Les meilleurs cosplays du monde - Partie 1

Introduction des pâtes dédiée à MelIto391

Tokyo, 15 février 2016

Hajime Isayama tapotait nerveusement son bureau du bout du doigt. Ses prunelles étaient fixées sur l'écran de son PC portable. À tout moment, le message pouvait surgir, avec son lot de bonnes ou de mauvaises nouvelles.

Est-ce qu'il leur est arrivé quelque chose ? Si ce n'était pas le cas, il pouvait leur en vouloir : la pression était assez insupportable pour qu'ils en rajoutent une couche, entre les chapitres qu'il devait sortir tous les mois, et l'horreur qu'il ressentait à chaque coup de crayon.

Les secondes coulèrent, toujours plus oppressantes. Puisque rien ne venait, le pseudo-auteur de l'Attaque des Titans finit par se décider à se faire un cinquième café... Mais s'arrêta à la seconde où son fessier quitta son canapé.

Une notification. Il se tourna immédiatement vers l'ordinateur. Dès que ses yeux se posèrent dessus, ils s'écarquillèrent.

« C'est la numéro sept... »

***

Dans une petite ville de l'Ouest de la France, 15 juin 2017

Une pâte était épandue. Ses torsades tendres et humides luisaient à la lumière du jour. A côté d'elle reposait l'une de ses sœurs, un tuyau doucement recourbé sur lui-même. Collé à elles, un simple tube. Ce motif se répétait une fois, deux fois, trois fois. A leur échelle, il formait une montagne ; à celle de l'assiette qui le contenait, une fourmilière ; à celle de Marion, un simple plat.

Les yeux verts de celle-ci ne se lassaient pas de fixer ce met. Mais en réalité, ils le regardaient sans le voir : un voile d'appréhension s'était déposé sur leur pupille noire.

Dans la tête de leur propriétaire, un tourbillon de mots. A quel courant appartenait Rimbaud ? Son cerveau se tournait et se retournait en une gymnastique éreintante. Ruisseau, rivière, fleuve... Non, ce n'était définitivement pas ça. Alors, Marion se démena encore, batailla toujours plus intensément. Elle chercha, tria, écarta. Puis, elle eut une illumination.

« Symbolique !

— C'est des pâtes, Marion. »

Elle releva la tête avec surprise. La petite cuisine au plan de travail étroit, les placards écaillés par le temps, le vieux carrelage jaune qui leur servait de sol, la nappe au plastique fleuri, la table carrée qu'elle recouvrait, la chaise inconfortable sur laquelle elle était assise, sa mère...

Sa mère, un air exagérément agacé collé sur son visage rond et triangulaire – le même que sa sœur, Carla. Les deux se ressemblaient terriblement... Poitrine mise à part. Après tout, son aînée avait des formes plutôt généreuses.

« Attends, de quoi tu parles ? » Silence. « Tu marmonnes encore... Tu as eu dix-neuf au bac blanc, tu vas pas rater celui-là, te mets pas la rate au court-bouillon ! » Elle posa sèchement sa propre assiette légèrement fêlée sur la table. Ses prunelles ambrées lançaient des éclairs. « Mange donc ! »

L'adolescente bloqua un long moment. Elle avait oublié où elle se trouvait, et l'odeur du plat qui n'attendait que d'être mangé. Ouais..., parvint-elle finalement à penser. Elle a raison. Elle entama son repas sans grande envie, l'estomac noué.

Si je me mets à réciter mes cours maintenant, je vais crever d'angoisse. Ce fut avec une lenteur insoupçonnée qu'elle finit sa plâtrée. Elle alla mettre ses baskets rouges avec un entrain si puissant qu'il la poussa à en détailler chaque parcelle.

Tissu grenat, à l'infinité de fils entremêlés, parfois rebelles, qui contrastait avec le blanc des lacets ; lacets blancs, cotonneux, dont le principal loisir était de glisser dans leurs amies les boucles ; boucles, ces fidèles amies, au doré aussi faux que superficiel. Marion contempla, contempla, s'en détacha laborieusement.

De retour dans sa cuisine à la recherche de ses affaires, elle ne vit plus que son père, un grand dadais aux joues creuses. Leurs regards se croisèrent ; il détourna rapidement le sien. Tiens... Il paraît bizarre. Elle pinça les lèvres. D'habitude, il est plus tranquille. Enfin, peu importe...

Elle vérifia mécaniquement que sa convocation et sa carte d'identité se trouvaient bien dans son sac légèrement abîmé. Mais elle eut beau se répéter, encore et encore, qu'elle pouvait le faire, ses craintes n'en démordaient pas.

« J'y vais, à ce soir », annonça-t-elle d'une voix qu'elle ne maîtrisa qu'à moitié. Ses pieds l'amenèrent dans leur entrée à la tapisserie brune, s'arrêtèrent un instant plus tard. Il a perdu le peu de points d'audition qu'il lui reste ? « J'ai dit : j'y vais, à ce soir ! » De longues secondes s'écoulèrent. « Ah, oui... Bonne chance. »

Le stress mordit le cœur de la lycéenne. Il est bizarre. Il y a un problème. Elle reprit cependant son chemin, baladeur dans une main ; dans l'autre, son portable rouge, singulièrement rouge, aussi communistement rouge que ses lunettes. Mais si elle effaça distraitement le message d'encouragement de son petit ami – savait-il seulement qu'elle se tapait une camarade de classe ? –, elle ne put que s'attarder sur ceux d'Antoine. Elle avait éteint son téléphone dessus la veille au soir.

« Hier

Aussi-pédé-qu'Ymir-mais-moins-classe, 22 :09 : Je te jure que je vais foirer cette bouse

Supah Hackah, 22 :11 : Quoi, tu t'inquiètes encore ? 100% tu défonces le. A correcteur. Ice !

Supah Hackah, 22 :11 : Quoique, s'iel reçoit ma copie avant... :)

Supah Hackah, 22 :12 : Et s'iel arrive à te relire, aussi...

Supah Hackah, 22 :13 : Et si tu choisis pas l'invention, mais je t'ai assez coachée pour éviter cette catastrophe

Supah Hackah, 22 :46 : Marion ?

Supah Hackah, 23 :17 : Vous avez manqué un appel d'Antoine Chaillot.

Supah Hackah, 23 :17 : Si c'est une blague, j'envoie le cowboy qui me sert d'oncle pour te ramener par la peau du cou

Supah Hackah, 23 :19 : Ou je viens moi-même, au choix

Supah Hackah, 23 :20 : Mais c'est peut-être mieux pour ta santé que Fabien s'en charge

Aussi-pédé-qu'Ymir-mais-moins-classe, 23 :32 : Mes parents sont bizarres, là...

Supah Hackah, 23 :32 : Ils ont chopé une d... *ahem* La crève ?

Aussi-pédé-qu'Ymir-mais-moins-classe, 23 :33 : Des soucis de fric, je suppose... « Tu devrais peut-être revoir ton projet d'études »... Comment tu veux que je foute quoi que ce soit de ma vie avec ça ?

Supah Hackah, 23 :33 : Y a les bourses, et la FAC, c'est quasi-gratos

Aussi-pédé-qu'Ymir-mais-moins-classe, 23 :37 : Peut-être... Enfin bon, je vais dormir, bonne nuit

Supah Hackah, 23 :37 : Ça marche, bonne nuit

Supah Hackah, 23 :41 : Et à demain

Aujourd'hui

Supah Hackah, 0 :14 : Et si t'es pas là demain, je te défonce la gueule

Supah Hackah, 3 :32 : JE SUIS PASSÉ PLATINE SUR LOL, CHO'GATH FOR THE WIN <3 »

Un léger sourire se dessina sur son visage rond – à l'air assez jeune pour qu'on la prenne pour une fille de quatorze ans, quinze tout au plus. Il est con. Jouer à trois heures du matin, la veille d'une épreuve de BAC... Elle soupira longuement, et étudia un instant sa photo de profil.

Le type aurait pu être le cliché parfait du nerd, avec sa chevelure noire et plutôt fascinante qui atteignait le bas de son dos. Pour ne rien arranger, il ne faisait pas plus d'un mètre cinquante, avait un QI immesurable, et n'avait que très peu eu d'amis stables, Marion mise à part... Mais bon, depuis qu'il avait choisi la filière sciences de l'ingénieur, sa vie sociale s'était améliorée.

Au bout d'un instant, elle reporta son attention sur son environnement. Il bruinait un peu, malgré un temps chaud : le monde lui était plus inconfortable que jamais. Heureusement, les maisons basses aux vieilles pierres caractéristiques de sa petite ville de l'ouest de la France, et le goudron inégal de cette étroite rue trop peu utilisée, rendaient cet environnement pseudo-urbain bien plus humain.

Toutefois, ni eux, ni les gros riffs bourrus qui envahirent ses tympans ne parvinrent à la distraire. Sur quoi allait-elle tomber ? Du théâtre, de la poésie ? Pourquoi ses parents paraissaient-ils si agités ? Est-ce qu'ils pensent que je vais me louper ?

A cette seule pensée, la confiance qui avait réussi à l'habiter de nouveau s'étiola. Elle s'imaginait déjà entourée de phrases aux mille et un sens, de vers à la structure cabossée, de personnages aux multiples visages qui s'effaçaient dès qu'on les effleurait. Les craintes l'envahirent ; son souffle s'emballa ; une main la saisit et la plaqua contre un mur.

On étouffa son cri. Devant elle se tenait un homme à la face sombre et menaçante. Si son anxiété s'était transformée en terreur, le sentiment qui la frappa dans les tripes lorsqu'elle vit une gaze s'approcher de ses voies respiratoires fut indescriptible.

Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?! Elle se débattit avec fureur, mordit sauvagement le doigt de son agresseur, et envoya son pied dans son tibia. Là, elle courut désespérément vers la route ; mais il l'avait déjà rattrapée. Les larmes roulèrent, un sanglot les ponctua : elle était piégée.

A son grand malheur, aucune voiture ne passa lorsque qu'il plaqua brutalement le mouchoir contre sa bouche.

***

Lorsque Marion crut reprendre conscience, la confusion régnait en maître. Les bruits et la douleur se mêlaient en une étreinte fusionnelle dans son crâne. Le temps lui-même lui échappait, courait de droite à gauche, dansait joyeusement devant ses yeux aveugles. Dans l'incapacité de bouger, dans l'incapacité de penser, elle ne put qu'attendre.

Puis, le monde réel s'ordonna. Ses sensations revinrent à leur place, et ses idées se mirent en rang. Elle ouvrit les paupières : l'obscurité qui s'offrit à elle ne venait plus de son état amorphe. Elle se trouvait dans un lieu étouffant, et terriblement restreint.

Elle tenta de bouger sa jambe. Dès que ses muscles se contractèrent d'un iota, la panique la frappa le plein fouet. Quelque chose la retenait : elle mit peu de temps à comprendre qu'elle était bâillonnée et ligotée.

Immédiatement, son cœur s'emballa. Sa position était plus que vulnérable. Elle se sentit étouffer, ses membres se mirent à trembler, et ses yeux écarquillés sur du rien se remplirent de larmes. Bordel, ils vont me faire du mal, je vais crever ! Une envie de vomir la saisit. Je vais crever... Comment est-ce que je peux faire ?!

Elle cessa alors tout mouvement. Comment est-ce que je vais faire ? Elle ferma ses paupières, et respira profondément. Après d'innombrables tentatives, son souffle ralentit enfin, et son esprit s'éclaira un peu.

Là, calme-toi. Si tu paniques, tu n'arriveras à rien... L'adolescente hocha la tête pour confirmer ses propres dires. Où est-ce que tu es ? Cherche, écoute. Écoute ! Elle écouta donc, encore à fleur de peau.

Le bruit constant d'un moteur parvint à ses oreilles. Je suis dans une voiture. Un autre véhicule sembla les doubler, et une voix d'homme jeta une injure. Je suis dans un coffre, sur une route, avec une autre personne.

Une radio diffusait les informations matinales : « Nouvelle émeute... réforme anti-immigration de... forces de l'ordre... un mort... » « Elle a pas autre chose à faire, celle-là ? » s'exclama l'inconnu sur ce même ton aimable.

Est-ce que c'est lui qui m'a agressée ? Au souvenir de l'évènement, l'angoisse naquit de nouveau en elle. Elle la chassa avec peine. Pourquoi est-ce qu'il m'a fait ça ? Comment est-ce qu'il a pu savoir que j'allais passer à cet endroit ?

Dans un effort désespéré pour mener une réflexion claire, elle chercha des indices, des choses étranges qui auraient pu parcourir son quotidien. Mais rien ne lui vint, et peu lui en fallut pour qu'elle se retrouvât de nouveau au bord du gouffre. Il faut qu'on me retrouve, il faut qu'on me retrouve, il faut qu'on me retrouve...

Oui, tout allait s'arranger. L'école avait appelé ses parents pour signaler qu'elle n'était pas là, ses parents avaient appelé la police. On la cherchait dans tout le département, bientôt dans toute la région, voire même dans tout le pays, puis internationalement si cela ne suffisait pas. Personne n'allait la compter pour morte et l'abandonner à son sort : où qu'elle aille, on allait la récupérer.

Mais la voiture s'arrêta, réduisant sa réflexion en miettes. La tempête qu'elle avait brièvement réussi à calmer rugit de nouveau en elle. Deux portières claquèrent, deux voix se rapprochèrent. Au milieu du chaos qui la secouait, elle reconnut de l'anglais ; et ce fut tout.

On ouvrit le toit qui la recouvrait : la lumière l'aveugla pour une seconde. Une seconde pour qu'elle chutât dans le noir complet.

***

Une lumière blanchâtre l'aveugla. Des bruits de pas et des voix étouffés emplirent le crâne de l'adolescente. Elle cligna des yeux plusieurs fois. Quelqu'un essayait de lui enfoncer un clou dans la tempe... Non, elle ne saignait pas : qu'est-ce que c'était ? Elle roula faiblement sa tête sur le côté. Des silhouettes floues s'activaient autour d'elle. Une, deux, trois... Non, une dizaine... Une centaine peut-être ?

La décharge douloureuse qui agressa sa nuque la força à fermer les paupières. Marion remit sa tête droite, et dirigea sa main vers son front. Il n'y eut aucun contact. Est-ce qu'elle avait manqué son visage ? Elle réessaya, mais son membre n'obéit pas. Agacée, l'adolescente fronça les sourcils.

Une tête se trouvait juste au-dessus d'elle. Elle ouvrit la bouche, ébahie. La face bougeait, toute seule, ses lèvres rouges remuaient, ses longs cheveux bruns et bouclés lui chatouillaient le nez, elle flottait dans les airs... Et elle tournait !

Les yeux de la jeune fille durent se clore une autre fois à cause de la douleur. Il n'y eut que l'odeur sucrée de l'autre pour tenter de l'ancrer dans le réel. Elle comprit alors : ce n'était pas un clou, il y avait un ver qui lui mangeait le lobe frontal. Voilà pourquoi j'ai mal... Rassurée, un sourire s'étala sur sa bouche. Quelqu'un parut alors lui sortir la tête de l'eau.

« Are you okay ? Hey, can you hear me ? » retentit une voix de femme dans ses oreilles. Marion ouvrit brusquement les yeux. Le visage lui posait des questions ; il appartenait à une infirmière.

Elle est... Le monde tourna encore autour de la lycéenne : elle serra machinalement les dents, dans un vain espoir de faire taire la nausée qui assaillait ses tripes. Son fil de pensées s'étira, se coupa, se renoua grossièrement. ... Mignonne. Peut-être que... Son numéro... ?

Elle ne pensa rien de plus.

***

Quand la jeune fille reprit conscience, un sentiment d'extrême douceur l'envahit. Elle ouvrit lentement les yeux, et découvrit avec émerveillement l'environnement qui l'entourait. Des tâches de lumière et d'ombre dansaient sur son corps allongé au milieu d'herbes vertes et de fleurs blanches, et une petite brise lui rafraîchissait le visage. Les oiseaux chantaient, le ciel était d'un bleu profond, les branches des arbres se balançaient au gré du vent.

Elle se redressa, son carré châtain retombant sur ses épaules ; elle défit plusieurs brindilles qui s'étaient logées dans ses nœuds. Le soleil lui réchauffa le dos. Un écureuil courut d'un chêne à un églantier, et deux papillons jaunes virevoltèrent en une danse élégante.

Elle bailla et s'étira, aux anges, avant de se raidir. Attends... quoi ? La française ferma les yeux, enleva ses lunettes, se frotta les paupières, et les rouvrit. La panique se dessina petit à petit sur son visage rond alors qu'elle se rendait compte qu'elle n'avait aucune idée de l'endroit où elle était.

De la confusion. Voilà ce qui la frappa de plein fouet. Que s'était-il passé ? Elle porta une main tremblante à son front, au bord des larmes. Une douleur insupportable rugissait dans sa poitrine. Elle crut effleurer des souvenirs, juste quelques-uns. Non. Non, ils disparurent brutalement : la jeune fille sortit de cet état presque second aussi subitement qu'elle y était entrée.

Elle jeta illico son regard sur ses poignets et ses chevilles. Ils étaient libres. Elle bougea ses articulations, et grimaça lorsqu'elles craquèrent. Il faut que je sorte d'ici le plus vite possible !

Marion se redressa sur ses pieds, et ses jambes manquèrent de céder sous elle ; elle se retint à un tronc pour ne pas tomber. Elle fit un pas hésitant, puis deux, et, après s'être assurée qu'elle pouvait avancer, commença à marcher en boitillant.

Elle ignora son mal de crâne, ses crampes d'estomac et le monde qui semblait tourner autour d'elle. Elle devait absolument s'en aller, elle devait trouver de l'aide et revenir chez elle. Sa main chercha machinalement son téléphone noir, et le tira tant bien que mal de sa poche de jean. Neuf heures, qu'il affichait ? C'était une blague. Il n'y avait même pas de réseau. « Va te faire foutre », jura la lycéenne d'une voix chevrotante.

Ses jambes la traînèrent durant ce qui lui sembla être une éternité. Elle manqua de trébucher de nombreuses fois sur des branches mortes qu'elle n'eut jamais le temps d'intercepter.

La faim la torturait. Pour ne rien arranger, elle commença à trembler de tous ses membres. Le temps se rafraîchissait. Son chemisier fin et terreux n'allait pas lui être d'une grande aide si la nuit se mettait à tomber, et elle n'avait trouvé âme qui vive depuis son réveil. « Est-ce que cette putain de forêt a une fin, au moins ? » maugréa-t-elle, l'angoisse au ventre et le cœur battant.

La jeune fille finit par s'arrêter, à bout de forces, et se laissa tomber contre un arbre. Le soleil se couchait déjà, et elle se sentait plus désespérée que jamais. Elle nicha sa tête dans ses genoux et se mordit la lèvre. Les larmes lui montèrent aux yeux. « Qu'est-ce que je vais faire ? » murmura-t-elle.

Elle ne savait même pas si elle était toujours en France. Elle n'avait trouvé aucun sentier, aucun panneau. Pas le moindre déchet ne jonchait le sol, et il lui semblait presque que jamais un homme n'avait mis les pieds dans ce bois. L'adolescente colla un peu plus ses jambes à sa poitrine, et serra les poings. Elle allait mourir ici, de faim, de froid, ou dévorée par quelque bête sauvage qui traînerait dans le coin.

Elle resta ainsi durant un temps indéterminé. La nuit commença à tomber. Elle se laissait glisser au sol, attendant presque la mort, lorsqu'un bruit la fit se redresser brusquement. Qu'est-ce que c'est ? se demanda-t-elle immédiatement. Elle entendit des buissons frémir et se releva en tremblant. La terreur lui rongeait les tripes. Ne pas pouvoir voir ce qui s'approchait d'elle lui était insupportable.

Elle resta plantée là un moment. Son sang se glaça dans ses veines lorsqu'elle entendit, à quelques mètres d'elle, ce qui ressemblait à un grognement. Oh non... Non, non, non, pas ça... L'animal s'approchait lentement dans les hautes herbes, droit sur elle. Puis, elle écarquilla les yeux : deux pupilles et des crocs brillaient à la lumière du crépuscule.

Le loup prit son élan et sauta, le regard enragé. La jeune fille hurla et se décala de justesse. Il s'écrasa contre un arbre. Elle se retourna vers lui avec panique. Qu'elle coure ou reste plantée là, elle était morte. Elle recula doucement dans l'optique de s'enfuir, mais trébucha sur une racine. Elle s'étala au sol ; la bête se précipita sur elle.

Son sang ne fit qu'un tour dans ses veines : elle leva ses deux pieds joints et frappa la bête au ventre de toutes ses forces. L'animal couina, mais se redressa tout de même, retournant à la charge. Marion hurla de nouveau. Ses bras se mirent d'eux-mêmes devant son visage.

Du sang chaud lui éclaboussa les genoux. Elle se mordit la lèvre, et attendit. A sa grande surprise, aucune douleur ne vint ; elle ouvrit un œil, puis deux, puis la bouche, ébahie.

Un individu se tenait devant elle, lame à la main, et venait de décapiter le loup. Sa tête avait volé deux mètres plus loin et son sang se déversait sur la terre fraîche, léchant ses chaussures. Elle recula, effrayée, et tenta d'articuler quelques mots, mais aucun son ne sortir de sa bouche. Il est armé, bon sang, il vient de décapiter ce truc comme si c'était un agneau et il est armé, paniqua-t-elle.

Elle s'immobilisa quand la personne se tourna vers elle. Ses longs cheveux châtains, attachés en queue-de-cheval, la laissèrent découvrir le visage d'une jeune femme aux traits délicats et à la peau blanche. Ses yeux bleu glace étaient emplis de surprise. Elle rangea sa lame dans une étrange boîte de métal, et tendit une main vers Marion.

« Bist du ok ? demanda-t-elle.

— Oh... Oh, mon dieu..., répondit la lycéenne, le cœur battant. Je... »

Sa stupeur était telle qu'il lui fallut une bonne dizaine d'essais avant d'articuler un mot d'allemand. Elle ferma les yeux, secoua la tête, et les rouvrit. Ce n'est pas un rêve... Cette fille vient vraiment de me tirer d'une mort certaine... Elle éclata en sanglots, complètement bouleversée. L'autre la prit dans ses bras et lui tapota le dos.

« Ça va, tu es en sécurité maintenant. » Elle se redressa.

« Comment est-ce que tu t'appelles ?

— Marion... articula-t-elle entre deux sanglots. »

Elle respira lentement, et essuya ses larmes. « Moi, c'est Emilie », se présenta l'autre sur un ton doux. « Viens, je vais t'aider à te lever. Tiens-toi à mon bras. »

Marion obtempéra, et s'appuya contre l'épaule de l'autre. Elle ne savait pas si elle pouvait entièrement lui faire confiance ; mais elle n'avait de toute manière pas le choix. Et puis, elle vient juste de me sauver, se dit-elle. Elle suivit son interlocutrice en boitant. Elle discerna bientôt d'autres jeunes.

Elle fronça les sourcils dès qu'elle les eut en face. Ils portaient tous une veste courte et marron, et un étrange assemblement de lanières de cuir. Tous étaient équipés du même système en métal duquel sa sauveuse avait tiré sa lame. Cette tenue lui parut étrangement familière ; mais la faim, la fatigue, et le tourbillon d'émotions qui la malmenaient l'empêchèrent de réfléchir.

Le groupe était composé d'une dizaine de personnes qui la dévisagèrent avec méfiance. Un grand châtain, aux yeux noisette et à la tête allongée, s'approcha et attrapa le bras de l'adolescente. « Il vaudrait mieux que tu t'écartes », conseilla-t-il à Emilie.

Marion se laissa faire, épuisée. Elle remarqua à peine qu'il lui menottait les poignets. Elle était à bout de forces, et commençait à s'habituer à tant de délicatesse ; de plus, ces gens-là n'avaient pas l'air plus mal intentionnés que ses ravisseurs. Un garçon de taille moyenne, aux cheveux courts et roux, s'adressa à la fille aux yeux bleus :

« Il y avait vraiment une femme là-bas ! Est-ce qu'elle est blessée ?

— Non, répondit l'autre. Mais je l'ai sauvée de très peu. Une seconde plus tard, et... »

Elle fit glisser son pouce sur sa gorge. La lycéenne frissonna en revoyant le loup se jeter sur elle. « Ramenons-la aux quartiers généraux », dit le premier garçon.

Il se tourna vers elle, et la scruta en fronçant les sourcils. « Est-ce que tu peux marcher ? On a une demi-heure de route », la prévint-il. Emilie répondit à sa place, expliquant qu'au vu de son état, et par sécurité, il valait mieux la mettre sur le cheval. On l'installa sur un équidé bien plus grand qu'elle, doté d'une robe et de crins noirs, et ils rebroussèrent chemin sans dire un mot.

***

La nuit était déjà tombée lorsque les arbres commencèrent à se faire plus épars et découvrirent un vieux château entouré de forêt. Marion ouvrit de grands yeux : la vision lui coupa le souffle.

Il était composé de deux tours principales coiffées de créneaux et de merlons encadrant une grande porte. Cette dernière était flanquée de deux autres cylindres plus fins, qui possédaient un toit pointu en ardoise. Des remparts, sur la partie droite du quartier général, protégeaient le bâtiment d'éventuelles attaques extérieures. Enfin, au milieu, derrière la partie avant, se dessinait ce qui ressemblait à un donjon.

Les tuiles noires reflétaient la lumière blanche de la lune, et un manteau d'étoiles recouvrait les lieux. Trouver un environnement aussi respectueux de la nature était rare. L'air était pur, aucun bruit parasite ne venait troubler le silence de leur marche.

Mais au bout de quelques minutes, un sentiment d'anxiété se mêla à son émerveillement. Quelque chose cloche, pensa-t-elle. Elle tenta toutefois de taire ses doutes. Une fois là-bas, ils verront bien que je ne suis pas une menace, se rassura-t-elle. Ils contacteront la gendarmerie, et on me ramènera chez moi.

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