Chapitre 19
Fiodor... Fiodor Dostoïevski de son nom complet, était un homme malin. Si rusé que même le renard tomberait dans ses pièges mesquins, si malsain que même le loup en tremblerait. Il déchiquetait la chair de ses adversaires par les mains d'autrui et gardait les siennes propres et blanches.
Pourtant, aujourd'hui il se sentait relativement bien; assez pour juste importuner les deux garçons et ne pas les dévorer sur place. Tout ce qu'il voulu faire était de les taquiner un peu, les taquiner à sa façon.
De son imposante carrure, il s'approcha d'eux. Il semblait si léger que le parquet ne grinçait même pas ne serais-ce qu'un peu sous ses pas. Ses cheveux de jais s'emmêlaient sur son cou fin et sa pâleur faisait presque peur. De plus, ses étranges habits mélangeant le chic et le plus démunit des style déstabilisait Akutagawa, qui n'arrivait pas à le cerner car rien ne concordait.
Sa danse endiablé, longue et lente était chorégraphiée à la seconde près : il avançait tout doucement en les faisant languir dans leur impatience, ainsi ils seraient moins serein à son approche et plus faibles, ensuite il les ferait tourner en bourrique et ils partiraient, bien trop effrayés pour continuer. Enfin, ça, ce n'était que si les deux garçons étaient réellement d'énormes mauviettes.
Fiodor avait envie de s'amuser un peu, de rire avec son spectateur secret caché derrière les rideaux, et de ne pas en finir tout de suite. Alors, il tournoya presque joyeusement autour de ses invités et leur raconta un tas d'ânerie, comme quoi Chuuya était mort depuis longtemps et dans d'atroces souffrances qui plus est, comme quoi Dazai lui avait fait du mal, comme quoi Mori était son supérieur direct et n'avait absolument pas besoin d'aide lui aussi...
Alors le blanc abordait une mine sombre, couvrant l'entièreté de ses douces prunelles jaunies, et se décomposait au fil des paroles de leur vis à vis. Cependant, le brun, lui, avait un air bien plus septique à la figure. Son sens critique prenait le dessus sur ses émotions, et la situation lui semblait bien trop théâtrale pour être réelle. Il sentait la supercherie du bout du nez. Bien même qu'il ne connaisse pas très bien Ranpo, il le croyait sur paroles, à contrario d'Atsushi qui faisait bien trop fonctionner ses méninges à essayer de relier les flux d'information entre eux.
Akutagawa saisit discrètement la main de son petit-ami dans la sienne pour le forcer à avancer loin de cet étrange homme, mais, ce geste n'échappa évidemment pas à Fiodor, qui, aussitôt s'écria :
__ Oh ! Mais seriez vous des tourtereaux, tout les deux ?
Un silence gênant s'installa entre les trois jeunes hommes, dont un qui semblait encore figé dans son ancienne position, un grand sourire aux lèvres et les mains collées l'une à l'autre pour former une sorte d'oreiller réconfortant près de ses joues creuses.
Puis, ce dernier appela quelqu'un. Ce quelqu'un sorti de derrière les rideaux du couloir et se présenta exactement comme le russe l'avait fait auparavant. C'était l'homme qu'ils avaient vus roder lors de leur repérage.
Quand ce dernier se redressa toujours en imitation, il se mit à rire.
Mais Akutagawa sentait que quelque chose n'allait pas. Son rire... n'était clairement pas sincère. Très bien joué, certes, mais ses dents étaient bien trop serrées entre elles afin qu'il soit assez détendu pour rire de la sorte. C'était comme... s'il était forcé.
Fiodor le dévisagea avant de le réprimander sur un ton en même temps sérieux et moqueur, rempli d'une certaine fierté :
__ Nicolas. Est-ce ma splendide reproduction de ta personne qui te fait rire si grossièrement ? Je n'y crois pas... cesse de te comporter de la sorte devant les invités !
Les deux garçons n'en revenaient pas, était-ce une blague ? Une mise en scène douteuse ou de la provocation ? Enfin, cela n'étonnait qu'à moitié le brun.
Dans tout les cas, leur façon d'être n'avait rien de normal et leur visage souriant ne pouvait cacher qu'une autre motivation, celle ci bien plus nuisible.
Soudainement Fiodor soupira d'une manière intraduisible, et toute trace d'un quelconque amusement disparu de sa figure. Les yeux glacials et le dos déjà presque entièrement tourné à eux, il posa une main sur l'épaule de son acolyte.
__ Nicolas, je te laisses t'occuper du reste, moi je vais voir "наивный*"
Ce dernier ce contenta d'hocher de la tête en perdant à son tour son air de gogol. Le russe était déjà en train de gravir les escaliers de l'étage suivant lorsque le nouveau personnage fit asseoir Atsushi et Akutagawa autour d'une table à thé sans thé. Il les regarda longuement avant de poser ses mains autrefois jointes sur la nappe peu colorée.
Doucement mais sûrement, il engagea une discussion pour le moins pas anodine.
__ Vous savez qui il est ? Demanda Nicolas en pointant des yeux le passage par lequel Fiodor s'était éclipsé.
__ Non... pas vraiment. Souffla tout doucement Atsushi, sans une once d'assurance.
__ Et bien vous avez de la chance. Il ferma les yeux, comme nostalgique d'une époque révolue. Il est tout juste humain, s'en est terrifiant. Écoutez bien, c'est un conseil que je vous donne : partez. Vite.
Akutagawa n'eut même pas besoin de réfléchir pour comprendre ce qu'essayait de faire l'homme en face d'eux. Il tentait de les décourager, c'était évident à s'en faire saigner les yeux. Mais le noiraud était coriace, tout comme son amant, qui ne se laissait plus attraper désormais. Car, certes, il se sentait particulièrement touché par l'actuelle situation, mais en aucun cas il ne se permettrait la fuite de nouveau. S'échapper, c'était pour les lâches. Et lui, il n'en était plus un. Chuuya ne pouvait plus se faire abandonner comme les années précédentes; et c'était pour cela qu'il l'aiderait coûte que coûte. Une main tendue viendrait à sa rencontre, de nouveau, et le roux pourrait enfin retrouver sa famille. Ou du moins une partie...
__ Ne vous frottez plus jamais à lui, je suis sérieux. Fiodor est un fou, il avait déjà prévu ce qu'il se passerait aujourd'hui il y a 5 ans.
Ce fut seulement à ce moment là que les épaules des deux garçons se raidirent pour de bon. Cette révélation était tout bonnement impensable, même si elle avait était très clairement dite.
Mais si le russe avait tout planifié depuis le début, comment gagneraient-ils ? Et puis, cela signifiait forcément qu'il en savait bien plus qu'ils ne le croyaient à propos de Chuuya, d'eux et probablement aussi de Dazai. Enfin... la véritable question à se poser était : quelle sorte de personne s'amuserait à deviner les moindres faits et gestes de ses victimes avant de commettre un tel crime que la séquestration ?
Bien sûr qu'il était dans le coup, c'était bien plus qu'évident à présent ! Qu'il soit le complice ou le cerveau, un crime restait un crime, mais pourquoi faire ? L'histoire ne tenait plus la route à cause de son entrée fracassante dans leur enquête, et Atsushi se retrouvait perdu dans toutes les hypothèses et possibilités d'explications qui survenaient à lui. Alors qu'à l'inverse, Akutagawa ramait. Il n'y avait rien qui coordonnait pour lui, mais quelle piste choisir dans ce cas ? Même fausse, elle pourrait les aider ! Cependant, il n'y en existait pas, il n'en trouvait aucune.
__ Même ce que je vous dis là fait parti de son plan. Mes actions comme les siennes n'ont rien de naturel. Avoua Nicolas d'une voix plus faible, comme dans la confidence d'un horrible secret, ce qui était en fait un peu le cas.
__ Mais... pourquoi ? Demanda automatiquement le blanc, sans même réfléchir car les mots étaient sortis tout seuls.
Le silence de leur vis à vis leur fit comprendre qu'il était temps pour eux de s'en aller vite avant de passer aux mains. D'ailleurs, ce dernier se leva d'un trait en leur lançant un regard se vouant menaçant. Mais les deux ne se découragèrent pas et se redressèrent à leur tour.
Jamais Atsushi n'aurait cru en arriver là, à se battre avec quelqu'un, mais sa famille, Chuuya, était en danger de mort. Et peut-importe ce qu'il devrait faire, il le ferait.
Parfois, il se disait que s'aurait été bien plus facile de juste appeler la police et de constater les dégâts... mais il n'avait pas le temps d'être un citoyen normal. Pas aujourd'hui, aujourd'hui il était un garçon bizarre embarqué dans une histoire de famille toute aussi étrange. Et il traversait les océans, et il franchissait les grandes portes, et il frapperait s'il le devait.
Quand Nicolas vit l'air déterminé d'Atsushi, il se souvint qu'il y eut un temps où il abordait le même regard. Il ravala sa salive, car à présent, il ne pouvait rien faire d'autre que de s'en remettre à lui.
De toute façon, il allait mourir, donc autant le faire en temps qu'homme fier et surtout en temps que lui. En temps que Nicolas Gogol.
Il soupira, et à la plus grande surprise d'Atsushi et Akutagawa, il leur sourit. Au fond de lui, sa dernière pensé fut que Chuuya s'en sorte en un seul morceau. Lui qui n'avait pas eu la chance d'avoir un espoir miroité, ou justement lui qui avait eu la chance de ne pas s'en sortir ce jour là. Nicolas avait tant été aveuglé par le désir de vivre de nouveau qu'il en avait oublié ses valeurs. Au final, il avait même oublié d'espérer.
Si Fiodor avait eu encore plus de pitié pour lui, peut être s'en serait-il sorti à peut près vivant... mais l'homme au regard assassin était un monstre. Bien même plus qu'un simple monstre. Nicolas trouva ça triste qu'il ne s'en soit rendu compte que maintenant. A partir du moment où Fiodor était venu le chercher, il avait signer son arrêt de mort.
Il pinça sa lèvre inférieur en retenant un minime sanglot. Quelle honte de se montrer ainsi devant ses sois disant "ennemis" ! D'une main tremblante, il montra la direction par laquelle était parti Fiodor et de suite les deux amants s'y précipitèrent.
Ils disparurent dans la pénombre du corridor avant que leurs pas pressés rejoignent les escaliers de bois dans un bruit sinistre.
__ Ah... ça aussi tu l'avais prédit, n'est-ce-pas Fiodor ?
* Naïf en russe.
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