PARTIE I
Episode n°1
Le soir tombait. Assise confortablement sur le canapé, Annie se félicitait tout bas une fois de plus, de l'acquisition de cette grande bâtisse qu'elle avait achetée toute meublée avec Sebastian, son mari, un peu avant la naissance de Nicolas. L'agence, quant à elle était ravie car les précédents propriétaires étaient partis du jour au lendemain pour de lointaines contrées semble-t-il et la maison n'avait pu être, ni louée, ni vendue durant de nombreuses années.
Près d'elle sur le canapé, Sebastian passait en revue les informations du Journal de l'Ouest, ponctuant ses réactions de petites mimiques incrédules ou de commentaires véhéments : « C'est n'importe quoi. Que ne feraient pas les journalistes pour avoir un scoop ! Aux dernières nouvelles, à côté de la recette de la salade de roquette aux figues, tout un article sur les envahisseurs... Non mais je vous demande un peu, voilà que les illuminites vont s'emparer des âmes bretonnes.... Si j'en vois un, ma parole, je l'assomme à coup de biniou. »
Louise, la mère d'Annie, se laissa glisser mollement sur le douillet canapé du salon en baillant, puis se tourna vers son gendre : « Cela m'étonnerait qu'ils veuillent s'installer dans un coin aussi pourri, tu as vu le temps, il tombe des cordes, un vrai temps d'octobre, on se croirait en Bretagne ! »
Sebastian éclata de rire. « Ah bon, Louise ? En Bretagne, je croyais que nous y étions ! Au fait, quels sont les projets de voyage dont tu m'as parlé cet après-midi ? »
Louise plissa légèrement les yeux, s'étira longuement comme un chat et répondit dans un demi-sourire : « Je projette d'aller vivre dans un pays de chaleur et de soleil, où le ciel et la mer seraient tellement bleus qu'ils se rejoindraient pour faire disparaître la ligne d'horizon ».
« C'est beau, rétorqua Annie, l'air rêveur. Tu crois que ça existe quelque part sur terre ? »
« En attendant, je vais donner à mes petits-enfants leur bise du soir ». Et d'un bond, Louise monta au premier étage de l'imposante maison, tandis que Sebastian et Annie commençaient à débarrasser la table de tous les restes du dîner.
Louise appréciait cette agréable habitude de fin de journée, qui consistait à rester, d'abord un court moment avec Mélinda qui, plutôt dormeuse, se contentait d'un rapide baiser, puis à passer un peu plus de temps dans la chambre de Nicolas, son frère aîné de deux ans. Ce dernier, du haut de ses quatre ans, montrait bien qu'il n'avait pas encore envie de dormir ; alors, elle lui racontait une histoire, puis une autre ; puis, ce qui prolongeait d'autant l'entretien, elle tentait de répondre avec précision à toutes les questions qu'il avait emmagasinées au cours de la journée dans sa solide petite tête.
Ce soir-là, le sujet était les chiens et les chats ; Louise lui expliquait avec douceur qu'il ne faut les caresser que si on les connaît bien et encore, seulement si leur propriétaire donne l'autorisation. Cela laissait Nicolas rêveur, jusqu'à ce qu'il laisse dévaler brusquement de sa bouche, une multitude de petites questions insidieuses, destinées en fait, à retarder le moment fatidique qu'il n'aimait pas : celui où Louise éteindrait la lumière et descendrait rejoindre Sebastian et Annie dans la vaste salle de séjour.
Mais ce soir, Louise était lasse ; elle sentait que ses éternelles insomnies allaient l'abandonner dans les bras de Morphée et souhaitait retrouver rapidement Sebastian et Annie dont les yeux commençaient également à se fermer.
Après avoir raconté deux fois l'histoire de Bambi, puis celle de l'éléphant qui plaisait bien à Nicolas, elle saisit entre le pouce et l'index, le crucifix qui ne quittait jamais son cou et se pencha vers le garçonnet pour l'embrasser une dernière fois, accompagné d'un : « Bonne nuit, petit prince ».
- « Bonne nuit Mamie Louise », murmura Nicolas en enfonçant sa tête sous le drap.
En reculant pour partir, elle faillit heurter une énorme malle en bois qui semble-t-il, avait été placée là pour remplacer le coffre à jouets devenu trop petit. Elle s'étonna un instant que Sebastian n'ait pas parlé de cette acquisition de qualité, massive, aux arêtes élégamment ciselées. Elle n'en avait jamais vue de pareille. Elle semblait très ancienne, lourde de passé, sans que les incrustations dont elle était parée, puissent définir sa provenance. Louise arrêta son regard sur chaque détail, éprouvant pour cette malle, sans se l'expliquer, une attirance indéfinissable.
Puis elle réprima soudain un frisson car un autre jouet qu'elle n'avait jamais remarqué auparavant, se tenait dans la chambre du bambin, juste dans l'angle près du coffre et elle se demanda bien parmi les amis de Sebastian et Annie, qui avait pu offrir un jouet aussi grand : devant elle, grimaçant, un personnage ébène, au corps d'athlète, à la tête surmontée de petites cornes noires, semblait dominer la pièce toute entière de son regard vert figé.
Louise l'observa un instant et estima qu'il devait mesurer environ 80 cm de haut ; elle remarqua qu'il y avait quelque chose de cruel dans son sourire. Se rapprochant de lui, elle essaya immédiatement de dédramatiser le rejet qu'elle ressentait : il devait faire partie de ces personnages, mi-dieu, mi-monstre, qui envahissent les magasins pour enfants et incarnent les justiciers qu'ils admirent à la télévision. Elle pensa tout bas : après spider-man, cat-man.... Comment sera le prochain ? ... Mais elle sentait à présent un malaise en le regardant, comme une brûlure dans son corps tout entier, qui lui fit pincer instinctivement de nouveau, sa médaille entre le pouce et l'index. Alors, elle saisit la tête articulée du colosse et la lui tourna brusquement vers le mur ; puis elle éteignit la lumière et quitta la pièce rapidement.
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