Onzième tintement
La pièce était gigantesque, elle recouvrait la totalité de la surface au sol de la maison et aurait pu abriter une dizaine de pièces.
Le soleil, déjà haut dans le ciel, jetait ses rayons sur le parquet de bois brut à travers les grandes fenêtres qui perçaient les murs de part et d'autre.
On pouvait voir la poussière en suspension, danser dans ses rayons comme une myriade de particules argentées, balayées par un vent inconnu.
Un immense œil de bœuf, à hauteur d'homme, constitué d'un vitrail de couleurs morcelées, semblait veiller sur cette pièce.
Sa charpente de troncs noueux et sa hauteur de plafond le faisait ressembler plus à une cathédrale qu'à un simple grenier.
Des malles de voyage, en cuir vieilli par les années, jonchaient le sol au milieu de meubles recouverts de draps.
Yoongi s'avança dans la pièce, subjugué.
Il avait l'impression d'avoir franchi les portes du temps. Il crut même apercevoir un bref instant, dans la psyché devant lui, une image de lui vêtu d'une redingote bleue, ses cheveux longs attachés d'un catogan noir.
La vision se dissipa aussi vite qu'elle était apparue et il continua d'avancer dans la pièce, ses pas laissant des empreintes dans la poussière.
Il entendait Taehyung et Jungkook échanger dans son dos, parlant d'un ton bas comme ils l'auraient fait en pénétrant dans le cœur d'une église.
- C'est quoi tout ça ? demanda l'écrivain.
Il perçut vaguement la réponse du régisseur, qui semblait aussi surpris qu'eux par leur découverte.
- Je n'en ai aucune idée ! On dirait que quelqu'un a stocké ici des générations de souvenirs.
Yoongi s'avança plus loin dans la pièce et s'accroupit près de l'une des malles recouvertes de poussière. D'un geste de la main, il en caressa la surface, dévoilant sous celle-ci, une plaque de bronze frappée des initiales de son propriétaire.
- P.J, murmura-t-il pour lui-même.
- Tu as trouvé quelque chose, Hyung ? demanda Taehyung qui venait de le rejoindre et qui regardait par-dessus son épaule.
- P.J, lut Jungkook, qui s'était approché à son tour. Park Jimin ?
Yoongi se releva et sortit de la pièce pour aller récupérer le trousseau qu'il avait laissé à l'étage inférieur.
À son retour, il s'accroupit à nouveau et inséra l'une des clés les plus petites qu'il avait en sa possession et entendit le déclic que produisit la serrure qui se libérait après des années de silence.
Il souleva le lourd couvercle de cuir à l'aide des lanières qui couraient de chaque côté et laissa retomber celui-ci en arrière dans un bruit sourd.
Taehyung émit un oh d'étonnement, alors qu'une forte odeur de vanille envahissait l'espace, la même que celle qui l'accompagnait chaque nuit dans son sommeil.
La malle était remplie de chemises de soie jaunies par le temps, mais dans un état de conservation exceptionnelle pour un climat si humide.
Il s'approcha d'une autre malle et l'ouvrit à son tour pour y découvrir des tenues de draps fins et des rubans de velours.
Emportés dans son euphorie, les deux autres ouvrirent à leurs tours plusieurs coffres pour y découvrir ici des services de porcelaine de Chine, là des tableaux sur lesquels figuraient des paysages exotiques d'un autre temps. À chaque découverte, ils ne pouvaient s'empêcher de pousser des exclamations de joies, conquis par les trésors que les bagages révélaient.
Une heure plus tard, ils n'avaient ouvert que la moitié de ce qui se trouvait dans le grenier. Cette chasse au trésor improvisée les laissait épuisés, couverts de poussière et emplis de questions sans réponse.
Le sol était recouvert de leurs découvertes, de la vaisselle, des livres de compte de la plantation, une écritoire en cuir émeraude accompagné de son porte-plume en cristal, du linge de maison.
Et ce qui les laissa perplexes, des vêtements essentiellement masculins, comme si jamais aucune femme n'avait vécu ici
Ici gisait ce qui avait constitué la vie de Park Jimin, mais de sa femme ne subsistait aucune trace.
Assis à même le sol, une trace de poussière lui ornant le front, Yoongi observait l'état du grenier qui semblait s'être transformé en dépôt de brocante.
Ses deux comparses n'étaient pas en meilleur état. Il voyait la sueur coller le t-shirt de Jungkook contre son torse, alors que des toiles d'araignées s'accrochaient comme des guirlandes dans les boucles brunes de Taehyung.
Un silence religieux régnait sous ses poutres centenaires, seulement brisé par le bruit des pages d'un livre que l'on tournait, ou par les froissements de tissus des tenues que l'on déplaçait d'une malle à l'autre.
Ce fut ainsi que les trouva Hoseok, qui ne les voyant nulle part, partit à leurs recherches dans la maison pour qu'ils déjeunent.
Il fut décidé que le tri du grenier serait remis à plus tard, car ils devaient prendre une douche et se rendre en ville pour aller chercher les matériaux dont ils avaient besoin pour commencer les travaux au plus vite.
Le grenier ne faisait pas partie de leurs priorités pour l'instant.
Les conversations, durant le déjeuner et pendant le trajet jusqu'à la ville, tournèrent autour des découvertes incroyables qu'ils avaient faites, pourtant Yoongi ne pouvait se départir de la sensation d'un manque.
Comme si les pas qui l'avaient guidé dans ce grenier, voulaient qu'il découvre quelque chose de particulier et que lui seul était censé avoir dans ses mains.
...
Comme prévu, l'après-midi shopping fut intense et chaotique à l'instar des personnalités de ses amis. S'il avait pu passer la commande de la majorité des matériaux qui leur seraient livrés le lendemain matin sur la propriété avec Jungkook, les choses avaient dégénéré au rayon peinture. Un débat enflammé avait débuté entre Taehyung et Hoseok sur la future couleur des murs des pièces en réfection.
Le sujet de désaccord, d'après ce qu'avait compris Yoongi, était la nuance " petit ventre de taupe" que Hoseok, qui avait autant de goûts que lui-même était un grand sportif, avait qualifié de maronnasse grisâtre sans intérêt, heurtant ainsi la sensibilité artistique de l'écrivain.
Une explication haute en couleurs avait débuté, chacun défendant son point de vue. Le tout sous les yeux médusés de la conseillère en décoration d'intérieur, qui ne savait comment réagir face aux deux énergumènes qui se hurlaient dessus dans une langue étrangère à grands renforts de claquement de langues désapprobateurs.
Yoongi avait jeté les catalogues d'échantillonnage dans le caddie en s'inclinant respectueusement devant la vendeuse et avait évacué manu militari les deux pugilistes pour les traîner dans le magasin vidéo de l'autre côté du centre commercial.
La technique, comme lui signala le régisseur qui avait regardé le spectacle avec le regard d'un homme voyant pour la première fois des extra-terrestres, était grossière, mais avait eu le mérite de fonctionner.
Il s'en était tiré avec une facture pharaonique, mais les sales gosses qui lui servaient d'amis avaient retrouvé un comportement d'humains civilisés, surtout quand une console de jeu dernier cri avait été rajoutée à la longue liste de leurs revendications.
Jungkook, qui était aussi épuisé que lui de devoir les supporter, avait traîné tout le monde au restaurant de Nam et Jin, qui allait devenir, semblait-il leur point de ralliement.
Ils avaient été accueillis par un Jin hilare aux récits de leurs pérégrinations de l'après-midi.
Il leur avait proposé spontanément son aide pour les travaux en cas de besoin, ce que Yoongi avait accepté de bon cœur.
Dorénavant installés confortablement sur la terrasse du restaurant, à l'écart des dîneurs, ils discutaient avec les propriétaires des lieux.
Yoongi caressait du doigt la condensation qui s'était formée sur la surface de son verre de Mint Julep. Son odeur de menthe fraîche venait se mélanger à celle du chèvrefeuille du jardin qui exaltait ses arômes sucrés en ce début de soirée.
Il entendait au loin le brouhaha de la vaisselle de porcelaine qui s'entrechoquait alors que dans la rue résonnaient les notes d'un vieux saxophone. Les graviers blancs crissaient sous les pas des serveurs qui allaient et venaient, les bras chargés de plats dont les épices laissaient un sillage parfumé derrière eux.
Leur table se situait dans la pénombre. Seules les lumières des guirlandes blanches lumineuses, qui grimpaient le long des palmiers, et la lueur des bougies disséminées çà et là, éclairaient l'endroit.
C'était un lieu où il se sentait bien à l'instar de la plantation. Un endroit curieusement familier où il trouvait un repos de l'âme mérité.
Son esprit fut ramené à la réalité par le bruit d'un objet rencontrant le bois de la table au moment où un serveur amenait un seau de glaçons et plusieurs plats fumants de trempette crevette.
Comme s'ils n'avaient pas mangé depuis une semaine, il vit ses amis se précipiter sur les tranches de pain grillé et les tremper dans la préparation pour en ressortir des tartines dégoulinantes de fromage et de crevettes épicées.
Jungkook attendit que chacun se serve et trempa à son tour un quignon croustillant dans la sauce, avant de le porter à ses lèvres avec un sourire de satisfaction.
- La meilleure trempette après celle de ma mère, dit-il avec un sourire à l'intention de Jin.
Celui-ci posa sa main sur l'épaule du régisseur avec un sourire entendu.
Taehyung était rongé par la curiosité depuis la première fois où il avait posé les yeux sur cet homme. Il ne cessait de l'observer du coin de l'œil, ne put s'empêcher de demander :
- Ta mère est créole ?
- Était ...
Taehyung pâlit brusquement alors que le silence se fit autour de la table, il bredouilla mal à l'aise.
- Je suis désolé, je ne voulais pas...
Jungkook secoua la main vers le jeune écrivain dans un signe de négation, un sourire triste au coin des lèvres.
- Il n'y a pas de mal, Taehyung. C'était il y a longtemps, très longtemps... Cela ne me pose pas de problèmes d'en parler.
Nam, qui observait le jeune homme, intervint.
- La mère de Jungkook était la meilleure cuisinière de la région et ce restaurant lui appartenait.
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