Libération - Partie 2

Bas-Fonds de Mitras, Mur Sina, 19 juillet 850

Un silence de plomb régnait, seulement brisé par les gloussements satisfaits de Rhys. Livaï, sortant de sa furtive torpeur, repéra un mouvement à sa gauche. La silhouette d'un homme se tenait derrière une fenêtre du second étage, pointant un étrange objet, carré et noir, vers eux. L'individu se retourna brusquement ; un cri, à peine perceptible, s'éleva de la pièce.

Des gouttes vermeilles éclaboussèrent la vitre. Quelques secondes plus tard, le verre explosa sous un coup de feu ; d'un coup de pied, les battants de l'ouverture se brisèrent. Le caporal-chef regarda, les yeux ronds, Marion sauter et rouler violemment au sol. Elle s'assit sur ses talons, tira sur la boucle d'un objet rond métallique, et le lança au milieu du groupe ennemi.

Une détonation retentit ; un gaz épais et blanc se répandit, et les hommes touchés s'époumonèrent de douleur. L'adolescente s'effondra au sol, incapable de se maintenir debout plus longtemps. « Livaï ! » cria Erwin.

L'intéressé bondit sans attendre et passa son bras sous les épaules de la détenue. Il harponna la façade d'un bâtiment, mais quelqu'un se jeta sur sa droite. Il esquiva habilement l'attaque, lâcha la scientifique et se posta devant elle.

« Kenny ! » ragea-t-il. L'intéressé rit et lança un couteau vers son ancien élève. Celui-ci envoya l'arme valser du plat de sa lame et chargea. L'homme au chapeau esquiva, et se planta entre lui et Marion.

« Ne sois pas aussi contrarié ! » La fusillade reprit dans le dos du plus petit. « Ma petite blague ne t'a pas plu ? Tu n'as toujours pas le moindre sens de l'humour ? » Il observa son nouvel ennemi. Sa posture ne lui permettait aucune ouverture.

« En fait, le plan de Rhys était trop parfait, expliqua l'autre. J'ai voulu rajouter un peu de piment. Qui aime les plans qui se passent bien, sérieusement ? Moi, ça m'horripile. Y a rien d'intéressant ! Puis, j'ai déjà eu ma paye, tu vois ? Là, ils sont en train de se faire défoncer... Grâce à moi ! Et à elle, un peu.

— Tu l'as aidée à s'enfuir ?

— Quoi, hier, là ? Nan, elle a fait ça toute seule, comme une grande. J'ai dû aller la récupérer, quelle plaie... Elle aurait pu les laisser faire un boucan pas possible et crever au fond d'un égout sans que personne ne le sache, quand même... Enfin, malgré ce désaccord, on a fait un marché : je la laisse se barrer de cette baraque et lui donne même un coup de pouce, et en échange, elle fait rien contre moi. La confiance règne, tu vois ! »

Livaï prit une de ses épées à revers, les nerfs à vif.

« Pourquoi t'es aussi tête de mule ? s'exclama son interlocuteur. Je te dis que...

— Il y a un autre motif, articula-t-il.

— Ah, ça... Déjà, s'ils la récupèrent, même moi je me ferai bouffer comme vous savez si bien le faire dans le Bataillon, et après... Ça reste quand même toujours trop facile pour vous si t'es encore vivant, nan ?

— Qu'est-ce que... »

Kenny se jeta sur lui, lui effleurant le bras du poignard qu'il cachait dans sa veste. Le caporal-chef esquiva son autre attaque de justesse et fit voler l'arme de son adversaire. Celui-ci dégaina un pistolet et tira ; il rata de peu sa cible, qui passa à la manœuvre tridimensionnelle.

Le petit homme feinta une amorce à droite pour foncer sur un opposant légèrement déstabilisé. Il frappa sa poitrine avec force à l'aide de son pied, et le fit rouler à terre. L'homme au chapeau se releva en un éclair ; ils luttèrent difficilement pendant un long moment, évitant de justesse les assauts de l'autre, manquant de réussir les leurs.

Livaï parvint à frapper son ennemi au ventre, mais laissa une légère ouverture ; l'assaillant en profita pour le saisir à la gorge et le soulever du sol, l'élevant à son niveau. « Woaw, t'as pas grandi d'un centimètre ! » s'écria-t-il, impressionné.

Le soldat le cogna à l'entre-jambe, mais l'attaqué ne fit que renforcer sa prise. L'air commença à lui manquer ; désarmé, il ne parvint pas à se dégager. Le monde se mit à tourner autour de lui, et les bruits de lutte se firent de plus en plus étouffés.

Dans un ultime effort, il saisit le poignet de son ancien mentor et le broya. L'autre voulut l'attraper de son autre main, mais un coup de feu déchira ses tympans. Kenny poussa un cri de douleur et le lâcha enfin. « Qui a dit que j'avais accepté le marché, espèce de vieux con ? » fulmina la scientifique. Le plus jeune se releva et vacilla légèrement, avalant de grandes goulées d'air.

Il frappa violemment l'autre au visage, et le laissa chanceler. A sa droite, Erwin plaqua Rhys à terre et lui trancha la main. « On se retire ! » annonça-t-il puissamment. L'intéressé se tourna immédiatement vers Marion, qui était agenouillée en face du cadavre de l'autre fille, son pistolet encore fumant. Il l'attrapa par la taille, puis s'élança sans attendre.

Elle se cramponna à son bras dans un cri.

« Tu viens de sauter d'une fenêtre à six mètres du sol.

— Je sais bien, mais je n'avais pas le choix, bégaya-t-elle, terrorisée. »

Elle enfonça machinalement ses ongles dans son épaule lorsqu'il prit un virage un peu trop serré.

« C'est de la folie ! cria-t-elle, de plus en plus paniquée. Si vous tombez, vous faites comment ?! Vous avez aucune sécurité !

— On ne tombe pas, lâcha-t-il. Tous les soldats peuvent faire ça. Tu t'imagines que je vais me casser la gueule ? »

La jeune fille se tut. Au bout de cinq minutes, il atterrit sur un toit. Elle s'écarta et s'accroupit, tremblant de tous ses membres. Il regarda autour de lui ; les autres, encore loin derrière, prenaient la fuite.

Lorsqu'il se tourna de nouveau vers elle, son regard était dépourvu de toute émotion, et elle s'effleurait l'avant-bras droit d'un air absent. Il remarqua une tache rouge qui s'agrandissait progressivement, teintant le tissu blanc de sa chemise. Les blessures que Sven et Mert ont repérées ?

« Montre. » En le voyant s'approcher, elle recula avec effroi. « Je vais pas te bouffer. » Elle fronça le nez, mais finit par lui tendre son poignet. Il releva sa manche, prenant garde à ne pas frotter les éventuelles plaies.

Il découvrit sa peau fendue en de nombreuses coupures sanguinolentes, partant de la base de sa paume au pli de son membre. Il lut ce qui était gravé avec stupeur.

« Qui a fait ça ?

— Kenny, énonça-t-elle difficilement. »

Elle reprit sa main pour cacher les entailles. Ils l'ont quand même torturée, au final. Le visage de la chercheuse se ferma, et elle resta muette quelques minutes.

« Je voulais savoir... finit-elle par dire, hésitante. Je sais qu'on n'a pas le temps...

— Quoi ?

— Des gens m'ont aidée... Je voudrais les remercier. »

La bande de Sven, devina-t-il. Le major accompagnait manifestement les combattants, qui avaient du mal à suivre la cadence. C'est sur le chemin. Je suppose que c'est la même maison. Il l'attrapa de nouveau fermement, et se jeta dans le vide.

« Tu auras deux minutes. Ne chiale pas si je vais trop vite à ton goût. » Elle se plaignit quand même, et agrippa son bras d'une force qu'il ne soupçonnait pas. Il la laissa faire, pour mettre enfin un terme à son calvaire en se posant au milieu d'un espace carré.

Il lui donna quelques secondes pour se ressaisir et l'aida à marcher jusqu'à un escalier qu'il connaissait bien, menant à une porte qui lui était cruellement familière. Il sentit son cœur se serrer légèrement, et se raidit ; Marion leva la tête vers lui, alertée.

Il l'ignora et frappa trois coups secs.

« Qui est là ? gronda Sven, méfiant.

— C'est moi. »

Il ouvrit la porte en grand. Face à son ancien camarade, il rangea son petit couteau dans sa ceinture. « Livaï... », souffla-t-il. Ses yeux sombres glissèrent vers la droite. « Et la p'tite ! » s'écria-t-il. L'intéressée le gratifia d'un sourire teinté de tristesse.

« Vous avez deux minutes pour vous faire des adieux larmoyants, lâcha le plus petit.

— Des adieux ?

— Je retourne avec eux, expliqua-t-elle d'une voix étouffée.

— Marion ! s'exclama quelqu'un. »

Mert accourut, sortant du salon plongé dans la pénombre, et posa ses mains sur les épaules de l'adolescente. Son visage était marqué par un profond soulagement.

« Je suis désolé...

— Gros con, le coupa-t-elle en lui donnant un coup de poing dans le torse. Grâce à ton cours d'hier soir, je me tiens là, devant toi. D'où tu t'excuses ?

— Je ne sais pas... Livaï ?! s'étrangla-t-il en le remarquant enfin. C'était lui, le caporal-chef petit et...

— Je ne pense pas que ça soit le sujet, coupa brusquement l'explorateur. »

Marion lui jeta un bref regard affolé, signifiant certainement qu'elle pouvait « tout expliquer ». Essaye donc. Elle se tourna de nouveau vers les deux autres.

« Bon, il me reste une minute pour vous dire au revoir, rit-elle nerveusement.

— J'suis vraiment désolé pour c'matin. J'espère qu'y t'ont rien fait d'plus...

— Les autres sont venus, il ne m'est pas arrivé... Grand-chose... grimaça-t-elle.

— En tout cas, c'tait un plaisir d't'avoir hébergée, même pour une nuit.

— Elle va bien ? s'éleva faiblement une troisième voix. »

Le petit homme ouvrit légèrement la bouche. Il regarda avec stupeur Jan s'avancer en boitant affreusement. Le blessé ouvrit grands ses yeux cernés, l'air de voir un revenant.

« Tu... Tu es vivant. Farlan, Isa...

— Morts, répondit Sven à sa place.

— Je vois... murmura-t-il.

— Ta jambe ? articula sombrement Livaï.

— Ils m'ont jeté de l'hôpital quand Rovoff a été coincé. »

Une boule de poils se jeta soudainement sur la chercheuse. « Ah », rigola Sven. « L'a pas arrêté de t'chercher. Tu peux p't'être l'prendre ? Au moins les ram'ner à la surface, les trois ? La mère est d'jà malade. » Elle demanda au caporal-chef. Trois matous, hein... ? Il les revit, les nombreux cadavres qui jonchaient le sol de cette cité souterraine. Une petite boîte en plus n'allait pas changer grand-chose. Alors, il hocha la tête. Ils leur tendirent un carton où ils enfermèrent les trois chatons, qui se terrèrent, silencieux.

« Bon, soupira-t-elle. Je vais vous laisser. Encore merci pour tout, souffla-t-elle, tentant vainement de retenir un sanglot.

— Pas de quoi, la p'tite, sourit Mert en lui tendant la main. »

Lorsqu'elle la serra, il ouvrit grand les yeux. Le militaire la vit le fusiller du regard, le défendant de prononcer une seule parole ; un objet doré brilla entre ses doigts. Ils repartirent après qu'elle ait essuyé ses larmes. Cette fois-ci, trop concentrée à garder la caisse contre sa poitrine, elle ne se crispa pas lorsqu'il passa à la manœuvre tridimensionnelle.

Ils atteignirent la surface en avance. L'air frais emplit agréablement les poumons du petit homme ; par réflexe, il lâcha la jeune scientifique, qui manqua de tomber par terre. Elle regarda les bâtiments luxueux qui les entouraient avec stupéfaction.

« Ça t'en bouche un coin ? lâcha-t-il avec une certaine amertume.

— Le contraste... C'est un peu horrible... »

Il plissa légèrement les yeux. Une calèche passa devant eux ; une femme au luxe ostentatoire les jaugea de la tête au pied, la figure pincée. Le visage de Marion s'assombrit.

« Je ne pensais pas que vous viendriez, finit-elle par dire.

— Pourquoi ?

— Avec Shiganshina... Il y a des trucs vachement plus importants qui se trament.

— Les autres sont en train de s'occuper du mur Maria.

— Donc ça a réussi ? »

Il ne décela aucune aigreur dans son attitude. Il acquiesça, et elle se tut de nouveau. Elle n'a pas pigé qu'on avait fait de la merde ?

« Kenny a parlé d'un arrangement entre vous deux. Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

— Ça... chuchota-t-elle, lugubre. Il m'a filée une arme, une grenade et des vêtements propres, et m'a dit de m'enfuir car il voulait s'amuser un peu. J'en ai profité pour monter à l'étage et éliminer les deux types qui me bloquaient l'accès. C'est tout, trancha-t-elle. »

La devinant très peu disposée à parler de ce qu'ils lui avaient fait, il se contenta d'attendre les autres. Ils ne tardèrent pas. « On repart », dit Erwin après avoir parlé au capitaine des Brigades Spéciales qui se tenait là. Les explorateurs enfourchèrent leur monture, il monta dans une voiture, et Livaï installa Marion dans un second véhicule. Il s'assit à côté d'elle ; elle lui jeta un regard surpris.

Il ne prit pas la peine de lui expliquer que le blond avait décidé de renforcer la sécurité autour d'elle : elle n'était même pas au courant qu'un tel dispositif existait. Il dut donc se contenter d'ignorer son air ahuri.

« Pour les deux prochaines semaines, tu ne travailleras pas.

— Je quoi ? »

Il fronça très légèrement les sourcils. « Tu as de la merde dans les oreilles ? » lâcha-t-il. Elle ouvrit grand les yeux.

« Non, c'est juste que... Je peux toujours faire les corvées.

— Les corvées ? Je te parle de tes travaux.

— Mes... s'étrangla-t-elle. Mes quoi ? »

Elle le regarda sans comprendre. Elle se fout de moi ? Son désarroi était pourtant bien réel. « Sur notre position géographique, et le cristal d'Annie », lui rappela-t-il au bout d'un moment.

Elle se prit brusquement la tête dans les mains. « Putain... », souffla-t-elle. « J'avais oublié... Comment j'ai pu... » Ses traits se crispèrent, et elle se mit à trembler. Sa respiration s'accéléra pour devenir sifflante.

Livaï l'appela une fois, puis deux, sans succès. Il finit par la secouer par l'épaule, et elle recula d'un bond, terrorisée. Quand elle le vit, elle se frotta le front et marmonna une excuse.

« Et le cristal ? demanda-t-elle d'une voix faible. Je ne dois pas faire un compte-rendu de l'étude ? Vous en avez besoin, non ?

— On a retrouvé tes notes. Il faudra juste que tu éclaires quelques trucs.

— Mais, le compte-rendu...

— Je pense qu'on pourra s'en passer, pour cette fois, coupa-t-il. »

Elle baissa la tête, manifestement désemparée. Elle tient tant que ça à détailler ses expériences ? Ou elle ne supporte pas de ne pas travailler ? Il ne la saisissait définitivement pas ; seulement, son expression se dégradait de seconde en seconde.

« Tu as fait du bon travail, depuis qu'on t'a recrutée », finit-il par dire. L'adolescente le regarda avec de grands yeux. Son expression passa du dépit à l'étonnement, puis au ravissement le plus total. Elle se tourna immédiatement vers la fenêtre, souriant jusqu'aux oreilles.

Livaï entendit la respiration de la jeune fille ralentir. Bientôt, elle s'endormit, la tête contre la paroi de la voiture. Les chatons se mirent à brailler quelques secondes plus tard. Bande de cons... marmonna-t-il intérieurement en jetant un œil à l'adolescente.

Il entrouvrit la boîte et découvrit un noir, un tacheté et un tigré qui l'honorèrent d'un air implorant ; il les gratouilla rapidement et referma le couvercle.

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