En route pour Shiganshina - Partie 3


Les deux longues heures qui venaient de s'écouler, Livaï les avaient passées à se remémorer, malgré lui, sa vie, de son enfance à ce jour-là. Face à la mort qui pointait le bout de son nez, même lui se surprenait à faire des choses comme résumer ses différentes expériences, faire un bilan de son existence et tenter de savoir s'il avait été utile à l'humanité ou pas.

Et voilà où j'en suis, songea-t-il. Son regard passa de Marion aux titans qui les attendaient un peu plus bas. Ma possible dernière mission sera de m'assurer qu'elle ne meurt pas.

Il lui restait encore bien des heures à tuer ; le soleil était sur le point de se coucher, mais un géant pouvait mettre jusqu'à quatre heures pour cesser toute activité. Ce sont peut-être mes derniers instants. Ses yeux glissèrent vers Marion, muette comme une tombe, et dont l'expression se désagrégeait de minute en minute.

« Dis », lâcha-t-il. Elle le regarda, très légèrement surprise. « Là d'où tu viens. A quoi ça ressemble ? » Elle ouvrit la bouche, choquée. « Là d'où je viens... » Elle serra les dents et enfouit son visage dans ses genoux. Au bout de quelques minutes, elle releva la tête, impassible.

« On est sept milliards d'humains, pour cent quatre-vingt-dix-sept pays différents – reconnus, tout du moins. Il y a six continents : l'Amérique du Nord, du Sud, l'Afrique, l'Europe, l'Asie, l'Océanie, et l'Antarctique », énonça-t-elle. Tant que ça. Le monde est si grand.

Elle lui parla des continents de glace, des déserts et des océans. Tandis qu'il l'écoutait, son imagination fit le travail. « C'est normal pour nous de nous dire que la planète est recouverte à soixante-dix pour cent d'eau – salée, qui plus est. Mais pour vous, qui vivez dans des Murs... Je comprends que ça puisse paraître légèrement perturbant. »

Il acquiesça très légèrement. Lorsqu'il vit la face de la jeune scientifique s'assombrit brusquement, il plissa les yeux.

« Il existe une très grande forêt en Amérique du Sud, de cinq cent cinquante millions d'hectares. Le climat y est chaud et humide, et des tas d'animaux bizarres y vivent. C'est un peu les poumons de la Terre. Seulement, elle se fait raser un peu plus chaque jour par les humains. » Il fronça les sourcils. Ils s'en prennent aux arbres, là-bas ?

« Les océans se font polluer, et il existe même un septième continent de plastique – une matière très pratique mais dont on peut faire un très mauvais usage si on n'est pas assez attentionné. Il a une dimension comprise entre sept cent mille et deux millions de kilomètres carrés. Des animaux le bouffent, et meurent. » D'accord. Donc, elle n'est pas du tout en état de me décrire des petits coins de paradis.

« Sept cent quatre-vingt-quinze millions de personnes souffrent de la famine dans le monde, soit une personne sur neuf environ. La faim est responsable de la moitié des décès infantiles sur Terre. Et pourtant, nous avons la capacité de nourrir douze milliards de personnes. » Il baissa la tête, lugubre.

« Ces différents faits me révoltent, comme ils révoltent la plupart des gens », continua-t-elle. « Mais je vivais dans un pays riche. Ma vie était confortable, et je n'avais qu'à me soucier de mes soucis personnels. Qui irait s'alourdir des problèmes de l'humanité entière quand on doit déjà se démener avec sa pauvre petite vie difficile de personne qui mange trois fois par jour à sa faim et va à l'école ? »

Elle poussa un petit rire nerveux. « Beaucoup de gens se voilaient la face, en balançant des discours de morale sans rien faire à côté – j'en faisais partie. Je n'étais pas grand-chose d'autre qu'une pourriture d'égoïste. Ceux qui se battent pour les autres méritent tout le respect du monde : car si c'est un droit, ça devrait être un devoir, et ils l'ont bien compris. »

Un long silence suivit. Il scruta le visage de l'adolescente, qui était encore pire qu'avant. Ça n'a rien arrangé du tout. Il ferma les paupières un instant. « Tu as raison. Tu étais une pourriture d'égoïste... » Elle releva la tête. « Sauf depuis trois mois et demi. » Elle le gratifia d'une expression étonnée.

« Tu n'y es plus, dans ton monde. Te blâmer pour tes erreurs ne te mènera à rien. Depuis que tu es là, tu as aidé l'humanité. Il me semble notre situation t'a changée. » Les yeux verts de l'intéressée s'embuèrent de quelques larmes.

« J'ai... » balbutia-t-elle. « J'étais seulement emportée par le désir de rentrer chez moi. Je le suis toujours. C'est ce qui me fait avancer, l'idée de retrouver ma maison. Et même maintenant qu'elle... » Elle s'étrangla, incapable de finir sa phrase. « Il ne me reste plus que ça. »

Il hocha la tête. « Eren se bouge le cul car il hait les titans. Mikasa, car elle veut protéger Eren. Armin, car il veut voir le monde extérieur. Chacun a ses raisons personnelles et égoïstes d'avancer – ça ne change rien aux actions que tu fais. »

Elle pinça les lèvres un long moment. « Et vous ? » finit-elle par demander en observant une feuille qui se balançait au gré vent. Il ouvrit très légèrement la bouche. Qu'est-ce qui me motive ? Avant, c'était de vivre à la surface... Mais maintenant que j'en suis sorti... Il réfléchit un moment. C'est une bonne question, ça...

Il posa son menton dans sa main. Qu'est-ce qui me pousse à me battre ? Il haïssait les titans, comme la plupart des soldats qu'il connaissait – à part Hansi, qui les adorait, et Eren, qui était bien plus extrême que tout le monde. Mais plus que tout...

« Donner un sens à la mort des autres », répondit-il. Elle le dévisagea, puis parut réaliser quelque chose.

« Quoi ?

— Donner un sens à la mort des autres... Comment dire... hésita-t-elle. »

Curieux, il l'encouragea d'un hochement de tête. « C'est assez... présomptueux, de dire qu'on donne un sens à la mort de quelqu'un. Les morts n'ont pas besoin qu'on donne un sens à leur mort, puisque par définition, ils ne vivent plus. Peut-être que le vrai problème... »

Elle détourna le regard. « Continue. » Elle déglutit. « C'est l'aspect définitif... Cette dimension inchangeable de la mort de quelqu'un, qui fait que quoi que vous tentiez de faire, ça ne changera rien à la situation. Vous ne donnez pas de sens à la mort des autres ; vous donnez un sens à votre au combat au travers de la mort des autres. »

Elle se tripota les mains. « Ça les fait, en quelque sorte, revivre à travers vous. Ce qui me laisse penser que, peut-être, vous n'arrivez tout simplement pas à les laisser partir. » Il la scruta, interdit. Elle ouvrit grand les yeux.

« Mais, ça ne veut pas dire que c'est une mauvaise chose », balbutia-t-elle. « C'est peut-être la meilleure façon de supporter le poids du décès des autres... Je veux dire, avec vos responsabilités... C'est tout sauf simple, je suppose... Et puis, j'ai sûrement tort... Je n'y connais rien, moi... »

Il leva une main pour la faire taire. « Non. Tu as peut-être raison. » En réalité, il n'en avait aucune idée. Ce qu'elle disait était logique, mais du reste... Je ne le saurais probablement jamais.

Il y eut un nouveau silence, durant lequel Marion retrouva son expression déserte et son regard fixe. Son petit discours semblait l'avoir accablée. Il reste au moins trois heures, pensa-t-il alors que les étoiles perçaient timidement le ciel azur.

Il y a tant de choses qui nous sont inconnues. Et en face de lui, il avait quelqu'un qui venait d'un endroit complètement différent. La géographie de la planète et ses principaux problèmes faisaient déjà beaucoup ; rien que ce qu'elle lui avait dit lui paraissait vertigineux. Seulement, la curiosité le piquait encore.

« Avant d'atterrir ici, tu voulais faire quoi ? » Elle releva de nouveau la tête. « Astrophysicienne. » Pendant un court moment, il aurait pu jurer avoir perdu quelques points de vue. Elle lui expliqua le principe, qui était d'observer l'univers et d'en étudier le fonctionnement. Il plissa très légèrement les yeux, sceptique.

« C'est purement scientifique, en somme. Ce que je vous avais raconté sur l'espace-temps, j'aurais dû l'étudier plus tard.

— Tu le connais déjà, lui fit-il remarquer.

— Que le principe. Il aurait fallu que j'apprenne les formules... Et que je sache l'appliquer... J'aurais vu ça lors de mes études supérieures. Là, c'est un peu cuit...

— Tu pourras les reprendre en revenant.

— En revenant... »

Elle laissa ses lèvres légèrement entrouvertes.

« C'est vrai, souffla-t-elle. Mais il faudrait déjà que ça puisse se faire...

— Tu tiens en te basant sur une supposition ? lâcha-t-il.

— Non, ça doit être possible, se reprit-elle. Peut-être dans le sous-sol d'Eren... Et puis, si votre histoire a été rapportée au vingt-et-unième siècle... Oui, vous avez raison. »

Ils se turent. Elle n'a pas l'air ne serait-ce que d'envisager sa mort aujourd'hui, songea-t-il. Elle semblait prête à tout pour suivre les dernières volontés d'Emilie. Cela lui facilitait la tâche.

Le caporal-chef parvint à relancer la discussion avant qu'elle ne retourne dans son état lugubre. Il apprit ainsi qu'ils se déplaçaient grâce à des machines appelées voitures, et avec lesquelles ils pouvaient aller à plus de cent kilomètres par heure. L'image de leurs propres calèches tirées par des chevaux lui vint en tête, mais fut vite chassée par la description que lui fit Marion des engins.

Elle lui parla ensuite de leurs villes avec de très hauts bâtiments, plus hauts que les Murs mêmes. Dans son pays, la France, une structure atteignait même les trois cents mètres. « Mais ce n'est pas la plus grande. Le plus haut building qui existe fait huit cent vingt-huit mètres. » Il leva les yeux vers le ciel, et tenta vainement de se le représenter. Nos titans, c'est de la merde, à côté. Ils sont fous.

Elle débita un flot de paroles continu, lui décrivit leurs technologies et les animaux peuplant le monde, en passant par les plantes et les objets célestes qu'elle connaissait. Au bout d'une heure trente, sa voix se fit plus traînante, et chaque pause qu'elle prenait lui valait manifestement un souvenir de la mort d'Emilie.

Elle se tut après deux heures de discussion. Il fixa le ciel étoilé, le crâne plein de ce que l'adolescente venait de lui faire découvrir. Comment est-ce qu'on peut vivre avec une étendue d'informations et de possibilités aussi vaste ? Il secoua la tête. Il était dépassé par ce qu'elle lui avait raconté.

Les titans en-dessous d'eux commencèrent à s'engourdir. Le silence qui les entourait fut seulement brisé par les gargouillements du ventre de la jeune fille, qui paraissait avoir sérieusement faim.

Il la regarda avec une certaine surprise sortir de son sac ce qu'il restait de sa ration, qu'elle n'avait entamée qu'au quart. Elle se mit à la manger sans grande envie ; ses traits et ses mouvements suggéraient une souffrance indescriptible. Il lui reste son retour chez elle pour tenir. Elle surmontera ça.

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