Vingt sixième tintement

La nuit commençait à tomber sur le bayou quand ils prirent le chemin du retour.

Yoongi resta silencieux et regarda le paysage défiler par la fenêtre de la voiture, perdu dans ses pensées.

Du spectacle de la nature qui se nimbait de la lueur orangée du coucher de soleil, il ne voyait pas la beauté, son esprit tout entier était tourné vers l'homme qui hantait son esprit.

Il était partagé par la joie de savoir qu'il y avait une possibilité de communiquer avec lui et par la peur de pouvoir le perdre.

Il était conscient que ses sentiments, aussi réels soient-ils, n'aboutiraient à rien de concret.

L'homme qu'il aimait était une chimère, mais la perspective de le voir partir créait une douleur dans sa poitrine qui, elle, était bien réelle.

Il savait au fond de lui qu'il devait mettre un terme à cette histoire, pour son bien et pour la paix de l'âme de Jimin, mais il ne s'en sentait pas la force, incapable qu'il était dorénavant de repenser son monde sans sa présence.

Il ferma les yeux et poussa un soupir.

- Ça te dit une bière chez moi ?

Il rouvrit les yeux et se tourna vers Jungkook qui détourna le regard un instant de la route pour le fixer.

- Sans les fauves ? demanda Yoongi qui ne se sentait pas le courage de faire face à ses amis, qui découvriraient sans tarder que quelque chose l'avait ébranlé.

Il faudrait qu'il leur parle de toute cette histoire à un moment ou à un autre, mais pas aujourd'hui, quand les doutes et les questions envahissaient son esprit.

- Sans les fauves, affirma le régisseur avec un sourire, avant de bifurquer sur le chemin qui menait à sa maison.

...

Ils s'étaient installés sur l'immense canapé qui occupait le centre du séjour.

Celui-ci était tourné vers la baie vitrée.

La rivière luisait doucement dans la nuit, captant les reflets de la lune dans ses remous.

Une myriade de lucioles s'élevait dans les airs. Elles dansaient un ballet millénaire et fêtaient leurs résurrections d'éclats dorés dans la pénombre de la nuit.

Jungkook avait éteint la lumière pour profiter de ce spectacle apaisant dont il ne se lassait jamais.

Il buvait sa bière en se perdant dans la contemplation du tableau vivant que lui offrait la nature.

Beaucoup pensaient que la terre s'assoupissait à la nuit tombée, pourtant, c'est à cet instant que les créatures nocturnes se réveillaient, donnant une seconde vie à la rivière, qui elle, ne dormait jamais.

Yoongi n'avait pratiquement pas dit un mot depuis qu'il avait quitté la maison de Mamacita, si ce n'était leur bref échange dans la voiture, aussi fut-il surpris d'entendre le son de sa voix.

- Tu connais la chamane depuis longtemps alors ?

Jungkook eut un sourire avant de porter la bouteille à la bouche et de prendre une gorgée de liquide amer.

Il baissa le bras et posa la bière sur sa cuisse, sentant la fraîcheur du verre à travers la toile de son jean.

- Mamacita était une amie de ma mère. Elle croyait énormément aux esprits, aux messages de l'au-delà et elle aimait en parler avec elle.

- La chamane ne lui a jamais prédit son avenir ? demanda Yoongi, curieux.

- Non, du moins si c'est le cas, je ne le sais pas. Je ne pense pas. Mamacita possède ce qu'on appelle le troisième œil, elle voit l'invisible, mais jamais, je ne l'ai entendu prédire l'avenir. Je pense qu'elle ne se donne pas le droit de dire à quelqu'un qu'elle est sa destinée. Elle se contente d'aider ceux qui en ont besoin en leur transmettant les messages que les disparus veulent léguer à ceux qui sont restés.

- Tu ne lui as jamais demandé ? Enfin, je veux dire...

- Pour mes parents ? demanda Jungkook qui sourit devant l'air gêné de son ami.

Yoongi hocha la tête.

- Je suis désolé, oublie, je n'aurais pas dû poser la question, c'est indiscret.

Jungkook posa la bouteille sur la table basse et se tourna légèrement sur le canapé pour lui faire face.

- Ne sois pas désolé, ta curiosité est légitime, peut être encore plus maintenant que je connais ta situation. Quand la mort frappe, qu'elle soit annoncée à l'issue d'une maladie ou soudain dans le cas d'un accident, je crois que l'on n'est jamais prêt à affronter la perte d'un être cher. Rares sont les personnes qui n'éprouvent pas de regrets en se disant que s'ils avaient eu plus de temps, ils auraient dit ou fait plus de choses. Ils auraient murmuré, je t'aime, une dernière fois ou peut-être même une première. Ils auraient partagé plus de choses, ils auraient pardonné ou demandé pardon. Je ne fais pas partie de ces gens, j'essaie de vivre ma vie au jour le jour de telle façon à n'avoir aucun regret. Si j'aime, je le crie, si je suis en colère, je le montre.

Quand mes parents sont partis, comme chacun, j'ai ressenti le vide immense qu'ils laissaient dans ma vie et dans mon cœur, mais j'ai toujours été en paix avec eux. Je ne ressens pas le besoin de les rappeler à moi pour soulager ma conscience ou tout simplement leur dire que je les aime. Ils le savaient.

Je sais qu'un jour prochain, nous nous retrouverons et à ce moment-là, je pourrai les prendre dans mes bras et leur dire de vive voix les mots que je leur chuchote dans mon cœur.

Yoongi fut ému par ce discours, et même s'il n'en avait jamais douté, il ne put que saluer la personnalité de cet homme avec qui il se sentait en confiance.

- Tu penses qu'il y a quelque chose après ?

Jungkook reprit sa bouteille pour la porter à ses lèvres.

- Oui, je pense sincèrement qu'il y a quelque chose après, mais cela reste mon opinion personnelle. Je crois que nous ne sommes que de passage et que ce qu'on appelle la vie va bien au-delà de la simple existence terrestre, que l'âme, elle, reste éternelle.

- Tu crois que si je le laissais partir, il survivrait ailleurs.

- Je ne sais pas, mais je présume que oui. De ce que je sais de cette histoire, je crois que l'âme de Park Jimin est coincée ici pour une raison précise et que celle-ci n'a pu continuer à vivre. Elle est suspendue dans le temps et l'espace en attendant que sa destinée se réalise. Je ne peux décider des choses à ta place, je ne suis pas toi. Je peux comprendre ce lien entre vous, cependant je ne peux pas le ressentir. Il t'a choisi pour une raison que nous ignorions encore et tu es le seul à pouvoir décider de ce que tu veux faire.

Yoongi s'agita sur le canapé, il détourna le regard vers le spectacle des lucioles qui brillaient dans le noir.

- Si cette situation t'avait concerné, je veux dire, si cela n'avait pas été Jimin mais Taehyung...

Jungkook ouvrit les yeux de surprise. Par cette comparaison, Yoongi lui livrait la teneur de ce lien qui l'unissait à l'entité. Son regard sur lui ne changea pourtant pas. Qui était-il pour juger un homme amoureux d'un fantôme ?

- Je veux dire...

- Je le laisserai partir.

Yoongi tourna son visage vers lui et posa son regard dans le sien à la recherche d'une trace de doute ou même peut-être de moquerie, néanmoins, il n'y trouva que de la bienveillance et un soutien inconditionnel.

- Je le laisserai partir, répéta Jungkook. Si j'étais tombé amoureux d'un fantôme prisonnier du temps, je ferais tout pour l'aider à retrouver la paix de l'âme, même si pour cela, je devais garder en moi une douleur qui me suivrait toute ma vie.

...

Yoongi repensa à sa conversation avec Jungkook tout en se dirigeant vers la maison, dont le porche allumé brillait comme un phare dans la nuit pour le guider. Il était soulagé d'avoir pu se confier sur ses sentiments et avait été heureux de constater qu'il ne l'avait pas jugé.

La réponse qui lui avait été faite, avait résonné dans son cœur, car c'est ce qu'il aurait aimé affirmer sans peur.

Quand il pénétra dans le hall, il passa devant le tableau de son aimé, cependant, il ne s'y arrêta pas parce que son regard était fixé sur la silhouette qui se tenait en haut des escaliers, un sourire de bienvenue aux lèvres.

...

Dans une maison, non loin de la plantation, un couple gisait sur les draps défaits du lit qui avaient accueilli leurs ébats.

À bout de souffle, Hoseok se laissa tomber sur l'oreiller et entraîna Paisley dont le corps se glissa près de lui, sa tête trouvant refuge sur son torse.

Il était émerveillé de la relation qui s'était tissée entre eux au fil des jours et n'aurait jamais pensé connaître à nouveau cette félicité qui remplissait son cœur.

Ce cœur qui avait été meurtri si longtemps, lacéré des coups de la trahison. Ce cœur qui avait vu l'enfer et qu'il avait cru ne plus jamais pouvoir donner, laminé et asséché par les nombreuses blessures qu'on lui avait infligées.

Il baissa les yeux sur le visage de sa belle qui reposait contre lui, les yeux fermés, son souffle chaud s'échouant sur sa peau.

Il aurait aimé savoir dessiner pour recréer la perfection de ses traits sur un vélin.

Il leva la main et caressa tendrement ses cheveux en resserrant son étreinte. Elle ne dit mot, mais il sentit sa main se refermer sur sa taille pour se blottir un peu plus contre lui.

Il n'avait rien prémédité dans cette rencontre, il n'avait pas vu son cœur se remplir à nouveau d'un amour débordant, il ne l'avait pas senti refermer ses plaies. Il n'avait plus espéré le bonheur qu'il ressentait à être à ses côtés, mais l'évidence était là, emplissant son âme d'une mélodie qui lui donnait envie de se lever et de danser jusqu'à tomber d'épuisement.

Il était tombé irrémédiablement amoureux...

Il posa ses lèvres délicatement sur son front et murmura :

- Je t'aime. Je ne devrais peut-être pas le dire si vite, si fort, mais je ne peux plus le cacher, je ne peux plus te le cacher. Je veux passer ma vie près de toi, je veux sentir ton corps près du mien chaque nuit et poser mes yeux sur toi chaque jour. Je veux t'entendre rire de mes blagues idiotes. Je désire t'entendre me crier dessus parce que j'ai laissé brûler un plat. Je souhaite te voir danser dans ta robe fleurie comme si tu ne dansais que pour moi. Je veux tout, je te veux toi. Je ne veux plus jamais être loin de toi.

Il suspendit son souffle un instant en la sentant se crisper dans ses bras. Il tremblait de peur à l'idée qu'elle le rejette, qu'il ait tout gâché.

Paisley leva la tête et son regard brillant plongea dans le sien.

Il chercha une réponse dans ses yeux et recommença à respirer quand elle lui adressa un merveilleux sourire.

Elle se redressa légèrement et vint poser ses lèvres sur les siennes en murmurant à son tour.

- Alors, reste près de moi pour toujours.

Hoseok se souviendrait à chaque minute de sa vie, de cet instant où son cœur s'était arrêté de battre, pour repartir à l'unisson du sien.

Il n'avait rien en venant ici et y avait trouvé son tout.

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