Trente huitième tintement

 Ils se trouvaient dans la maison, celle qui aurait dû être la leur si le Destin, la vie, les hommes, leur avaient laissé vivre leur histoire.

Il reconnaissait la pièce dans laquelle il se trouvait. Il s'agissait de la salle du bal du rez-de-chaussée, à la fois identique et complètement différente de ce qu'il en connaissait.

Le parquet ne portait plus les usures du temps, les tissus qui recouvraient les murs n'avaient pas perdu leurs couleurs.

Les meubles brillaient sous leur couche de cire qui laissait une odeur d'encaustique flotter dans l'air, se mélangeant à celle des bougies qui se consumaient dans leurs candélabres.

La fumée, qui s'en dégageait, faisait stagner un fin brouillard dans les hauteurs du plafond.

Il avait remonté le temps à moins que Jimin ne l'ait amené ici comme un dernier cadeau.

Le fantôme se tenait près de lui, la main posée sur sa taille, son regard d'émeraude dévorant chacun de ses traits comme s'il était une œuvre d'art.

Ils avaient peu de temps, ils le savaient.

Le cœur de Yoongi se déchirait à l'idée de cette dernière rencontre, pourtant il posa sa main sur sa joue. Jimin ferma les yeux et se laissa aller contre sa paume, chérissant ce contact qu'il ne sentirait plus jamais.

Les larmes inondaient leurs cœurs, mais ils refusaient de pleurer.

Leurs âmes se parlaient, ils avaient tant de choses à se dire.

- Pardonne-moi de t'avoir retenu enchaîné à moi, chuchota Yoongi.

- Je n'ai rien à ne pardonner si ce n'est de m'avoir aimé au-delà du temps et de l'espace.

- Pour ton salut et le mien, trouve la paix, libère-toi et reviens-moi.

Il sentit Jimin se crisper contre lui.

- Je ne veux pas te quitter, chuchota-t-il.

- Je ne veux pas te perdre non plus, mais tu dois partir pour mieux me revenir. Je t'attendrai une vie, un siècle, une éternité.

Yoongi sentit une larme glisser sur la peau diaphane du fantôme à travers ses paupières closes. Il l'essuya du pouce alors même que ses propres larmes menaçaient de déborder de ses yeux qui se repaissaient de chacun de ses traits.

Jimin plongea son regard d'émeraude dans ses orbes d'obsidienne.

- Dis-toi que je t'ai aimé dans un rêve.

Dis-toi que je t'ai aimé à travers la mort.

Je te retrouverais, je te le promets et je saurais protéger cet amour que j'ai laissé nous échapper.

- Tu n'es responsable de rien, mon amour. La vie l'est, elle nous a arraché l'un à l'autre.

Jimin ôta sa main de sa taille et remonta jusqu'à son cou qu'il caressa, lui tirant des frissons.

- Tu dois repartir là-bas sinon il sera trop tard. Tes amis t'attendent, tu dois vivre.

Vis cette vie que je n'ai pu passer à tes côtés, je te rejoindrai dans la prochaine et rien ne pourra nous séparer.

J'écumerai le monde pour te retrouver. Je fouillerai chaque pays, chaque parcelle de terre et voguerai sur tous les océans.

Autour d'eux, l'atmosphère changea comme si le compte à rebours, qui s'était enclenché dans leur drame, touchait à sa fin. La lumière baissa et des ombres commencèrent à apparaître et étirèrent leurs silhouettes sur le mur.

Les bougies s'éteignirent une à une et un vent glacial commença à souffler, les plongeant dans les ténèbres.

Une lumière vive apparut dans cette obscurité et Yoongi sut qu'elle venait chercher Jimin. Son cœur refusait de le laisser partir, cependant son esprit lui criait qu'il était temps. Il posa sa main sur la sienne pour la retirer doucement de sa joue.

Sa douce chaleur contre sa peau fut aussitôt remplacée par le froid de la mort qui rôdait autour d'eux.

Laissez-moi encore un peu temps, implora-t-il silencieusement sans savoir à qui il adressait sa prière. Son corps n'était que douleur et son âme se déchirait. Il se sentait lutter contre une force qui le dépassait. Il avait outrepassé les lois célestes et les entités qui la peuplaient réclamaient leur dû.

On n'ouvre pas impunément la porte de l'entre-deux, avait-elle dit.

Jimin avait compris. Avec une extrême douceur, il se pencha vers lui et déposa ses lèvres sur les siennes dans un baiser d'adieu qui lui brisa le cœur.

- Pars mon amour, pars avant que les ténèbres ne t'emprisonnent à jamais.

- Je te donne l'absolution Park Jimin, que ton âme repose en paix à jamais, déclama-t-il dans un sanglot, prononçant les mots qui rompraient le charme maudit qui les emprisonnait.

Dès que ses mots franchirent la barrière de ses lèvres, le faisceau de lumière s'agrandit jusqu'à englober complètement la silhouette de l'homme qu'il aimait.

Il vit les larmes de Jimin s'écouler sur ses joues telles des traînées de diamants. Les contours de son corps commencèrent à devenir flous. Les traits de son visage, à l'instar du sien, ne reflétaient que la douleur de la perte.

Il l'entendit murmurer :

- Je t'aime, Min Yoongi, quel que soit le prénom que tu as porté et que tu porteras dans une autre vie.

- Je t'aime Park Jimin, quel que soit le nom que tu porteras lorsque nous nous retrouverons.

La lumière éclata en milliers d'étincelles et il disparut alors que ses lèvres murmuraient encore et encore des mots d'amour.

Puis ce furent les ténèbres.

...

Il sentit tout d'abord le poids de son cœur qui se remit à battre dans sa poitrine, tapant lourdement contre ses côtes. Le sang recommença à circuler dans ses veines dans un doux chuchotement, réchauffant ses membres glacés, ensuite vint la première inspiration qui déchira sa poitrine.

Comme un homme qui sortait d'apnée, comme un enfant qui poussait son premier cri, il entendit son souffle émettre un râle entre le sanglot et le cri de douleur.

Il reprenait vie.

Ses sens se réveillèrent.

La sensation de la terre humide et froide sous ses doigts.

Le goût âpre dans sa gorge serrée.

L'odeur d'iode et de vase du bayou amenée par le vent.

Un faisceau de lumière à travers ses paupières closes.

Puis les bruits de la vie nocturne, bientôt remplacés par des mots décousus et sans signification qui s'envolèrent dans le vent.

Le choc d'un contact sur son épaule qui lui donnèrent envie de se recroqueviller en position fœtale.

Puis les paroles qui percèrent enfin la brume de son cerveau.

- Hyung...

Ses paupières papillonnèrent et il ouvrit enfin les yeux sur ce monde qui l'avait rappelé à lui.

Il distingua le visage inquiet de Jungkook, les larmes de Taehyung et le sourire factice de Hoseok.

Il était revenu de l'entre-deux, cet endroit où il n'avait été ni mort, ni vivant.

Les émotions se bousculaient en lui, la perte, le chagrin, la déchirure.

Il voulut parler, mais seule une quinte de toux franchit ses lèvres.

Ses amis l'aidèrent à se redresser, l'enveloppant de leur amour bienveillant, silencieux à nouveau.

Ils restèrent ainsi jusqu'à ce que le soleil commence à caresser la terre de ses rayons.

Il sentit sa chaleur réchauffer son corps à défaut de son cœur.

Quand le soleil nimba le ciel de sa lumière orangée, ils reprirent le chemin de la maison.

Aucun mot ne fut échangé, chacun savait ce qu'il s'était passé juste en regardant les traits marqués de tristesse de Yoongi.

Ils l'entourèrent de leur soutien, l'emmenèrent dans la cuisine et lui offrirent une boisson chaude pour réchauffer son corps encore transit du froid de la mort qu'il avait côtoyée.

Taehyung tenait sa main comme s'il n'allait plus le lâcher, lançant des regards perdus à Jungkook.

Hoseok se tenait en bout de table, étrangement absent, la lueur qui brillait dans ses yeux habituellement avait disparu pour ne laisser que les ombres de l'inquiétude.

Yoongi finit par sortir de son état d'hébétude, s'ancrant dans la réalité grâce aux sensations qu'il sentait dans son corps.

Le bois dur de la chaise dans son dos, la chaleur de la tasse de café qui se diffusait dans ses doigts, l'odeur épicée des biscuits à la cannelle qui refroidissaient dans une assiette sur la table, le ronronnement de Casper qui s'était assis près de lui.

Tout était fini dorénavant.

Il se leva difficilement, titubant un peu et fit un signe à ses amis qui se précipitèrent pour l'aider de ne pas intervenir.

Il voulait être seul, il se sentait si vide.

La douleur dans son cœur ne faiblissait pas, irradiant jusque dans ses bras.

Il porta la main à sa poitrine.

Il aurait aimé arracher cet organe qui partait en lambeaux, mais ne put que refermer ses doigts sur la chemise qu'il portait, la froissant inconsciemment.

Il se perdit un instant dans les yeux émeraude de Casper, si semblables aux siens.

Les larmes se mirent à couler, celles qui n'avaient pas encore versé et la douleur devint brûlure.

Il fronça les sourcils en voyant l'expression paniquée de ses amis, toutefois il ne saisit pas ce qu'il se passait.

Il voulut les rassurer, mais sa mâchoire tétanisée ne lui obéissait plus.

Il les vit se précipiter vers lui alors que son corps basculait en arrière.

Il ne comprit pas que son cœur venait de cesser de battre.

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