En route pour Shiganshina - Partie 4
Lorsque la lune fut haute dans le ciel, le dernier géant s'immobilisa. « On y va », annonça Livaï en se levant. Il l'aida à descendre terre, et ils contournèrent les corps immenses des colosses. Ils entamèrent ainsi leur route d'une marche rapide, se frayant un chemin parmi les hautes herbes.
Est-ce qu'on arrivera à Shiganshina avant le lever du jour ? Là était toute la question. A cheval, il fallait deux heures trente. Il reste environ huit heures trente de nuit. Si nous pouvions rejoindre directement le Mur, les choses seraient bien plus simples, mais je ne connais que cette route.
Ils marchèrent un long moment, silencieux, se mouvant entre les ombres. Au bout de trois longues heures, ils atteignirent un village. On économiserait au moins vingt minutes en passant en manœuvre tridimensionnelle, jugea-t-il. De plus, Marion commençait à boiter ; une pause ne lui ferait pas de mal.
« Monte sur mon dos », lui ordonna-t-il. Elle lui lança un regard surpris, mais finit par s'approcher. Elle grimpa sans grande difficulté, et entoura sa taille de ses jambes. Lorsqu'il s'élança pour se balancer de façade en façade, elle se crispa, serrant ses doigts sur ses épaules, mais relâcha la pression au bout de quelques minutes.
Des obstacles se dessinèrent dans l'obscurité les entourant ; il les esquiva sans problème. Malgré le calme qui régnait autour d'eux, il resta sur le qui-vive. On s'est fait avoir trop de fois. Une erreur, et ça pourrait être la fin.
Une dizaine de minutes passèrent. En fait, on a plutôt gagné trois quarts d'heure, réalisa-t-il. Il contourna une place, passa d'une petite maison à une plus grande, courut un moment sur un toit et prit un virage serré donnant sur une rue annexe.
Une ombre géante surgit de nulle part ; un titan de quinze mètres se jeta sur eux, bras tendus. Le petit homme entendit la chercheuse pousser un petit cri, et sentit son cœur s'accélérer dans son dos. Il vira sèchement : le poing du monstre se referma sur du vide. On a affaire à un couche-tard.
Il monta le long d'un mur, brisa une fenêtre avec son genou et lança Marion dans une petite pièce. « Reste ici. » Elle le regarda avec de grands yeux paniqués ; il secoua la tête, se tourna vers le mastodonte et dégaina ses lames, avant de s'élancer.
Deux autres arrivèrent par la droite alors qu'il tuait le premier. Il les enchaîna rapidement et s'arrêta un instant, scrutant les coins sombres. Le sol se mit à trembler, et quelques tuiles s'écrasèrent bruyamment au sol.
C'est quoi, ce bordel ? se dit-il, sidéré, alors que cinq autres adversaires se ruaient vers lui. Il esquiva une main géante, trancha deux nuques d'un mouvement circulaire, aveugla un colosse et l'abattit, fit de même avec le quatrième. Lorsqu'il se jeta vers le dernier, un hurlement s'éleva.
Marion. Il l'acheva rapidement et se tourna. Ses yeux clairs s'écarquillèrent en la voyant se débattre au-dessus de la bouche d'un classe douze, à l'autre bout de la rue. Il se lança à pleine vitesse, mais déjà la jeune fille disparaissait derrière les mâchoires du géant. La dernière chose qu'il vit d'elle fut son regard affolé.
Une fraction de seconde plus tard, la main de son ennemi explosa dans une pluie pourpre, et ses bras volèrent. Livaï se posta sur son nez colossal, l'air effrayant. « J'espère qu'elle avait bon goût », articula-t-il en changea ses épées. « Ça va te coûter cher. »
Jouant rageusement de ses lames, il lui creva les yeux et lui déchira violemment les joues. Il descendit vers ses jambes informes, et les harcelèrent de coupures. Le colosse s'affaissa. Là, il remonta son dos dans un sillage sanguinolent, prêt à en finir.
A l'instant où il surmontait sa nuque, un léger éclat au niveau de son ventre attira son attention. Il ne lui en fallut pas plus pour changer de direction et trancher l'abdomen du géant en deux. Sous son regard stupéfait, l'adolescente en sortit et s'écrasa à terre.
Il sectionna rapidement la nuque du titan et attrapa la jeune scientifique avant qu'elle ne se fasse écraser par sa carcasse. Ils atterrirent sur un toit, où elle tomba à genoux. Il s'accroupit devant elle. Il s'en est fallu de peu. Après qu'il eût clos ses yeux quelques secondes, il relâcha ses épaules. Quelle conne. Me faire une frayeur pareille.
Lorsqu'il remarqua un liquide pourpre couler sur les tuiles, il sortit un mouchoir de sa poche et lui tendit. Sa quinte de toux lui valut plusieurs caillots de sang, et le blanc du tissu vira bientôt au vermeil.
Marion s'arrêta de tousser, et leva son visage vers le ciel. Elle but un peu d'eau et respira de grandes goulées d'air, choquée. « Ça va ? » Elle secoua la tête. Il se releva, et l'aida à faire de même.
Il fut plutôt soulagé de constater qu'elle n'était pas particulièrement sale. Elle est tombée droit dedans, pensa-t-il. Elle n'a pas vraiment eu le temps de glisser. Il la reprit sur son dos et harponna un clocher. Elle a dû se rattraper avec ses lames avant de tomber au fond de son ventre ; en bref, elle a eu une bonne dose de chance.
Ils ressortirent du village sans plus d'embûches. Maintenant que les géants pouvaient surgir à tout moment, l'atmosphère était bien plus tendue. Le caporal-chef redoubla de prudence. Il tenait assez peu à ramasser la chercheuse à la petite cuillère.
Il lui jeta un œil ; son visage, faiblement éclairé par la lumière froide de la lune, était aussi figé qu'un bloc de glace. Des cernes commençaient à se dessiner sous ses yeux, et elle manqua plusieurs fois de trébucher sur des cailloux ou des mottes de terre.
Bientôt, des nuages recouvrirent le ciel, les plongeant dans une obscurité quasi-totale. Quelques gouttes s'écrasèrent sur son front, et une dizaine de minutes plus tard, des trombes d'eau s'abattirent sur eux. Il la vit recouvrir son sac et sa tête de sa cape, et fit de même.
Leur visibilité fut drastiquement réduite. Le petit homme resserra les rangs. Si on se perd, c'est sa mort assurée. Lorsqu'il put discerner les pas de la jeune fille au-dessus du bruit assourdissant de la pluie, il cessa de se rapprocher et continua tout droit ; mais, malgré leur proximité, il prit garde à ce qu'elle ne s'éloigne pas.
Au bout d'un laps de temps interminable, l'astre fit de nouveau son apparition. Lorsque Livaï vit le Mur se dresser à trois kilomètres, il se tourna vers Marion, dont l'épuisement s'accentuait de minute en minute. « On y est presque », lui dit-il. Elle hocha légèrement la tête.
Une longue heure plus tard, ils arrivèrent au pied de la structure. On a dû marcher sept heures, songea-t-il en la voyant s'appuyer contre la pierre. Elle toussa faiblement, mais aucun sang ne sortit. Elle est éreintée, de toute évidence. Lui-même sentait la fatigue poindre dangereusement.
Il leva les yeux. Il nous reste une petite partie d'escalade. Il attendit quelques minutes et la porta de nouveau, avant de s'élancer. La montée lui parut durer un temps infini. Finalement, le bord du Mur se présenta trois mètres au-dessus d'eux. Il appuya sur la gâchette afin de le harponner et se lança.
Son équipement ne répondit pas ; la surface de pierre dure se rapprocha dangereusement d'eux. Il se tourna sur la gauche juste avant l'impact. Une douleur fulgurante lui traversa l'épaule.
Superbe. Il n'y a plus de gaz. Ils se balancèrent dans le vide un moment. Elle jeta un œil vers le bas et se figea, terrorisée. « Marion », lâcha-t-il. Il la sentit acquiescer. « J'ai besoin de tes bouteilles de gaz. »
Elle se raidit un peu plus. « Je... » bafouilla-t-elle avec difficulté avant de s'étrangler. Ses mains se crispèrent avec force sur ses épaules. « J'ai besoin... J'aurais besoin de vous lâcher, pour ça... » Il la sentit trembler dans son dos.
« Sauf que si je vous lâche, je tombe... finit-elle d'un ton des plus tendus.
— Ça n'arrivera pas.
— Si j'ai deux appuis en moins...
— Tu peux seulement en lâcher une.
— Oui... souffla-t-elle. Mais là... »
Il rangea ses manettes de commandement, lui prit le bras gauche et le positionna sur son torse, pour le tenir fermement de ses deux mains. « Tu ne tomberas pas », lâcha-t-il. Elle esquissa un mouvement, avant de se cramponner encore plus. « Je suis désolée », balbutia-t-elle, au bord de la panique. Il ferma les yeux un moment. La brusquer ne servira à rien, trouillarde comme elle est.
« Détends ta main droite. » Elle déglutit, et fit une première tentative. « Vas-y. Je te tiens », lui rappela-t-il. Elle recommença, et parvint à détacher trois doigts. « Encore deux. » Elle serra les dents et garda sa paume contre son épaule.
« Bien. Maintenant, descends ta main vers ton équipement. » Elle respira profondément, et obtempéra. « Enlève ta bonbonne de gaz. » Légèrement moins raide, elle obéit, et tint l'objet détaché de son fourreau.
A l'instant où il lâcha son bras, elle s'agrippa à lui dans un gémissement effrayé. Il lui prit la bouteille, jeta la sienne et la remplaça. « Recommence avec l'autre. » Elle répéta l'opération plus rapidement. Il vérifia le système ; tout fonctionnait comme il fallait.
Il avala les trois mètres restants en une fraction de seconde et atterrit sur le Mur. Immédiatement, Marion s'éloigna des rebords et s'écroula au sol, haletante. Il s'assit, affamé et épuisé. Son regard se promena sur la mer sombre de maisons qui se présentait sous ses yeux.
Loin en-dessous de leurs pieds, les bâtisses étaient plongées dans une nuit persistante. On y est arrivé. Il regarda la jeune fille. On est vivants. Le soulagement l'envahit, et il poussa un très léger soupir.
Lorsqu'il se releva, il se surprit à chanceler. Ce n'est pas le moment, s'assena-t-il. Il secoua la tête et avança vers la chercheuse, la remettant sur ses pieds. Elle manqua de tomber, à bout de force : il la soutint par l'épaule.
Ils avancèrent ainsi une centaine de mètres. La réserve provisoire du Bataillon, reconnut le caporal-chef à un drapeau vert qui flottait au vent, éclairé par quelques torches. « On va descendre », lui dit-il, l'arrachant à sa contemplation de la cité.
Ils arrivèrent enfin à terre. Loin d'être en état de passer à la manœuvre tridimensionnelle, il guida la jeune scientifique dans les rues sinueuses du nord de la ville, jusqu'à un bâtiment plus grand. Ils traversèrent une cour et arrivèrent devant une vaste porte.
Il n'y a pas de garde, remarqua-t-il en fronçant les sourcils. Il se contenta donc d'entrer le petit hall, et se tint un moment contre l'encadrement de la porte. Tous ses membres étaient engourdis ; cela faisait longtemps qu'il n'avait pas ressenti un tel épuisement.
Quelqu'un descendit des escaliers à l'autre bout du couloir. Samuel, encore équipé, apparut. Lorsqu'il les vit sur le palier, la stupeur tordit ses traits. « Caporal », souffla-t-il. Il s'avança vers eux à grands pas. « Vous êtes vivants. »
L'intéressé relâcha ses muscles. « Samuel, va... » Il ne finit pas sa phrase. Son subalterne se jetait sur lui avec haine. L'arme qu'il tenait se rapprocha dangereusement de son abdomen. Une fraction de seconde plus tard, un bruit cinglant retentit.
Marion venait de le pousser dans un sursaut, et de lui voler une lame. Sidéré, il la regarda parer l'attaque du blond, le regard enflammé. Il se reprit toutefois et, d'un geste, trancha le bras de leur adversaire, qui poussa un hurlement déchirant.
« Livaï ! » cria la voix de Hansi à l'autre bout de la pièce. Le soldat lâcha un juron et plaqua brutalement son supérieur contre le mur. Celui-ci eut beau se débattre, l'autre ne lâcha pas. Merde... Il serra les dents. Je ne suis pas du tout en état de riposter !
Ce fut Mike qui l'arrêta, lui collant le canon de son fusil sur la tempe. Il l'immobilisa à terre sans ménagement et ligota le bras qu'il lui restait à son torse. « Aux cachots », se contenta-t-il de dire en le traînant brusquement jusqu'aux escaliers menant aux sous-sols.
La chef d'escouade s'arrêta à quelques mètres, sidérée. « Tu es vivant. » Elle le regarda de la tête aux pieds. « Tu es vraiment vivant. » Elle s'approcha encore, mais il mit une main devant lui, l'arrêtant net.
« Puisque je suis vivant, il y a d'autres priorités », lâcha-t-il alors que l'adolescente s'écroulait au sol, à bout de force. Il s'approcha d'elle et la releva pour la troisième fois de la journée.
« Marion, souffla la femme en voyant son expression brisée. Qu'est-ce qu'il lui arrive ?
— A vue de nez, elle a besoin de repos.
— Je veux dire...
— Nous en parlerons plus tard, coupa-t-il. »
L'autre acquiesça, et ils se dirigèrent vers le réfectoire.
« Il y a des restes, expliqua-t-elle en leur montrant la cuisine. Historia... apostropha-t-elle.
— Oui, je leur apporte tout de suite ! »
Peu de temps après, ils purent enfin manger. Il regarda du coin de l'œil la jeune fille poser ses couverts dans son assiette vide et esquisser un mouvement pour aller les débarrasser. « Je vais m'en charger », interrompit sa supérieure. Elle acquiesça, le regard vide.
Mike reparut, et posa ses yeux sur elle. « Je vais la raccompagner dans son dortoir », annonça-t-il. Livaï plissa légèrement les yeux. C'est inhabituel de sa part. Il le scruta un moment, mais ne décela qu'une pointe de tristesse chez lui. Il s'entendait plus ou moins bien avec Emilie, se rappela-t-il.
Les deux individus quittèrent la pièce. Hansi et le caporal-chef se retrouvèrent seuls ; elle s'assit en face de lui, un profond sérieux peint sur son visage. « Alors ? » demanda-t-elle. Il ferma les paupières un moment et commença à lui raconter les faits.
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