Versatiles - Partie 6

Quelque part dans le sud du Mur Maria, au même instant

« Allez, uh, dadas ! » s'exclama une énième fois Kenny avec entrain. Le cheval blanc et l'autre en rab qu'on lui avait prêtés accélérèrent encore. « C'est que vous fatiguez pas, couillons ! Tu m'étonnes que le Bataillon tienne à ses canassons comme à la prunelle de ses yeux ! »

Cela faisait des heures qu'ils galopaient à pleine vitesse, et l'animal qu'il montait paraissait presque enjoué. Lui et l'homme venaient certainement de nouer un lien affectif très puissant, car il obéissait au moindre de ses ordres. Son comportement était d'ailleurs étonnant : c'était l'étalon d'Erwin, et il avait jusque-là cru à l'adage « tel maître, tel bestiau »...

Non. Il fronça les sourcils. C'est pas plutôt « tel vieux, tel gosse » ?

Il réfléchit un instant. Sa mère était chauve, routière, et jouait du triangle comme une pro. Il lui ressemblait un peu – sauf sur les cheveux, mais il n'était pas à un détail près. Ce principe fonctionnait donc. Mais son frère, Philippe, était l'allégorie de la lâcheté, pour avoir abandonné Aline et Antoine – ou plutôt, Livaï. Et il s'était casé avec quelqu'un d'autre après, le con !

Or, Livaï était un type costaud et insultant... Donc la vie amoureuse était inexistante. Rien à voir, en somme. Alors, cette belle phrase philosophique était-elle fausse ? Oui, trancha-t-il. Satisfait de sa réflexion, il se concentra de nouveau sur sa route.

La plaine qui l'entourait était humide, sombre, et tellement plate qu'il s'était mis à compter les arbres. Il en était à douze. En bref, il n'y avait rien ici, et il en était profondément dépité... Mais il paraissait qu'il y avait un village en face. Il avait tellement hâte de voir ça qu'il jubilait, tout seul sur sa selle.

Il jeta un œil à son équipement. Il était classe, avec ses bouteilles de gaz accrochées aux cuisses. A sa ceinture, deux pistolets courts, et des grenades. Deux fourreaux de trois lames chacun sucraient le tout. Un hybride entre la version des Murs et celle des américains : il était tout bien outillé pour foutre des tatanes à ceux qu'il croiserait, humains ou titans.

« Ah, le voilà ! » dit-il en apercevant enfin les bâtisses. Il remit son chapeau droit. « Enfin un peu de paysage ! M'enfin, j'ai quand même mal au cul... » Il fronça le nez. « Ils ont intérêt à pas être trop loin, y a le retour à faire. »

Il laissa échapper un léger soupir. La situation était familière : il se souvenait trop bien du jour où Marion était venue dormir chez eux, et qu'elle et Antoine avaient décidé de faire une promenade nocturne. C'est qu'il avait flippé, en voyant la chambre vide. Lui et Isaac avaient à l'époque été chargés par les américains de la surveiller. Ces mêmes américains à qui il avait caché le fait qu'Antoine était le fils de Philippe – sinon, ils auraient immédiatement tenté de le récupérer.

Le con l'avait pris par les sentiments, à venir chialer sa race dans son manteau. « Fabien, je t'en supplie, veille sur eux, ne dis rien à l'armée, je ne peux pas, pas avec notre sang », gnagnagna... A ce souvenir, ses traits se blasèrent d'eux-mêmes. Fous-toi de ma gueule. Tu t'es fourré avec une autre nana après.

Mais ça, il ne pouvait pas lui reprocher. Il était arrivé la même chose pour leur mère, qui s'était liée à... Son camarade de caserne militaire. Elle avait éventuellement fait des gosses, mais son pote, pas touche. Antoine, lui, ça avait été Marion, mais il ne pouvait pas savoir si c'était toujours d'actualité : sa nouvelle version, Livaï, était un mur. Mikasa Ackerman avait l'air de s'être tournée vers Eren. Et lui...

Il ne voulait pas y repenser.

« Et voilà, maintenant, je suis de mauvaise humeur ! » ragea-t-il. « Saloperies de génétiques ! Et quelle bonne idée, de nous avoir tous appelés « Ackerman »... Ils vont bientôt découvrir le pot aux roses, maintenant ! » Il serra les dents. « Stéphane Bern, t'es vraiment con, des f... »

Un hurlement l'arrêta net dans sa phrase. C'est Marion, ou je rêve ? Suivit une rafale de coups de feu... Qui le firent réaliser qu'il était déjà arrivé au bourg.

« You bitch ! » s'égosillait la chercheuse. Oh, ça pue. Il passa immédiatement en manœuvre tridimensionnelle. « Wat'cha think you doin' ?! » Et elle a gardé l'accent des afro-américains ? Chapeau !

Il n'eut pas de problème à trouver la source du tapage nocturne... Et découvrit la scène avec stupeur. Marion venait d'éclater un caillou sur la tempe de Martins ; les bottes d'un corps dépassaient d'une maison à la porte défoncée ; deux autres pointaient leur fusil d'assaut sur la jeune femme.

Kenny dégaina immédiatement son revolver, et éclata la tronche du premier. Dix mètres et une seconde plus tard, il ficha son genou dans le nez du second, atterrit à côté de lui, et l'abattit à son tour. Il se tourna de nouveau vers la chercheuse... Qui se contentait de rester plantée là à souffler comme un buffle, les yeux rivés sur la soldate assommée.

« Eh, achève-la, qu'est-ce que t'attends ?! » Elle lui jeta un regard qui aurait pu geler le Piton de la Fournaise lui-même. Mais ses paroles parurent l'aider à retrouver ses moyens, car elle chopa l'arme à feu la plus proche, et tira dans la poitrine de son adversaire.

Quelques secondes de mutisme passèrent. « Il est où, mon neveu préféré ? Je vois que toi et quatre cadavres, là. » Elle baissa le menton. « Euh... » hésita-t-il. Il la vit serrer les dents. « Marion ? » Ses poings se contractèrent sous une rage mal dissimulée.

« C'est pas très clair...

— Tu veux un dessin ? articula-t-elle difficilement.

— Ça serait peut-être utile.

— Va te faire foutre, Fabien.

— Je viens de te sauver la vie, là !

— Si tu t'étais grouillé le cul, on n'en serait pas là ! cria-t-elle. »

Il fronça les sourcils... Puis entrouvrit les lèvres face aux larmes de la scientifique.

« Oï, oï, oï. Attends deux secondes, là. Me dis pas qu'il est mort ?!

— Si.

— Non. »

Ils furent deux à sursauter. Une voix particulièrement sèche s'était élevée de la porte ; ce fut avec une stupeur sans nom qu'ils virent Livaï pointer le bout de son nez, tenter de se relever, et échouer lamentablement. Ses traits étaient tordus par une douleur manifestement peu supportable.

Il y eut un long silence. Il le darda de ses prunelles claires infestées d'irritation, pour les reporter sur Marion. Celle-ci béait tellement que l'oncle dut se retenir de lui raccrocher la mâchoire.

« ... Comment est-ce que vous avez fait ? murmura-t-elle finalement.

— Elle a mal visé grâce ton coup.

— Mais vous étiez par terre...

— Qu'est-ce que j'aurais pu faire d'autre ? jeta-t-il.

— Je sais pas, je...

— Quand tu te prends une balle, tu sautes pas de joie.

— J'ai bien compr...

— Je pensais que t'allais saisir.

— Tu me prends pour qui, Erwin ?! »

Elle chancela sous sa propre exclamation ; l'autre la gratifia d'un air sidéré. Il ouvrit la bouche, tenta de dire quelque chose, échoua, ne parvint pas à la refermer. Au bout d'un long moment de mutisme, Kenny éclata de rire... Pour se faire foudroyer par quatre prunelles l'instant d'après.

« Quoi ? C'était hilarant, non ? » Ils ignorèrent ses mots avec tant de talent que son cœur en fut presque brisé. Le caporal-chef ferma brièvement les paupières. « Au temps pour moi. De toute façon, tu m'as encore enlevé une belle épine du pied... » Il posa une main sur son front, les sourcils froncés.

« De penser que les rôles s'inverseraient comme ça...

— Je suis toujours une plaie.

— Certes, mais réactive.

— En parlant de plaie, intervint le plus vieux. Je veux pas vous déranger dans vos éloges, hein... Mais Livaï, t'es pas en très bon état, là.

— Je sais, énonça-t-il en observant son bras en écharpe. »

Du sang frais tâchait sa cape verte, se mêlant à la boue et aux traces de pourpre séché. « Mar... » En la voyant s'appuyer contre le mur, tremblante de tous ses membres, il se tut un instant. « Kenny », se corrigea-t-il. « Ça m'arrache la langue de dire ça, mais j'aurais besoin de ton aide pour mon bras. »

L'intéressé eut un énième rictus, mais s'approcha tout de même de la plus jeune, et ouvrit son sac à dos. « Trousse, trousse... Trousse ! » Il sortit l'objet, et s'accroupit devant l'officier... Non sans jeter un regard satisfait à Marion. « T'as vu, je sais faire du slav squat ! » Elle se contenta de serrer les dents.

Il découvrit le bras gauche de l'autre, et l'inspecta un moment. Une nouvelle balle avait traversé son biceps, qui paraissait désormais particulièrement défoncé. Au vu des tressautements de l'estropié, ça faisait sacrément mal... Mais il priorisa l'utile sur l'agréable, et désinfecta le tout sans ménagement.

« Du coup, qu'est-ce qu'il s'est passé ? » demanda-t-il avec neutralité en lui faisant un second pansement. Son interlocuteur lui raconta l'assaut. Kenny ne cilla pas lorsqu'il lui dit qu'elle avait fini le groupe.

Il connaissait à peu près les capacités de Marion. Tuer six personnes frôlait peut-être bien ses limites, mais cela ne l'étonnait pas. « T'as eu du pot, t'as fait le bon pari », lâcha-t-il donc. Il remit son bras en place.

« Tu savais, pour ses pouvoirs, n'est-ce pas ?

— Oui. Par contre, ils n'appellent pas ça des pouvoirs, le corrigea-t-il, mais l'Instinct, avec une majuscule.

— L'Instinct... chuchota Marion. J'ai ça à cause des injections ?

— Pas seulement. Tu as aussi été modifiée lorsque tu étais un fœtus. »

Elle baissa le menton, lugubre. « Ça vient donc de là. » « Je n'ai aucun talent particulier : je ne suis qu'une machine », traduisit-il. Il habilla de nouveau le torse particulièrement musclé de Livaï. Il était fier de son neveu sur ce plan... Mais Marion n'y avait pas jeté un œil.

Devait-il être surpris ? Elle aimait pourtant aussi les hommes, et les abdos de son ancien meilleur ami en aurait fait flancher plus d'une. Non... Je pense qu'elle s'en fout. C'est Marion, après tout. Il l'aida à se relever. « J'ai deux chevaux. Vous pouvez vous en partager un. » Ils se contentèrent d'acquiescer. « Ma parole, vous êtes vraiment au bout du rouleau ! »

Puisque la chercheuse peinait déjà avec le sac, il se chargea de soutenir l'officier jusqu'aux destriers en question. « File le matos », dit-il à la jeune femme. Elle ne se fit pas prier ; une fois en selle, et le petit homme installé derrière sa subalterne, ils partirent au trot, puis au petit galop.

Pendant plusieurs minutes, aucune parole ne fut prononcée. L'ennui était de nouveau de mise : l'homme finit par triturer son chapeau, flatter l'encolure de son cheval, siffler le générique de fin de Lucky Luke... Mais oui, Lucky Luke, bien entendu !

« I'm a poor, lonesome cowb...

— Kenny. »

Le ton tranchant de son neveu le fit grimacer.

« Je chante si mal que ça ?

— Oui.

— Tu sais, je pourrais faire comme dans le manga et t'attaquer par le trou de b...

— Sauf que dans le manga, tu es mort, lui rappela la scientifique dans un bâillement intempestif.

— Oui, je sais, marmonna-t-il. Mais pas à cause de Livaï !

— Il t'a quand même battu deux fois.

— Et je pourrai recommencer une fois guéri si c'est nécessaire, articula le caporal-chef. »

Il se tut donc avec déception, mais le mutisme qui suivit ne lui plut toujours pas. Il fallait qu'il trouve un sujet de discussion avant que son état psychologique ne touche le fond... Ou plutôt, ne creuse encore. Mais il eut beau chercher...

« Au fait, Kenny. » Sauvé par le nain ! « Tu peux m'expliquer cette histoire d'Ackerman ? Je comprends bien qu'on nous ait donné le même nom de famille, mais le cas de Mikasa m'échappe... Et je suis certain que tu en sais quelque chose. » Ou pas...

« Ah, ça... Tu sais, c'est pas très intéressant, comme...

— Peu m'importe. On a quelques heures à tuer. »

Il grimaça. Philippe, tu fais chier. Je lui explique comment, moi ? Buté comme il est, il va pas lâcher l'affaire. Il jeta un coup d'œil au ciel... Qui était interminablement couvert par des nuages opaques. Bon... D'une, t'es crevé, de deux, tu peux pas me voir. Allez hop, c'est parti !

« Il était une fois mamie Chaillot... »

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