Chapitre 28 : "Cavale"

Je montais sur le plan de travail de la cuisine et soulevais le cadre de la fenêtre qui s'ouvrit en grinçant un peu. Jeff avait bloqué la porte en poussant le réfrigérateur devant. Liu et les soldats semblaient avoir quitté l'enceinte de la maison pour aller voir la cave. Je me recroquevillais sur moi-même pour pouvoir passer par l'ouverture. Jeff avait saisit son sweat au vol avant d'entrer dans la cuisine et l'avait enfilé directement sans rien en dessous. J'avais pris son T-shirt. Il sorti à son tour par la fenêtre en grognant un peu. J'avais du me laisser glisser dans le vide pour atteindre le sol mais lui n'en eut pas besoin, sa taille lui ayant permis de poser les pieds à terre dès sa sortie. Je me retrouvais alors dans la même courette que l'avant-veille, jour de ma fugue. Jeff s'approcha du mur que j'avais escaladé et m'interpela. 

- Dépêches-toi poupée !

je le rejoins et il s'abaissa pour me faire la courte échelle. Je me retrouvais alors assise  en haut du mur, les jambes pendantes dans le vide. Je le regardai et constatai avec jalousie qu'il parvenait à se hisser en haut à la force des bras. Il passa de l'autre côté avec facilité et leva les yeux vers moi. 

- Allez, tu descends ? 
- Je peux pas ! La dernière fois que j'ai fais ça, ça s'est mal fini...

Je le vis lever les yeux au ciel et grogner un peu. 

- Bah, t'avais pas qu'à te barrer !
- Jeff !
- C'est bon, je déconne !

Il se mit à rire puis se mit sous moi et me tendit les bras. 

- Saute, je te rattrape. 

Une moue dubitative s'afficha sur mon visage. 

- Allez ! On a pas toute la nuit !

Je croisai les bras et marmonnai. 

- Tu vas pas me rattraper.
- Mais je te dis que si ! Bouges-toi T/P !

Je le fixai dans les yeux quelques secondes avant de me laisser glisser du mur en retenant un cri. Je sentis deux mains se loger sous mes genoux et dans mon dos. Jeff affichait un air fier et ricana. 

- Tu vois que je t'ai rattrapé. 
- Oh, tais-toi ! Laisse moi descendre !

Il me posa au sol puis saisit ma main avant de partir en courant. Je suivais bien au début mais la cadence ne ralentissait pas et je commençais à manquer de souffle. Jeff le remarqua et s'arrêta. 

- Ça va ? 

Je hochais la tête en respirant bruyamment. Je regardais autour de nous et constatais que nous nous trouvions à l'orée d'un bois. Jeff serra ma main dans la sienne. 

- Tu te rappelles quand on est allé dans l'espèce de brocante ? 
- Là où tu m'as demandé de choisir entre vous deux ? 
- Oui. 

Je fronçais les sourcils tandis que Jeff poursuivait. 

- Et beh, vu qu'on peut plus rester ici, on part au manoir. 
- Où ça ?!
- Au manoir, mon frère pourra pas nous retrouver la-bas. 

Tous les moments où j'avais souhaité que Liu me retrouve me remontrent. J'avais enfin la possibilité de reprendre le cours normal de ma vie. Sans Jeff, sans cadavres, sans sang, sans cavale, sans peur. Je pouvais recommencer à aller à la fac, voir Emy. Je pourrais recommencer à vivre. 

Jeff tira sur ma main, comme pour me sortir de mes pensées. 

- T/P ? T/P ! Allez vite, ils vont pas tarder à nous retrouver si on reste plantés la.

Je ne bougeai pas d'un poil. Jeffrey insistait. 

- Non. 

Il s'arrêta et me fixa, décontenancé. Il lâcha ma main. 

- Comment ça, "non" ? 
- Je ne viendrai pas avec toi, Jeff.

Je baissais la tête et poussais un long soupire. Il commença à s'agiter devant moi. 

- Quoi ?! Mais pourquoi ?!
- Jeff... Je ne peux pas vivre avec toi, c'est ingérable... Tu es un tueur en série, tu es malade Jeffrey...
- Je ne suis pas malade !

J'avais reculé de deux pas, apeurée. Il s'en rendit compte et soupira à son tour.

- Pourquoi tu dis ça... Ça fait mal... Je te fais peur et je le sais mais le fais pas exprès... J'ai pas voulu devenir comme ça... C'est pas ma faute... C'est leur faute à eux !

Sa voix avait l'air brisée, comme s'il allait éclater en sanglot d'une seconde à l'autre. Je me rapprochais doucement de lui. 

- C'est qui "eux"...?
- Randy et sa putain de bande de merde ! 

Il leva vers moi un regard trempé de larmes. Ses lèvres étaient crispées en un rictus douloureux. 

- Tu crois  que je me rend pas compte que j'ai un grain ? J'en ai totalement conscience merde ! Et ça fait mal ! Ces putains de voix dans ma tête qui la ferme jamais ! Qui me disent d'aller tuer, d'aller torturer encore et encore ! Qui me disent de me défigurer ! Tu penses que j'ai pas conscience de tout ça ?! J'ai une putain d'âme qui souffre, comme la tienne ! Comme celle de tout le monde ! Mais moi, j'étouffe T/P ! J'étouffe ! J'en peux plus, j'en peux plus de vivre...!

Je me rapprochais encore et le serrais dans mes bras. Il se mit à pleurer bruyamment. Je me mis à caresser doucement le haut de sa tête pour tenter de l'apaiser. 

- Jeff, écoute moi...

Il releva la tête et s'essuya le visage à la va-vite. Je lui adressai un sourire. 

- Il faut que tu extériorises tout ça, tu pourrais jamais aller mieux si tu n'en parles pas. 
- T/P, je suis recherché depuis plus de dix ans, si je me fais choper, je finis ma vie en taule et personne ne voudra m'écouter. Et puis, je peux même pas aller voir un psy ou un médecin à cause de ça...

Il pointa le sourire sanglant scarifié sur ses joues. Je me mis à réfléchir pour trouver une solution. 

- J'ai une super bonne copine qui fait des études pour devenir véto, ça vaudra pas tout à fait un médecin mais elle pourra au moins te désinfecter et te mettre des points proprement. Et puis, qui a dit que tu devais allé chez un psy ? je peux très bien t'écouter moi !

Jeff me sourit tristement. 

- Je peux pas t'imposer ça.
- Mais quel culot ! Tu m'as imposé bien pire !

Je ricanais légèrement mais lui n'esquissa même pas l'ombre d'un sourire. 

- Justement, Je veux plus que tu souffres à cause de moi.
- Si je te le propose, c'est que j'arriverai à encaisser. Je t'en pris, laisse-moi t'aider. 

Il sembla réfléchir quelques secondes avant de prendre ma main. 

- Merci...

Je lui souris en guise de réponse. Le soleil commençait à se lever derrière les arbres de la forêt. Jeff leva la tête et sourit en apercevant la source de lumière. Il marcha en direction de la partie sombre des bois, serrant toujours mes doigts entre les siens. L'air se rafraichit d'un coup, coupé de toute source de chaleur. Je rentrai un peu la tête dans les épaules, inquiète. Je tentais un trait d'humour. 

- On dirait un film d'horreur cet endroit ! 
- C'est le cas. Rajoute une caméra et t'as ton film. 

Jeff gloussa un peu. Moi, pas tout. Qui me dit qu'il ne va pas simplement m'égorger une fois qu'il sera certain qu'on ne pourra pas me retrouver ? Je regardais derrière nous. Nous étions terriblement seuls... Je sentais mon coeur s'emballer. 

- Jeff... 

Ce dernier s'arrêta et me regarda. Je cru voir une lueur inquiétante dans ses iris. 

- Qu'est-ce qui t'arrives ? 
- J'ai peur ici...
- T'as peur de quoi ? 

De toi. 

Cette pensée manqua de m'échapper. Je tournais la tête et la secouais un peu. Je vis Jeff afficher un air absent et commencer à s'approcher de moi. Je reculai par réflexe. Il s'arrêta et me fixa quelques secondes. 

- T'as peur de moi, c'est ça ? 

Je ne parvenais plus à bouger. Seules mes lèvres tremblaient. Il poursuivit. 

- T'as peur que je t'égorge en plein milieu de ces bois ? T'as peur que ne me contrôle pas ? HEIN, T/P ?!

J'avais sursauté et baissé les yeux, terrifiée. Je remontais la tête et constatais avec horreur qu'il avait sorti un Opinel de la poche de son jean. 

- C'est vrai que je pourrais t'égorger... Ce serait plus simple.
- Jeff ! Non ! Je t'en pris ! J'ai rien fait cette fois !

La panique me serrait les entrailles. Jeff débloqua la lame de son couteau et la fixa sans rien dire. 

- S'il te plais Jeffrey...! Me fais pas de mal ...!

Les larmes avaient commencé à noyer mon visage. Jeff s'approcha encore de moi et essuya ma joue droite avec son pouce. 

- Pourquoi tu pleures, poupée ? Tu penses vraiment que je pourrais te faire du mal ? 

Je ne répondis pas, terrorisée. Il soupira. 

- Ça me déçois, je dois l'avouer. Mais si je veux être complètement honnête avec toi, t'as raison d'avoir peur de moi. 

J'écarquillais les yeux de terreur. Jeff regardait sa lame d'un air distrait. 

- J'aimerai tellement entendre ta voix qui hurle de peur ou de douleur parfois... J'aimerai tellement pouvoir voir ton sang m'éclabousser... Voir ton expression de terreur, de douleur pendant la torture...

Je reculais doucement. Putain, pourquoi je l'ai suivi ? Comment j'ai pu espérer pouvoir le soigner ?! 

- Je veux pouvoir gouter tes larmes, je veux te baiser jusqu'à ce que tu me supplies d'arrêter et je continuerai encore, rien que pour pouvoir te voir devenir folle de douleur et de plaisir. 
- Jeff ! 
- Je veux te faire belle comme moi, ma princesse... Te faire sourire à jamais. 
- Jeff ! Mais arrête putain ! 

Mes larmes redoublèrent d'intensité. Pourquoi... Je vais mourir, et horriblement en plus. Je me laissais tomber à terre, à bout de nerfs. Jeff s'accroupit devant moi et caressa doucement mon visage. 

- Laisse-moi te faire mal mon amour...
- Jeffrey, laisse-moi partir ... tu avais promis...

Il sourit un peu.


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