝖘 𝖊́𝖛𝖆𝖉𝖊́𝖘
( 𝔜𝔬𝔲 𝔞𝔫𝔡 ℑ 𝔞𝔯𝔢 𝔱𝔥𝔢 𝔭𝔬𝔦𝔰𝔬𝔫 𝔣𝔯𝔬𝔪 𝔱𝔥𝔢 𝔰𝔞𝔪𝔢 𝔳𝔦𝔫𝔢 )
Un frère disparu. Une corporation mystérieuse. Un contrat sur la tête d'une fugitive.
Et, tout en haut des buildings, derrière le voile de nuages, le orange et le rose et le bleu des panneaux holographiques qui se mélangeaient dans un nonsense psychédélique.
Bienvenue à Séoul-IV.
jeongguk + keeho
sci fi cyberpunk
blade runner aesthetic
melting pot de personnages (bts + p1h + jey + bibi + mamamoo)
dystopia / post-nuclear world
prothèses / mutations
rough past
fuck les vieux cons riches
mention of violence, drugs, prostitution and other nasty things
chasseur de prime ! jeongguk
REPOST DU RECUEIL "RHS FUTURISTIC SHOW" DE LA rhsteam !
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Jeongguk retroussa le nez à la vue de la viande grillée devant lui.
« Elle vient d'où cette fois ?
La femme de l'autre côté du stand haussa les épaules en retournant les brochettes.
« Des nouvelles colonies.
Il jeta un air dubitatif — la chair était noirâtre, odorante, et même la sauce secrète maison d'Aeryn ne la rendait pas plus appétissante pour autant. Les fumées noires et les néons crus crépitants dans le grand hall du marché clandestin du niveau 4 n'aidaient pas non plus, il fallait bien se l'avouer.
« Tu te foutrais pas un peu de ma gueule ?
« Bien sûr que je me fous de ta gueule, chéri, répondit la vendeuse en levant les yeux au ciel. De la viande des nouvelles colonies pour seulement 12 crédits ? Joue au loto, tu auras plus de chance !
Jeongguk soupira, mais accepta tout de même d'un mouvement de tête. Que la viande vienne des nouvelles fermes high-tech ou des abattoirs insalubres, il savait qu'aucun autre marchand ici-bas n'aurait des produits de meilleure qualité, et Aeryn était bien la seule à rendre ses plats savoureux, peu importe les arrivages. Elle s'attirait quelques regards jaloux et mauvais, quand la file des clients devant son échoppe s'allongeait jusque dans la ruelle — mais son crâne rasé tatoué du symbole des anciens prisonniers de guerre, ainsi que la présence régulière du jeune homme, avaient tendance à en dissuader plus d'un de faire quoique ce soir par pur instinct de vengeance.
Elle emballa précautionneusement deux brochettes, ajoutant quelques légumes en plus parce que Jeongguk était son habitué préféré, tendant son poignet pour procéder au paiement. Le noiraud activa sa puce à son tour d'un mouvement de pouce, avant de s'approcher — et de se raidir, imperceptiblement, à la question hésitante de la rôtisseuse :
« Comment va Keeho ?
Le bip caractéristique de la fin du transfert résonna douloureusement dans le silence entre eux, malgré les fracas des woks sales et les cris des chalands et le trafic aérien qui faisait vibrer les grandes tôles servant de toit aux halles.
Il serra la mâchoire en empochant le sachet en papier.
« Comment veux-tu qu'il aille ? Ça fait plus d'un mois que Jey est parti, et il est introuvable. Il va mal, de toute évidence.
Aeryn marqua un temps, les lèvres pincées, mais Jeongguk secoua la tête avant qu'un énième « je suis désolée » qu'ils avaient entendus trop de fois ne franchisse ses lèvres. La plupart du temps, il préférait ne pas y penser — ne pas penser à la façon dont Jinhyeong s'était volatilisé, brutalement, sans laisser de traces, laissant son petit frère derrière lui chasser les fantômes et les chimères dans une ville qui ne voulaient pas d'eux, et Jeongguk pour réparer les morceaux brisés de son cœur.
Forcément que les gens étaient curieux. Séoul-IV était vaste, au-delà de l'entendement, mais le noiraud était la preuve vivante que les gens ne pouvaient pas disparaître, pas vraiment. Jey avait fait beaucoup pour le marché, protégeant Aeryn et les autres vendeurs des patrouilles de la police et des pilleurs, et Jeongguk se réveillait tous les matins avec la boule au ventre, à l'idée que l'un d'eux l'appelle pour lui annoncer qu'ils avaient trouvé son cadavre esseulé quelque part.
Certes, ce n'était pas la première fois que quelqu'un de chez eux disparaissait ainsi. Plus personne n'avait entendu parler d'Hoseok par exemple, seulement quelques semaines avant Jey, mais le malheureux était tellement accro aux jeux, que tout le monde avait pensé qu'un créancier mécontent s'était occupé de lui, depuis. Pour Jey, en revanche... c'était différent.
La belle en face de lui ouvrit la bouche, indécise et nerveuse face à la réaction préoccupée de son client, mais un autre bruit, bien familier lui aussi, les interrompit soudainement — un bruit qui eut le mérite de le faire grogner, rejetant la tête en arrière.
Il n'avait pas besoin de se retourner pour savoir qu'il y avait un drone qui l'attendait derrière lui, à hauteur d'épaule, ni pour savoir que s'il n'écoutait pas le message dont il était porteur dans les 2 prochaines minutes, son contenu s'autodétruirait. C'était peut-être un autre contrat, ou un message de Jinhyeong, et comme à chaque fois, il ne pouvait s'empêcher d'avoir le coeur au bord des lèvres d'anticipation. Il jeta une formule de politesse en empochant son repas, Aeryn faisant un vague mouvement de la main pour lui signifier qu'elle comprenait son empressement, pour traverser d'un pas rapide les allées des stands de rue, évitant les éclaboussures d'huile de friture et les relents épais de cuisson.
La ville était toujours aussi brumeuse et sombre, quand il déboucha sur la ruelle. Elle était sombre, malgré les publicités holographiques et les LED clignotant qui perçaient non sans mal le brouillard de pollution, de vapeur et de nuages bas, au-dessus de sa tête. Parfois, quand Jeongguk montait bien haut, tout en haut des buildings et des empilements de bâtiments, si haut qu'il se trouvait au-dessus du ciel et qu'il avait l'impression de voler, il pouvait voir, derrière le voile de nimbus, le orange et le rose et le bleu des néons de Séoul-IV se mélanger dans un non-sens psychédélique.
Il n'y avait presque personne dans la contre-allée, parce que personne de censé restait volontiers dans les niveaux en dessous du 6e — car dans la ville-basse, l'air difficilement respirable côtoyait les malfrats, la gangrène et la pauvreté laide et crue. Un labyrinthe graveleux au parfum aigre des rêves oubliés.
Jeongguk croqua dans le premier morceau de viande, délicieuse malgré son aspect repoussant, avant de se tourner vers le drone. Une sphère de métal, lisse, grande comme la main, l'objectif de la caméra fixant le bel éphèbe avec insistance, flottant comme une bulle de savon à quelques pieds du sol. On les appelait les moineaux, car c'étaient les seuls qui pouvaient se faufiler dans n'importe quel conduit, n'importe quel étage, n'importe quel smog ; fiables, mais surtout intraçables auprès du gouvernement.
Il présenta son visage au laser vert, jouant machinalement avec son piercing à la lèvre en attendant la transcription du message — ses mèches étaient un peu plus longues dans sa nuque, mais il oubliait toujours de se les couper quand il rentrait chez lui.
"Jeon Jeongguk, numéro d'identification 821694-B, dit la voix robotique de l'androïde une fois la reconnaissance faciale achevée.
Les créateurs des moineaux avaient programmé une voix féminine, persuadés que cela capterait davantage l'attention des destinataires ; à la place, c'était un timbre métallique et froid, comme un couteau qui gratte au fond de l'assiette, un frisson qu'il n'arrivait pas à s'en défaire même une fois rentré chez lui.
"Vous avez un message de : Salomon Corp.
Le noiraud se figea.
Qu'est-ce que c'était cette merde ?
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Il était difficile de dire quand et comment les villes s'étaient construites à la verticale de la sorte.
La surpopulation, la baisse de surface habitable depuis les catastrophes écologiques et les guerres nucléaires, la création des voitures à propulsion magnétique, la volonté d'accrocher des panneaux publicitaires toujours plus grands pour satisfaire une société capitalistique et égoïste — les raisons, plus détestables les unes que les autres, étaient trop nombreuses pour les lister toutes. On avait ajouté des étages aux buildings déjà existants, avait construit des ponts entre les tours pour créer des secondes rues flottantes, et tout était rapidement devenu hors de contrôle.
Jeongguk était né, vivait, et mourrait dans cet océan de bitume et de fumée de pétrole. Dehors, de l'autre côté des grandes murailles de béton et de verre qui encerclait la capitale, ce n'était que la désolation, les terres carbonisées à perte de vue, les nuages nucléaires emprisonnant les montagnes et rendant l'air toxique. Enfin, c'était ce que le dogme du gouvernement leur avait forcé à apprendre, petits, pour garder le contrôle sur ses citoyens, et le jeune homme n'était jamais sorti pour vérifier. Ne pouvait pas, de toute façon.
Seoul-IV n'était qu'un cimetière à ciel ouvert de leur ancienne civilisation, les néons blafards dissimulant tant bien que mal les ruines d'un monde qui se pensait immortel aux yeux d'une population censurée et aveugle.
Ce fut pensif qu'il gara sa moto au 8e niveau de la ville, sur le parking en lévitation adjacent à son immeuble. Il coupa le moteur en ignorant les kilomètres d'embouteillages planant entre les gratte-ciels et le vide abyssal sous ses pieds, avant de traverser sans sourciller un hologramme géant vantant un voyage dans l'espace que personne ne pouvait se payer. La porte d'entrée déboucha sur un long couloir : droite, gauche, puis de nouveau à gauche, pour s'arrêter devant le lot numéro 49. Le scanner fit une petite mélodie électronique que Jeongguk avait envie de détruire à chaque fois qu'il présentait la puce de son poignet, déverrouillant la serrure dans un autre clic caractéristique.
Le sas eut à peine le temps de se fermer derrière lui qu'il rejetait déjà la tête contre la paroi en acier, frais contre son scalp, fermant les yeux et lâchant un soupir qu'il n'avait pas conscience d'avoir gardé depuis qu'il était sorti du marché.
Putain de journée. Putain de vie, putain de Jinhyeong et putain de Salomon Corp.
« Tu es déjà rentré ?
Hochant distraitement la tête, il tendit le sac plastique avec la brochette de viande tiède à bout de bras, n'ouvrant les paupières que lorsqu'il sentit le contact d'une main chaude sur la sienne.
« Merci, hyung.
Devant lui, éclairé par les phares du trafic aérien et par la lampe à lave orange d'avant la guerre qu'ils avaient retrouvé dans un vieux dépotoir, Keeho paraissait fatigué. Cela dit, cela faisait un mois qu'il était fatigué, depuis que Jey avait disparu et qu'il faisait les cent pas le soir quand il pensait que Jeongguk dormait. Les cernes, les cheveux emmêlés, et le vieux jogging tâché étaient suffisants pour lui indiquer qu'il n'était pas sorti de l'appartement de la journée, et le noiraud se félicita de lui avoir pris de quoi manger sur le chemin.
« Tu as trouvé quelque chose ?
« Assied-toi, faut que je te parle, répondit Jeongguk à la place en lançant un coup de menton en direction du canapé.
Il retira ses chaussures d'un coup de talon près de la porte, avant de s'avancer dans le condo. Simple, moderne comme tout ce qui avait été construit après 2190, deux chambres capsules et même un abri anti-nucléaire dans une pièce secrète derrière la cuisine. S'il n'avait pas réussi à capturer Sadir il y a 6 mois, un baron de la drogue de synthèse qui avait plus de cadavres que de clients, jamais Jeongguk n'aurait autant grimpé dans la hiérarchie des chasseurs de primes méritants, et jamais ils n'auraient pu se payer un studio pareil. Mais le noiraud s'était toujours promis de prendre soin des deux frères, alors si cela signifiait fouiller la merde et rester en planque sans dormir pour choper un fugitif, il le ferait bien volontiers de nouveau — tout, du moment qu'ils restaient loin de la ville-basse. Même les Séoulites born and raised étaient exposés à la criminalité, et ils avaient échappé à plus de trafics d'organes qu'ils ne pourraient en compter.
« Des nouvelles de Jey ?
Il détestait comment les prunelles de Keeho s'illuminaient d'un espoir vain et fou, et il détestait encore plus être la personne qui piétinait cette étincelle à chaque fois.
« Non, personne ne l'a vu dans le 3e cercle. Ni Karina, ni Bangchan, ni aucun des autres. J'ai demandé à tout le monde ; ils nous auraient prévenu depuis bien longtemps s'ils savaient quelque chose, de toute façon. Par contre...
Il se passa une main dans ses mèches corbeaux pour se redonner contenance.
« J'ai reçu un contrat par moineau.
Keeho se redressa sur son siège. Qui disait nouveau contrat disait nouvelle entrée d'argent, et dans une cité comme celle-ci où tous ceux qui n'habitaient pas dans les penthouses tout en haut de la ville étaient considérés comme des parias, c'était un luxe qu'ils ne pouvaient se refuser.
« Et ?
« Le commanditaire est Salomon Corp.
Et le cadet se figea comme Jeongguk s'était figé dans cette ruelle sombre près du marché couvert.
"... Quoi ?
Salomon Corporation était, de la plus simple des façons, très sûrement la société qui était à la tête de la Nouvelle-Corée et Séoul-IV. Le grand méchant patron qui fumait des cigares odorants dans les anciens films d'animations que certains cafés clandestins diffusaient encore sur un vieux projecteur d'avant-guerre. Pionnière en industrie et en innovation, elle avait été la première à se placer sur le marché quand les nuages radioactifs avaient commencé à se dissiper, proposant alors des reconstructions corporelles, des jambes bioniques et autres prothèses à la technologie avancée pour tous ceux qui avaient souffert des conflits et des poisons qui polluaient tout ce qu'ils touchaient. Se présentant pleine de bonnes résolutions, un phare dans la nuit, à l'image de Salomon dans les antiques livres bibliques, le fils du roi David qui apportait paix et prospérité. Les prémices d'une mégalomanie non dissimulée.
Jeongguk fit rouler ses épaules d'un geste machinal. Il avait dû arracher son exosquelette d'un macchabée parce qu'il n'avait pas les moyens de se payer une réparation physique, à l'époque. Encore moins maintenant, avec les prix qui explosaient et l'inflation qui leur serrait la gorge jour après jour. Il n'aimait pas parler de son accident, pour la simple et bonne raison qu'il ne se souvenait plus de rien, de toute manière.
À mesure où la capitale avait grimpé dans les cieux à la recherche d'un peu d'air pur, Salomon Corp. avait aussi voulu voir plus grand ; versant des pots-de-vin et autres cadeaux douteux aux membres du gouvernement et aux agences d'Etat, pour qu'ils ferment les yeux sur leurs avancées peu... orthodoxes. On ne savait pas réellement ce qu'il se passait dans les laboratoires du plus grand gratte-ciel de la ville, mais les rumeurs courraient sur le développement d'une arme biochimique, ou le hackage des puces électroniques qui rendrait toute la population à leur merci — et le plus terrifiant, c'était que ces spéculations n'étaient pas si insensées que ça, venant d'eux.
Une chose était sûre, c'était que la pègre évitait S.C. comme la peste.
« Qu'est-ce qu'ils veulent ? demanda Keeho avec un froncement de sourcils.
Techniquement, techniquement, un contrat était couvert par le secret, mais il connaissait le blond depuis qu'ils étaient mômes, et cela faisait un mois qu'il n'était pas sorti du condo, dans l'éventualité où Jey reviendrait enfin. Sûrement que le frisson de la traque qui animait tous les chasseurs de primes avant qu'ils ne se lancent dans leur quête l'aiderait un peu.
Silencieusement, Jeongguk tapa sur la puce à son poignet, laissant un grand panneau holographique vert apparaître, le même vert du laser du moineau qui avait scanné son visage, la photographie de sa prochaine cible miroitant entre eux.
« Kim Hyung-seo, dit Bibi, née dans le Vieux-Ulsan, numéro d'identification 102482-H. Elle aurait dérobé des informations confidentielles, donc le contrat impose de la ramener en vie. Je n'ai pas grand-chose d'autre, à part un extrait d'une caméra de surveillance, et ses données positionnelles avant qu'elle ne désactive sa puce.
« Elle se l'est désactivée comment ?
Le noiraud pressa le mode lecture de la vidéo : un couloir clair, large qui n'en finissait jamais, aux nombreuses portes numérotées, presque clinique ; et au milieu, une figure recroquevillée vêtue de blanc, de longs cheveux noirs cachant ses traits paniqués aux yeux presque fous, cajolant son avant-bras contre son cœur, une traînée de sang derrière elle et de l'hémoglobine autour de la bouche.
« Avec les dents.
Keeho fit une grimace de dégoût, avant de se lever pour entrouvrir la fenêtre derrière lui. L'animation de la ville roula dans le salon comme une vague destructrice, forte, odieuse et bruyante, dans les klaxons des taxis et les grands haut-parleurs qui répétaient en boucle les règles instaurées par le gouvernement.
Le cliquetis d'un briquet, un nuage de nicotine, un humement approbateur. C'étaient des cigarettes au menthol, qui avaient un goût dégueulasse et une odeur encore plus insupportable, mais c'étaient bien les seules qu'on pouvait encore se procurer au marché noir pour un prix décent. Même s'ils étaient non-fumeurs, de toute façon, ils seraient vite accro à la nicotine dans ce brouillard qui les collait de partout.
« Tu vas accepter ? demanda le cadet après une taffe silencieuse.
Lisez entre les lignes : est-ce que tu vas vendre ton âme au diable ?
Jeongguk avait déjà essayé d'effacer l'hideux logo S.C. incrusté sur son dos pour qu'on arrête de lui cracher dessus lorsqu'il sortait dans la ville-basse. La prothèse était un alliage d'articulations métalliques à la technologie dépassée désormais, qui se fixait par-dessus la peau, de la vertèbre C7, la dernière des cervicales au niveau de la tyroïde, à la Th7 au milieu des dorsales. Comme un moule, comme une seconde peau, discret, mais il suffisait que son t-shirt descende un peu pour observer avec dédain le symbole de tout ce qu'ils détestaient, comme marqué au fer rouge sur le poli de l'acier. Aeryn lui avait offert un autocollant pour cacher du mieux qu'il pouvait sa prétendue « affiliation » à une corporation qui leur pissait ouvertement à la gueule. Il était le premier à leur en vouloir, pour l'avoir rendu dépendant à ce parasite — mais c'était ça, ou dire au revoir à la perspective de pouvoir remarcher un jour.
Sans un mot, il pianota un instant sur son écran virtuel pour lui montrer la rémunération proposée pour ledit contrat. Keeho s'efforça de ne pas écarquiller les yeux devant les nombreux zéros — de quoi payer un an de loyer et de ne pas se soucier des taxes avant un moment.
« Je suppose qu'on n'a pas trop le choix, grommela-t-il en jetant son mégot dans le vide, rageur.
Ce soir-là, quand son exosquelette chargeait sur la table de chevet et que le blond dormait pressé contre son dos, les projections phosphorescentes transformaient le smog bas en un voile incandescent, et la lune n'était plus qu'un point blanc parmi les étoiles factices et contrefaites.
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Quand on grandit dans la ville-basse de Séoul-IV, que son père est un camé et que sa mère se prostitue, qu'on a jamais quitté la cité et qu'on naît avec une dette insolvable auprès d'un gouvernement corrompu, il n'y a pas beaucoup de perspectives d'avenir. La loi du « tuer ou être tué » qui s'instaure dans une jungle urbaine et désabusée, sous le technicolor des lumières artificielles, était la seule qui comptait réellement.
La plupart des gamins crèvent la gueule ouverte sur le sol encore fumant et radioactif, dans les déchetteries du niveau 1, ou égorgés contre les malheureux crédits qu'ils avaient réussi à accumuler en vendant des cannettes vides. Ses années adolescentes étaient quelque peu floues, comme tous les autres qui se cachaient derrière le mutisme pour effacer une vie de traumatismes. C'étaient tous les mêmes, au final. Des gosses sans racines, lobotomisés par l'électronique et craignant la moindre interaction humaine.
C'était presque un miracle que Jeongguk, Keeho et Jinhyeong en soient arrivés jusqu'ici en vie, se trouvant enfants pour ne jamais se lâcher. Enfin, Jeongguk ne pouvait plus marcher sans sa prothèse, Jey ne pouvait pas regarder les lumières trop longtemps sans en avoir le cerveau frit après des années de combats illégaux, et Keeho avait fait face à plusieurs épisodes douloureux et psychotiques de manque, mais globalement, ils n'étaient pas à plaindre. Ils étaient chanceux, presque.
Le noiraud n'avait pas vraiment choisi d'être chasseur de primes. Cela avait commencé « innocemment », au début — infiltrant à 14 ans un virus informatique dans la banque de données d'un baron du crime qui menaçait de raser le pauvre toit de tôle qui leur servait de maison, dévoilant ainsi sa position à la mafia locale qui cherchait à l'éliminer. Il avait touché son premier vrai salaire comme récompense, cette année-là, avant de voler plutôt qu'acheter une arme, et avait commencé à se faire un nom dans le marché parallèle. Séoul-IV était certes comparable à un rouleur compresseur qui aspirait les âmes, mais parfois, certains préféraient payer pour voir leur némésis annihilé, au lieu d'attendre que les crocs de la capitale se referment sur leur gibier.
C'était soit ça, de toute manière, ou entrer dans le gang de Sabé dans le 4e district, et Jeongguk sauterait volontiers du toit du plus grand immeuble dans les bras glacés de la mort inévitable plutôt que de travailler pour ce tas de merde.
Mais en ce matin morne et gris, le 4e district était exactement où il se trouvait à ce moment-là.
La pollution nébuleuse était un rideau de fer insondable ; même le spot incandescent qui faisait office de Soleil tout en haut de Salomon Corp. perçait difficilement le cumulus de vapeur et de fumée. Ce n'était pas comme si les Séoulites étaient habitués à la lumière naturelle et chaleureuse du petit jour, dans tous les cas.
Le jeune homme jeta un regard sur l'écran holographique de son poignet. D'après les coordonnées géographiques de son contrat avant qu'elle ne s'arrache la puce, elle se rendait régulièrement au niveau 5 du 4e district, dans un des blocs résidentiels illuminé par le grand panneau d'affichage pour une publicité d'oxygène en bouteille. C'était sûrement là où elle vivait, et même si Jeongguk espérait qu'elle ne soit pas assez conne pour revenir chez elle — il avait envie d'une traque longue et compliquée pour se sortir Jey de l'esprit —, au moins pourrait-il trouver des infos sur sa proie.
Alors il avait garé sa moto dans une contre-allée, la recouvrant d'une technologie home-made qui la rendait presque invisible, et avait laissé ses lourdes bottes crisser le long de la passerelle métallique qui donnait sur le Lot B15.
Le point clignotant sur son poignet ne lui donnait pas plus d'indication ; la concentration de nanomachines, de prothèses intelligentes, d'émetteurs et de modifications technologiques avait la fâcheuse tendance à brouiller les signaux et la précision des puces. Outre le cruel manque de place et de moyens, c'était en réalité pour cela que les habitants s'entassaient comme des nuisibles, pour échapper au contrôle omniprésent du gouvernement — il était de toute évidence plus facile de se camoufler dans la masse, et ce n'était pas les cachettes qui manquaient ici-bas.
Le bel éphèbe s'attendait à tomber sur un long couloir comme celui qui desservait son appartement, quand il entra enfin... pas à l'entrée feutrée et capitonnée d'un cabaret.
Il fronça des sourcils, un mélange de surprise et d'incompréhension, ignorant le regard inquisiteur du vigile sur sa silhouette. Les armes à peine dissimulées, le regard dur, la mâchoire carrée, le crâne rasé sur le côté, tout de lui criait que c'était un tueur à gages ; mais le gardien ne dit rien pour autant, lui ouvrant la porte d'un mouvement de tête.
Le club était tout ce qu'il imaginait être, et rien à la fois.
De grandes tentures d'un rouge grenat tiré sur les murs et le plafond, des fauteuils en cuir rembourrés de la même couleur, des bougies artificielles au halo orangé, de lourds rideaux en velours et aux franges dorées encadrant une scène à l'extrémité — on aurait dit un vieux boudoir burlesque du début du 20e siècle, d'après son maigre souvenir d'un livre qu'il avait feuilleté. Mais les danseuses qui guinchaient sur les podiums individuels, espacés entre les sofas, n'étaient pas habillées à la mode du French cancan, couvertes de plumes et de perles et de lingerie fine et d'une infinie de jupons ; à la place, bijoux en chrome, combinaisons blanches moulantes d'inspiration cyberspace, longues nattes couvertes d'ornements en argent, casques de réalité virtuelle projetant une aura violette sur des visages androgynes.
Toutes présentaient un sourire docile et innocent aux vieux porcs qui se léchaient les babines ; acceptant, avec quelque chose de soumis et de policé qui lui donnait envie de vomir, les avances impudiques et les doigts boudinés qui malaxaient un sein, une hanche, une entre-jambe parfois même, contre quelques crédits sonnants et trébuchants.
Un rapide coup d'oeil de l'assemblée lui confirma qu'aucun des clients ne venaient d'ici-bas, ça crevait les yeux. Lorsqu'on vivait dans les niveaux inférieurs et qu'on voulait tirer son coup, on allait au bordel du coin ou dans le labyrinthe de ruelles sombres dont la ville-basse avait le secret, baisant vite et sans affèterie contre une poubelle, les yeux sans vie, vulgaire carcasse morne qui respire encore — qui respire à peine. Jeongguk s'efforça de ne pas penser au corps inerte de sa mère, les yeux révulsés et la bouche encore couverte de foutre, qu'il avait retrouvé sur un vieux matelas moisi près d'une bouche d'égout.
Alors combien de ces vicieux dépravés graveleux avaient camouflé leur véritable identité pour venir ici ? Combien venaient du niveau 10 et plus encore, se complaisant à dire qu'ils aidaient ces pauvres créatures à sortir de la misère contre un peu de leurs corps ?
Et surtout...
Pourquoi diable Salomon Corp. cherchait une habituée de la boîte ?
Il commanda un verre au cyborg derrière le bar, et s'assit sur un des grands tabourets avec quelque chose de las.
« Jeon Jeongguk, je me trompe ?
La voix avait filtré à travers la musique électronique et expérimentale basse, un de ces timbres doux et certainement altéré pour être plus plaisant à l'oreille des consommateurs.
L'intéressé se tourna vers une femme d'environ son âge, frange d'un noir de jais et cheveux tressés remontés en queue-de-cheval haute, abhorrant un haut en plastique blanc près du corps qui laissait que très peu de place à l'imagination, rien d'autre qu'une culotte argentée et de longues cuissardes en latex. Un bijou en chrome poli encadrait sa mâchoire, à la façon d'un masque, en des arabesques abstraites et futuristes — plus une muselière qu'un véritable accessoire de mode.
Il réussit à entr'apercevoir son œil bionique à reconnaissance faciale avant qu'il ne se rétracte, et— ah. Il en avait déjà vu un au marché noir quand il était parti acheter des médicaments pour Jey, mais il ignorait que travailler dans ce genre d'établissement rapportait assez — autant — pour pouvoir se l'offrir. Il comprenait pourquoi Aeryn avait songé à une reconversion professionnelle, avant de s'installer dans le marché couvert.
« Tu as tué ma petite-amie l'année dernière pour un contrat.
Jeongguk finit son whisky d'un cul-sec, sans précipitation aucune. Elle continua à le fixer un instant encore, avant de tendre subitement sa main pour qu'il la serre.
« Merci, lâcha-t-elle avec un rictus inapproprié. C'était une véritable connasse, je ne savais pas comment m'en débarrasser.
Le condottière reposa son verre dans un bruit sourd, avant de tourner le poignet pour lui montrer la photographie de son contrat. Un tel service valait bien un tuyau en remerciement, car s'il ne devait retenir un seul enseignement parmi tous ceux qu'il avait appris à ses dépens, c'était que tout avait un prix.
« Tu la connais ?
« Bibi ? dit-elle en s'approchant du hologramme vert avec un froncement de sourcils.
« Elle vient souvent ici ? demanda-t-il de nouveau.
« Elle y travaille, corrigea la demi-mondaine.
Le jeune homme s'efforça de garder un masque indifférent sur ses traits à l'entente de ces mots. Etant donné que Salomon Corp. avait mis un contrat sur sa tête pour avoir dérobé des informations confidentielles, il s'était aisément persuadé qu'elle travaillait pour eux, qu'elle avait pété un plomb ou qu'elle avait été attirée par l'appât du gain pour les trahir en emportant avec elle quelques secrets de fabrication. Jeongguk avait déjà entendu parler de voleurs professionnels, adeptes de l'espionnage industriel, qui vendaient leurs services au plus offrant — un peu comme lui, d'une certaine manière. Mais généralement, le plus offrant, c'était justement Salomon Corp...
Alors si ce n'était pas le cas, si elle ne faisait pas partie des employés, comment aurait-elle pu se mettre à dos la plus grande entreprise de Séoul-IV ?
Rien de tout cela ne faisait de sens, mais il laissa bien volontiers la belle-de-nuit à ses côtés continuer son petit monologue avec un haussement d'épaules désintéressé :
« Cela fait des semaines qu'on ne l'a pas vu. Le patron n'est pas content, il menace de la virer si elle ne revient pas. Je pensais qu'elle était morte dans un coupe-gorge.
« Tu sais où elle habite ? Depuis combien de temps elle a disparu ?
C'était fou, le nombre de personnes qui disparaissaient. Hoseok, Jey, maintenant Bibi, que des noms de plus à la longue liste des malheureux qui fuyaient, se suicidaient, se faisaient égorger, délivrance amère d'une vie de misère. Ce qui était encore plus fou, c'était le nombre de personnes qui voulaient les retrouver à tout prix.
La courtisane pencha sa tête sur le côté, sa bouche prune retroussée dans une moue boudeuse, quelque chose de lascif étincelant derrière ses prunelles.
« Dis-moi, Jeon, tu ne penses pas que je vais te donner toutes ces informations gratuitement, si ?
Elle fit jouer le col de sa veste d'un cuir kaki usé entre ses doigts manucurés, dans un geste sybarite et voluptueux. Il n'ignorait pas qu'il était plutôt plaisant à regarder, et c'était là une sirène gracieuse, qui cherchait sans doute à échapper aux mains sales d'un pervers libidineux pour se perdre dans l'étreinte plus excitante et moins honteuse d'un juvénile comme lui. Tant qu'à être payée, autant tâcher de prendre du plaisir.
Le noiraud fit miroiter la promesse de quelques crédits sur son microprocesseur, avant de répéter, plus durement, faisant rouler sa langue contre son piercing de lèvre pour calmer son impatience :
« Depuis combien de temps elle a disparu ?
« Un mois.
Quelque chose de mauvais et de vicié pesa dans son estomac à l'entente de sa réponse, le visage de Keeho et de Jinhyeong flashant derrière ses paupières. Cela faisait un mois que Jey avait disparu lui aussi...
Il n'en fallut pas plus pour se lever brusquement, rempochant les crédits sans les transférer sur le poignet de la douce, la contournant sans lui accorder un regard. Le vigile fit un pas hésitant vers eux face aux protestations et aux insultes imagées de la putain, mais Jeon sortit son arme de son holster de cuisse pour l'en décourager s'il venait à tenter quoi que ce soit.
Bientôt, il n'était qu'un lointain souvenir, sa moto vrombissant pour rejoindre le trafic aérien.
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Il y avait une voiture noire garée devant chez eux.
Jeongguk manqua de se manger un bus volant en apercevant la berline lustrée rangée près de la passerelle métallique de leur résidence. Ils avaient beau loger au niveau 8, qui était un meilleur quartier que les taudis dans lesquels ils survivaient plus que ne vivaient quand ils étaient mômes, qui était un meilleur quartier que là où Aeryn, Bangchan, Karina, et toute leur maigre bande de potes habitaient, mais... ça restait quand même un quartier pauvre.
Et même pour le niveau 8, c'était une trop belle voiture.
Somptueuse, élancée, la carrosserie polie brillant sous les néons bleus et roses de la ville. Il avait déjà vu ses galbes futuristes sur les grands panneaux holographiques qui nageaient au milieu de cet océan de verre et de métal, tout en rondeur et en courbes adoucies, un bijou de technologie qui glissait dans l'air sans un bruit. Le noiraud ne l'avait jamais vu près de son immeuble, et il savait pertinemment qu'aucun de ses voisins ne pouvaient s'offrir un luxe pareil.
Lentement, le bel éphèbe slaloma entre les lignes du trafic jusqu'à s'arrêter de l'autre côté du parking flottant. Il n'y avait qu'eux sur la plateforme, les LED clignotant autour comme dans une arène, et il pouvait presque sentir l'énergie propre du cabriolet depuis sa moto. Même la sensation si réconfortante d'être enfin à la maison ne dissipait en rien la tension dans ses épaules.
Tout aussi adagio, ses mains gantées ôtèrent son casque virtuel, son regard fermement fixé sur le véhicule en face de lui.
Les vitres étaient fumées, mais il en était persuadé — il y avait quelqu'un sur la banquette arrière. Une silhouette sombre. Quelqu'un qui le fixait tout aussi fermement, anonyme.
C'était vraiment une beaucoup trop belle voiture.
Fronçant des sourcils, il fit vrombir son moteur, le ronronnement de la machine résonnant inconfortablement entre eux, comme pour effrayer le vieux connard qui avait la morbide envie de faire du tourisme dans les quartiers pauvres et se conforter dans son aisance.
Une voiture qui aurait pu appartenir à Salomon Corp., par exemple.
Son rictus se liquéfia en un masque de sueur froide, et ses intestins se serrèrent dans une prise âcre et abominable, de la même façon dont son estomac était devenu subitement lourd au cabaret.
Ce fut suffisant pour qu'il se précipite vers la porte sans prêter un autre regard à la berline arrogante, laissant le battant cogner contre les murs dans un crissement horrible et courant le long du couloir, le cœur au bord des lèvres.
« Keeho !
Son cri ricocha contre les revêtements blancs ; droite, gauche, puis gauche encore, présentant la puce de son poignet par deux fois sous la précipitation, s'engouffrant dans l'appartement sans même attendre que le sas de la capsule ne s'ouvre complètement.
« Keeho ! appela-t-il de nouveau, frénétique, scannant le salon, la cuisine, son sang tambourinant dans ses tempes, son—
Ses genoux manquèrent de se dérober sous son poids lorsqu'il le vit enfin, sa silhouette se découpant dans le smog psychédélique phosphorescent, la cité vibrante de cette force sourde par la fenêtre.
« ... Gguk ? Qu'est-ce qu'il se passe ?
Le tueur à gages s'adossa à l'embouchure de la pièce, reprenant sa respiration en fermant les paupières. Il ne savait pas s'il avait envie de le prendre dans ses bras ou de l'embrasser ; à la place, il hésita :
"Rien, je...
Il soupira. Keeho était suffisamment inquiet pour qu'il lui jette sa propre paranoïa à la gueule.
"Rien, acheva-t-il en se redressant complètement.
Le visage de son cadet était plongé dans la pénombre et ses yeux trouaient l'écran de fumée vénéneuse au goût mentholée dégueulasse. Ces yeux, qui semblaient faire basculer Jeongguk dans un vieux film expressionniste et légèrement surréaliste, où Louise Brooks tiendrait la vedette — ils avaient trouvé un enregistrement numérisé et grainé au marché noir une fois, le gouvernement voulant effacer toute trace du monde d'avant la Grande Catastrophe pour rendre leurs habitants plus dociles. Ces mêmes yeux qui semblaient lire en lui comme dans un livre ouvert, ces yeux qui le protégeaient comme si ce n'était pas Jeongguk l'aîné d'entre eux.
Le blond lui montra du menton l'écran vert transparent projeté au milieu du lit.
« Je crois... je crois que j'ai trouvé quelque chose.
La rigidité dans sa nuque revint aussi brutalement qu'une claque, aussi brutalement que sur le parking, son exosquelette le démangeant inconfortablement comme à chaque fois qu'il était nerveux.
« J'ai regardé les comptes de Jey.
« Comment t'as fait ?
« Je suis son frère, lâcha-t-il sobrement. Tu penses que je ne connais pas son empreinte génétique pour y avoir accès ?
Jeongguk esquissa un sourire, laissa sa veste en cuir kaki choir sur le sol, tâta ses poches, avant que Keeho ne lui jette son paquet de cigarettes. Le clic du briquet, et un autre nuage de nicotine âpre vint joindre l'atmosphère de la chambre.
« Je t'écoute.
« Je regarde régulièrement ses relevés bancaires depuis qu'il a disparu. Disons que lorsque personne ne l'a vu, qu'on a aucune idée d'où il est, et qu'il s'est tout simplement évanoui dans la nature... c'est un peu la seule chose qui me fait sentir proche de lui.
Ses yeux étaient secs — des semaines à réprimer sa peine.
« La dernière opération qu'il a faite avant de partir, c'était 15 crédits pour un taxi.
« Vers où ?
« Aucune idée, répondit le jeune homme avec un haussement d'épaules perdu. Mais ce n'est pas le plus important.
Il fit claquer sa langue contre son palais, un bruit crispé dévoré par le tumulte de la ville en bas.
« C'est arrivé hier matin. Je sais pas pourquoi, je l'ai pas vu plus tôt, mais...
« Qu'est-ce que c'est ? demanda Jeongguk en lisant l'hésitation sur son visage, s'approchant des données flottantes.
Il se figea en lisant la dernière ligne de la liste. Les prochains mots explosèrent entre eux comme un coup de feu.
« Il a reçu 100 000 crédits de la part de Salomon Corp.
C'était comme si on lui avait jeté un sceau glacé le long de sa colonne vertébrale, de la lave en fusion, ou si on lui avait arraché sa prothèse lentement et douloureusement, il ne savait plus trop. Jey qui partait sans dire au revoir, le contrat étrange qu'il avait reçu la veille dont le montant n'atteignait même pas celui que Keeho venait de décoder, et maintenant ça ?
Jeongguk aurait pu crier, essayer de comprendre, s'arracher les cheveux, n'importe quoi ; à la place, il se dirigea vers la fenêtre entrebâillée, respira la pollution de la cité sous, au-dessus, partout autour de lui, comme un parfum familier qui lui donnait envie de gerber mais qui le maintenait à flot, aussi. Keeho était silencieux dans son dos, plongé dans ce même état second et étrange, la confusion paralysant toute stupeur effarée qu'il aurait pu ressentir.
Il y avait une petite voix, perdue au milieu des klaxons et des hauts-parleurs géants, qui lui murmurait qu'il devait trouver Bibi, plus que jamais — une petite voix qui lui susurrait qu'elle aurait les réponses à bon nombre de ses questions.
Le chasseur de primes jeta le reste de clope dans le vide. Elle avait vraiment un goût dégueulasse.
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La sensation de vide. Vertigineux.
Parfois, quand il montait bien haut, tout en haut des buildings et des empilements de verre et de béton, si haut qu'il se trouvait au-dessus du ciel et qu'il avait l'impression de voler, il pouvait voir derrière le voile de nimbus le orange et le rose et le bleu des néons de Séoul-IV se mélanger dans un nonsense psychédélique. Souvent, il trouvait dans ces spirales floues de lumière abstraite un peu de réconfort, un peu de paix, quelque chose qui l'hypnotisait le temps que son esprit se calme.
Mais pas ce soir-là.
Car Jeongguk se tenait sur le rebord du toit, le vent mesquin jouant avec ses cheveux comme pour le forcer à faire le grand saut, rien d'autre que l'énorme vide étourdissant sous ses pieds. Il ne voyait même pas le sol, mais il savait que sa chute serait mortelle quand il ferait le premier pas. Un amas d'intestins et de cervelle écrasé contre le goudron encore fumant des restes radioactifs, quelque 150 étages plus bas.
Sa respiration se bloqua dans la gorge, pétrifié. Il voulut faire un pas en arrière, un seul, juste de quoi s'éloigner un peu du précipice et de son abîme aussi envoûtant que létal, juste de quoi lui laisser reprendre son souffle, mais ses muscles étaient bloqués de terreur, l'empêchant de reculer, de respirer, de réfléchir.
Qu'est-ce qu'il faisait là ? Comment était-il monté jusqu'ici ? Et bordel, était-ce du sang qui coulait contre ses paupières ?
« C'est fini, dit une voix rauque derrière lui.
Le jeune homme manqua de perdre l'équilibre en se retournant, un juron lorsque son talon glissa imperceptiblement sur la margelle.
Il y avait une silhouette noire, là, devant lui. C'était drôle, non ? Comment la ville regorgeait de ces LED étincelantes, éclairant chaque recoin, chaque parcelle jusqu'aux bas-fonds des niveaux inférieurs, plongeant la population dans une constante léthargie phosphorescente, mais comment aucun spot ne venait éclairer les toits les plus hauts de la capitale. Les étoiles étaient mortes depuis bien longtemps dans les cieux, et tout ce qu'il voyait, c'était cette pénombre sinistre et funeste qui enveloppait l'inconnu capuchonné.
« C'est fini, répéta la voix — et Jeongguk n'aurait pu dire si c'était un homme, une femme ou un cyborg, car tout ce qu'il ressentait, c'était la peur laide et implacable qui serrait son cœur dans ses griffes viciées.
Il allait mourir, n'est-ce pas ?
Soudain, le noiraud se retrouva suspendu à la rambarde, ses phalanges tournant au blanc squelettique sous la gravité et son propre poids. Il ne saurait dire si c'était parce qu'il s'était évanoui et qu'il avait commencé à chuter, se rattrapant à la vie à la dernière seconde, ou si tout s'était passé tellement vite qu'il en avait eu le tournis. Il ravala un sanglot en jetant un coup d'œil sous lui, ses jambes dodelinant dans le vide, fermant les paupières pour ne pas être tenté de lâcher prise.
Séoul-IV attendait son repas, sa gueule grande ouverte et le sourire mesquin.
« Pitié, murmura le bel éphèbe.
Il crut un moment que son supplice s'était perdu dans le vacarme de la ville trépignante, avant que la silhouette ne se penche au-dessus de lui.
Ses yeux. C'étaient ses yeux qui le marquèrent le plus. Deux billes noires et glaciales, cruelles, fondues dans l'acier et dans la somme de toutes les peurs.
« Non, pitié, suffoqua le chasseur lorsqu'une main gantée s'enroula autour de ses poignets, le contact du cuir froid aussi mauvais et calamiteux que le baiser de la mort.
Il allait mourir.
« C'est fini, sourit l'ombre.
Et il tomba dans les bras douloureux de l'infini, tomba et tomba et—
Jeongguk se réveilla dans un hurlement.
La sueur qui collait ses mèches corbeau à son front, sa respiration haletante, le sang qui tambourinait contre ses tempes, la vision qui tournait. Le bras de Keeho autour de sa taille, son corps nu contre le sien, son souffle doux contre la peau de son cou. La charge de son exosquelette qui projetait une faible lumière contre les murs de sa chambre, la ville qui bouillonnait toujours, et — ce n'était qu'un rêve.
Il se redressa, enfouissant son visage entre ses mains, tentant de reprendre son souffle et d'empêcher les larmes qui lui piquaient la rétine.
Ce n'était qu'un rêve. Un rêve récurrent, vestige de son passé et qui ne cessait de le hanter, mais ce n'était qu'un rêve.
Il rejeta les couvertures pour observer d'un œil mauvais ses jambes. Ses jambes inutiles et dysfonctionnelles qui ne voulaient plus marcher de leur plein gré, ses jambes qui le forçaient à porter cette horrible pièce de métal contre sa nuque pour devenir la poupée d'une entreprise qu'il détestait de toute son âme.
Il refusait de parler de son accident, parce qu'il ne se souvenait plus de rien. L'amnésie avait pris le contrôle de son esprit, sans aucune idée du pourquoi ou du comment il s'était retrouvé tout en haut de cet immeuble. Tout ce qui lui revenait, c'était ce regard sépulcral qui avait crevé deux trous en lui, paralysant, juste avant la chute — et il ne saurait dire si c'était bien réel, ou si c'était son cerveau hallucinant d'adrénaline qui avait personnifié sa panique en quelque chose de laid et de dangereux. Jinhyeong lui avait dit que c'était une voiture volante qui avait ralenti sa chute, le choc de sa colonne vertébrale contre la carrosserie lui coûtant ses jambes, mais ça non plus, il ne s'en souvenait pas. C'était mieux que de mourir — enfin, c'était ce que tout le monde lui disait. Il n'en était pas si sûr que ça.
Il ne se souvenait de rien, et c'était peut-être pour cela que son inconscient rejouait inlassablement la scène, dans l'espoir d'enfin comprendre. Il en sortait toujours avec de vieux fantômes, quelques cris anxiogènes et cauchemardesques, et surtout... aucune réponse.
Le chasseur se rallongea lentement aux côtés de Keeho, se pressant contre son torse, ses lèvres tremblantes, espérant trouver un peu de réconfort dans la chaleur de ses bras, le temps de ravaler ses larmes acides.
Dehors, les néons vibraient toujours dans le brouillard hallucinogène.
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Il fallait qu'il trouve Bibi.
C'était la pensée qui l'avait hanté toute la nuit, et qui avait continué de l'obséder au petit matin, quand les lumières factices avaient essayé de trouer le brouillard pour imiter le Soleil. Il ne savait pas ce que le transfert d'argent voulait dire, ne savait toujours pas pourquoi Jey avait disparu, mais s'il y avait bien une chose à laquelle Jeongguk était doué, c'était de traquer les gens — et il comptait faire exactement cela.
Dehors, une fine bruine floutait les diodes délirantes. Jeongguk avait toujours détesté la pluie, car elle donnait l'impression que les vieux riches leur pissaient dessus depuis leurs penthouses — et ce fut avec un grincement de dents qu'il enfila son casque virtuel en sortant sur le parking.
Il ignora la façon dont les gouttes crépitaient contre les carcasses des droïdes sur le sol, encore fumantes et fraîchement abandonnées, bientôt réduites en pièces par les drogués, les cartes-mères comme monnaie d'échange contre un peu de came. Jey avait même travaillé pendant un temps dans un cercle de combat de robots, quand la gravité de ses traumatismes crâniens à répétition l'avait empêché de se battre lui-même pour rapporter quelques crédits. Un picotement désagréable parcourut son échine.
Selon la puce de sa proie, le second endroit qu'elle fréquentait le plus, après le mystérieux cabaret tout droit sorti d'un autre temps, était un point clignotant un peu plus loin que le 4e district, vers le 6e cercle. Il serait prêt à fouiller tous les lieux sur sa liste, même les pauvres stands de nourriture devant lesquels Bibi s'était arrêté qu'une milliseconde. Il serait prêt à retourner toute la ville, s'il le fallait, tant qu'il ait des réponses, et tant qu'il ait ses entrées à Salomon Corp.
Le bel éphèbe ignorait si la société avait mis d'autres chasseurs de primes sur le coup, mais dans tous les cas, il fallait qu'il fasse vite. Quelque chose de noir et de mauvais lui dévorait les intestins, une bête vorace qui n'attendait que de grandir, et il ne pourrait dormir tant qu'il n'avait pas mis fin à tout cela.
Sa moto à propulsion électromagnétique vrombit à l'approche du 6e district, ses phares bleutés balayant les ruelles sombres et malfamées. C'était un quartier encore plus dangereux que le 3 et le 4, un que même Sabé et sa bande de brutes qui se croyaient plus forts que la loi ne parvenait à mater. Ses muscles se tendirent imperceptiblement, prêt à se battre, prêt à se défendre dans cette jungle toujours plus menaçante — ce n'était pas la première fois que cela lui arriverait, et certainement pas la dernière.
Le mercenaire regretta presque de ne pas avoir d'œil bionique comme cette danseuse au club de strip-tease — même si cela voulait dire perdre un orbe et être encore plus dépendant de Salomon Corp. —, alors qu'il scannait du regard les coupe-gorges sous lui. Ce n'était qu'un dépotoir à ciel ouvert, les ordures vomissant le long des égouts à chaque virage, si bien qu'on se serait cru au niveau 0, celui où toute la merde de la métropole venait se déverser. Ceux qui se planquaient ici étaient des parias parmi les parias, s'accrochant férocement au peu de possessions qu'ils avaient, devenant fous à la vue du sang, plus des animaux sauvages indomptables que des humains. Reptiliens. Primates. Des cloportes. Il survola un semblant de bidonville, les quelques drogués y squattant se dispersant comme des rats quand son ombre se découpa du brouillard rose vivace derrière lui.
Le noiraud s'arrêta soudainement. Fronça des sourcils. Fit demi-tour sur son bolide. Il était persuadé avait vu quelque chose du coin de l'œ— là.
Il y avait quelqu'un derrière la poubelle. Il crut que ce n'était un mirage des néons, au début, les monticules de débris jetant des contrastes étranges sur les murs tagués, mais il y avait bien quelqu'un. Quelqu'un avec une tenue de patient d'hôpital salie par la ville-basse. Quelqu'un avec de longs cheveux noirs et deux points tatoués sous sa paupière gauche.
Quelqu'un qu'il cherchait, précisément.
« Eh !
Le cri fut suffisant pour que la silhouette bondisse hors de sa cachette pour courir sans se retourner, ses pieds nus claquant contre l'asphalte humide, et Jeongguk réprima un juron avant de se lancer à sa poursuite.
La moto était certes rapide, mais les couloirs étaient étroits et impraticables, les virages serrés, les ponts entre les buildings irréguliers, et la fugitive bondissait sans mal entre les obstacles, sautant par-dessus une carcasse indéfinissable, contournant les flaques stagnantes de pétrole, se jouant de son ravisseur en se faufilant dans ces méandres confus et lacis. Elle jeta à peine un regard derrière elle lorsqu'elle se glissa entre deux immeubles, le passage si étroit que l'engin ne pouvait passer sans s'écraser, si étroit que Jeongguk n'était pas lui-même certain qu'il pourrait s'y faufiler à son tour avec sa carrure.
« Putain.
Avec un grognement, le condottière fit rugir son moteur alors qu'il prenait de la hauteur, son regard sautant frénétiquement sur la carte du dédale sous ses pieds, plissant des yeux pour tenter de la repérer.
Plus bas, ses jambes criant sous l'adrénaline, Bibi détalait à en perdre haleine, la peur et l'envie de fuir la dissuadant de regarder derrière elle pour juste courir. Emprunta un passage secret, un de ces tunnels qui longeait les grands buildings, avant de tourner à droite vers une vieille décharge abandonnée. Se plaqua contre un mur de briques sales quand elle vit des phares, au loin, trop apeurée pour reprendre sa respiration même une fois que la voiture se soit insérée dans les lignes d'embouteillage. Jeta un coup d'oeil autour d'elle, se coula entre deux cabanes couvertes de suies, sourde aux hurlements d'agonie d'une pauvre âme derrière les plaques de tôles. Elle redoubla d'efforts, ignorant son coeur qui la suppliait de reprendre son souffle, laissant ses pieds sprinter de plus belle sur les pavés visqueux. Si elle pouvait atteindre les premières bicoques à la frontière du district, elle pourrait s'en sort—
Une masse s'écrasa brusquement contre elle, et la jeune femme ne put que pousser un cri lorsque son corps maigre tomba contre le sol dans un choc douloureux.
Jeongguk ne lui laissa aucune seconde de répit — serrant ses cuisses imposantes autour de sa taille, s'asseyant de tout son poids sur elle pour la clouer par terre, il lui saisit les poignets pour les plaquer sans ménagement contre le bitume. Elle avait très bien réussi à arracher sa puce avec ses dents de son épiderme, qui sait ce qu'elle pourrait lui faire avec des canines aussi aiguisées ? Lui déchiqueter sa jugulaire, le laissant se vider de son hémoglobine sur les pavés fumants ? Il savait que les vieux névrosés du 6e district n'étaient pas contre un peu de chair humaine si cela signifiait avoir le ventre plein, et il ne comptait pas finir la journée en repas broché sur un feu de joie.
Bibi feula, prisonnière, battant des jambes dans le vain espoir de se libérer, mais le chasseur était bien trop fort, et bien trop lourd au-dessus d'elle, son aura menaçante s'imposant au-dessus de son visage avec un masque de colère.
« Lâche-moi ! aboya-t-elle d'une voix stridente.
« Arrête de—
Sa voix s'étrangla lorsque la brune lui cracha à la gueule.
Et la claque de réitaliation qui résonna dans l'allée eut le mérite de taire ses cris à son tour.
Sa grande main s'abattit alors contre sa bouche, lui serrant la mâchoire dans une prise de fer, ses ongles s'enfonçant douloureusement contre la peau tendre de ses joues, et Bibi ne put que suffoquer. La promesse sombre qui suivit était tout aussi étouffante, tandis que le noiraud se penchait sur ses lèvres pour murmurer :
« Recommence ça, et je te jure que je t'égorge.
Il y avait quelque chose dans ses mots, de décidé et de létal, quelque chose qui trouva écho dans le frisson apeuré vibrant contre ses os. Quelque chose qui la poussa à obéir, même si tout d'elle lui criait de partir, si elle voulait voir un autre jour. Les orbes au-dessus d'elle étaient si obscurs, tout jugement perdu par la dangerosité d'un homme qui n'avait plus rien à perdre.
Quand il fut assuré que la jeune femme ne lui ferait pas un autre coup de pute pareil, Jeongguk saisit une paire de menottes holographique dans sa poche arrière — une de celles qui étaient impossibles à crocheter sans son empreinte génétique.
« Non, non, non, répéta la prisonnière en secouant la tête, ses longs cheveux s'accrochant à ses cils, à ses joues, à ses larmes.
Il resta silencieux, insensible à ses suppliques, préférant se redresser et traîner sa proie vers sa moto pour déguerpir en vitesse avant qu'une des petites frappes des niveaux inférieurs décide de s'en mêler pour avoir aussi un peu de part du gâteau.
Bibi continua à se débattre, bien que ses tentatives soient plus résignées à présent, plantant les talons dans le sol pour espérer freiner la lente marche vers la mort ; à la place, le goudron écorcha ses pieds, Séoul-IV avalant goulûment le sang sacrificiel.
« Pitié, je t'en conjure, ne me ramène pas là-bas... Je voulais juste un peu d'argent, j-je ne savais pas que... que...
Sa voix n'était plus qu'un sanglot maintenant, les perles salées comme des vallons le long de ses joues sales. Jeongguk ne releva pas ; l'adrénaline de la traque battait encore trop vivement dans ses veines pour qu'il l'écoute réellement, pour trouver cela étonnant qu'elle savait pertinemment où il allait l'emmener. Comme si elle avait conscience qu'un contrat serait mis sur sa tête au moment où elle s'était arrachée la puce, dans ce long couloir froid et impersonnel. Le mercenaire s'en foutait, en réalité — de qui elle était, de ce qu'elle avait fait pour que la compagnie démoniaque veuille autant la récupérer dans ses griffes. Tout ce qui lui importait, c'était de toucher sa prime et d'obtenir des informations sur Jey. La fuite de Bibi, l'argent versé sur son compte avant qu'il ne disparaisse... tout montrait que l'âme de son cadet avait été aspirée à son tour vers le monstre vénal et insupportable que représentait S.C.
Mais cela, ces conclusions qu'il espérait de tout son soûl n'être que des suppositions hasardeuses, il se les était bien gardées, par peur de donner de mauvaises idées à Keeho, de peur de mener un coeur qui se languissait de son frère vers l'irresponsabilité et l'imprudence.
Il attacha rapidement la brune sur son bolide devant la place du conducteur, son ventre au-travers de son moteur, ses jambes et ses cheveux pendants dans le vide. Il crut bon de préciser, comme si ses maigres mots réussiraient à laver ses péchés :
« Ça n'a rien de personnel.
Il avait enfin ses entrées.
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Pour être tout à fait honnête, Jeongguk ne pensait pas pouvoir entrer aussi facilement chez Salomon Corp.
Quand on est une multinationale déloyale que les trois-quarts de la ville détestent, sûrement que l'on prend quelques précautions contre de potentiels kamikazes désespérés qui viendraient se faire sauter dans le hall d'entrée. Il s'attendait à tout type de scanners — des rétiniens, des génétiques, des salivaires même, s'il le fallait —, s'attendait à des fouilles et à des contrôles d'identité à chaque détour de couloir. Mais peut-être que S.C. contrôlait réellement la population, comme les rumeurs le laissaient croire, et qu'ils étaient déjà au courant de son arrivée, lui et son... colis. Peut-être savaient-ils déjà tout de lui, avant qu'ils lui envoient le moineau, avant qu'il ne se rende au cabaret, avant qu'il ne capture la fugitive, avant qu'ils ne se garent sur la plateforme frappée des grandes lettres Salomon Corporation d'un bleu néon criard.
Les conséquences d'une telle réalisation lui tirèrent un frisson, préférant traîner une Bibi toujours aussi sanglotante derrière lui plutôt que de polémiquer sur le fait qu'il vendait chaque jour un peu plus son âme au diable en portant cette putain de prothèse.
Le lobby était relativement décevant. Là non plus, il ne savait pas trop à quoi il s'attendait ; des portraits à l'effigie de leur patron, des couloirs inondés de gardes depuis les récentes émeutes, des créations high-tech qu'il n'aurait vu nulle part ailleurs, de l'opulence, de la luxure, de la mégalomanie. À la place, un grand espace blanc, lustré, poli, qui ressemblait au couloir sur les vidéos de surveillance dans le dossier que lui avait donné le moineau, si blanc que cela lui donnait presque mal aux yeux. De longs néons bleus étaient incrustés dans le sol, montrant le chemin jusqu'au grand bureau de la réception — une sorte de cube de lumière aveuglante, devant une fenêtre ronde tintée qui donnait sur les embouteillages du 15e niveau. Cela ressemblait à n'importe quel hall d'immeuble résidentiel pour les vieux cons riches qui se pavanaient au-dessus de la misère, et il y avait quelque chose, de faussement inoffensif, qui le poussa à garder tous ses sens en alerte. Cette impression illusoire qu'ils avaient encore la possibilité de sortir d'ici indemnes.
Un frottement de pas le tira de sa contemplation, et ses yeux ne purent que s'écarquiller d'une stupeur horrifiée et non dissimulée en voyant la personne avancer vers eux.
« ... Hoseok ?
L'homme s'arrêta devant lui avec un sourire policé.
Hoseok, avec qui il avait partagé nombre de cuites, accoudé au stand d'Aeryn dans le marché clandestin du niveau 4. Hoseok, qui l'avait tuyauté sur des médicaments pour pallier le manque de Keeho. Hoseok, qui avait laissé Jeongguk tirer tous les mérites lors d'un contrat particulièrement difficile.
Hoseok, aussi, le pauvre malchanceux aux jeux qui avait accumulé des dettes plus importantes que la prime que le noiraud allait toucher à la fin de cette mission. Hoseok, qui avait disparu quelques semaines avant Jinhyeong, et que tout le monde pensait déjà mort derrière une poubelle, un coup de poignard dans le dos, une balle dans la tête, de la part d'un de ses créanciers mécontents et impatients. Hoseok, que la vendeuse de viande pleurait en secret comme une veuve endeuillée depuis qu'il n'était pas rentré.
Hoseok, qui se tenait à présent devant lui, vêtu des couleurs de Salomon Corp.
Ce bâtard de traître.
« Qu'est-ce que...
Jeongguk cligna les yeux une, deux fois, sans réellement comprendre ce que son ancien compagnon faisait devant lui. Mais la confusion avait toujours été une vile émotion, et il n'en fallut pas plus pour qu'une rage sourde et incompréhensible grandisse rapidement en lui. Hoseok était comme eux, un pauvre paria de la ville-basse qui préférait crever plutôt que de prêter allégeance à S.C., qui détestait les riches, qui imaginait de grands plans révolutionnaires et impossibles à mettre en place quand son cerveau n'était pas trop alcoolisé. Pourquoi était-il ici, dans ce hall du plus grand building de Séoul-IV, s'approchant d'eux avec un sourire hypocrite et fabriqué, artificiel, sur les lèvres ? Etait-ce pour cela qu'il avait disparu ? S'était-il prostitué pour une compagnie qu'il maudissait, avait-il préféré mettre de côté tous ses principes et rêves d'un monde meilleur pour quelques crédits sonnants et trébuchants ?
« Jeon Jeongguk, numéro d'identification 821694-B, répondit-il à la place, d'une voix qui lui ressemblait tellement mais qui n'était pas lui.
« Pourquoi t'es là ?
L'homme en face de lui offrit un autre rictus contrefait, rictus apocryphe pour lequel il n'était pas dupe, tendant le bras vers l'ascenseur en verre comme ces androïdes employés comme domestiques.
« Si vous voulez bien me suivre.
Le mercenaire vit rouge.
« Réponds-moi ! cria-t-il face à son impassibilité insolente, faisant un mouvement vers lui pour le saisir par le col, pour le frapper, pour le sommer de s'expliquer, n'importe quoi, du moment qu'il comprenne ce qu'il foutait ici. Pourquoi tu—
« Il ne le fera pas.
Le bel éphèbe se stoppa dans ses mouvements, surpris, se tournant lentement vers Bibi derrière lui, sa voix si douce qu'il avait presque cru que c'était le fruit de son imagination. Ses grands cheveux noirs lui tombaient devant le visage, comme pour se cacher, pour se protéger, et les restes de ses larmes avaient brouillés son mascara au point de camoufler ses deux points tatoués sous sa paupière. C'était mesquin de lui demander des réponses après tout le mal qu'il lui avait causé, mais il tira tout de même sur ses menottes holographiques, pour l'intimer silencieusement de parler, n'ayant cure du bref masque de douleur qui dessina ses traits.
« Il ne se souvient pas de toi, dit-elle simplement, comme une grossière évidence, comme si cela crevait les yeux.
Un silence. Le jeune homme ouvrit la bouche, cherchant les mots, les questions qu'il n'arrivait pas à formuler, fronçant des sourcils. Qu'est-ce qu'il se passait réellement ici, au sein de ces laboratoires ? Il y avait tant de choses qu'il ignorait dans ce bas monde, surtout pour un chasseur de primes comme lui qui n'avait reçu aucune éducation à part les leçons de la rue. Son métier, c'était de faire le sale boulot et de fermer sa gueule, jamais de demander pourquoi. Mais il détestait ne pas savoir, ne pas comprendre, en particulier quand cette incompréhension touchait ceux qu'il aimait. Qu'il avait aimé, parce qu'il n'était pas sûr de porter encore Hoseok dans son coeur après son retournement de veste.
« Explique-toi.
Mais comme réalisant qu'elle en avait déjà trop dit, la belle se contenta de se pincer les lèvres, se murant dans un mutisme inconfortable — et Jeongguk ne put que spéculer. Avait-on menacé Hoseok ? Avait-il vendu son âme au diable au point de rompre contact avec ses racines, avec son passé ? L'avait-on lobotomisé pour qu'il ne soit qu'un pion de plus, de la chair à canon aux yeux de S.C ?
« Le comité de direction vous attend, interrompit le soldat, ignorant de son tumulte intérieur, avant de les conduire vers l'ascenseur en verre.
Le noiraud jeta de nouveau un coup d'oeil inquisiteur à Bibi, une nouvelle vague d'interrogations assaillant son esprit déjà fatigué. Un comité de direction, pour une vulgaire évadée ? N'était-ce pas un accueil disproportionné ?
Quand il avait foulé les grandes portes d'entrée de S.C., il s'était répété qu'il se foutait du sort de l'évadée à ses côtés. Mais à présent qu'il avait rencontré un Hoseok amnésique et renégat, la bête noire sombre et nerveuse qu'il avait ressenti plus tôt se faisait de plus en plus vorace au creux de son estomac, à mesure que les étages défilaient. Il y avait quelque chose de mauvais, quelque chose d'anormal qui les attendait, mais avant qu'il n'ait le temps de choisir entre rester et courir le plus loin d'ici, les chiffres numériques annoncèrent le 144e étage.
Ils y étaient. Les portes s'ouvrirent, et—
« Bonjour, Jeongguk.
Il y avait une belle jeune femme devant eux, au milieu d'un salon design — une femme que lui ne connaissait pas. Propre sur elle, svelte dans un tailleur de nylon noir futuriste et raffiné qui complimentait ses cheveux blonds plaqués en une queue-de-cheval basse élégante, les yeux maquillés de perle et les oreilles décorées de bijoux asymétriques. Magnifique, dans quelque chose d'horriblement laid.
Jeongguk se sentait presque de trop, dans ses vêtements souillés par le foutre de la ville-basse, les tâches de carmin décorant ses clavicules, la suie couvrant son visage, comme un barbare, comme un homme sauvage — encore plus accompagné d'une Bibi recouverte de sang coagulé et séché. Sur ses gardes, les épaules figées et prêtes à bondir au moindre geste de travers, il jeta un regard précautionneux à la main tendue devant lui, peu habitué à toute cette politesse qu'on attribuait aux gens de la haute. En bas, dans les étages inférieurs qui puaient, on ne s'attardait pas avec les s'il-vous-plaît — on prenait, et c'est tout. S'embarrasser de décorum n'était qu'un manque de temps, et le temps, justement, ils n'en avaient que très peu.
Son silence méfiant n'eut guère d'effet sur leur hôte, puisque celle-ci sourit de plus belle en se présentant :
« Solar Salomon, ravie de vous rencontrer enfin.
Enfin. Comme s'il était surveillé depuis le début. Suivi. Pisté, de la même façon qu'il avait pisté Bibi.
Un picotement annonciateur parcourut l'échine, là où sa prothèse rencontrait sa peau démangée à vif, quelque chose qu'il n'aimait guère. Il se retint de jeter de nouveau un coup d'oeil à sa prisonnière en retrait : c'était une chose de se faire accueillir par le comité de direction, mais c'était une autre de rencontrer la grande patronne elle-même, celle qui tenait tout Séoul-IV par les couilles. Les dirigeants se faisaient discrets, se cachant derrière ces deux initiales qui suscitaient tant de véhémence — même si le visage de Solar était placardé sur tous les écrans holographiques de la ville, Jeongguk s'en foutrait aussi, dans tous les cas. Pourtant... pourtant Bibi n'était qu'une moins-que-rien, tout comme lui, aux yeux de ceux qui avaient un peu de pouvoir. Alors pourquoi Salomon était devant lui ? Pourquoi avait-il envie de lui crever ses prunelles, des orbes d'acier froid et destructeur ? Pourquoi avait-il la folle envie de lui arracher son sourire de ses lèvres refaites, ses dents trop blanches luisant dans les non-dits ?
Lèvres qu'elle se pourlécha de sa langue de vipère, offrant un rictus si hypocrite qu'il en avait envie de vomir :
« Et je vois que vous avez achevé votre mission.
Ses prunelles se fendirent en deux pupilles félines, dangereuses, et Jeongguk eut presque le réflexe de cacher Bibi derrière lui pour la protéger. Mais les Séoulites n'avaient jamais fait preuve de solidarité entre eux, pas devant la surpuissance de cette élite richissime. Le communautarisme, la bonté de coeur, c'étaient des concepts qui fonctionnaient bien dans les belles histoires pour enfants. Certes, ils s'entraidaient — Aeryn lui filait quelques brochettes de plus parfois, Bangchan faisait passer le mot que Jey avait disparu — mais entre laisser Salomon embarquer une fugitive et s'interposer au point d'y laisser sa propre peau, le choix était vite fait. Il y avait trop en jeu pour qu'il s'interpose. Au diable les sermons sur l'égoïsme ; car c'était là la même ligne directrice qui lui avait permis de survivre toutes ces années.
Un sas s'ouvrit sur le côté, laissant apparaître deux gardiens aux muscles tout aussi imposants que les siens, s'approchant avec une aura intimidante de son butin. Il aurait pu demander ce qu'elle avait fait, pourquoi ils cherchaient tant à la récupérer vivante, mais il savait qu'il n'aurait le droit qu'à une seule cartouche, choisissant ses mots avec soin. Alors, sans quitter Solar des yeux, il passa son pouce le long des menottes holographiques pour détacher la brune, et tendit son poignet pour recevoir sa part du contrat.
Quand le bip caractéristique de la fin de la transaction résonna étrangement dans le silence du salon, il ouvrit enfin la bouche :
« Où est Jey ?
« Je ne vois pas de qui vous voulez parler, répondit-elle, trop rapidement pour que ce soit naturel.
Elle avait cet éternel sourire sournois et perfide, fallacieux, faussement mielleux, qui lui semblait étrangement familier tout un coup — et qui le rendait tout aussi malade.
« Jinhyeong, corrigea-t-il dans un grincement de dents. Il y a un mois, il a pris un taxi pour venir jusqu'ici, et vous lui avez envoyé 100 000 crédits en retour. Vous voyez exactement de qui je veux parler.
Elle le contempla un instant, la tête penchée sur le côté comme si elle observait un animal sauvage derrière la cage d'un zoo, avant de s'avancer lentement vers lui, dans un petit rire et un tintement de bijoux qu'il détesta.
« Au risque de vous décevoir, très cher, je n'en ai aucune idée.
Il fit rouler sa langue contre son piercing, la mâchoire serrée ; et d'une voix dure, létale, la même promesse sinistre qui coulait dans ses veines quand il avait menacé Bibi plus tôt, il gronda bassement :
« Je ne partirais pas d'ici sans lui.
« Il n'est pas ici.
Jeongguk plissa les yeux, fit un pas intimidant dans sa direction, lui aussi.
« Vous me connaissez, n'est-ce pas ? Donc vous êtes au courant de ce dont je suis capable. J'ai dit que je ne partirais pas d'ici sans lui, et croyez-moi, vous ne voulez pas que je mette vos précieux bureaux à feu et à sang pour le retrouver.
Une lueur joueuse passa dans les prunelles en face de lui, et Solar eut un petit humement approbateur. Levant une main parfaitement manucurée, elle passa un ongle chromé le long de sa bouche, sur la vallée de sa joue, sur la barbe naissante de son menton, dans une caresse que Jeongguk faisait tout ce qui était en son pouvoir de supporter. Comme s'il était qu'une bête de foire, un esclave sans valeur qui lui donnait la permission de le toucher. Les épaules tendues, les muscles prêts à bondir au moindre écart, à la moindre information qu'elle ferait fuiter.
« C'est dommage.
Avant d'achever dans un souffle tout contre ses lèvres, proche, trop proche :
« Ça promettait d'être amusant.
Jeongguk aurait pu lui arracher le doigt avec les dents. Il aurait pu lui bouffer la moitié du visage, aurait pu l'étranger et lui couper les veines avant que ses sbires n'aient eu le temps de réagir. Pour être honnête, il ne sut guère ce qui l'avait retenu ; mais lorsqu'Hoseok se matérialisa de nouveau à ses côtés pour le raccompagner, il comprit qu'il avait raté là sa chance. Le soldat lui empoigna le bras, pas assez fort pour que le noiraud le prenne comme une menace, mais suffisamment pour l'intimer de le suivre vers la sortie.
Un dernier masque amusé de Solar, un dernier regard suppliant de Bibi, et le sas se ferma derrière lui.
Le couloir fut soudainement silencieux, assourdissant dans son néant, mais tout ce qu'il entendait, c'était ses propres battements de coeur — son sang tambourinant contre ses tempes, au point où il s'autorisa à s'accorder quelques secondes pour reprendre son souffle, pour chasser la nausée. Si les conseils de Jey sur la gestion de la panique devaient servir à un moment, c'était bien maintenant. Fermer les yeux. Inspirer. Expirer. Rester focus. Il ne devait pas flancher, pas quand il était proche du but.
Le condottière se redressa, non sans se dégager d'un mouvement de bras de la prise qu'Hoseok avait toujours autour de son biceps. Ce-dernier ne dit rien, ne broncha pas, comme le bon toutou qu'il était — qu'il avait été conditionné à être —, se contentant de suivre les ordres en le guidant vers le second ascenseur transparent.
« Hoseok ?
« Oui, monsieur ?
Jeongguk se retint de grincer des dents ; Hoseok ne lui avait jamais donné du monsieur, encore moins cette politesse alambiquée qu'il lui présentait là. Avant, dans ce qui semblait être une autre vie, l'aîné lui tapait dans le dos en lui tendant sa bière, lui donnait des sobriquets ridicules qu'il aimait secrètement, lui maintenait sa tête dans une clé de bras pour l'obliger à révéler l'as dans sa manche dans un rire.
« Tu ne te souviens vraiment plus de moi ?
« Si, répondit le garde dans un hochement de tête bien trop enjoué. Vous êtes Jeon Jeongguk, numéro d'identification 821694-B.
Le noiraud fit la moue, un mélange entre la réflexion et le dégoût.
« Dans ce cas, tu ne m'en voudras pas si je fais ça.
Et, d'un geste bref et rapide, il lui saisit la tête pour l'assommer de toutes ses forces contre le mur.
---
Le problème, quand on est aussi sale que Jeongguk et qu'on se promène dans les couloirs trop blancs, c'est qu'on fait un peu tâche. Les gouttes de sang sur ses bottes, la crasse imprégnée dans sa veste en cuir kaki, la souillure indéfinissable sur son pantalon, tout cela jurait horriblement avec les murs immaculés — au point où il se demanda, dans une nervosité toujours aussi grandissante, pourquoi il n'avait toujours pas été repéré par les vidéos de surveillance. Est-ce que Solar l'observait, depuis la tour de contrôle, souriant sournoisement devant son trouble et ses recherches vaines ? Attendait-elle qu'il s'approche trop près du but pour pouvoir l'intercepter ?
Il jeta un coup d'oeil suspicieux à la caméra espion au-dessus de sa tête, raffermit sa prise autour de sa crosse. Ouvrit la porte sur sa droite, en inspecta brièvement le contenu, mais ce n'était là qu'un simple bureau, et l'impatience agacée commençait à avoir raison de lui. Toutes les pièces qu'il avait fouillées jusqu'ici étaient sans grand intérêt, rien qui ne lui permettrait d'en apprendre davantage sur Jinhyeong et sa présence inexplicable au sein de ces locaux. Il savait qu'il était ici, quelque part, et il savait aussi qu'il devait faire vite, avant que Salomon et sa joyeuse bande de dégénérés ne lui tombent de nouveau dessus.
Le mercenaire était sur le point d'ouvrir une énième porte — pour être interrompu par un bruit sourd, là-bas, vers l'une des pièces du fond du couloir. Il resta figé un instant, pesant le pour et le contre, avant de serrer sa mâchoire et de vérifier machinalement le nombre de balles qu'il lui restait. Keeho et ses dictons sur la curiosité mal placée pouvaient bien aller se faire foutre, tandis qu'il se mouvait en grandes enjambées silencieuses vers la source du tumulte.
Le bel éphèbe glissa un coup d'oeil à travers l'interstice de la porte, mais il mit cependant un moment à comprendre ce qu'il était en train de regarder, fronçant les sourcils face à l'assaut brutal d'information devant lui.
Une grande salle sombre, plus grande que son appartement, les spots de lumière noire projetant des reflets bleutés et étranges.
Et, au milieu de la pièce, gravitant à quelques pieds du sol, de grandes sphères transparentes.
C'était comme des bulles de savon — si, du moins, les bulles de savon avaient pour habitude d'emprisonner un corps nu, recroquevillé en position foetale, lui-même suspendu à de longs fils et tubes tombant du plafond. La vision était aussi effrayante qu'hypnotisante, comme ces peaux de serpent dans les bocaux à alcool qu'Aeryn gardait dans sa réserve. Quelque chose d'interdit, dans la façon dont les cheveux flottaient dans le liquide visqueux, d'un bleu pâle pourtant aveuglant. Quelque chose de bâtard et d'inexplicable, dans la façon dont les paupières des sujets étaient résolument closes, endormies, paisibles, presque morts. Etait-ce là la preuve que Salomon Corp. faisait des expériences sur des êtres humains ? Jeongguk prit un long moment à déglutir : est-ce que les personnes conditionnées dans ces ampoules étaient ne serait-ce qu'humains, pour commencer ? Etait-ce des créations de Frankenstein, des cyborgs ressemblant à s'y méprendre à des Séoulites, de nouveaux droïdes espions venus fliquer la ville-basse à la solde du gouvernement corrompu ?
Un autre bruit attira son attention, le même bruit sourd qu'il avait entendu dans le couloir et qui l'avait attiré jusqu'ici — car il avait été trop obnubilé par sa récente découverte, macabre et inquiétante, pour réaliser qu'il n'était pas seul dans la pièce.
Là, à l'extrémité gauche, près d'une grande fenêtre au verre teinté qui reflétait à peine les néons de la capitale sous leurs pieds... se trouvait Bibi.
De là où il était, Jeongguk ne percevait que des murmures indistincts, mais il lui semblait bien entendre quelques injures — les sbires de Solar essayaient tant bien que mal de maintenir la fugitive allongée sur une table d'opération, emprisonnant ses bras dans des sangles d'immobilisation en cuir. Il lui était difficile de voir exactement le nombre de personnes autour d'elle, la lueur blafarde de la grande bulle de savon vide à leurs côtés créant une étrange illusion d'ombre et de lumière. Les scintillements ricochaient contre des seringues aux couleurs artificielles, qu'un homme en blouse blanche rangeait soigneusement sur un plateau stérilisé.
Le chasseur de primes n'eut guère de mal à comprendre que la raison pour laquelle elle s'était échappée était la même qui la poussait à se débattre contre les gardes, à présent : parce qu'elle ne voulait pas rentrer dans la capsule.
Elle était toujours empreinte de la même fougue délirante et survivaliste qui l'avait animé lorsque Jeongguk l'avait capturé, un peu plus tôt : mordant les soldats au biceps, sourde aux cris de douleur, sourde aux ordres de lâcher prise ; donnant un coup de boule puissant contre le nez d'un infirmier, le sédatif qu'il avait à la main s'écrasant contre le sol poli.
Silencieusement, le mercenaire se glissa à travers la porte, se tapissant dans les recoins, longeant les murs froids, prenant soin de ne pas s'exposer dans l'aura des grandes bulles, se rapprochant de plus en plus. Ils étaient quatre, deux vigiles et deux personnels médicaux, et il était tout seul — mais ils étaient trop occupés par la brune, ils lui tournaient le dos, les docteurs ne semblaient pas être aguerris aux techniques de combat, et Jeongguk n'en serait pas là aujourd'hui s'il n'était pas bon dans ce qu'il faisait. S'il n'était pas bon pour se battre.
Les deux médecins s'écoulèrent d'un coup, le claquement de leurs têtes contre le sol plus bruyant que le claquement de la balle à travers son silencieux ; et avant que les sentinelles n'eurent le temps de comprendre qu'ils étaient attaqués, il réussit encore à en toucher un à la cuisse, s'affaissant contre la table dans un gémissement pitoyable. L'autre, un balèze qui faisait une tête de plus que son collègue, le crâne luisant tatoué d'étranges motifs qui ressemblaient à ceux d'Aeryn, se retourna dans un sourire mauvais, avant de charger sur sa silhouette comme un taureau enragé.
Jeon en eut le souffle coupé, un instant, lorsque les poings rentrèrent en contact avec son abdomen, lorsqu'il fut plaqué au sol, accusant le coup et se roulant sur le côté pour éviter une nouvelle rafale de crochets du droit. Le colosse était plus grand, plus fort, plus lourd, mais Jeongguk s'était battu avec des hommes de main de Sabé plus imposants encore, alors qu'il n'avait que 14 ans. Son révolver avait valsé sous l'impact, à quelques mètres de lui ; alors il plaça quelques coups stratégiques, un jab dans la pomme d'Adam, un uppercut pour se dégager, ignorant les contre-attaques avec un froncement de sourcil, ignorant la façon dont l'autre avait ses ongles plantés fermement dans sa nuque, trop proche de sa prothèse à son goût. S'il réussissait à la lui arracher, d'une façon ou d'une autre, ça en serait fini du noiraud. Il était peut-être doué, agile et malin, mais pas au point de pouvoir se battre et gagner sans l'usage de ses jambes. Il s'était toujours promis qu'il mourrait dans la ville-basse, dans les niveaux inférieurs, chez lui, et certainement pas dans les locaux de la corporation qu'il détestait plus que tout.
Alors il redoubla d'efforts, donnant un coup mauvais dans le plexus de son adversaire, se redressant pour escalader ses épaules et enrouler sa cuisse autour de sa nuque, sa tête hideuse dans le creux de son genou. Son crâne devint rouge, les veines proéminentes dues au manque d'oxygène, tentant de se dégager de la prise létale que le jeune homme avait sur lui — mais un coup du lapin rapide, un craquement sinistre, et le géant tomba comme une poupée de son dans une mélodie atroce.
Jeongguk prit quelques secondes pour se redresser, époussetant sa veste en cuir d'un geste machinal, reprenant son souffle — souffle qui se bloqua dans sa gorge, lorsque le cliquetis caractéristique d'un pistolet qu'on arme résonna derrière lui. D'un coup d'oeil lent derrière son épaule, il pouvait apercevoir que le garde blessé s'était relevé, maintenant Bibi contre la table en acier d'une poigne de fer contre sa gorge. Son pantalon militaire était noir de sang, l'hémoglobine gouttant dans un ploc, ploc assourdissant, mais son regard était dur et son rictus laid et satisfait — l'arme pointée droit sur lui en direction de ses vertèbres, celles qui marchaient encore...
Avant de choir, lui aussi.
Car, derrière lui, tenant le plateau des seringues entre ses mains pour l'assommer, se tenait...
« Keeho ?
---
« Qu'est-ce que tu fais ici ? demanda-t-il une fois que les soldats furent ligotés au sol, morts ou inconscients.
Keeho haussa simplement les épaules, empreint d'une telle indifférence insouciante que cela lui donnait l'envie de le claquer pour avoir été aussi imprudent. Jeongguk aurait pu se complaire à le voir comme ça, bien loin de la silhouette malheureuse recroquevillée contre elle-même qui croupissait dans leur appartement à compter les heures avant le retour de Jey ; aurait pu s'en complaire, s'il avait été ailleurs, partout, peu importe, sauf ici. Ne voyait-il pas à quel point c'était risqué d'être là, dans ce gratte-ciel, là où même le noiraud n'était pas censé se trouver ? Ce n'était qu'une lente machine, un rouleau compresseur prêt à écraser leurs os et aspirer leurs âmes, et la bête noire dans son estomac se faisait plus lourde à l'idée de ce qui pouvait les attendre, quelque part dans l'ombre, dans les recoins de ce labyrinthe infernal.
« Je t'ai suivi.
Jeongguk inspira profondément, s'efforçant de ne pas relever la tête vers lui ; se contenta, à la place, de vider les magasins des magnums des vigiles pour remplir son propre revolver déchargé. C'était mieux comme ça, de se trouver une occupation, plutôt que de lui jeter toute sa furie et sa peur à la gueule. Il avait des choses plus importantes à gérer à présent.
Le condottière se redressa, rangeant son browning dans son holster de cuisse.
« Comment... il soupira. Comment as-tu fait pour rentrer ?
Keeho haussa des épaules une nouvelle fois, et il était vraiment à ça de le claquer.
« Tu te souviens, quand je cambriolais les penthouses des vieux cons ?
Le jeune homme manqua de grogner en repensant à quelques années de cela, quand il était en train de se faire un nom dans le marché parallèle, quand Keeho avait déjà plusieurs épisodes de manque à son actif. La drogue était rare, chère, et souvent de mauvaise qualité, ce qui ne faisait qu'empirer les choses. Mais il avait du mal à décrocher, et entre les combats illégaux de Jey et les contrats de plus en plus nombreux de Jeon, ils n'avaient guère le temps de l'accompagner dans son sevrage, alors il avait pris goût d'entrer par effraction dans les riches appartements de la ville-haute, dans les quartiers des élites. Les serrures high-tech et les systèmes de surveillance étaient peut-être impressionnants pour la bourgeoisie des niveaux supérieurs, mais ils n'étaient pas très difficiles à détourner une fois qu'on y était familier — il lui semblait même que c'était Hoseok, qui lui avait appris les ficelles pour les désarmer. Bijoux, gadgets qu'ils n'avaient jamais vu auparavant, et même un peu de came, tout y passait, en échange de quelques crédits bien mérités au marché noir.
Il y avait néanmoins une différence, une grosse différence, entre braquer les petits riches qui ne savaient pas quoi faire de leur fric, et s'introduire illégalement chez Salomon Corp., par tous les saints. Jeongguk n'était pas sûr de pouvoir assurer sa propre sécurité, alors celle de Keeho en plus ?
« C'était... Keeho, bordel, c'était stupide de venir, qu'—
« Et toi alors, si tu savais que Jey était ici, pourquoi tu ne m'as rien dit ?
« Pour ne pas te mettre dans cette situation, justement ! cria-t-il en écartant les bras. Hoseok est ici, mais il ne ressemble plus à lui-même, et dieu sait dans quel état se trouve ton frère !
« Raison de plus pour le sortir de cette merde !
Jeongguk se pinça l'arête du nez dans un grognement. Devant lui, le blond jouait nerveusement avec ses doigts, le regard dur, redevenant un bref instant le même alter-ego qui attendait nerveusement que le noiraud rentre et lui apporte de bonnes nouvelles. Tous deux comprenaient d'où la rage de l'autre venait, comprenaient comment la peur et la psychose poussaient à se protéger entre eux, à faire de son corps un bouclier vivant pour que l'autre n'ait pas à souffrir plus que nécessaire. Mais parfois, ce n'était pas suffisant, et le plus jeune préféra temporiser en reprenant, d'une voix plus douce :
« C'est trop tard, maintenant, de toute façon. Tu pourras être énervé contre moi autant que tu le veux, mais après. On est là pour retrouver Jey, alors concentrons-nous sur ça pour le moment. Est-ce que tu as la moindre idée d'où il pourrait être ?
Le noiraud secoua la tête, l'étrange sensation de défaitisme amère dans sa bouche.
« Il est ici.
Les deux hommes se retournèrent, surpris, vers Bibi. Assise sur la table funéraire, se massant ses poignets douloureux, ses cheveux d'un noir de jais ne cachaient en rien la marque rougeâtre et frissonnante autour de sa gorge, là où le garde l'avait maintenu étranglée en menaçant de le tuer — sa voix n'avait été qu'un murmure, un souffle, claquant pourtant dans un fracas de révélation. Elle était une vision étrange, avec sa robe blanche encore plus sale et déchirée que lorsqu'il l'avait trouvé dans le 6e district, baignant, eerie, dans ces lueurs bleuâtres déplaisantes.
En guise de réponse face à leurs yeux emplis de questions et d'incertitudes, elle se contenta de pointer l'une des bulles d'un coup de menton.
Et les muscles de Jeongguk ne purent que se paralyser en comprenant les implications.
Il avait été trop envoûté par la vision de ces ampoules suspendues dans l'air, par ces corps flottant comme des foetus endormis, pour regarder de plus près leurs visages. Mais il n'y avait plus de doute, à présent — car, dans l'une des capsules non loin de la fenêtre, Jey était emprisonné au même titre que tous les autres.
Keeho et lui se précipitèrent en quelques enjambées, trébuchant, les mains tendues comme pour le saisir, le prendre dans leurs bras, la bouche entrouverte d'incompréhension et de douleur et de pourquoi. Il était plus maigre que la dernière fois qu'ils l'avaient vu, les joues plus creusées, les yeux plus renfoncés, les cheveux plus ternes. Mais c'étaient toujours les mêmes cicatrices qui balafraient son dos, c'était toujours la même tâche de naissance à la cheville, c'était toujours le même tatouage de fleurs sur l'épaule. Il n'était plus le même et pourtant il était là, si proche et si loin à la fois, et la même sensation d'impuissance coula le long de ses paupières dans une perfidie poisseuse.
Son frère étouffa un sanglot, les semaines à se languir et à se consumer d'inquiétude, la tristesse d'un coeur qui pleure, le deuil d'un coeur qui saigne, s'écrasant avec force contre sa poitrine — et le retrouver ici, dans une position diabolique, une position qu'ils ne comprenaient pas encore, respirant uniquement grâce à des tubes et à la technologie méconnaissable de S.C, était plus douloureux encore. Il frappa une, deux fois contre la vitre, dans l'espoir de le voir bouger, de voir ses magnifiques prunelles s'ouvrir, mais son poing était faible, perdu, tirant à peine une légère vibration contre la paroi. David contre Goliath.
« Il ne se réveillera pas, annonça sinistrement Bibi.
Jeongguk dévisagea un instant son visage grave, son expression sans appel ; puis de nouveau Jinhyeong, la coquille vide qui ressemblait à Jinhyeong du moins, la momie qu'était devenu son meilleur ami, son frère d'une autre mère, bien loin de ces souvenirs heureux qu'ils avaient partagé, pataugeant dans la misère mais trouvant toujours de quoi sourire.
Il enroula ses doigts autour de la gâchette sans réfléchir.
« Keeho, recule.
Il tira une rafale de balles contre le cristal, n'ayant cure si cela attirerait d'autres gardes, d'autres dangers : il avait besoin de l'avoir contre lui, de sentir son souffle contre sa joue, sa paume dans la sienne. Ce fut une satisfaction non contenue qui insuffla ses poumons — pour la première fois depuis que l'autre avait disparu, pour la première fois depuis qu'il avait reçu ce moineau devant le marché clandestin —, lorsque le verre se fendit, discrètement d'abord, puis dans un grand fracas, se brisant en une infinie de morceaux coupants, comme un miroir plein d'illusions qui tombe en poussière. Et, comme une bulle que l'on perce, comme une écluse qu'on abat, l'eau céruléenne se déversa contre le sol dans une projection puissante, emportant dans ses flots le corps de Jey.
Le blond tomba à genoux à ses côtés dans un autre sanglot, les mains tremblantes alors qu'il lui caressait le visage, caressait les clavicules, dans l'espoir de réveiller son frère encore inconscient, arrachant sèchement les tubes plantés dans son dos. Et si Jeongguk était aussi radieux que lui à l'idée de l'avoir enfin là, présent, endormi encore mais vivant, l'adrénaline battait toujours rageusement dans ses veines, et il ne pouvait s'autoriser à baisser la garde. Les muscles toujours bandés, prêt à se battre, il rangea son arme mécaniquement. Ses yeux étaient fixés sur la façon dont Keeho cajolait la tête de son aîné sur ses genoux, peignant ses cheveux hors de son front, mais son esprit courrait à mille à l'heure, les questions plus pugnaces encore. Ils devaient partir, vite, mais il ne pouvait refuser ces quelques instants de réunion bienfaitrice à Keeho.
Alors le noiraud jeta un coup d'oeil à Bibi, toujours sur sa droite, impassible et sterne, les bras enroulés autour de son corps comme pour se réchauffer.
Il ne se réveillera pas, avait-elle murmuré dans une sentence cruelle, un coup de gong.
« Tu as dit tout à l'heure que Hoseok ne se souviendrait pas de moi, commença-t-il gravement.
La jeune femme ne se cacha pas alors qu'elle raffermit la prise autour d'elle.
« Explique-toi, répéta-t-il, comme il le lui avait ordonné plus tôt, quelques étages plus bas.
Elle leva son visage inexpressif vers lui, et il comprit qu'elle ne lui dirait rien. Pas comme ça, du moins. Il l'avait menacé, l'avait apeuré, mais s'il voulait des réponses honnêtes et sincères, ce n'était pas la bonne stratégie.
« Explique-moi, reprit-il plus doucement, et je te promets que je te fais sortir d'ici avec nous.
Il avait toujours pris soin des autres, de Jey et de Keeho, endossant son rôle de grand frère même quand ils étaient mômes, alors une personne ou de moins dans son équipage, cela ne ferait pas de grande différence. Ils lui devaient bien ça, de toute façon, après tout ce qu'ils avaient vécu.
La belle inspira profondément.
« Il y a quelque temps, Salomon Corp. a fait courir le bruit qu'ils cherchaient des volontaires pour des recherches, contre des crédits. Une somme très alléchante, bien plus qu'on ne pourrait jamais rêver.
Les 100 000 crédits que Jey a reçus, lui procura son esprit.
« La description était assez vague, ils ne précisaient rien, mais j'étais trop désespérée, et j'avais besoin d'argent. Tu sais où je vivais, où je travaillais. J'étais maltraitée, au cabaret, j'avais des dettes immenses depuis les soins hospitaliers de ma copine, alors sincèrement, j'étais prête à tout, je m'en fichais. Ils auraient pu me couper un bras pour tester de nouvelles prothèses, ça m'aurait été égal, tant que j'avais mon argent.
Jeongguk hocha lentement la tête, l'encourageant à continuer, mais il ne pouvait s'empêcher de spéculer. S.C. connaissait pertinemment la corde sensible de ceux d'en bas, faisant miroiter quelques crédits sonnant et trébuchant pour pouvoir se servir des malheureux comme des pantins, des marionnettes qu'ils pourraient façonner à leur guise, tellement bercés par le besoin et l'urgence qu'ils ne pourraient leur dire non. Etait-ce la même désolation qui avait poussé Hoseok à devenir volontaire lui aussi ? Jey également ? Depuis qu'il avait trouvé cet appartement dans les niveaux supérieurs, Jeongguk avait toujours été celui qui avait mis le pain sur la table, qui leur avait apporté confort et sécurité. Et cela lui allait très bien, honnêtement — Jey avait le cerveau trop frit, et Keeho luttait contre son manque, de toute façon — et jamais il n'aurait osé dire quoi que ce soit qui puisse laisser les deux frères penser qu'ils devaient contribuer, eux aussi, au foyer.
Alors pourquoi le jeune homme avait-il accepté cette offre ? Voulait-il le remercier, pour toutes ces années où il avait pris soin d'eux ? Ou avait-il été trop hypnotisé par la somme proposée, une somme qui aurait rendu fou plus d'un dans la ville-basse ?
« Mais une fois arrivée...
Elle se stoppa, son regard se posant de nouveau sur le jeune homme inerte à leurs pieds.
« Parle, intima le noiraud.
« Ils prennent notre âme, notre conscience et notre temps.
Jeongguk fronça des sourcils : était-ce une référence imagée, ou les dépouillaient-ils réellement de tout ce qu'ils possédaient, jusqu'à leur existence même ? Bibi se gratta le bras, nerveuse, la respiration soudainement courte.
« Tu n'es pas sans savoir que l'espérance de vie a considérablement augmenté, depuis la Grande Guerre — ou du moins, dans les quartiers riches. Les médicaments, les nouvelles technologies, offrent, à tous ceux qui peuvent se le permettre, de vivre jusqu'au centenaire avec la vigueur d'un gamin de 20 ans sans aucun problème. Quand ils meurent, ce n'est pas parce qu'ils se sont traîné une maladie cardiaque pendant des décennies.
Bien entendu que le condottière n'était pas étranger à cela ; les misérables de la ville-basse mourraient dans la fleur de l'âge, et il savait parfaitement qu'il ne lui restait qu'une petite dizaine d'années à tirer avant de succomber de la pollution, des effluves du pétroles et des déchets radioactifs enterrés sous le niveau 0 — à moins qu'il ne se fasse planter au détour d'une allée, la criminalité rampante et grondante et transformant les assoiffés de sang et d'un peu de thune en de véritables tueurs. Mais les grands patrons de Séoul-IV, ceux qui leur pissait dessus depuis tout là-haut, eux se complaisaient dans une vie de luxure et de faste et de magnificence, protégés par des systèmes de sécurité et des gardes à leur solde, ayant accès aux meilleurs médecins, aux meilleurs soins.
Ils avaient beau être de la même civilisation, de la même culture, du même monde avant que celui-ci ne s'écroule en ruine, mais ils étaient tellement différents, tellement opposés, qu'il était difficile d'accepter le fait qu'ils aient pu être frères, voisins ou cousins, fut un temps.
« Sauf que pour beaucoup, ce n'était pas assez. Ils ont le luxe de pouvoir vivre une vie pleine et entière, chouchoutés et choyés, mais ce n'était pas assez. Alors S.C. a lancé un nouveau programme expérimental pour pouvoir leur permettre de vivre plus longtemps encore, pour pouvoir dépenser leur fric de merde.
Un silence, laissant le temps à Bibi de choisir ses mots, soigneusement, pour témoigner l'horreur de Frankenstein de ce qu'ils avaient sous leurs yeux.
« Ils choisissent des sujets sains, jeunes, en bonne santé, parmi les volontaires de leur petit test. Ils leur promettent une grosse somme d'argent, mais en réalité, cet argent, ils ne pourront jamais le dépenser — car ils nous prennent notre vie.
Jeongguk jeta un regard effrayé à Jey, toujours inconscient sur le sol humide ; jeta un regard effrayé à Keeho, qui s'était tourné vers eux pour pouvoir les écouter, avec horreur, pour comprendre ce qui était arrivé à son frère.
« Ils appellent ça le projet Reborn. Le sujet est dépouillé de tout ce qui faisait qu'il était lui ; son identité, sa conscience, son passé, son expérience. Il retourne à l'état de nourrisson, accentua-t-elle en pointant la position foetale des organismes dans les capsules en verre. Vient alors un hôte, un vieux con riche qui n'est pas prêt à dire bonjour à la mort. Il prend le contrôle de son esprit, de son cerveau, et renaît dans un nouveau corps, une coquille. Dans les jeux vidéos, c'est comme si tu choisissais un autre skin. Et l'hôte repart dans sa vie bien rangée, comme si rien n'était : avec un nouveau corps, certes, une nouvelle apparence, mais c'est toujours lui, plus jeune, plus fort, plus vigoureux. Un parasite. C'est ce qui est arrivé à Hoseok, en bas : il ne se souvient pas de toi, parce que c'est quelqu'un d'autre, maintenant. Tu penses que c'est lui, tu le reconnais physiquement, mais il n'a rien à voir avec celui que tu as connu.
Puis, dans un chuchotement :
« Un autre a pris sa place, un autre est aux commandes.
C'était comme... un coup de massue. La foudre qui s'abat. L'incendie qui se propage et qu'on est bloqué dans une maison en feu, la cendre qui grignote ses poumons et les fumées qui nous rendent dément, psychotique. Il savait que S.C. jouait avec la légalité, l'éthique, tout ce qui faisait qu'un être humain était à peu près bon et sain, mais... mais ça ? Cette expérience ? Ce n'était en rien comparable à toutes les rumeurs qu'ils avaient entendu jusqu'alors. Jey se serait alors retrouvé en haut, et eux en bas, oubliant leur existence, oubliant son passé, oubliant les drames et les souffrances qui faisaient que c'était devenu un homme droit, oubliant ses principes et tout ce qu'il avait dû faire pour survivre. Jey se serait retrouvé à se prélasser dans un penthouse, pendant que eux affrontaient la famine et la mort un peu plus chaque jour — sans même avoir conscience de son ancienne vie, qu'il avait abandonné sa famille derrière lui. Et tout ça pour quoi ? Quelques crédits ?
Jeongguk savait mieux que quiconque que la vie se monétisait, que l'existence toute entière d'une personne pouvait se résumer à une ligne de chiffres sur son compte en banque ; Jeongguk savait mieux que quiconque qu'il n'était pas un saint, qu'il n'était qu'un pauvre criminel, un barbare, un mercenaire. Il le savait, parce que c'était la voie qu'il avait choisie, celle qui lui avait permis de dégoter cet appartement au niveau 8. Pouvait-il réellement se considérer comme supérieur à Salomon Corp.? Plus probe, intègre ? Plus vertueux ? Il n'était pas mieux qu'eux, sûrement ; mais au moins, quand on lui demandait de capturer quelqu'un, quand on le payait pour tuer, il faisait le travail, propre, d'un coup net. Une balle dans la tête, une lame contre la nuque. Il ne se permettait pas de jouer avec ses proies, à conduire quelques expériences obscures pour son bon plaisir, il ne se prenait pas pour Dieu.
Ses mains picotaient et sa tête tournait, sa vision trouble, et le jeune homme secoua physiquement la tête pour chasser ses pensées obscures. Il aurait tout le loisir de se pencher sur ce dilemme moral une fois qu'ils seraient dehors.
« Il faut qu'on sorte de là, murmura-t-il, la voix tremblante.
Face à lui, Jey était toujours endormi, Keeho toujours paumé, Bibi toujours secouée, et ils avaient besoin de lui, besoin qu'il redevienne celui qui les guidait, celui qu'il trouvait toujours des solutions, le grand frère fort et protecteur. Alors, clignant furieusement des paupières et roulant ses épaules pour se remettre d'aplomb, il ordonna, plus fort :
« Il faut qu'on sorte de là. Keeho, noue ton pull autour de la taille de Jey. On va le porter tous les deux. Bibi, trouve nous une sortie. On doit—
« Je crains que cela ne soit possible.
Jeongguk se retourna si rapidement en direction de la nouvelle venue qu'il en eut le tournis un instant.
Suffisante et présomptueuse, Solar se tenait devant eux, une armée de gardes menaçants derrière elle. Il aurait pu être surpris, mais la bête noire et carnivore dans son estomac avait toujours su que leur altercation dans son bureau n'allait pas s'arrêter là. Les bras croisés, le menton haut, fier, elle les regardait avec une lueur arrogante dans ses prunelles froides, comme si... comme si c'était son but depuis le début. De les prendre au dépourvu, de laisser Jeongguk s'aventurer dans ces couloirs, de les laisser comprendre dans quoi ils avaient marché, ce piège à loups qui emprisonnait leurs chevilles jusqu'à ce qu'ils saignent à mort.
Le noiraud fit un pas vers elle, mettant les autres derrière lui, comme le bouclier vivant qu'il avait juré d'être quand Keeho, Jey et lui s'étaient trouvé, enfants.
« Laissez-nous partir, dit-il d'une voix forte, gonflant le torse, son aura létale et imposante. On vous rend l'argent, on part, et vous n'entendrez plus jamais parler de nous.
« Je crains que cela ne soit possible, répéta Solar, d'un rictus étouffant.
Elle fit à son tour un pas en sa direction, ses stilettos claquant horriblement sur le béton.
« Tes amis, oui, pourquoi pas, je n'en ai rien à faire d'eux, concéda-t-elle d'un mouvement de main désintéressé. Mais toi, Jeon, il en est hors de question.
L'interpellé fronça des sourcils, penchant la tête sur le côté, déconcerté. Réaction qui dut bien faire rire Salomon, si on en croyait le petit ricanement mesquin qui s'échappa de ses lèvres glaciales, une expression lourde et insolente peinte sur ses traits affreux.
« Tu n'as toujours pas compris, à ce que je vois, sourit-elle. L'offre faite à Jey, le contrat sur Bibi que nous t'avons proposé — ce n'étaient que des ruses pour pouvoir te récupérer. Pour que tu remettes les pieds ici.
La confusion se mêlait à l'appréhension, nourrissant la bête noire dans ses intestins qui rongeait de plus en plus près de son coeur, serrant ses poumons, la respiration courte, l'esprit mortifié et nébuleux. Il avait tant de questions, encore plus depuis qu'il avait retrouvé son frère, mais il était beaucoup trop fier pour les poser ; Solar, dans tous les cas, était suffisamment satisfaite et jubilatoire pour s'adonner à ce petit jeu de révélations toute seule.
« Vu ton expression, tu n'as aucun souvenir.
Un autre pas vers lui. Il posa la main sur la crosse de son arme, mais il savait pertinemment qu'il n'aurait jamais le temps de tirer, pas avec toutes les sentinelles derrière elle. La jeune femme suivit son mouvement du regard, haussant un sourcil amusé. Puis, soudainement :
« Est-ce que tu sais comment tu es devenu paralysé ?
Sa nuque s'engourdit, là où l'exosquelette ne faisait plus qu'un avec sa peau rouge et boursouflée, et il eut presque le réflexe de le toucher du bout des doigts pour s'assurer qu'il était toujours là, qu'il était toujours debout, qu'il ne rêvait pas. Sûrement que S.C. traquait toutes les pièces sorties de leurs usines, même lorsqu'on les arrachait d'un cadavre encore chaud. Sûrement qu'ils connaissaient tout de sa vie. Mais quel était le rapport avec leur expérience, avec Jey, avec elle ? Pourquoi en parler maintenant ?
Les flashs de son cauchemar, celui qu'il faisait tout le temps, accroché à la rambarde tout en haut du plus haut immeuble de Séoul-IV, lui revinrent douloureusement en mémoire. Ce qu'il savait de son accident, c'était ce que son frère de coeur lui avait raconté : seulement qu'il était tombé, qu'il s'était brisé la colonne vertébrale contre une voiture volante, qu'ils l'avaient retrouvé dans un état si piteux qu'ils avaient bien cru qu'il allait mourir. Qu'est-ce que Solar savait que lui ignorait — ignorait sur sa propre vie ?
Dans un faux élan de bonté magnanime, la blonde le délivra de ses souffrances :
« Tu avais été conditionné, comme Jinhyeong, comme Hoseok, comme tous les autres ici. Ton hôte avait refusé de te parasiter, alors il s'est jeté dans le vide. Tu t'es jeté dans le vide. Le choc a fait que tu es redevenu toi, Jeongguk, et non l'hôte.
Son coeur s'accéléra. Et si son cauchemar n'était pas qu'un songe, aussi insupportable et dérangeant qu'il puisse être ? Si c'était une réminiscence du passé depuis le début, enfouie bien profondément ? C'était donc elle, Solar, cette figure encapuchonnée qui se penchait au-dessus de sa silhouette en détresse, ce regard qui semblait familier quand il l'avait vu plus tôt ?
« On appelle ça la techno-accélération, continua Salomon, l'oeil pétillant. La technologie avance plus vite que la pensée, l'humain est dépassé par la machine. Parfois, même s'ils sont consentants, les hôtes refusent de prendre la vie d'un autre en voyant tout ce qu'il a vécu, ses souvenirs, ses peines et ses amours. Un sursaut de moralité.
Elle fit un autre mouvement de main dédaigneux.
« Ton hôte n'était qu'un faible, si tu veux mon avis.
Si la foudre l'avait figé en entendant les explications de Bibi, elle venait de l'enterrer six pieds sous terre à présent. Chancelant, bousculé par cette révélation, peinant à rester droit. C'est comme s'il revivait son accident de nouveau, tombant dans un choc mortel contre la carrosserie d'une voiture, le souffle coupé, la vision noire, le coeur s'emballant, la douleur insupportable. Il crut bien s'évanouir un instant. Une gifle, une balle dans sa colonne vertébrale, un coup de poignard dans le ventre, une trahison, le sol qui s'ouvre pour le dévorer tout cru, le laissant brûler dans les flammes de l'enfer avec un rire machiavélique. La pire des souffrances. Car il n'y a pas pire tourment que de découvrir — de la plus hideuse des façons — que sa vie toute entière n'avait été qu'un mensonge, qu'il avait été lui aussi le pion d'une organisation exécrable, qu'il aurait pu finir comme tous les autres. Un homme, un de ces fortunés cossus qui crachaient à leur gueule, avait décidé de faire la transgression suprême, la violation la plus ultime, de le dépouiller de toute sa vie et son intégrité. De son âme. S'il ne s'était pas désisté à la dernière minute, ça aurait été lui, que Keeho et Jey auraient cherché désespérément.
« C'est pourquoi je ne peux pas te laisser partir, poursuivit Solar, pleinement consciente de sa torture déchirante. Parce que tu es un trop bon sujet, et si ton hôte ne voulait pas de toi, alors je me ferais une joie de te garder ici, bien au chaud, pour me glisser dans ta peau une fois que viendra mon heure. De la même façon que j'ai pris son corps à elle, pointa-elle en direction d'elle-même.
Elle regarda sa manucure parfaite, jeta un regard vers sa poitrine, reprenant sur le ton de la conversation :
« J'aime bien ses seins, mais je commence à m'en lasser un peu. C'est ça, la beauté de Reborn. Je peux prendre l'apparence que je veux, tout simplement parce que j'en ai le pouvoir. Toi, Jinhyeong, Bibi — vous n'êtes que des biens de commodité pour moi. Des objets.
Du coin de l'oeil, il put voir le blond resserrer sa prise autour de son frère, comme pour le préserver, le défendre.
« Je peux donc laisser tes pauvres petits-amis partir, à condition que tu restes ici.
Solar eut un éclat de rire, bref, aigu, avant de secouer la tête.
« Who am I kidding.
Les cliquetis des armes ébrouèrent le silence, et en un claquement de doigts, les trois derrière lui eurent le canon d'un fusil pointé sur leur front.
« Je ne te laisse pas vraiment le choix, en réalité.
Jeongguk eut un hoquet tremblant, perdu. Il était peut-être bon dans ce qu'il faisait, mais pas au point de pouvoir se battre à lui tout seul contre tout S.C. Acculé contre le mur, à faire un choix impossible, le dilemme du prisonnier. Il voulait vivre, férocement, jusqu'à ce que la ville le prenne ; mais il ne pouvait sacrifier Keeho et Jey, même Bibi qu'il avait cherché de tout son soûl, par pur égoïsme.
Devant lui, Solar avait les bras croisés, son sourire toujours aussi insupportable sur son joli visage, sa silhouette se découpant étrangement contre la fenêtre au verre poli et les lumières de la capitale. Derrière, Bibi était paralysée, le coeur au bord des lèvres, la réalisation qu'elle s'était échappée pour pouvoir mieux mourir de ce qu'elle fuyait. Et Keeho...
Keeho le regardait, malgré les soldats devant lui qui attentaient à sa vie, le corps frêle de Jey pressé contre sa poitrine, ses bras autour de ses épaules dans une tentative vaine de le camoufler des autres. Keeho, étrangement immobile malgré toute la peur qui empoisonnait son esprit, qui le regardait avec tout l'amour et toute la dévotion qui lui portait, qui lui avait jamais porté. Une confiance aveugle, à remettre sa vie entre ses mains, à le croire, à le suivre. Ces prunelles si délicates qu'il aimait contempler pendant des heures, à présent emplies de quelque chose d'insupportable.
Et maintenant, il faisait quoi ?
Les orbes de son amant provoquèrent un éclair de lucidité en lui, un poids qui s'enlève de ses épaules, la bête noire dans ses tripes qui disparaît soudainement, léger, décidé. L'acceptation face à la tempête, ouvrir les bras face au destin mortel comme on accueille un vieil ami.
Le noiraud bougea ses lèvres, un murmure silencieux adressé uniquement à l'autre. Quelque chose comme « bats-toi ». Quelque chose comme « pardonne-moi ».
Quelque chose comme « je t'aime ».
Avant de charger vers Solar et de se précipiter tous deux vers la fenêtre.
Le hurlement de Keeho accompagna sa chute, le cri de Solar brisa ses tympans, le hoquet de peur de Bibi secoua son corps. Les éclats de verre volant autour d'eux, le vent giflant ses joues, les klaxons des voitures volantes. Le saut de l'ange, le saut vers l'au-delà, tombant de façon vertigineuse, trop rapidement, vers une issue fatale. La capitale attendait son repas, sa gueule grande ouverte et le sourire mesquin, mais Jeongguk lâcha la femme et ferma les yeux, apaisé — car, comme il se l'était toujours promis, il mourrait dans la ville-basse, dans les niveaux inférieurs en s'écrasant, chez lui.
Séoul-IV faisait ça, parfois. Quand Jeongguk montait bien haut, tout en haut des buildings et des empilements de bâtiments, si haut qu'il se trouvait au-dessus du ciel et qu'il avait l'impression de voler, il pouvait voir, derrière le voile de nimbus, le orange et le rose et le bleu des néons de Séoul-IV se mélanger dans un non-sens psychédélique.
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un beau petit bébé que voilà, cela faisait longtemps !!!
très heureuse de vous proposer ce projet, dans le cadre du recueil collaboratif de la rhsteam ; le côté cyberpunk était un sujet que je voulais aborder depuis longtemps, et l'occasion tombait à point nommé (et pourquoi pas réécrire dessus si ça vous dit!)
j'ai beaucoup kiffé faire ce petit mélange de fandom, et je pense que je vais de plus en plus me tourner vers ça désormais, voire même écrire sur d'autres groupes ! il y aura, pour la plupart, une grosse dominante bts, mais je trouve ça très cool d'intégrer des perso d'autres horizons, et j'espère que ça vous plaît / plaira aussi ! si vous avez d'ailleurs des suggestions à me proposer, n'hésitez pas à le faire en commentaire !
c'était un os que j'ai beaucoup aimé écrire, j'ai adoré faire tout le world building, et j'espère que vous avez apprécié tous ces petits détails ! qu'en avez-vous pensé ? des réactions, des commentaires, des questions ? je suis tout ouïe!!
merci encore et toujours de me lire, ça me fait super chaud au coeur ! je sais que ces derniers mois j'étais un peu moins présente et j'en suis bien désolée ! je pense (le mot clé est penser, parce qu'aucune idée si je vais réussir à tenir le timing) vous proposer 2 autres gros os avant la fin de l'année, alors n'oubliez pas d'activer les notifs si ce n'est pas déjà fait !
gros love sur vous,
champagne
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