Un cri perçant éclata dans la grisaille de l'Astranube. C'était Jisung. Felix sursauta en se tournant dans tous les sens, il ne percevait rien avec ce brouillard. Le nuage était si dense qu'il n'arrivait pas à voir plus loin que son bras tendu. Pourtant, il ne devait pas être bien loin, Jisung et lui ne s'étaient presque pas quittés. En voyant le gris presque opaque qui les entourait, ils s'étaient mis d'accord pour rester tout près. Ils s'étaient même tenu la main de peur de se perdre, mais il avait fallu d'un craquement, un craquement qui avait raisonné tout autour d'eux pour qu'ils se perdent. Jisung avait sursauté, retirant sa main de celle du blond puis ce dernier ne l'avait plus vu.

- Felix ! De nouveau, Jisung cria.

Le susnommé courut en espérant avoir pris la bonne direction. Il ne savait pas où ils étaient tombés, mais tout autour d'eux raisonné. C'était vraiment pénible. Un craquement de branche ou même un faible sifflement se faisait entendre dans tous les sens. Presque heureusement, il aperçut la silhouette de Jisung, recroquevillé sur lui-même, mais sa joie se calma bien vite lorsqu'il vit un loup, les babines relevées, montrant ses crocs férocement. Il était prêt à sauter sur le bleuté qui tremblait, les genoux repliés contre son torse, les bras autour et la tête posée dessus.

Ni une ni deux, Felix se jeta sur son ami pour l'entourer de ses bras. Il le sera fortement pour le rassurer, pour lui montrer qu'il était avec lui et qu'il n'allait pas le laisser tomber. Entendant toujours le loup grogner, il tourna la tête dans sa direction. Son regard s'accrocha aux yeux bleus du canin. Il était profond, déterminé. C'était un regard méfiant, presque apeuré, un regard qui traduisait le dévouement. Felix en déduisit qu'il s'agissait d'un chef de meute. Il ne voyait pas le reste, mais en étant assez attentif, il pouvait sentir les autres loups de la meute, aux aguets, prêt à s'abattre sur eux si la situation tournait mal.

Jisung et lui avaient pénétré un territoire occupé, ils avaient provoqué cette confrontation et ils s'étaient eux-mêmes bloqués. Malgré le fait qu'ils ne montraient pas d'agressivité, la posture du loup ne changeait pas, il était toujours prêt à leur sauter dessus, à se défendre, mais Felix n'allait pas le laisser faire. Il n'allait pas attaquer, il n'en avait pas le droit, il était en tort. De toute façon, ils n'auraient eu aucune chance à deux contre une meute, mais il devait se protéger et protéger Jisung. Ça allait être un jeu de patience, enfin, il l'espérait. Ils resteraient là, assis face au loup, sans bouger, sans parler, sans ciller en attendant que le loup parte, voyant qu'ils ne représentaient aucune menace. Ne connaissant pas du tout le comportement de ces bêtes sauvages, Felix espérait sincèrement que la situation ne tournerait pas à la catastrophe. Il espérait ne pas être attaqué, mais si cela arrivait, ils improviseraient.

Inconsciemment, Felix calma son souffle. Il prenait de plus grande inspiration et expirait plus lentement. Il stabilisait les pulsations de son cœur, il se calmait. Sa peur s'évapora, son stress se dissipa et il ravala sa panique. La seule chose qu'il sentait à présent était sa détermination. Il voulait vivre et il ferait le nécessaire. Une chaleur se répandit dans son estomac, elle remonta jusqu'à sa gorge. Ses cheveux se soulevèrent et des grésillements accompagnèrent les sanglots de Jisung et les grognements du loup. Ça recommençait. Il ressentait les picotements sur ses mains, sur sa nuque, sur ses joues. La chose si particulière qui s'était déclenchée la nuit où il avait quitté le village était réapparue. Il le sentait.

Par instinct, Felix ferma les yeux. Il baissa la tête tout en continuant de contrôler les battements de son cœur et d'un coup, un dôme grésillant se créa. Autour des deux garçons, une fine passerelle jaune scintillante s'éleva pour se fermer au-dessus de leurs têtes. Felix venait de créer une barrière, un bouclier pour les protéger. Si le loup les attaquait, il se ferait immédiatement électrocuter.

Jisung leva la tête. Il n'en revenait pas. C'était la première fois qu'il pouvait voir la manifestation de cette mystérieuse force qu'avait Felix. C'était incroyable, irréel mais beau. Extrêmement beau. Il se détacha un peu du blond pour jeter un coup d'œil au-dessus de son épaule. Le loup était toujours là, les yeux fixés sur eux, mais bizarrement, Jisung n'avait plus peur. Il se sentait en sécurité derrière la barrière qu'avait créée Felix. Ce dernier lâcha Jisung et s'assit à côté de lui.

- Qu'est-ce qu'on fait ? Murmura Jisung.

- On attend.

Plusieurs minutes s'écoulèrent, peut-être plusieurs heures, ils n'en savaient rien, mais le loup était toujours là. Il s'était relevé, il n'était plus en position d'attaque, il semblait avoir compris que les étrangers qui avaient foulé son territoire n'étaient pas venus pour les attaquer, mais tout de même, il se devait de les surveiller. Felix lui commençait à faiblir. Tenir cette barrière électrique lui était de plus en plus difficile, elle puisait dans son énergie sans modération, Jisung le remarquait bien et ça l'inquiétait. Qu'arriverait-il une fois la barrière tombée ? Le loup partirait-il ? Les attaquerait-il ? Les blesserait-il ?

Il soupira. Il avait lu beaucoup de livres sur les loups, les conseilles qui étaient donnés été de ne pas les lâcher des yeux, marcher à reculons en faisant beaucoup de bruit pour les faire fuir, mais ces conseils étaient destinés à une attaque de loup solitaire, pas d'une meute, et puis, ils ne pouvaient pas marcher à reculons, il ne voyait rien.

L'idéal selon Jisung aurait été qu'un loup de la meute hurle pour signaler un problème à un autre endroit. Le bleuté était persuadé que si cela arrivait, la meute les laisserait. Ils pourraient alors s'échapper, continuer leurs chemins et quitter leurs territoires en espérant y sortir en un seul morceau. Il soupira de nouveau en levant la tête vers le ciel.

C'était comme une habitude chez lui. Lorsqu'il réfléchissait ou espérait quelque chose, son regard rejoignait immédiatement le ciel. Pourtant, il ne le voyait jamais. Là, tout ce qu'il voyait était le haut du dôme grésillant commençant à s'ouvrir lentement. Les forces de Felix commençaient à le quitter. Jisung déglutit en le remarquant. Il baissa son regard vers Felix. Il était assis en tailleur, la respiration lente, le visage humide de transpiration, les yeux fermés et les sourcils froncés. Il était extrêmement concentré et il peinait. Sa mâchoire se crispait en même temps que ses poings déposés sur ses genoux. Jisung commença à paniquer. Il devait l'aider, il devait trouver un moyen de faire fuir les loups parce qu'une fois les barrières tombées, Jisung savait très bien que Felix ne pourrait plus rien faire. Même pas marcher. Enfin, c'est ce qu'il pensait, c'était toujours comme ça que ça se passer dans les livres qu'il avait lu.

Il ferma les yeux pour réfléchir, pour chercher une solution, trouver un indice dans les tonnes d'ouvrages qui lui était resté en mémoire, mais la seule chose à laquelle il arrivait à penser, été à un loup, en direction du sud, hurlant au danger pour détourner l'attention de la meute de leurs personnes. Une image très nette s'était formée dans son esprit, il pouvait même entendre le hurlement du loup s'il se concentrait. Ce n'était pas normal, Jisung le sentait. Même s'il mettait toute la volonté du monde pour effacer cette image et trouver une solution autre part, cette dernière restait comme accrochée à son cerveau. Plus il essayait de lutter, plus l'image devenait forte et claire, elle devenait si claire que Jisung commençait à avoir mal à la tête. Au bout de seulement quelques secondes, la légère douleur lui tiraillait la tête. Il fut forcé d'abandonner cette bataille contre lui-même et se sentit totalement aspiré par l'image de ce loup.

De façon incontrôlée, il se mit à y penser si fort que ses doigts se fermèrent sur ses paumes, plantant ses ongles dans sa peau blanche. Il fronça les sourcils, il avait mal, mais il ne pouvait pas bouger. Sans qu'il ne s'en rende compte, sa respiration se calma, son cœur se stabilisa et son sang se refroidit. Il inspira grandement et inconsciemment, il ouvrit une main. Un pentacle en sortie. Il ouvrit brusquement les yeux en sentant une soudaine chaleur envelopper cette même main. Le pentacle, bleu nuit, tournait au-dessus d'elle.

Malgré la vive douleur qui était repartie dans sa tête, Jisung voulut crier, se lever pour la secouer et effacer ce truc bizarre qui était apparu soudainement, mais il n'y arrivait pas. Il ne pouvait ni bouger, ni parler. À la place, il dut refermer les yeux, ayant peur que sa tête explose, et l'image du loup apparu plus net que jamais. Il sentit des frissons se reprendre dans tout son corps et, d'un coup, il entendit un hurlement de loup résonner de partout autour d'eux. Un deuxième hurlement perça le silence puis, toute la pression dans son corps se relâcha, il put ouvrir les yeux et se remettre à bouger. Quand il posa les yeux face à lui, le loup n'était plus là, mais il n'avait pas disparu, Jisung pouvait entendre les pas précipités de la meute. Quand il n'entendît plus rien, il mit une main sur l'épaule de Félix.

- Felix, ils sont partis, vient vite, on s'en va. S'empressa-t-il de dire.

Sous sa main, il sentit les muscles de Felix lâcher. Le dôme électrique tomba d'un coup, disparaissant presque immédiatement. Il regarda autour de lui, perdu, il avait été tellement concentré qu'il n'avait pas vu que les loups étaient partis. Il fixa son regard sur Jisung pour lui demander ce qu'il s'était passé, mais ce dernier était déjà debout, la boussole dans une main, la carte étendue entre les deux. Il tourna un peu sur lui avant de fermer la carte et d'attraper Felix pour le relever.

- Allé c'est pas le moment de traîner, ils pourraient revenir.

Felix hocha la tête et se releva. Ils lièrent de nouveau leurs mains, pour ne pas se perdre une deuxième fois et se mirent en marche. Ils auraient aimé courir, s'échapper, mais, à cause d'un nuage opaque, ils ne pouvaient pas et ça les terrifiait. S'ils retombaient sur les loups ? Ces bêtes couvraient un territoire assez grand ! Mais ce n'était pas tout, un tas d'animaux sauvages et d'insectes venimeux vivaient dans les forêts. Des ours, des serpents, des araignées, des fourmis rouges, ils pouvaient tomber sur l'un d'eux et ils auraient préféré éviter.

Pendant plus d'une heure, ils marchèrent lentement, prêt à se défendre en entendant le moindre bruit. Jisung était prêt à s'effondrer, se recroqueviller sur lui-même et pleurer sa mère, Felix se retenait de crier au simple soufflement du vent, écrasant, de sa petite main, les doigts de son ami. Ils étaient à bout, fatigués, affamés, assoiffés, leurs membres leur faisaient mal et le vent devenait de plus en plus frais, traversant leurs vêtements et glaçant leurs pieds, leurs nez, leurs oreilles et leurs doigts.

Même si la marche s'avérait dure pour Jisung qui était terrifié et angoissé, elle était un supplice pour Felix. À cause du bouclier électrique qu'il avait déployé, il puisait dans ses dernières forces. Ses jambes tremblaient à chacun de ses pas, manquant de se dérober sous son poids, sa respiration était sifflante et sa vision se brouillait, mais il devait tenir, il ne pouvait pas laisser Jisung tout seul dans ses bois et ce brouillard si dense. Il ne s'en donnait pas le droit et c'était la seule chose qui le retenait de s'évanouir.

Peut-être deux heures après, ou trois, aucun des deux ne savait, ils auraient pu marcher trente minutes en pensant qu'il s'était passé six heures tellement ils peinaient, ils commencèrent à voir plus claire. Le brouillard devenait plus fin, laissant voir les rangées d'arbres quelques mètres devant eux. À ce moment, Jisung hoqueta en pointant du doigt devant lui. Felix plissa les yeux, ne comprenant pas ce qu'il lui montrait.

- La fin. Prononça difficilement Jisung.

Effectivement, Felix remarqua que les rangées d'arbres s'arrêtaient. Ils voyaient la limite. D'un coup, Felix se sentit totalement réveillé. Jisung lui avala sa salive, il voulait quitter cette forêt le plus vite possible. Il s'élança sans réfléchir, courant entre les arbres, ne faisant pas attention à si Felix le suivait, tout ce qu'il voulait était de sortir de cette forêt. Felix s'élança aussi, lui non plus ne voulait pas traîner. Les deux garçons parcoururent les derniers mètres rapidement, si rapidement que Jisung manqua de tomber en voulant s'arrêter pour reprendre son souffle. Il se rattrapa, se retrouvant à quatre pattes, les mains dans la boue, les larmes coulant de ses yeux abondamment sans qu'il ne les contrôle. Il réussit tout de même à se relever, leurs chemins n'étaient pas finis.

Jisung se tourna vers la forêt, il venait de se rendre compte qu'il avait lâché Felix et la panique s'empara de tout son être. Sa peur l'avait aveuglé et lui avait fait oublier qu'il n'était pas seul. Il s'avança de nouveau vers la forêt. Il entendit le souffle erratique du blond arriver vers lui et vit sa silhouette familière se former à travers le brouillard. Il soupira de soulagement en voyant son ami arriver vers lui, mais sa joie se calma bien vite. Felix venait de tomber au sol. Jisung avait vu son corps se pencher vers l'avant et percuter la boue sans que Felix ne fasse rien. Il se précipita vers lui et s'agenouilla près de son visage. Il se pencha pour s'assurer que tout allait bien.

- Sung... Je peux plus bouger... J'ai mal partout...