Début de carrière - Partie 5
Quartier général du Bataillon, sud-est du Mur Rose, quelques instants plus tôt
Hansi observa un instant Eren boire de l'eau. Il vida presque sa gourde. En réalité, elle crut bien qu'il n'y restait plus une goutte. Et elle n'était manifestement pas la seule à penser cela. Mikasa, qui se tenait non loin, venait après tout de lui refiler la sienne. Une soldate compétente, qu'elle était. Et un peu singulière, aussi : son attachement pour le jeune garçon était un spécimen en soi.
Ses yeux bruns dérivèrent un instant sur l'environnement dans lequel elle et son équipe se trouvaient : cette fois-ci, ils avaient choisi un terrain à deux niveaux. Elle, Moblit et Jean se trouvaient au sommet d'une falaise de seize mètres de haut, couronnée d'herbe verte... Herbe verte qu'on retrouvait également là-bas, au pied de la roche terreuse qui descendait en pic face à eux.
Plus loin, des arbres. Pins, chênes, et autres jolis petits trucs avec des feuilles vivaces. Le bois s'étendait également dans son dos : elle l'entendait, aux chants des oiseaux qui se mêlaient au sifflement du vent frais dans ses oreilles.
Depuis combien de temps se tenaient-ils ici ? Une heure, peut-être. Ou un peu plus. Ou un peu moins. Elle jeta un œil à sa montre à gousset, pour froncer les sourcils. Il est déjà dix-huit heures... On m'a bien autorisée à rester un bout de temps ici, mais il faut que j'aille chercher la nouvelle venue. « Je reviens », dit-elle donc à son assistant. Sur ce, elle fit volte-face, se hissa sur la selle chaude de sa jument, et s'engagea au trot dans le chemin menant au quartier général.
Il n'y eut que le claquement des sabots de son destrier sur le sol, le piaillement des volatiles, et le frémissement des branches pour l'accompagner dans ce sentier relativement large. Si la terre battue en mangeait une bonne partie, la verdure récupérait bien vite du terrain, au bord. Les bois, eux, s'étendaient autant à droite qu'à gauche de la scientifique ; environnement tranquille, pensait-elle. Même si les ronces sont particulièrement pénibles...
Comment Marion avait-elle réagi à la décision d'Erwin ? Elle était certes venue là pour faire de la recherche, et avait rapidement conclu son premier rapport sur la biodiversité de Rose... Mais qu'on propose à une personne étrangère à leur corps d'armée d'étudier un titan intelligent, c'était une première. La bougresse majorait dans bien des domaines...
Mais il y a quelque chose d'étrange, dans le tas. L'entendre parler aussi tranquillement d'Annie Leonhart avait été perturbant à voir. Plus précisément, elle avait sérieusement cru déceler une once de comportement suspect chez elle. Son arrivée était déjà assez singulière comme cela.
Enfin. C'est d'Erwin, dont on parle. Si cette affaire est louche, il en est certainement à l'origine... Et déjà le vieux château du Bataillon jaillissait-il derrière les troncs gris et marron. Il la surplomba de toute sa hauteur ; la chef d'escouade passa le pont-levis éternellement baissé, et pénétra l'espace qui précédait l'entrée du hall. Peu lui en fallut pour attacher son cheval au bord du haut mur aux briques inégales, et froncer les sourcils.
Quelque chose venait de tomber sur son épaule. Elle leva le regard au-dessus des bois : le ciel était pourtant toujours parfaitement dégagé. Une gouttière mal isolée, peut-être. Elle passa donc la main sur sa veste courte, continua sa route, s'arrêta net. Le liquide visqueux que ses doigts venaient d'essuyer était bien trop familier. Elle laissa échapper un hoquet d'horreur dès qu'elle en vit la couleur pourpre.
« Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?! » Elle recula vivement à l'extérieur, et posa ses yeux sur les couloirs extérieurs, tout là-haut ; ils s'écarquillèrent illico. Un soldat pendait au bout de son câble, le ventre ouvert. Des tripes qui en pendaient coulait une bonne pluie de sang. Et c'est qu'il y en avait d'autre, du sang, sur les créneaux du toit. Elle planta la pointe de son équipement dans la pierre sans attendre, et rejoignit le poste de garde, les dents serrées.
Il y avait un second cadavre, étalé sur le torse. Elle devinait trop bien l'état de sa gorge à la flaque rouge dans laquelle elle baignait. « Putain de merde ! » Est-ce qu'il y a d'autres traîtres ? Des titans intelligents, encore ?!
Elle tira une grenade noire, chargea ses lames, et courut à toute vitesse vers la tour, puis dans les escaliers, puis dans le couloir des officiers. Personne. Il n'y avait personne. Tous étaient certainement occupés à rassembler les équipements pour la reprise de Shiganshina. Hansi ne put que tracer vers le bureau d'Erwin, le cœur battant à tout rompre. Elle ne prit pas le soin de frapper, et déboula purement et simplement dans la pièce.
Les faces du major et de Livaï se tournèrent subitement vers elle. Ils étaient assis face à face, chacun d'un côté du bureau du haut-gradé. Celui-ci la gratifia d'un air stupéfait.
« Hansi...
— Quelqu'un a attaqué nos soldats, dans la base ! »
Les yeux clairs de Livaï s'écarquillèrent ; il se mit sur ses pieds l'instant d'après.
« Où ça ?
— Deux gardes sont morts, là-haut. Il faut absolument fouiller la base !
— Livaï, trancha Erwin. Où est Marion ?
— Dans son dortoir.
— Vas-y immédiatement. »
Le caporal-chef quitta vivement la pièce.
« Hansi. Va prévenir les équipes les plus proches, et demande à ce que des fumigènes d'urgence soient tirés.
— Et toi ?
— Je vais aller dans le hall. »
Elle hocha la tête, pour faire également volte-face. Ce fut au pas de course qu'elle fila dans le corridor aux nombreuses vitres. Dans la cour, plus bas, des explorateurs s'affairaient sans urgence à transporter caisses et autres équipements. Elle ouvrit une fenêtre, sauta, se rattrapa à son câble, et dérapa au beau milieu de l'espace. On la regarda avec choc, elle serra les dents. « Armez-vous tous... La base est attaquée ! »
***
Les dortoirs, un escalier plus haut. Livaï le monta quatre à quatre. Le ton d'Erwin en avait dit long sur l'urgence de la situation, que le caporal-chef saisissait déjà assez bien. Il s'en souvenait, de la manière dont Reiner avait insulté Marion avant qu'il ne le bâillonne.
Les deux traîtres la connaissaient manifestement déjà avant qu'elle n'arrive ; du reste, personne à la Garnison n'avait réussi à leur arracher une quelconque information. Reiner comme Bertolt étaient restés silencieux face aux méthodes un poil brutales de leurs gardes. Les assistants de Pixis eux-mêmes n'étaient arrivés à rien. Et Marion, elle, n'en avait entendu parler que via la fiction qu'on lui avait distribuée : jamais ne les avait-elle rencontrés avant.
Mais comment est-ce qu'ils ont pu avertir que Marion était là ? On les a arrêtés le lendemain même de son arrivée... Est-ce qu'il y a un autre traître, dans cette foutue base ? La réponse était assez évidente. Cependant, Livaï était désormais sûr qu'Hansi était du côté des Murs, au vu de l'air de déterrée qu'elle leur avait servis. Reste Mike, trancha-t-il avant d'arriver à l'étage.
Si le long couloir sombre des chambrées se présenta à lui, il ne se focalisa que sur la porte d'Emilie et de Marion. Elle était entrouverte. Des bruits de lutte étouffés s'en échappaient. Le petit homme sprinta, dents serrées : il fallait qu'il arrive à temps. Et l'affaire s'avéra aisée, au vu de la scène qui se présenta à lui.
Il y avait la nouvelle arrivée, appuyée contre son bureau, dont le visage pâle et les bras tremblants traduisaient une profonde terreur. Une grande blonde au long poignard venait de se faire sèchement plaquer à terre... Par Mike, dont le long nez était éternellement froncé. Il leva ses petites prunelles sur lui dès son entrée. « Livaï. J'ai trouvé cette femme en train d'agresser Marion. »
L'intéressé bloqua un instant. Reste Mike, que j'ai dit. On dirait bien que non... Il finit par avancer dans la pièce, et observer son grand collègue maintenir l'ennemie à terre avec une facilité déconcertante. Ses yeux clairs remontèrent ensuite sur Marion. Elle venait de tomber à genoux, les paupières écarquillées sous l'horreur ; au bout de longues secondes, elle plaqua une main secouée de soubresauts contre sa bouche.
En bref, elle paraissait se porter très bien : et Livaï, face à cela, ne put que dégainer son propre couteau, et faire signe à Mike de le laisser s'occuper de la gentille dame qui s'était ramenée ici. Ils échangèrent élégamment de place. Ainsi le caporal-chef appuya-t-il fermement son genou contre le dos musclé de l'inconnue, bloqua-t-il ses poignets, plaqua-t-il sa lame contre sa jugulaire, et ouvrit-il la bouche.
« Tu... » Tu. Ce fut tout. La blondinette laissa échapper un cri terrifié, et tourna illico la tête. Une large plaie trancha son cou ; du pourpre s'en échappa à flots. Le petit homme laissa échapper un hoquet stupéfait. Elle était en train de s'étrangler dans son propre sang, là, juste sous lui. Dans un geste urgent, il balança son arme de l'autre côté de la pièce, et plaqua sa paume contre la large coupure de l'autre.
« Et merde ! Mike ! » L'intéressé lui fourra un linge sous le pif dans l'instant. Il s'en saisit, pour l'appliquer brutalement sur la blessure. Le blanc se retrouva bien trop vite teinté de pourpre. « Je vais chercher Weierstrass », dit le chef d'escouade. Il quitta la pièce sans attendre.
Elle veut sérieusement se suicider, là, maintenant ?! Il les vit trop bien, les pupilles de l'autre, se vider de toute vie. Il y lut brièvement de la peur, du désespoir, de la haine. Il entendit aussi l'adolescente dégobiller, derrière lui. Et c'est qu'elle s'étouffa aussi bien dans son vomi que le faisait l'agresseur avec son propre fluide vital. Il n'y eut que des toux et des sanglots pour envahir la chambre double. Quoique, des pas précipités s'élevèrent bientôt, et Emilie débarqua à toute vitesse dans la pièce.
Elle posa ses yeux bleus sur la suicidaire, haussa un sourcil, remarqua Marion, écarquilla les paupières. Peu lui en fallut pour se précipiter sur elle avec angoisse. Elle voit une gonzesse crever par terre, et ne cille qu'en voyant la mioche dégueuler sur le plancher ?
« Qu'est-ce qu'il s'est passé ?! s'écria-t-elle en la tenant par les épaules. Caporal...
— Tentative de meurtre. Tu n'as pas entendu les instructions de Hansi ?
— Non... Je reviens des écuries.
— La base est infiltrée. Tu tombes à pic... »
Il observa sombrement le corps de la meurtrière s'affaisser. Ça y est, elle est morte... Il se releva donc, posa le tissu à terre, et ramassa son couteau, qui avait atterri juste devant l'une des couchettes raides. Ses mains étaient recouvertes d'écarlate : un délice. « Il faut mettre Marion en sécurité. » Sa subalterne hocha la tête, mais son regard bienveillant ne quitta pas la plus jeune.
On ne peut pas s'occuper du corps maintenant. Il va falloir aller dans les cachots... C'est l'endroit le plus sûr. « Suivez-moi », laissa-t-il tomber ; il rejoignit le couloir sur ce bel ordre. Lorsqu'il jeta un œil aux deux autres, il fronça les sourcils. Marion venait de se saisir de son compte-rendu, et le serrait avec force dans ses bras. Emilie, elle, la tenait doucement par les épaules, l'air de rien.
Les sciences avant tout, hein. Une fois le battant refermé, ils bifurquèrent silencieusement dans le long corridor sombre aux nombreuses portes de bois. Leurs bottes claquèrent à peine sur le sol de pin. Les escaliers aux marches de pierre inégales se découvrirent à eux. Ils le descendirent furtivement. Pas un mot ne fut échangé. Il fallait être rapide, et discret ; et les sens de Livaï, eux, restaient sensibles au moindre mouvement.
Mike comprendra où on est en voyant le dortoir vide. Ils arrivèrent alors au rez-de-chaussée. Si ce furent cette fois-ci des dalles qui accueillirent leur semelle, le reste ressemblait terriblement à l'étage. Les cachots. Ils n'étaient pas bien loin. Tourner à droite, se retrouver dans l'aile centrale, trouver un joli petit battant à la poignée de fer, croise une Hansi particulièrement tendue passer là. Elle s'arrêta net en les remarquant ; son visage ovale montra tout de son demi-soulagement.
« Livaï... » L'intéressé porta sèchement son index à sa propre bouche. Il lui montra ensuite la direction des cellules ; elle fronça les sourcils, mais acquiesça tout de même. Dès qu'elle arriva près de l'entrée, elle lui jeta un œil interrogateur.
« Tentative d'assassinat, répéta-t-il donc – tout bas, cette fois-ci. Emilie restera avec elle en bas.
— Où est le tueur ?
— Mort. »
Elle ferma brièvement les yeux. « Je m'occupe de ces deux là », souffla-t-elle ensuite. Il la laissa fouiller les poches de sa courte veste marron, en sortir un trousseau de clefs, et déverrouiller la salle austère. Ce n'était peut-être pas le meilleur endroit pour se remettre d'une agression au poignard, conjectura le caporal-chef ; et l'expression traumatisée, qui modelait les traits ronds et pâles de l'adolescente jusqu'à lui faire oublier ses lunettes rouges, le criait d'ailleurs ; cependant, c'était la sécurité avant tout.
A quel point son rôle est-il important, pour qu'on veuille la supprimer comme ça ? Il remit cette question à plus tard, et les laissa s'engager dans les marches humides. Il s'arrêta au bout de quelques pas. « Hansi », chuchota-t-il. Celle-ci leva le menton avec surprise.
« Elle était censée venir étudier avec toi. On dirait qu'elle est aussi tarée que toi à ce niveau-là. Si tu pouvais lui éviter une dépression nerveuse en déblatérant tes conneries, ça serait le bienvenu. Elle devrait apprécier, en plus. » Les traits de l'officier s'éclairèrent lentement. Elle leva le pouce dans un grand sourire, et reprit énergiquement son chemin.
Voilà qui est fait, pensa Livaï. Sur ce, il reprit sa route. Il y avait des traîtres à dénicher, et il n'allait pas se faire prier pour se salir les mains.
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