ⲤⳘⲘⳘⳐⳘⲊ
Elle avait un parapluie transparent.
C'est comme ça qu'il avait pu remarquer sa longue chevelure noire aux pointes de bronze. Ses mèches s'entortillaient joyeusement, comme les rails d'un grand huit, et retombaient dans son dos tels des feuilles d'automne.
Dans les rues de Séoul la foule se cachait de la pluie, mais pas elle. Capuches et parapluies sombres se déplaçaient sans visages, il semblait que seule cette fille disposait d'une âme. Tout le monde fixait les pointes de ses chaussures, tandis qu'elle regardait les gouttes tomber de l'autre côté du plastique translucide.
Dans ses yeux il n'y avait aucun reflet, toutes les images semblaient être absorbées par sa rétine pour aller se noyer dans sa tête. Le garçon aurait voulu y sombrer aussi, effleurer la surface de son cristallin étincelant de malice. Mais elle ne le voyait pas, il n'était qu'un inconnu après tout.
Et la pluie tombait toujours.
La pluie dansait toujours sur le goudron. Le monde brillait sous l'averse et les gouttes crépitaient sur les paraboles des balcons.
Et alors que le temps arrêtait sa course, la jeune fille tourna sur elle-même, faisant s'envoler les pans de sa veste en jean. Ses boucles s'animèrent en même temps d'un mouvement de fougue, et ses yeux caramel se posèrent sur le jeune homme un bref instant. On aurait dit une fée.
Pas besoin de plus
pour que la foudre ne s'abatte,
ce fut suffisant...
Un éclair marbra le ciel fumé, rendant le paysage noir et blanc comme dans un vieux film. Le visage de la jeune inconnue accueillit le contraste sur ses joues de porcelaine. Il ne la voyait que mieux, et pour ça il remercia silencieusement la tempête.
C'était donc cela, ce que tout le monde appelait le coup de foudre ? Il ne comprenait pas ce qui lui arrivait, mais ne ressentait aucunement le besoin de comprendre. Tout ce qu'il éprouvait, à vrai dire, c'était l'électricité secouant son palpitant et le grondement du tonnerre qui vibrait dans sa tête.
La jeune fille reprit sa route avec entrain. Il marchait derrière elle, incapable de détacher ses pauvres prunelles de son dos délicat.
Le vent n'en faisait qu'à sa tête lui aussi, et c'était comme si le destin l'avait possédé un instant. Une bourrasque fit s'envoler le parapluie, la fée lâcha son abri pour ne pas s'envoler avec. Plutôt fluette, elle aurait très bien pu décoller et sortir de son dos des ailes de papillon que cela n'aurait étonné personne.
Le parapluie tournoya dans les airs, puis à ras du sol. Il semblait réinventer sa propre danse sur fond d'une musique venteuse. Quand il eut terminé son étrange menuet, il se déposa aux pieds du jeune homme. Le manche courbé cognait contre sa chaussure, comme pour lui chuchoter ces mots : "prends-moi et envole-toi vers elle."
Il se baissa pour ramasser l'objet, sa main entra en contact avec une autre main dont il effleura sans le vouloir les doigts délicats. La jeune fille s'était précipitée à la poursuite de son parapluie fuyant et l'avait rattrapé avant même que l'un ou l'autre ne s'en rende compte. Il releva la tête, elle le fit aussi. La collision entre leurs deux fronts ne fut pas si violente, mais c'était comme si une décharge électrique avait traversé leurs corps. Ils finirent assis dans les flaques, les fesses sur le béton trempé.
Le parapluie se trouvait entre eux deux et c'était comme si, moqueur, il se riait de leur maladresse. Le vent aussi semblait rire, et dans son hilarité il crut amusant de souffler un bon coup dans leurs cheveux alors que suite au choc ils se massaient le front. Le parapluie s'envola.
Les deux jeunes gens, une fois leur gène passée, se jetèrent un regard paniqué. Le garçon se releva précipitamment et tendit la main vers le sol. La jeune fille s'en saisit sans hésiter pour se remettre sur pied. Gardant ses doigts entre les siens, il se mit alors à courir après le parapluie. Elle suivait sa course, un peu surprise au début, puis finit par le rattraper, et même par le dépasser un instant lorsqu'elle vit que son précieux allait tomber dans le Hangang.
Le jeune homme lâcha la paume -qu'il aurait voulu sans le savoir serrer toute sa vie,- et se mit en tête de faire un sprint. Il courut le plus vite possible, n'ayant qu'une seule cible en tête : le parapluie.
Arrivé au muret bordant le fleuve Han, il s'écrasa contre la brique et tendit le bras au-dessus du vide. Trop tard. Le parapluie avait déjà pris son envol au-dessus du barrage.
Et le jeune homme, ayant oublié un instant qu'il n'était pas un cerf-volant, commença dangereusement à tomber de l'autre côté du mur.
Il se serait sûrement écrasé dans l'eau glaciale si deux mains ne l'avaient pas saisi par la veste et tiré en arrière. Il tomba à la renverse, et fort heureusement, du bon côté du muret. Son souffle qui s'était arrêté un instant reprit progressivement son allure habituelle. Il avait eu chaud.
Mais il s'était aussi écrasé sur sa sauveuse, et cette dernière supportait son poids sans bouger en attendant qu'il se dégage de lui-même. Ce qu'il fit à la hâte dès qu'il eut retrouvé ses esprits. Elle se releva aussi et s'épousseta le pantalon. Puis elle releva le menton et observa longuement l'eau du fleuve.
— Merci, souffla-t-elle finalement.
Le garçon resta étonné par le son de sa voix. Elle était légèrement plus rugueuse que ce qu'il avait imaginé, et ça la rendait plus mature, en quelque sorte. Ce timbre insoupçonné le rendit timide, et il se sentit comme submergé par une émotion inconnue. Légèrement gêné par un étau invisible qui lui enserrait doucement la gorge, il se passa la main derrière la nuque et rit doucement.
— Désolé, on dirait que je n'ai pas couru assez vite...
— Ne t'inquiète pas pour ça. Je pense que même Usain Bolt n'aurait pas réussi à le rattraper, plaisanta-t-elle en retour.
— Haha, tu crois ?
La pluie tombait toujours sur leurs rires.
Mais elle faiblissait peu à peu, et quelques rayons de soleil commençaient à transcender les nuages. L'eau avait engorgé la chevelure de la jeune fille et les boucles alourdies avaient fini par déclarer forfait et par s'aplatir. Le garçon n'avait pas retiré sa capuche et n'était donc pas mouillé, mais quand il vit dans quel état la fille en face de lui se trouvait, il lui saisit le bras et l'entraîna plus loin, sous le préau d'un temple. Elle allait tomber malade si elle restait là. Mais pourquoi s'en souciait-il au juste ?
Bien qu'il fût perdu dans ce flot de pensées contradictoires, il n'en montra rien et la mit à l'abri. Sa poigne glissa de l'avant-bras à la main de la jeune fille, et il se rappela leur course. Le contact entre leurs doigts n'avait semblé déranger ni l'un ni l'autre. C'était comme s'ils venaient tous les deux de réaliser à quel point ce geste intime avait été étonnamment naturel pour eux quelques minutes plus tôt. Et à présent ce même contact leur brûlait les joues et le bout des phalanges.
Mais pour une raison qui lui échappait, le jeune homme resserra sa poigne autour des doigts de son inconnue. Ils se regardèrent dans les yeux, rien ne pourrait jamais expliquer cet étrange moment. Il n'y avait plus de gène, la timidité semblait s'être estompée pour laisser place à une passion inexplicable. C'était l'évidence. Ils le sentaient tous les deux.
Du haut d'un toit, une femme aux longs cheveux et aux grands yeux noirs regardait ce nouvel amour d'un air stoïque. Ses vêtements claquaient au vent, son large imperméable transparent arborait ses gouttelettes avec coquetterie.
— Mission accomplie, dit l'esprit du parapluie en levant le regard vers les cumulus. Le beau temps peut à présent revenir et éclairer la ville.
Comme si le ciel l'avait entendu et approuvé, les nuages de pluie s'écartèrent enfin et le soleil surgit comme un diable en boîte.
L'esprit déploya ses larges et soyeuses ailes blanches et prit son envol droit vers la voûte, laissant derrière lui une signature multicolore : un arc-en-ciel timide s'étaient apposé tendrement sur la ville...
☂
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top