Rebonjour... Ah, non - Partie 2
Au même instant, dans les Bas-fonds de Mitras
Marion tomba à genoux dans sa chambre poussiéreuse, profondément choquée. Son corps à demi dénudé était couvert de contusions. Le comportement de Rhys, depuis les quatre jours qu'elle était ici, était de plus en plus instable : tantôt il la rouait de coups car elle avait fait un pas de travers, tantôt il la traitait avec une amabilité qui en aurait décontenancé plus d'un.
Elle se releva en grimaçant. Le moindre de ses mouvements la faisait souffrir. Seul son visage était épargné : ses méninges était « trop précieux pour risquer d'en perdre un seul ». Espèce d'enfoiré... Tout ce qu'elle put extraire de la colère qui grondait en elle furent des sanglots étouffés.
Elle enfila ce qu'il restait de son pantalon, que l'homme avait pris soin de déchirer dans un accès de colère, reboutonna sa chemise tant bien que mal et se dirigea vers la fenêtre. Je ne peux plus supporter ça... Une minute de plus ici, et je vais péter un câble. Elle savait ce qu'elle devait faire depuis un moment, mais jamais elle n'avait eu le courage de le mettre en pratique.
Elle attendit que le silence se fasse dans la petite maison et observa les alentours au travers des vitres, qui donnaient sur l'arrière. Elle savait que des hommes surveillaient cet endroit depuis le toit ; elle les entendait tourner en rond chaque nuit. Par contre, le devant de la baraque lui était complètement inconnu, et seulement accessible par l'entrée.
Elle défit les draps de son lit et les attacha les uns avec les autres. La terreur qui la rongeait jusque-là se retrouva étouffée sous une détermination sans égale. Même si je me fais choper... Ça ne pourrait pas être pire...
Une fois avoir obtenu une corde de fortune d'environ quatre mètres de long, elle l'attacha au radiateur en panne installé sous l'ouverture et la jeta. Elle se cacha ensuite derrière sa porte, un petit verre à la main. Des exclamations lui parvinrent d'au-dessus ; bientôt, la voix de son bourreau tonna, et elle l'entendit se précipiter dehors en vociférant. En l'entendant, une énième frayeur mordit brièvement ses tripes. La haine de l'adolescente la chassa sans ménagement.
Une unique personne, un adolescent qui la surveillait de temps à autres, du désir plein les yeux, entra dans la pièce. Elle tendit l'oreille ; tous les autres bruits étaient concentrés à l'extérieur. Parfait.
Lorsque le bonhomme passa devant elle, elle se précipita et éclata le récipient sur son crâne. Il chuta, assommé, et elle le retint avant qu'il n'atteigne le plancher. Elle le fit rouler sous son lit et sortit de la pièce.
Elle passa dans la cuisine déserte, attrapa un couteau et sortit tranquillement par la porte d'entrée. Comme elle s'y attendait, personne ne la pourchassa. Elle sprinta donc illico, le cœur battant avec urgence. C'était si facile que ça ? Il suffisait d'un foutu leurre ?
La peur manqua de la gagner de nouveau. Elle se mit immédiatement hors de leur vue, ignorant l'aspect glauque de la ruelle dans laquelle elle pénétrait. Personne n'essaya de la stopper dans sa course folle.
Elle passa négligemment dans des flaques nauséabondes qui lui éclaboussèrent les jambes. Ne regarde pas derrière... Regarde, tu as ton pendentif dans ta poche. Tu peux sortir de là facilement...
Elle zigzagua dans des rues aux façades toutes plus délabrées les unes que les autres, faiblement éclairées de quelques lumières blafardes, et passa devant d'innombrables mendiants à l'œil cave et aux côtes saillantes. Les larmes lui montèrent aux yeux. Comment est-ce qu'on peut laisser des gens dans une pauvreté pareille ? s'indigna-t-elle au beau milieu de son propre désespoir. Mais elle-même ne pouvait se permettre de leur tendre la main. Elle était trop détruite pour cela.
« Eh, la p'tiote ! » ricana une voix derrière elle. Elle écarquilla brutalement les paupières. Non, pas ça... Deux hommes baraqués s'étaient mis à lui courir après. Elle pouvait voir une légère bosse se dessiner au niveau de leur entrejambe. Dans un sursaut de dégoût, elle accéléra, cachant son arme dans sa veste.
« Allez, va, fais pas ta timide ! » La jeune chercheuse pouvait entendre leurs pas se rapprocher dangereusement. Putain... Je suis pas douée à la course, moi... Elle ferma les yeux un moment, et accéléra encore. Elle sentit presque leur souffle dans sa nuque. Je n'ai pas le choix... Qu'on me pardonne, je vous en supplie...
Elle se retourna brusquement, et percuta de plein fouet le plus grand, qui s'écroula dans un râle. L'autre le regarda, abasourdi ; une tâche pourpre s'étalait sur sa tunique. Elle profita de son instant d'hésitation pour planter la lame ensanglantée dans son épaule. Il s'enfuit dans un hurlement.
Je viens de tuer un type... gémit-elle intérieurement en haletant. Jamais... Jamais je n'aurais imaginé... Elle le vit alors bouger légèrement. Un immense soulagement l'envahit. Elle se pencha sur lui, déchira son haut, lui fit un pansement de fortune et lui donna un bon coup de pied au visage dans l'espoir de le réveiller un peu. « Lève-toi, et marche ! » débita-t-elle en prenant la fuite.
J'aurais surtout jamais imaginé caser un truc pareil... Elle continua de galoper indéfiniment, poussée par l'éternelle frayeur qui faisait battre la moindre de ses veines. Finalement, s'écroula dans un coin sombre et crasseux, à bout de souffle. Personne d'autre ne l'avait dérangée. Je peux dire merci au sang qui tâche ma chemise, je suppose.
Elle baissa les yeux ; une violente nausée la prit, et elle se mit à vomir, encore. Cette fois-ci, le goût affreux qui creva ses papilles ne l'effleura pas. Combien de temps est-ce que j'ai couru comme une dératée ? se demanda-t-elle en s'essuyant la bouche. Cela devait bien faire trois quarts d'heures. Heureusement pour elle, ses jambes étaient relativement musclées. Ce qui ne suivait pas, c'était son cœur, qui se tordait douloureusement, cherchant désespérément un peu d'air.
Elle resta là durant un temps indéfini, observant avec consternation le liquide vermeil qui séchait sur ses doigts. Elle s'était toujours refusée de frapper qui que ce soit. Pour elle, la violence ne résolvait rien ; c'était sa devise. Et là, dans un sursaut, elle venait d'en faire fi.
Les souvenirs de son arrivée ici lui revinrent alors brutalement. Elle écarquilla de nouveau les paupières ; elle sentait encore le chiffon qui lui avait coupé la respiration. Et la botte écrasant sa trachée. Et les étoiles qui avaient dansé devant ses yeux, et son visage et ses coupures et toute cette violence forcée et hideuse et vicieuse qu'elle avait dû subir. Puis, les coups de Rhys, toujours encadrés par une amabilité acide. Elle ne voulait plus jamais revivre ça. Son coffre devait être du même avis, au vu de la manière dont il se tordit hideusement.
Alors, la jeune fille se prit la tête dans les mains, et éclata en sanglots. Ses plaintes résonnèrent dans le silence plombant qui régnait sur la cité souterraine. Ce monde est fou... Ce monde l'a toujours été, même avant qu'on me balance dans ce bordel. En venir aux poings, dans un monde dit civilisé ; parler avec des balles et des couteaux, alors qu'on pourrait vivre en paix... Si seulement on savait tolérer, discuter et instruire...
Un sifflement à sa droite la fit se relever dans un bond. Un poignard venait de se ficher dans le mur, à quelques millimètres de sa tête. Une de ses mèches de cheveux voleta jusqu'au sol, avant de s'enfoncer dans un trou d'eau boueuse. Un hoquet horrifié s'échappa de sa gorge.
Elle se saisit de l'ustensile et le tint à revers, tremblante. Ses yeux passèrent convulsivement d'un bout à l'autre de la petite allée. Non, au vu de l'inclinaison du couteau, il venait de là-haut... Elle leva le regard et vit avec effroi quelqu'un lui tomber dessus.
En un éclair, elle se retrouva plaquée à terre, maîtrisée d'une clef-de-bras. Ses yeux s'écarquillèrent. Ils m'ont retrouvée ! Putain de merde ! S'en est fini de moi... Elle ouvrit la bouche pour crier, mais une main forte se plaqua sur ses lèvres.
Elle gémit en se démenant, et s'arrêta lorsqu'une douleur familière l'assaillit de toutes parts. Putain de Rhys... On se pencha vers son oreille. Un souffle chaud lui chatouilla la nuque.
« C'est toi, Marion Rovoff ? » murmura l'inconnu. Elle hocha la tête, paniquée. « Lâche ton arme. » Elle obéit, et il la remit sur ses pieds. Il fouilla sa veste et sortit le poignard, avant de vérifier le contenu de son pantalon. Lorsqu'il vit le pendentif, il le remit là où il l'avait trouvé. Que... ?
Il tourna alors la scientifique vers lui ; elle découvrit un visage légèrement pâle aux yeux marron, qui lui dit vaguement quelque chose. « Suis-moi », ordonna-t-il durement en repoussant la mèche auburn qui lui tombait sur le côté gauche du front. Elle obéit sans discuter : la terreur lui clouait le bec.
Il la traîna, silencieux, pendant un bon quart d'heure, avant d'arriver devant un petit espace carré entouré de maisons semi-enterrées, au rez-de-chaussée légèrement surélevé et aux toits plats. Leur façade ressemblait à toutes celles qu'elle avait vues ; briques claires étouffées par des salissures.
Il la fit grimper un escalier affreusement familier, qui se découpait en deux voies opposées, rejoignant deux portes face à face. Où est-ce que j'ai vu ça ? A son grand désespoir, rien ne lui vint en tête alors qu'elle passait l'entrée à sa gauche.
Elle se retrouva dans une pièce meublée d'une bibliothèque, d'une table ronde et de quelques chaises. Une cuisinière à l'ancienne – comme tout ce qu'elle avait vu jusque-là, excepté l'équipement de manœuvre tridimensionnelle – était installée au fond. Un homme balafré, assis sur un canapé jaunâtre, la scruta un moment.
« T'es sûr qu'c'est elle ?
— Ouais, regarde, dit l'autre en lui montrant le médaillon.
— P'tain, le pot ! Bravo, mec. Bon, toi, t'es Marion, c'est ça ? Y a des types qui te cherchent partout, j'te jure, y font un boucan pas possible. Je sais pas c'que t'as foutu, mais j'te r'mercie, car on va pouvoir se faire un paquet d'fric.
— Fais gaffe quand même, je crois qu'elle a tué un gars. »
Il montra l'arme ensanglantée qu'elle gardait cachée.
« P'tain ! C'est pas l'aut' con qui court après tout c'qui bouge ? J'l'ai vu vite-fait en train de ramper. Bien fait pour sa gueule ! Bravo, la p'tite, j'en avais ma claque de çui-là.
— Euh... chevrota-t-elle, les larmes aux yeux.
— Ouais ?
— Vous allez vraiment... s'étrangla-t-elle.
— Hein ? »
Ils ne font pas partie de la bande de Rhys. Ils ne vont pas... Elle observa chaque parcelle de la salle. Aucun instrument de torture ne se trouvait ici. Ni chiffon, ni pince, ni corde, ni bâillon, ni menottes, ni chaînes, ni rien. Alors, elle éclata en sanglots sous un soulagement immense. L'autre la dévisagea avec stupéfaction.
« Écoute, poulette, lança le balafré, tu d'vrais savoir, ici, c'est chacun-pour-soi. 'fin, on bosse en gang, tu vois, mais c'tout. C'qui va t'arriver, bah, à côté d'not' misère, ça vaut pas un sou, quoi. Bon, allez, arrêt' de chialer, tu vas m'faire regretter.
— Non...
— Bon, s'tu veux... J'm'appelle Sven. Si ça peut t'rassurer, quoi. Lui, c'est Mert. Boh, allez... Y sont si terribles que ça, tes vieux ? »
Elle s'étrangla ; une douce fureur l'envahit. Ils ne savent rien ?!
« Ce ne sont pas mes parents, articula-t-elle, l'œil rond. Ils m'ont enlevée.
— Ah, ouais, classique, t'inquiète. Mais on peut rien faire pour toi, là, tu piges ?
— T'es pas liée avec le vieux Rovoff, d'ailleurs ?
— Hein ?! Çui qui garde le onzième escalier, là ? Tu t'fous d'moi ?
— Bah, regarde bien ce truc. »
Il ressortit le bijou et le tendit à Sven, qui l'étudia un moment. Son visage dur s'éclaira.
« Woah... Ça, ça vaut d'l'or, mon gars ! On va les faire chanter, ces types ! T'es une Rovoff, toi ? Beh 'tain ! Tu fous quoi ici ? Tu veux t'faire massacrer ou quoi ?
— Une Rovoff... souffla-t-elle. »
Son regard se fit lugubre. Ils la regardèrent, abasourdis. « Une Rovoff, hein ? » articula-t-elle d'une voix tremblante de colère. « Ou, autrement dit, une pourriture de bourge qui oppresse les classes sociales d'en-dessous, corrompue à souhaite, d'un égoïsme sans borne ? » Si j'avais su qu'accepter cette fausse identité me réduirait à ça... J'en ai ma claque.
« Bah... C'est toi qui l'dis, hein ! C'pas étonnant, avec un papi qui augmente les prix à tout bout d'champ et qui pense qu'à son cul !
— Oh, oui, je comprends tout à fait, rit-elle brusquement.
— Bah alors...
— Alors, gueula-t-elle, je suis pas une noble, je suis une foutue Griffonds, qui ne vient même pas de cette putain de pays et qui en a ras-le-cul de jouer à ce jeu pourri ! Vous pensez que ça me fait plaisir, de voir des milliers de gens dans la mouscaille ? Vous pensez que j'ai aucune putain de compassion ?! Si je pouvais, je leur défoncerais la gueule, à vos artisto' de merde ! Qu'on me confonde avec ce genre de connards, ça va deux secondes ; qu'on m'insulte pour des trucs que j'ai pas faits... Ils peuvent aller se faire foutre ! »
Elle poussa une exclamation rageuse et donna un coup de poing dans un mur, qui s'effrita légèrement. Elle le savait, ce qu'elle venait de déblatérer n'avait aucun rapport avec ce qui la mettait hors de ses gonds ; cependant, ses souvenirs devenaient parfaitement hermétiques à tout ce qu'il s'était passé les jours précédents.
Ce n'était pas si grave. Il y avait pire. Non. Non, il y avait mieux. Peu importait. Ils couraient un grave danger, à la garder avec eux. Peu importait. Sa vie misérable ne valait rien. Un beau petit sacrifice, un joli suicide pour couronner le tout, et l'affaire serait réglée. Je suis désolée, Erwin..., força-t-elle donc. Ma patience a des limites.
« Hein ?! s'exclama Mert. Donc ce médaillon, tu l'as volé ?
— Non, je l'ai pas volé ! s'énerva-t-elle. On me l'a refilé.
— Qui ?
— A l'armée. Je suis désolée pour le mur, lâcha-t-elle, coupant court à leurs questions.
— Nan, mais attends, dit le chef. Tu viens pas d'ce pays ? Ça veut dire quoi ?
— Ça veut rien dire. Écoutez... souffla-t-elle. Ce que j'ai dit, c'est censé être confidentiel. Rendez-moi à ces enfoirés si vous voulez, mais ne dites rien, je vous en supplie. »
Ils la scrutèrent un moment, manifestement plongés dans une profonde réflexion.
« Ouais, d'accord, d'toutes façons, tu vaux plus cher si t'es d'sang noble.
— Elle est de l'armée ? s'éleva subitement une voix blanche. »
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