Sixième tintement

C'est un cri, suivi d'un bruit sourd, qui le tira du sommeil profond dans lequel il avait trouvé refuge. Il cligna des yeux, ébloui par les rayons du soleil déjà haut dans le ciel, qui passaient à travers les fenêtres laissées ouvertes pour la nuit.

Le jasmin, qui courait le long de la façade, diffusait déjà à cette heure matinale, ses effluves sucrées.

Il serra son coussin dans ses bras, prêt à replonger dans une douce torpeur, quand le bruit s'intensifia dans la chambre de Taehyung.

Il donna un coup de poing rageur sur le matelas et se leva pour se diriger d'un pas encore endormi vers la source de cette fanfare matinale.

- S'il n'est pas à l'article de la mort pour gueuler comme ça, c'est moi qui le tue.

Devant la porte, il croisa Jungkook, suivi plus loin de Hoseok, eux aussi alertés par les bruits suspects qui s'échappaient de la pièce entrouverte.

- J'ai entendu hurler depuis le jardin, commença Jungkook, légèrement essoufflé d'avoir monté les escaliers en courant.

- Oh ce n'est rien, tu t'habitueras, c'est Princesse, lui répondit Hoseok, qui arrivait derrière, déjà habillé et la taille ceint d'un tablier à fleurs trop petit pour lui.

Le régisseur se retourna vers lui.

- Princesse ?

- Taehyung ...lui répondit-il avec un sourire, avant de lui passer devant pour pousser la porte de la chambre.

Yoongi lui emboita le pas et ils pénétrèrent tous les trois dans l'antre de l'écrivain qui criait tant et plus sur ce pauvre Casper.

Le chat le regardait, assis sur la courtepointe du lit, un énorme rat des marais coincé entre les canines.

- On peut savoir ce qui te fait beugler comme ça ? Tout le domaine t'a entendu, demanda Yoongi passablement agacé par cette réunion matinale à peine sortie du lit.

Vu de l'extérieur, on aurait pu se demander ce qui liait les trois hommes qui étaient aussi différents que les couleurs de l'arc-en-ciel.

Hoseok était un être solaire, qui cachait sa fragilité derrière une voix trop forte et un rire trop intense pour ne pas exposer des failles à qui savait regarder.

Yoongi portait en lui la noirceur de l'ombre, froid, tactique, solitaire, et pourtant possédant des qualités de cœur que peu de personnes savaient entrevoir.

Quant à Taehyung, eh bien, c'était Taehyung, une personnalité indescriptible, qui passait des ténèbres à la lumière en un quart de seconde.
Un être, dont le rire pouvait se transformer en un torrent de larmes sans que l'on sache exactement pourquoi. Une Drama Queen comme aimait l'appeler Yoongi, ce qui lui avait valu son surnom de Princesse, à cause de sa capacité à pousser des hurlements tonitruants avec la voix d'une castafiore pour des incidents insignifiants.

Taehyung était un comédien céleste, descendu des cieux pour montrer aux hommes les facettes infinies de l'âme humaine.

Et pourtant, malgré toutes ses différences, ils étaient aussi unis que les doigts de la main et Yoongi aurait mis sa vie en jeu pour protéger ces êtres hors du commun qu'il appelait ses amis.

Sauf qu'à cet instant précis, il avait envie d'en tuer un.

- MAIS ÇA, lui cria Taehyung, qui se tenait debout au pied du lit, un coussin serré contre lui en guise de protection.

- Ça, c'est un rat, Taehyung, mort de surcroît, répondit Yoongi d'un ton blasé en s'approchant de Casper. Il récupéra la proie que l'animal avait laissée tomber dans les draps, probablement outré de l'accueil qui avait été réservé à ce qu'il considérait comme un présent.

Taehyung eut un mouvement de recul en voyant son ami tenir la bête à bout de bras, se demandant ce qu'il allait bien pouvoir en faire.

Hoseok s'approcha et jeta un coup d'œil.

- Ma foi, belle bête, puis se dirigeant vers Casper dont il flatta la tête, c'est bien mon chat, tu es un bon chasseur.

- Non, mais t'es barge de le féliciter, ce n'est pas toi qui t'es réveillé avec un rat mort posé sur les pieds.

Jungkook, qui jusque-là assistait à la scène en silence, ne put s'empêcher de glousser, s'attirant les foudres du jeune homme qui l'interpella violemment.

- CE N'EST PAS DRÔLE PUTAIN !

Le régisseur, qui était appuyé contre le chambranle de la porte, se détacha et s'avança vers Yoongi pour récupérer le cadavre de la pauvre bête.

- C'est bon, je vais nous débarrasser de ça .... Princesse... dit-il en regardant Taehyung avant d'éclater de rire.

Et dans l'instant qui suivit, ils assistèrent à une véritable scène de Vaudeville.


Le jeune écrivain resta un instant bouche bée devant le régisseur, puis tourna brutalement les talons, après avoir collé son coussin dans les bras d'un Hoseok qui se retenait de rire, pour s'enfermer dans la salle de bains en claquant violemment la porte.

Yoongi, qui avait assisté à sa sortie théâtrale, ne put que louer le courage de Jungkook qui semblait en passe de tenir tête aux caprices de son ami.

Et alors qu'il observait le régisseur dont le regard restait fixé sur la porte fermée, une lueur amusée dans le regard, il se dit que ce voyage leur réservait peut-être plus de surprises qu'il ne pensait.

Bien décidé à aller prendre une douche et à continuer sa journée avec le café noir le plus serré qu'il pourrait trouver, il se dirigea vers la sortie quand ses yeux accrochèrent la tenue plus qu'improbable d'Hoseok.

- Et toi, on peut savoir ce que tu fais debout à l'aube, affublé d'un tablier à fleurs ? dit-il en désignant la pièce de tissu du menton.

Hoseok suivit son regard, puis releva la tête avec un sourire béat que son ami aurait qualifié d'idiot.

- J'aide Paisley en cuisine.

- Tu ne sais pas cuisiner et tu ne te lèves jamais avant dix heures du mat, souligna Yoongi.

- Ben quoi, il faut savoir changer ses habitudes, non ? Nouvelle terre, nouveau rythme.

Yoongi lui jeta un regard tout sauf crédule.

- Bien sûr, bien sûr...

Des surprises avait-il dit...

....

- Tu crois qu'il va y arriver ? demanda Hoseok en pointant du doigt Taehyung qui essayait en vain de monter sur le cheval qui lui avait été attribué, malgré le tabouret qui avait été mis à sa disposition.

Yoongi jeta un coup d'œil à son ami et soupira devant le spectacle qui s'offrait à lui, se demandant si c'était vraiment judicieux d'emmener Princesse avec eux dans la visite de la propriété.

Il vit Jungkook s'approcher pour lui venir en aide, mais Taehyung, encore vexé par la scène qui s'était déroulée un peu plus tôt dans sa chambre, sauta sur le pauvre cheval.

Sous l'impact, celui-ci henni furieusement, faisant s'écarquiller les yeux du jeune régisseur alors qu'il pinçait les lèvres pour ne pas rire.

Yoongi, lui-même, ne put s'empêcher de sourire en voyant le cinéma que faisait son jeune ami qui avait visiblement raté sa vocation de comédien.
Bien que tenant sur le canasson d'un équilibre précaire, il refusa l'aide de Jungkook pour se positionner correctement, au risque de se retrouver les fesses au sol une fois que la promenade aurait commencé.

Il décida d'intervenir avant que le jeune homme ne se montre encore plus désagréable avec Jungkook.

- C'est bon, on peut y aller, tu es enfin installé Princesse ?

- Princesse t'emmerde Hyung, répondit Taehyung du tac au tac.

Yoongi se retourna vers Hoseok avec un sourire moqueur, en tirant sur les rênes de son cheval pour qu'il commence à avancer.

- C'est bon, notre princesse est parée.

Il entendit le gloussement de Jungkook, qui s'était avancé sur son cheval et qui prit la tête du convoi aux côtés de Yoongi. Hoseok s'étant placé près de Taehyung pour parer une éventuelle chute.

Si les deux aînés avaient déjà pratiqué l'équitation, le plus jeune n'avait jamais chevauché de sa vie, cependant il avait insisté pour les accompagner malgré son inexpérience.

Yoongi le soupçonnait d'être plus intéressé par l'idée de passer un moment avec le régisseur que par l'étendue de son héritage.

Ainsi fonctionnait Taehyung, il était l'incarnation même de la dualité.

Yoongi, qui le connaissait peut-être mieux que personne, savait qu'il avait flashé sur le régisseur, mais il savait aussi que sa fierté le poussait à faire sa forte tête, car le jeune homme s'était moqué de lui.

C'était un enfant capricieux, de toute beauté certes, mais avec un foutu caractère qui ne déviait jamais de l'objectif qu'il s'était fixé.
Il laissait derrière lui des cœurs brisés, incapable qu'il était de savoir ce qu'il désirait vraiment ou de s'investir complétement et pour cause...

Yoongi se dit en posant ses yeux sur Jungkook, dont le regard était fixé sereinement devant lui, que peut-être, Taehyung risquait de perdre son cœur à son tour.

...

La propriété était si vaste, qu'après deux heures de chevauchée, ils en atteignirent à peine la limite.

Perdue au milieu des chênes recouverts de mousse, la maison se tenait au centre sur un léger vallon.

Au nord, se situaient les bâtiments agricoles. Les anciens hangars, qui à l'époque permettaient de stocker du coton, avaient été transformés dans les années soixante-dix pour devenir un atelier de distillation.

Un immense alambic se situait dans un des entrepôts, entouré de cuves dans lesquelles était stocké le rhum.

Il y régnait une chaleur insupportable.

Le régisseur leur avait présenté l'équipe de travailleurs qui s'activaient à son bon fonctionnement. Les ouvriers, ravis de voir enfin la propriété à nouveau habitée, les avaient accueillis chaleureusement, dissipant un peu le sentiment d'illégitimité que ressentait Yoongi depuis son arrivée sur ce qu'il avait du mal à encore considérer comme ses terres.

Samuel, le chef de l'atelier, lui avait fait visiter l'usine et lui avait expliqué que la température élevée qui régnait dans ces lieux, était due à la fermentation alcoolique du jus de canne qui dégageait beaucoup de chaleur.

Un autre bâtiment abritait les fûts qui permettaient de faire vieillir le rhum afin qu'il puisse être commercialisé dans la petite usine d'embouteillage qui jouxtait les hangars.

C'est là qu'était stockée la canne à sucre, qui était elle-même récoltée dans les champs couvrant l'ouest de la propriété.

Jungkook lui expliqua que l'affaire, bien que nécessitant des améliorations, était rentable.
Les ouvriers, qui vivaient dans l'ancien quartier des esclaves, qui ne l'était d'ailleurs que de nom, étaient passionnés par ce qu'ils faisaient.

Grâce à l'aide de Paisley, qui s'occupait de toute la comptabilité et de l'export, le rhum River Sand avait pu se forger une belle réputation dans des établissements prisés de l'État.

Après avoir passé un bon moment en compagnie de ces personnes et avoir évité de justesse une dégustation aux aurores, ils reprirent la route pour continuer la visite.

Une odeur de sucre persistante collait à leurs vêtements et leurs esprits étaient encore embrumés par les vapeurs d'alcool qui se dégageaient en volutes blanches se détachant dans le ciel bleu azur, pareilles à des dessins célestes.

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