Second tintement
Yoongi jeta un coup d'œil à ses amis qui se battaient pour un paquet de cacahuètes, que l'hôtesse venait de leur donner, et soupira avant de rabattre sa casquette sur ses yeux et de se tourner vers le hublot.
Plus que sept heures avant d'être délivré.
Cela faisait déjà plus de huit heures qu'ils volaient et il avait l'impression que cela faisait trois jours qu'il était enfermé dans la carlingue. Certainement à cause des deux autres qui se comportaient comme des préados surexcités en proie à des variations hormonales.
Il réfléchissait au tourbillon qui s'était emparé de sa vie depuis l'annonce de l'héritage une semaine plus tôt.
Il avait acheté les billets d'avion, démissionné de son petit boulot à la supérette. Il avait également contacté la boîte à laquelle il vendait quelques musiques en leur disant que dorénavant tout se ferait par mail pour une durée indéterminée, même s'il ne savait absolument pas s'il aurait le temps de composer.
Il avait ensuite dû courir les boutiques avec les deux énergumènes pour trouver des fringues adéquates à leurs séjours.
Nous étions au mois d'octobre et si le temps commençait à sérieusement refroidir en Corée, la température moyenne en Louisiane avoisinait les trente degrés à cette époque, avec un taux d'humidité à plus de quatre-vingt pour cent.
Tout ce qu'il détestait...
Hoseok, super excité, à l'idée de cette aventure comme il la nommait, avait carrément démissionné. Il savait qu'avec son cursus et son niveau de danse, il n'aurait aucun souci à retrouver du travail en rentrant à Séoul, son bureau croulant déjà sous les propositions de compagnies de danse.
Quant à Taehyung, il avait juste averti sa maison d'édition qu'il ne serait pas sur le territoire pendant quelques mois, et qu'il allait chercher l'inspiration ailleurs, leur faisant miroiter un recueil de nouveaux contes sauce cajun.
Des trois, il était celui qui était le plus angoissé.
Si ses compagnons voyaient cela comme une opportunité de devenir riche et de vivre quelques mois à l'étranger, lui voyait arriver devant lui un tournant dans sa vie.
Il était heureux de cette chance qui lui était offerte, cependant un pressentiment ne cessait de l'envahir, comme si, en quittant le sol coréen, il laissait derrière lui une partie de lui-même qu'il ne retrouverait jamais à son retour.
...
Il jeta un coup d'œil autour de lui à la recherche de l'homme qui était censé venir les chercher à l'aéroport pour les conduire à l'office notarial, puis sur la propriété.
Monsieur Oh, lui avait dit qu'il s'agirait du jeune régisseur et qu'il les attendrait dans le hall des arrivées pour les mener à destination.
La récupération des bagages avait été folklorique et il était aussi crevé que s'il avait passé une semaine à gérer une colonie de vacances, à cela se rajoutait le fait qu'il était réveillé depuis deux jours et que le décalage horaire d'une dizaine d'heures n'allait pas arranger son humeur.
Taehyung braillait qu'il avait faim depuis plus de deux heures et ils avaient failli perdre Hoseok, qui, déambulant le nez au vent dans l'aéroport, avait fini par s'égarer dans les couloirs du terminal.
- Là !!! cria Hoseok à dix centimètres de son oreille, manquant de l'éborgner en passant son bras sous son nez pour lui indiquer une direction.
- Je viens de perdre un dixième de mon audition, abruti ! grogna Yoongi en se mettant un doigt dans l'oreille pour faire cesser l'écho strident qui y avait pris place.
- Putain de merde, s'écria Taehyung de l'autre côté.
Yoongi, qui s'était tourné vers lui quand il avait crié, suivit son regard.
Un jeune homme brun se tenait derrière les barrières de sécurité, brandissant une pancarte avec écrit Min Yoongi au marqueur noir.
Le type laissait glisser son regard d'azur sur la foule qui se déversait à la sortie de la porte de débarquement, un sourire nonchalant aux lèvres.
Il comprit en un instant l'interjection de son ami en détaillant la silhouette parfaite, moulée dans un pantalon en cuir noir. Il détailla les épaules musclées que le t-shirt blanc qu'il portait, laissait deviner.
- Oh la vache, s'écria à son tour Hoseok. Putain, il y a des jours où je regrette de ne pas être attiré par les hommes.
- On y va, lui dit Taehyung en attrapant son bras et en le tirant pour avancer.
Le jeune héritier ne put s'empêcher de sourire.
- Je croyais que tu avais faim, que tu étais en hypo et si fatigué que tu ne pouvais plus bouger.
- J'ai retrouvé l'appétit, bouge, Hyung.
- Ok, répondit-il en dégageant son bras, mais premièrement, je sais marcher tout seul, deuxièmement essuie la bave sur tes lèvres, ça fait vraiment pervers, et troisièmement, je t'interdis de commencer à sauter tout ce qui bouge.
Hoseok éclata de rire en entendant la tirade de Yoongi, ce qui lui valut un regard choqué de Taehyung.
- Comme si c'était mon style, marmonna-t-il.
- Justement oui, répondirent les deux autres en cœur.
...
Le jeune homme qui les avait accueillis, s'était présenté sous le nom de Jeon Jungkook. Sa voix profonde et son accent traînant typique de la région tranchait avec son physique aux traits asiatiques.
Il leur avait expliqué, pendant le trajet qui les menait chez le notaire, que son père, lui-même ancien régisseur du domaine, était un métis issu d'une cajun originaire d'Acadie et d'un coréen. Ce qui expliquait ses yeux bleu clair, dans lequel Taehyung menaçait de se noyer à chaque instant, mais aussi sa parfaite maîtrise du coréen, au grand soulagement de Yoongi, qui même s'il parlait anglais, se sentait plus à l'aise dans sa langue maternelle.
Le trajet dura une demi-heure et Yoongi se rendit seul à l'office notarial alors que Jungkook, qui leur avait demandé s'ils pouvaient se tutoyer, amenait Taehyung et Hoseok faire un tour dans le carré français.
Le nouveau propriétaire avait dû signer une tonne de papiers et s'était vu remettre une pochette contenant toutes les clés de la maison, pochette qui devait d'ailleurs peser plusieurs kilos, car les clés constituées de fonte étaient d'époque.
Ce geste avait été symbolique, car la propriété était habitée par le régisseur, une gouvernante du nom de Paisley Smith et quelques employés qui s'occupaient du parc, des jardins et des annexes.
Yoongi apprit que l'arrangement avait été pris bien avant le décès de l'ancien propriétaire, afin que la demeure reste entretenue et en fonction.
On l'informa également, que contrairement aux autres plantations qui étaient devenues généralement des musées ou des attractions touristiques, River Sand possédait une petite distillerie de spiritueux qui lui permettait d'obtenir des revenus annexes.
Le montant de ses revenus, figurant sur les comptes qui avaient été remis à Yoongi avec la propriété, au vu du chiffre, contribuait largement à l'entretien de la demeure.
Le notaire lui avait conseillé avec bienveillance de s'approprier le lieu qui lui appartenait dorénavant et de réfléchir aux éventuelles réparations et aménagements à effectuer, car si l'argent ne manquait pas pour l'instant, la propriété n'avait pas été habitée et remaniée pendant de nombreuses années, car seul le propriétaire pouvait décider d'y faire des travaux.
Yoongi avait mentionné le fait qu'il voulait vendre ce bien à l'issue des six mois qui lui étaient imposés, ce qui lui avait valu le sourire énigmatique du notaire et cette phrase qui résonnait encore dans sa tête au moment où il franchissait la porte battante du building pour retrouver la moiteur étouffante de NOLA *.
- Monsieur Min, nous en reparlerons dans six mois, personne ne reste insensible à la beauté et au mystère de River Sand.
*NOLA surnom de la Nouvelle-Orléans
...
La plantation se trouvait à près de deux heures de route de la Nouvelle-Orléans.
Yoongi, après avoir passé un coup de fil à Hoseok, avait retrouvé le régisseur et ses deux amis dans un troquet proche du bureau du notaire. L'heure du déjeuner étant passée, il les avait rejoints pour déguster un Po-boy, un sandwich typique de cet état qui les laissa ravis et repus.
Ils regagnèrent ensuite le véhicule de Jungkook et partirent vers cette nouvelle vie qui s'ouvrait à eux.
Hoseok passa tout le trajet à discuter avec le régisseur, alors que Taehyung étrangement silencieux, suivait cet échange en dévorant des yeux le conducteur.
Yoongi ne put s'empêcher de sourire en pensant que son ami avait complètement flashé sur le jeune homme.
Il faut dire qu'avec ses cheveux bruns qui descendaient dans sa nuque en boucles souples, ses tatouages et ses nombreux piercings, Jeon Jungkook était l'incarnation même de l'homme idéal pour son ami.
Celui-ci répondait patiemment aux questions d'Hoseok qui fusaient à la vitesse de balles de mitraillette. Il ne put s'empêcher de louer sa patience et détourna le regard vers la fenêtre du véhicule avec un sourire.
Hoseok était un être solaire en apparence, mais lui qui le connaissait parfaitement depuis sa plus tendre enfance, savait qu'il cachait ses blessures passées sous une volubilité qui pouvait vous saouler plus vite qu'une bouteille de Rhum.
Cette façon d'être pouvait rebuter les gens aux premiers abords, mais il était heureux de constater que Jungkook semblait bienveillant à son égard.
Son front posé sur son bras replié sur la vitre baissé de la portière, il laissa son esprit se remplir des images qui défilaient sous ses yeux, se nourrissant des odeurs si particulières qui se dégageaient de ce nouvel environnement qui les accueillait pour le meilleur, il l'espérait.
Non loin des rivages de la mer, les senteurs de poissons et de crevettes se mélangeaient à celle de la vase et des végétaux en décomposition, créant un parfum unique qui ensorcelait.
Il avait lu quelques ouvrages sur la Louisiane avant son départ, mais rien ne l'avait préparé à se faire happer par cette atmosphère si particulière qui se dégageait des lieux.
Ce legs tombé du ciel était pour lui un nouveau départ et il savait qu'il en était de même pour ses amis, même si ceux-ci n'en avaient pas parlé.
À moins que ce soit la conclusion de quelque chose.
Ils mettaient leurs espoirs dans ce bout de terre de l'Amérique profonde.
Cependant, quand la voiture arriva aux pieds des murs d'enceinte de la propriété, le silence se fit.
Tous les regards convergèrent vers cet héritage du passé, dont la silhouette se détachait dans les rayons encore brûlants de cette fin d'après-midi et qui allait déterminer leur avenir.
Et il ne put s'empêcher de frissonner.
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