Si t'es fier d'être un Chaillot... - Partie 3
Ouest de la région du Sichuan, Chine, 10 septembre 1976
Shihong avait marché cinq bonnes minutes dans le couloir de l'aile des supérieurs. La mort de Mao avait été trop subite pour elle ; elle ne savait plus où donner de la tête ; Jian n'était pas disponible pour l'entendre se plaindre. Alors, elle avait timidement décidé d'accorder sa confiance au sergent Wang Gang.
Après tout, il lui avait répété, en juillet et août : « si quelque chose te tracasse, n'hésite pas à venir me voir ». Elle ne l'avait pas fait : lui partager ses doutes aurait pu mettre Jian en danger. Mais là, la situation était différente. Elle n'avait de toute façon pas compté dévoiler les interrogations de son camarade, il n'y aurait eu aucun danger...
Mais ce qu'elle venait de percevoir au travers de l'entrée l'avait foudroyée sur place.
« Le comportement de Shihong devient de plus en plus suspect... » Elle resta plantée là, devant la porte du bureau de son supérieur. « Et s'il lui parle de la mort de sa mère ? » Ses yeux étaient écarquillés ; sa bouche, entrouverte. « Cela n'arrivera pas. On doit absolument la garder sous contrôle. » Devait-elle remercier ou maudire son ouïe ? « Après tout, c'est le seul enfant qui a survécu à nos expériences sur le génome humain. »
... Quoi ? « La mort de Chao n'a pas suffi à mettre Jian en garde... Il va falloir passer à la vitesse supérieure. » Ils sont sérieux ? Est-ce que j'ai des problèmes d'audition ? Peut-être que c'est un malentendu. Il suffit de leur demander, n'est-ce pas ? Ils vont me dire que c'est une farce, n'est-ce pas ? Il n'y avait qu'un seul moyen d'en être sûre. Elle leva le poing pour frapper à la porte...
« A qui est-ce que tu comptes passer ?
— Il faut prendre le problème à sa racine. Ils sont tous au courant de la situation... Et sont prêts à se sacrifier. On va éliminer Meili. Si ça ne fonctionne pas, Jian devrait suff... »
... mais son geste lui échappa légèrement.
Le battant d'acier se décrocha violemment de ses gonds, et vola dans la pièce. Son coup de pied avait manifestement été efficace. Quatre faces stupéfaites se tournèrent vers elle dans un sursaut, mais elles n'auraient pas pu rivaliser avec l'horreur de la sienne.
« Shihong », murmura Wang Gang. « Depuis combien de temps est-ce que... ? » Elle tourna lentement ses prunelles effrayantes sur lui. De longues secondes coulèrent, au bout desquelles il leva les mains d'un air paniqué.
« Calme-toi, débita-t-il. On peut tout t'expliquer, le Parti est en difficulté, il y a des traîtres dans la base, il faut les éradiquer, tu le sais, n'est-ce pas ? Sinon, notre cause est perdue, et...
— En effet, articula-t-elle. »
Le soulagement modela ses traits. « Dans ce cas, tu voudras bien nous aid... » Il n'eut pas le loisir de finir sa phrase : le poignard qu'elle lança se planta trop sûrement dans son front. Il s'effondra au sol peu de temps après. Il y eut un instant de flottement, au bout duquel sa capitaine s'avança à grands pas vers elle.
« Shihong ! » s'écria-t-elle en lui prenant brutalement les épaules. Sa subalterne ficha immédiatement son poing dans son menton dur, lui vola son revolver, et plaqua le canon contre sa tempe. Une seconde plus tard, des morceaux de cervelles giclèrent sur les murs de béton.
Elle fit ensuite volte-face. J'en ai plus rien à foutre. Elle tira sur l'un des deux survivants. Je vais me tailler d'ici... Le dernier se jeta sur le bouton d'alerte dans un geste désespéré. ... et ils n'ont pas intérêt à se mettre sur mon chemin. Sa main se plaqua dessus ; elle lui explosa le crâne.
Une alarme stridente s'éleva tout de même dans la base. Déjà discernait-elle des bruits de bottes dans le corridor, et celui, caractéristique, du rechargement d'une arme. Ils sont tous au courant, hein ? Tu m'étonnes qu'ils aient pris que des élites.
Elle étudia la scène sanglante un court moment. Leurs balles peuvent facilement transpercer un corps. Comment est-ce que je vais faire ? Me cacher derrière la porte ne suffira pas... Ses yeux s'écarquillèrent. Quoique ! Elle se précipita sur feu le battant, le souleva par la poignée, et fit face de justesse à ses anciens alliés.
Si quelques coups de feu furent tirés, des hoquets de surprise suivirent rapidement. Ils ne s'attendaient probablement pas à trouver un vantail en guise d'ennemi... Ni à ce qu'il leur fonce dessus à toute vitesse.
Shihong serra les dents, et accéléra encore. Elle comprit aux cris qui suivirent qu'elle les avait frappés de plein fouet. Elle les repoussa brutalement, entendit quelques personnes trébucher, continua d'avancer : finalement, elle souleva la porte de fer dans un cri, et la plaqua à terre.
Quatre pieds et une flaque de sang en dépassaient. Je n'en ai eu que deux ?! Elle se retourna vivement. Meili, la petite combattante au visage rond, la visait de son pistolet court. Une détonation retentit. L'occidentale esquiva de justesse, assez pour qu'elle sente sa joue la brûler.
Elle fonça sur son ancienne camarade l'instant d'après, se saisit fermement de son poignet, et plaqua son propre revolver sous sa mâchoire. « S'il-te-plaît, lâche ton arme », dit-elle au-dessus de la sirène affreusement aigue. Une seconde, deux secondes, trois secondes passèrent. La rage finit par tordre les traits de la chinoise. Shihong appuya immédiatement sur la détente.
Du sang lui éclaboussa la face. Elle l'essuya du revers de la manche, et regarda douloureusement son cadavre tomber par terre. Le sang qui appartenait à ses anciens amis commençait à lécher ses bottes, mais elle n'avait probablement pas le temps de les pleurer. « Il y a des traîtres dans la base », hein... Ses dents se serrèrent. Moi qui avais confiance en eux...
Elle fouilla le corps de la femme. Celle-ci avait fait son tour de garde ; elle put récupérer son type 56*, son Phantom*, son poignard, ses trois grenades. Et la porte ? Non, je vais perdre en vitesse. Elle chargea le second fusil, mit l'autre dans son dos, et se mit à courir vers le centre. Je ne peux pas me le permettre : je dois récupérer Jian.
* Type 56 : fusil d'assaut chinois. Phantom : fusil court.
Si le type 56 pesait son poids – un mètre, plus les munitions, ce n'était pas rien – cela n'entacha pas sa motivation. Elle arriva à un virage en angle droit, et se plaqua contre le mur, paupières plissées. Jian est aux cuisines. Elles sont dans les quartiers à l'autre bout. Entre les deux...
« Vers le bureau des officiers, vite ! » Quatre. Elle resta solidement plantée là, profondément concentrée. Dès que la première silhouette vira, elle lui ficha violemment son genou dans le ventre. Ce fut Meirong, la sœur de Meili, qui se plia en deux.
Une semelle dans la tronche plus tard, Shihong enchaîna avec un coup de pied dans la mâchoire d'un second. Elle planta rapidement sa crosse dans la tempe du troisième, et tira dans le genou du dernier. Tous se retrouvèrent à terre.
Elle dégaina immédiatement son fusil d'assaut. « Jetez vos armes. » Une nouvelle fois, ils ne répondirent que par de la haine : elle dut les abattre à leur tour. Encore du pourpre sur ses habits kaki, encore des regrets dans son coffre. Mais je dois au moins récupérer Jian...
Elle bifurqua à droite sans attendre. L'alarme s'arrêta subitement, accordant un repos bien mérité à ses tympans. Ses prunelles claires rebondirent sur le moindre recoin qui daignait échapper à la lumière jaune des lampes.
Elle en avait tué onze. Il en restait quarante-quatre – sans Jian, quarante-trois. Ils se déplaçaient en général par groupe de quatre, voire cinq à de rares occasions. Il fallait qu'elle s'attende à ce qu'ils surgissent à n'importe-quel moment... Ce qui ne tarda pas à arriver.
Elle tourna les talons, et eut tut juste le temps de se mettre à terre avant qu'une équipe ne lui tire dessus avec ses fusils d'assaut. Ils veulent me tuer... réalisa-t-elle. Les balles frôlèrent sa tête : elle se saisit immédiatement d'une grenade, et la dégoupilla avec rage. « Pas mon crâne, bande d'enfoirés ! » cria-t-elle en la balançant sur eux.
L'explosion qui suivit lui accorda quelques secondes de répit. Elle se redressa illico, se saisit de son type 56... Je ne peux pas dialoguer. Je ne peux pas dialoguer. ... et les tua en une rafale. « Et merde », jura-t-elle lorsqu'elle sentit son rifle s'alléger. « Je perds trop de munitions... » Elle regarda rapidement autour d'elle, et se décida à sprinter vers eux.
Dès qu'ils furent à sa portée, elle échangea son flingue avec celui du plus éloigné, et repartit de plus belle. Elle se trouvait dans le bâtiment central : plus qu'une demi-aile à traverser, et elle y était. Et il en reste trente-huit... Elle se mordit la joue. Trente-huit ennemis...
Demi-aile qui se résumait en un énième corridor. Comme toujours, son emplacement était uniquement pratique : il servait d'artère principale, et se divisait en de nombreuses veines perpendiculaires. Une nouvelle fois, une escouade surgit de l'une d'elle ; une nouvelle fois, elle dut les décimer avant qu'ils ne fassent de même avec elle.
Trente-trois. Shihong s'arrêta à un croisement. Là-bas, les cuisines, repéra-t-elle dix mètres plus loin. Elle s'apprêta à se lancer vers sa porte de fer légèrement rouillée, mais on l'assaillit par la gauche. Son poignard sortit immédiatement de sa ceinture... Pour s'arrêter à quelques millimètres de l'abdomen de son ennemi.
« Jian ! Il faut que... » Elle s'étrangla. Il était armé, et accompagné de trois autres personnes. Non... Il chargea son revolver, au même titre que ses camarades. Son air terriblement sérieux lui poignarda le cœur. Pas lui...
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