Chapitre 18

Sa maison, ou plutôt sa forteresse, se trouvait à l'autre bout de la ville, sur une des côtes osseuses du pays. Le bord d'une rive sage était son habitat naturel, le lierre poussait sur les pots de fleurs de l'entrée et aussi, ou surtout, elle était toute isolée, sans voisins. C'était comme si elle n'attendait rien de plus que l'agréable odeur de l'eau et des feuilles jaunies s'y engouffrant.

Cependant, le clame ne régnait qu'en apparence.

Les cris atroces de Chuuya résonnaient encore à travers les murs, aussi épais soient-ils. Tous avaient compris qu'ils ne réussiraient jamais assez à couvrir les pleurs incessants du jeune homme, et ce même en lui enfonçant un bâillon dans la bouche.

Et alors que le soleil se levait sur la colline presque campagnarde, le rouquin se demanda depuis combien de temps il n'avait pas vu la lumière du jour. Dans cette pièce sans fenêtre, il ne pouvait rien faire d'autre que d'hurler à s'en arracher les cordes vocales... enfin, c'était ce qu'il avait fini par croire. Au début, il avait tenté de s'échapper en taillant les cordes avec ses ongles, ou de briser un mur, mais bien sûr, la réalité le reprenait à chaque fois. Jamais plus il ne sortirait de cette salle. Car elle était sans issues, lisse, impeccable : parfaite. On l'avait encore et encore attaché, au point ou ses mains avaient finies inutilisables et blanchâtres. Mais au fond de lui il résistait encore. Bien qu'il ne cherchait plus à se libérer physiquement, sa bouche s'ouvrait sans cesse en grand pour laisser son âme s'évader ne serais-ce qu'un tout petit peu.

Même si crier était ce qu'il faisait le plus souvent, la marge qu'on lui avait donné lui avait permit de se poser mille et une question. Dazai l'avait-il oublié ? Si non, viendrait-il ne chercher ? Le sortir de cet endroit sombre ? Mais le temps était passé et rien de tout cela n'était arrivé. Chuuya avait naturellement commencé à désespérer.

Aujourd'hui encore, il songeait à ceux qu'il avait laissé derrière lui lâchement.

A ses quinze ans, il était gonflé de confiance et d'aubaine, persuadé que Dazai et Odasaku viendraient le chercher, même jusqu'au bout du monde. A croire qu'il était un fervent croyant de l'amitié sans limites. Pour lui il était presque évident qu'ils viendraient le trouver. Sérieusement, il avait été trop naïf de penser ainsi. Bien trop naïf.

«La vie n'est pas un compte de fée. Tu t'es fais choper mon pauvre...»

Cette voix moqueuse et agaçante qu'il avait eut la malchance d'entendre il y de cela maintenant quelques années lui restait en travers de la gorge.

Parfois, il s'imaginait cracher sa rancune à la figure des dieux pour ne avoir eut la maladie d'Alzheimer, ou juste pour ne pas être naît sourd.

Et dire qu'il avait eut l'audace de penser que tout irait bien...

De grosses larmes coulèrent sur ses joues, il n'en pouvait plus. Dans peu de temps, il craquerait. Tout s'émietterait. De son corps ne restera plus que de la poussière et son esprit n'aura d'autre à faire que de vagabonder dans les rues à la recherche d'un jeune homme au grand sourire.


De l'autre côté de la rivière, les corbeaux croassaient funèbrement dans un décor apocalyptique. Les branches craquelées des arbres morts tremblaient sous le poids des oiseaux et les nerfs d'Atsushi commençaient à fulminer à cause du bruit ambiant. A son contraire, Akutagawa ne semblait pas le moins du monde dérangé par leur chant macabre.

Ces deux incarnaient à la perfection et sans nuls doutes le yin et le yang, un symbole chinois puissant fondamentalement. Atsushi se souvenait que petit, Chuuya en portait un en collier. Par ailleurs, il était l'objet de nombreuses taquineries de la part de Dazai. Rien que de penser à cet heureux souvenir, le sourire du blanc reprit possession son doux visage et sa nervosité s'apaisa un peu.

Alors qu'il allait demander des nouvelles sur la situation à son amant, le brun prit la parole à voix basse.

__ Je ne crois pas que l'entrée et le rez-de-chaussé soient gardés... par contre il y a quelqu'un qui passe régulièrement au deuxième étage.

Il baissa ses jumelles tout doucement et jeta un regard interrogatif mais sérieux à la fois voulant dire "que fait-on" à Atsushi, qui fut dans l'incapacité la plus totale de lui répondre quoi que ce soit. Après tout, ce n'était pas comme s'il savait gérer la situation... il soupira lourdement en plissant les yeux, signe de désespoir face à leur inefficacité. Quelle ironie que ce soit deux boulets comme eux qui soient aux commandes de la mission "secourir le rouquin"...

Mais en même temps, ce n'était pas comme s'ils avaient le choix ! Ranpo était hors-service pour le moment, Poe et son oncle refusaient désormais de se mêler de leurs affaires et Kunikida était, lui, toujours au Japon. Ils n'avaient plus d'autres solutions que de compter sur eux mêmes.

En ce moment même, Akutagawa et Atsushi observaient la demeure de l'adresse que leur avait donné Fitzgerald pour mieux s'adapter à l'infiltration. Cependant, aucun des deux ne savaient vraiment comment s'y prendre. La blanc passa une main sur son front et étala ses doigts sur l'entièreté de sa figure en la penchant en arrière, totalement dépassé par la tournure des événements. Soudain, il prit une grande inspiration et s'écria bien plus énergiquement :

__ On fonce dans le tas !

__ Quoi ? Tu veux nous faire tuer ? Tu es devenu fou ? Rétorqua de suite le noiraud, affolé et surtout étonné de la réplique du blanc.

__ Tu as d'autres moyens peut-être ?

Le silence d'Akutagawa expliqua son manque considérable de réponses mais Atsushi ne releva pas. Il lui prit la main et l'embarqua jusque devant le perron de la porte, en faisant bien attention en chemin à ne pas faire trop de bruit en traversant la rivière et en se frottant aux buissons du jardin. Rapidement et efficacement, ce qui lui ressemblait peu, le blanc s'agenouilla pour crocheter la serrure à l'aide d'épingles à nourrice qu'il avait préparé au préalable. La porte ne résista pas longtemps à la grande surprise des deux garçons, qui entrèrent donc prudemment.

Sur la pointe des pieds, ils faisaient leur maximum pour être discret. Heureusement qu'ils n'étaient pas lourds, car le parquet en bois était grinçant au possible. Ils atteignirent bien plus vite qu'ils ne le pensaient l'escalier de marbre rosé, et, avant de le franchir, le noiraud se permit une petite inspection du rez-de-chassé.

Des colonnes de bronze à la romane ornées de motifs et couleurs clairs et profondément taillés à l'effigie des évangiles soutenaient l'étage du dessus tandis que de beaux draps rouges passion décoraient les tables de chêne bien polies et brillantes. Du mimosa et des roses blanches étaient nourris par l'eau des vases sculptés, déposés au centre des deux piliers qui venaient commencer l'escalier. L'immense hall d'entrée était parfaitement nettoyé mais semblait abandonné depuis des décennies tant la solitude s'y dégageait.

Akutagawa sentait une étrange atmosphère provenir de cette maison, et cela l'inquiétait. Évidement, il était conscient que Chuuya y était très probablement retenu prisonnier, mais une odeur de criminalité rodait autour d'eux et ça n'avait définitivement rien à voir avec le rouquin.

Il ravala tant bien que mal sa salive et suivit son amant monter les marches une par une dans le plus grand calme.

En arrivant sur le palier du dessus, leur respiration se coupa nette. Un homme se tenait droit devant eux et les regardait avec sourire aux lèvres qui lui remontait jusqu'aux oreilles. Ce n'était pas la personne qui passait régulièrement par le deuxième étage, il était bien plus grand et maigre. Vêtu d'une simple chemise blanche assortie à un pantalon large de même couleur et d'une longue cape noire, il exhalait une aura glaçante. Autant que sa chapka qu'il portait si bien, alors qu'il était à l'intérieur d'une maison parfaitement chauffée. Peut-être ne voulait-il pas dénigrer sa potentielle nationalité russe et souhaitait la montrer à tous ?

Et, enfin, tel le froid sibérien gelant les joues de ses passagers, il s'approcha des deux garçons.

Il leur fit une impeccable révérence et se releva dans une douceur extrême. Après un minime silence il leur adressa enfin la parole.

__ Salutation chère vous.

Pas de réponses, il continua.

__ Je suppose que vous êtes Atsushi et Akutagawa ?

Toujours rien, le silence ne semblait pas lui déplaire, même au contraire.

__ Pour ma part, je suis Fiodor Dostoïevski, enchanté.

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