Trente deuxième tintement

- Il mourut le second jour à l'aube dans mes bras sans que j'aie pu ne serait-ce que lui dire que je l'aimais.

Les larmes commencèrent à dévaler ses joues. Yoongi le regardait, souffrant avec lui, comme si c'était lui qui était mort dans ses bras ce jour-là et qui n'avait pu entendre sa confession.

Un sanglot s'étrangla dans sa gorge sans qu'il sache d'où lui venait ce chagrin incommensurable qui lui étreignait le cœur. Il prit son visage dans ses deux mains et laissa sa peine s'exprimer.

À la douleur qu'il avait ressentie, se mêlait dorénavant la colère contre ce destin pitoyable qui avait empêché l'homme qui l'aimait d'être heureux. Mais aussi la jalousie de savoir qu'il n'avait pas été lui.

- Yoongi, arrête de pleurer, je t'en prie. Je ne veux pas de ta pitié. Je ne veux pas de tes larmes, je ne veux que ton sourire.

Mais la tristesse était si forte qu'il hoquetait et mit un temps certain avant de se calmer pour enfin demander.

- Pourquoi m'avoir raconté tout cela ? Pourquoi ?

- Parce que tu devais connaître la vérité, celle que je n'ai pas pu dire alors.

- Cette vérité ne m'appartient pas, ces mots étaient destinés à un autre que moi.

Jimin se pencha vers lui.

- Yoongi, regarde-moi, s'il te plait, je t'en conjure.

Le jeune propriétaire releva enfin ses yeux noyés de larmes vers celui qui lui avait volé son cœur, alors qu'il en aimait un autre.

Il vit Jimin poser sa main au-dessus du médaillon le cachant un instant à sa vue.

- Ces mots, je devais te les dire, car cela a toujours été toi.

Le jeune homme l'observait sans comprendre.

- Regarde, dit-il en soulevant sa main, faisant apparaître à nouveau le médaillon dans lequel figurait dorénavant un portrait.

Yoongi tendit une main tremblante et le prit pour l'examiner avant d'ouvrir de grands yeux sidérés.

À l'intérieur, un jeune homme avait été peint en miniature. On pouvait voir ses yeux noirs pétiller de malice. Ses cheveux sombres étaient réunis en catogan sur sa nuque. Il portait des traits différents des siens, pourtant étrangement familiers.

Il releva la tête en ayant peur de comprendre.

- Cela a toujours été toi, Yoongi. Tu es lui, il est toi, toi le seul amour que j'ai eu ma vie durant.

Mais avant que Yoongi ne puisse répondre, une lumière vive inonda la pièce et Jimin disparut.

Il poussa un hurlement qui résonna contre les murs vides du grenier.

Il était parti.

....

Taehyung s'était enfui.

Il avait ouvert les yeux alors que le soleil brillait haut dans le ciel, des bras fermement enroulés autour de lui.

Tout lui était revenu en mémoire. Jungkook, ses baisers, son corps sur le sien, son plaisir le plongeant dans une félicité qu'il avait cru ne plus jamais connaître, puis apparurent la crainte et les angoisses qu'il pensait avoir éloignées, mais qui revenaient en force.

Les battements de son cœur s'accélérèrent et il sentit une sueur froide s'écouler le long de son dos. Il n'arrivait plus à réfléchir, noyé qu'il était dans son désespoir et sa peur.

Il se dégagea aussi doucement que possible malgré l'urgence qu'il ressentait à s'éloigner au plus vite. Jungkook grogna dans son sommeil, privé de sa chaleur, mais ne se réveilla pas.

Il ramassa les vêtements qui traînaient au sol sans vraiment regarder et les enfila.

De l'air, il lui fallait de l'air, prendre une respiration à pleins poumons pour chasser cette sensation d'étouffement qui lui enserrait la gorge.

Il réussit à sortir de la maison en silence et se mit à courir, trébuchant et se relevant, tachant ses genoux de boue, s'écorchant les mains, fuyant l'évidence, ce qu'il ne voulait pas, ce qu'il ne voulait plus.

Il n'était pas prêt, ne le serait peut-être jamais.

Seule l'urgence conditionnait sa fuite, il ne souhaitait que se réfugier dans sa chambre et s'y enfermer pour toujours. Il ne voulait pas faire face aux conséquences, il n'en avait pas la force.

Pardonne-moi, répétait-il comme une litanie sans fin, pardonne-moi. Je ne peux pas, je ne peux plus, j'en suis incapable.

Il arriva enfin dans le hall, le souffle court et le corps en nage malgré la fraîcheur de l'air hivernal. Il monta les escaliers et se dirigea vers sa chambre, mais au moment où il allait y pénétrer, il entendit un cri inhumain qui le terrifia.

Posant la main sur son cœur qui ne cessait de cogner contre ses côtes, il essaya de respirer comme son psychiatre lui avait conseillé pour calmer l'angoisse qui enserrait sa gorge.

Inspirer, expirer, lentement.

Puis il prit son courage à deux mains et se dirigea vers le grenier d'où émanait maintenant une plainte lancinante entrecoupée de sanglots. Il essuya ses propres larmes qui dévalaient ses joues alors même qu'il ne s'était pas rendu compte qu'il pleurait.

Il trouva Yoongi dans la lueur naissante du jour, replié sur lui-même, serrant contre son cœur quelque chose qu'il tenait dans sa main.

Il se balançait d'avant en arrière en poussant des gémissements de douleurs qui lui tordirent le ventre.

Il se précipita vers lui et se laissa tomber à ses côtés, l'enroulant de ses bras et le berçant contre lui, lui répétant sans cesse que tout irait bien.

Leurs pleurs se mêlaient au même titre que leurs peines, sans même en avoir conscience, ils étaient réunis par la même douleur.

Ils s'accrochaient l'un à l'autre, communiant par-delà les mots.

Aucun des deux ne connaissait la teneur de la peine de l'autre, mais leurs cœurs, eux, le savaient.

Ils restèrent ainsi pendant un long moment et enfin les pleurs se tarirent.

Yoongi se redressa doucement et prit la main de Taehyung dans la sienne.

Comme s'il avait voulu exorciser le mal d'amour qui le rongeait, il commença à parler, chuchotant son histoire et celle de l'être aimé de la même façon qu'il l'aurait fait dans le confessionnal d'une église.

L'écrivain l'écoutait, écarquillant les yeux devant cette vérité qu'il ne soupçonnait pas, mais ne remettant jamais en cause son récit.

Les mots s'écoulaient de la même manière que la trame du plus beau des récits, à moins qu'il ne s'agisse du plus triste.

La douleur de son ami faisait écho à la sienne, celle qui décidait de sa vie, celle qui l'amputait de sentiments, celle qu'il l'empêchait de vivre à nouveau tant elle prenait de la place dans son cœur.

Il effaça les dernières larmes qui coulaient sur ses joues et le serra dans ses bras lui promettant à nouveau que tout irait bien, même si son esprit lui criait que lui n'avait jamais été mieux.

Il le berça d'un doux mensonge pour apaiser son âme et son cœur en sang, de la même façon que Yoongi l'avait fait pour lui quelques années auparavant, priant pour que les mots de réconfort qu'il prononçait détiennent le pouvoir de l'apaiser un tant soit peu.

Il resta ainsi jusqu'à ce qu'il s'endorme d'épuisement dans ses bras, n'osant même pas respirer, replongeant à nouveau dans les affres du souvenir.

Comme des flashs, il sentait l'odeur de la peinture fraîche, les voilages tout juste accrochés qui virevoltaient dans le vent printanier. Il entendait la viande qui grésillait sur la grille du barbecue et le tintement cristallin des verres qui s'entrechoquaient. Il revoyait son sourire et se souvenait combien son cœur était léger alors, vibrant d'amour et de félicité.

Puis il y avait ce dessert que l'on avait oublié d'aller chercher, trop pris dans l'euphorie de la fête, le bruit des clés de voiture qu'il prenait sur la console de l'entrée, le baiser effleuré sur ses lèvres et quelques paroles.

Celles qu'on ne pense pas être les dernières, s'en souvenait-il encore ?

Le fracas de la tôle qui se déchire et les sirènes qui hurlent qu'il n'avait pas entendu et que pourtant, il percevait dans ses rêves comme la musique de fond d'un film trop souvent visionné. Il se souvint d'avoir lâché son verre qui s'était brisé en mille éclats sur les lattes de la terrasse de bois quand son téléphone avait sonné.

Il n'avait rien dit, mais son visage avait perdu sa couleur avant même que les premiers mots ne soient prononcés, il savait déjà.

Il avait raccroché sans un mot. Il se rappelait du silence qui avait pris place autour de la table, des chaises qui reculaient sur le sol avec un grincement, puis vinrent les murs blancs de l'hôpital, l'odeur d'éther qui flottait dans ces lieux, la pénombre et le froid de la morgue.

Il n'avait pas pleuré. Il avait soulevé le drap blanc et avait contemplé le visage de celui qui ne lui sourirait plus, qui ne le prendrait plus jamais dans ses bras et dont il ne sentirait plus la chaleur près de lui.

Il s'était autorisé une dernière caresse, la main tremblante, ne reconnaissant plus la texture de sa peau. Cette peau qu'il avait parsemée de baisers et de caresses.

Il avait remis le drap en place et était sorti sans un mot sous le regard inquiet de ses amis qui craignaient davantage son silence que ses cris.

Comment leur dire qu'il était mort lui aussi alors qu'il se tenait près d'eux quand le cercueil fut mis en terre ? Comment leur expliquer ce sentiment de perte qui vrillait ses entrailles ?

Il avait tu sa douleur, vendu la maison sans même y remettre les pieds, il n'avait plus jamais prononcé son prénom.

Il avait fait comme si, refusant le deuil, se drapant dans le cynisme, fuyant sa peine et son absence.

Il avait tenu quelque temps, jusqu'à s'effondrer dans les bras de celui qui somnolait dorénavant contre lui, des larmes séchées traçant des sillons sur ses joues.

Il caressa doucement son visage, priant pour que sa souffrance lui soit enlevée, pour qu'il ne vive pas ce qu'il avait vécu et qui l'empêchait désormais d'aimer.

...

C'est ainsi que les trouva Jungkook une heure plus tard.

Il s'était réveillé les bras vides de l'homme qu'il aimait et avait décidé de le rejoindre, le cœur serré, la peur au ventre.

Il savait qu'une frontière avait été franchie cette nuit-là. Quelque chose était né entre eux pendant cette union des corps, bien plus fort que l'amour lui-même.

Quelque chose d'éternel dont ils ne pouvaient faire abstraction malgré la peur, malgré les doutes de Taehyung, car lui savait qu'il devait en être ainsi.

Pourtant, quand il croisa son regard, le voile de ses certitudes se déchira sous la douleur que reflétaient ses yeux.

Et il comprit, il comprit ce qui s'était joué dans ce grenier, mais plus encore, il sut ce qui hantait les prunelles brunes de Taehyung à chaque fois qu'il posait les yeux sur lui.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top