Kenny : behind the scenes - Partie 5
Quelque part dans le Nevada, 15 août 2001
« Rebecca... » gémit Marion. Elle sentit l'intéressée sourire contre sa gorge.
Son dos était plaqué contre le mur froid du laboratoire ; ses poignets, bloqués par la main de sa collègue. A chaque caresse des lèvres de celle-ci sur son cou, un frisson remontait son échine. Ils se faisaient désormais si nombreux que ses dents se serraient d'elles-mêmes, mais l'autre la faisait encore attendre.
« S'il-te-plaît... » murmura-t-elle avec peine. Quelques baisers plus tard, sa maîtresse daigna enfin remonter vers son visage. Sa bouche s'amusa à effleurer lentement sa peau, à chatouiller délicieusement le coin de sa mâchoire, à détailler chaque contour de son menton. Enfin, elle rejoignit la sienne, et s'y mêla savoureusement.
Ce contact chaud s'anima sans attendre. La langue humide de la première glissa sous celle de la seconde pour s'y lier avec une ferveur progressive. Elles s'embrassèrent ainsi un long moment. L'excitation déjà prenante chez l'adolescente monta encore d'un cran. La situation ne s'arrangea pas lorsque le genou nu de la brune frôla l'intérieur de ses cuisses, puis les remonta progressivement.
Il s'arrêta juste avant le point fatidique. Cette frustration enivrante la piqua de nouveau sans qu'elle ne puisse rien y faire. Bien évidemment, Rebecca le remarqua, car elle détacha brièvement ses lèvres et planta ses yeux bruns et brillants dans les siens. « Tu es toujours aussi patiente, à ce que je vois », sourit-elle. La chercheuse se contenta de reprendre sa respiration avec peine.
De nouveau, la plus âgée fourra son nez juste au-dessus de son épaule. Si l'autre prévit une attente difficile, elle ne put qu'écarquiller les yeux. La jeune mère avait glissé sa main libre sous son débardeur, et massait désormais doucement son sein. Bordel...
Son souffle brûlant sur sa peau, ses doigts fins dans son soutien-gorge : elle aurait pu jurer que son effervescence allait atteindre son paroxysme. Et pourtant, l'affaire était loin d'être finie. Lorsque sa collègue menait la danse, c'était les montagnes russes durant un long moment. A l'instant où sa partenaire se décida enfin à s'intéresser à son entre-jambe, elle entrevit son salut... Mais un pleur les arrêta brusquement.
Historia venait de se réveiller de sa sieste. Elles restèrent un moment immobiles, pour expirer à l'unisson. La récréation était finie, elles allaient devoir s'arrêter là. La plus âgée la libéra gentiment, et lui offrit un dernier baiser sur la joue avant de se détacher d'elle. Elle ne la sentit pas se raidir.
Le froid prit sa place. Le laboratoire de recherches n'était pas la pièce la mieux chauffée de la base ; alors, avec des habits défaits... La moins grande soupira longuement dans l'espoir de dissiper son trouble, et s'attela à reboutonner son jean. Cette interruption avait été assez brusque, mais ce n'était pas la première fois que cela arrivait. Le souci ne venait pas de là.
Au début, les gestes de Rebecca étaient dénués de tout intérêt sentimental. Il n'y avait que de l'intérêt sexuel là-dedans. C'était pour le mieux : Marion n'avait pas à culpabiliser qu'une toute jeune mère trompe son mari pour elle. Mais depuis plusieurs semaines...
Malgré tous les efforts de la femme, elle les avait remarquées, les ecchymoses sur son corps. Ils n'étaient manifestement pas en lien avec la vie sexuelle épanouie de l'adulte : leur apparition avait coïncidé avec son changement de comportement, qui s'était fait plus dévoué, si ce n'est dépendant. Elle ne savait pas quelle était la cause, et quel était l'effet.
Son mari la frappait-elle car elle développait des sentiments pour elle ? Ou s'attachait-elle à elle à cause de la violence qu'elle subissait ? Dans tous les cas, ces coups la mettaient en rogne... Sans qu'elle ne puisse rien y faire. En face d'elle, elle n'avait rien de moins que Rhys Reiss ; le supérieur direct de Kenny, et éventuellement l'un des commandants principaux mis sur l'affaire des voyages temporels.
Comment allait-elle aider, à son échelle ? En soutenant la sergente. En était-elle capable ? Rien n'était moins sûr. Elle la respectait, elle l'appréciait, mais elle n'était pas amoureuse. Elle avait trop peur de la faire espérer pour rien. Il était probablement temps qu'elle mette les choses au clair...
Seulement, cela pourrait probablement lui faire plus de mal que de bien, et mettrait fin à leurs activités charnelles. Voici le cercle vicieux au centre duquel elle se trouvait. Il aurait peut-être été gérable, s'il n'y avait pas eu d'autres facteurs pour acidifier un peu plus la situation.
Le comportement de Kenny aussi avait brièvement évolué depuis quelques temps. Il y avait eu un changement depuis que leurs faces s'étaient retrouvées à un brin de paille l'une de l'autre... Puis, plus rien. Retour à la normale. Enfin, il n'était plus le Fabien qu'elle connaissait ; ils n'avaient plus que trois ans d'écart, et c'était assez perturbant ; mais bon...
Pas de problème avec lui. Aucun. C'était sûr et...
« Marion, tout va bien ? » s'inquiéta Rebecca. Elle releva brusquement la tête. Ce ne fut qu'à cet instant qu'elle remarqua son pauvre ongle rongé jusqu'à la moelle. « Oh, oui, très bien. Je crois que je vais retourner à mes dossiers... »
Ainsi s'assit-elle dans un calme assez superficiel à l'une des tables blanches disposées dans la pièce circulaire. Elle ignora les ordinateurs, sa tasse de thé vide, et le sac à main de son amante pour se concentrer sur ses propres papiers. Sérieusement... Il faut que j'agisse, mais comment ? Elle inspira longuement, ferma les yeux. Finalement, elle les reporta sur ses schémas interminablement moches.
La réponse est évidente... Aucune idée.
***
Trop bien, j'ai encore réussi ! se réjouit Kenny. Il en était désormais persuadé : le bilboquet était la meilleure activité du monde. Et mieux valait-il, puisqu'il la pratiquait au moins quatre heures par jour, au point de ne faire plus que des sans-faute. Le reste du temps, il s'occupait de ses poignards, gribouillait, observait le premier tome du Seigneur des Anneaux qui trônait sur sa table de chevet, ou tentait de déchiffrer les hiéroglyphes de Marion.
Marion, hein. Il posa ses yeux égéens sur la boule de bois, qui pendait avec lassitude de son socle. Depuis la conférence, elle travaillait avec une intensité redoublée sur sa « théorie foireuse ». La détresse qu'il avait lue sur son visage était réelle, et il en avait désormais la preuve.
S'il la laissait usuellement s'acharner autant qu'elle le voulait sur ses papiers, cela devenait sérieusement compliqué. Veiller jusqu'à minuit, pourquoi pas ; une heure, ça passait encore ; mais trois heures du matin...
Elle tournait à un peu moins de quatre heures de sommeil au lieu de dix, et s'endormait avec récurrence sur son bureau avant le dîner. Son état physique se détériorait de plus en plus. « Bof, elle fait ce qu'elle veut » avait été sa devise pendant les précédents mois : il allait devoir la mettre à la poubelle.
Il détacha enfin ses prunelles du jouet, et les promena sur le long couloir froid dans lequel il se trouvait. Murs de béton lisse et doux, sol du même matériau. Il faisait frais, sous le rez-de-chaussée. A sa gauche, il y avait un second corridor qui menait aux marches. Plus loin, très loin, le plus loin possible, la porte de fer parfaitement insonorisée du labo.
Elle s'ouvrit à l'instant même, découvrant une Marion toujours aussi petite. Il ignora le pincement qui titilla son coffre pour se décoller de la cloison. Lorsqu'il vit son regard sombre, il baissa légèrement les épaules.
« J'ai fini », dit-elle sur un ton inhabituellement plat. Elle jeta un œil fatigué à ses papiers, puis le rejoignit. Ses chaussures blanches claquèrent un moment avant que la chercheuse n'arrive à sa hauteur. Le jeune homme plissa les paupières.
« Un souci ?
— Un souci... »
Elle détourna le regard.
« Ma théorie.
— Ne me force pas à te reprendre en sac à patates.
— C'est vraiment ça, contra-t-elle faiblement. »
Il y eut un petit silence. Kenny finit par lui mettre une grande tape sur l'omoplate. La surprise se dessina sur les traits de l'autre : il l'ignora, tourna les talons, s'engagea vers l'escalier. Elle le suivit en retard.
Et merde. Ils arrivèrent rapidement au rez-de-chaussée, dans l'un des couloirs des bureaux. J'aurais pas dû faire ça, c'était complètement hasardeux. Putain, je suis con. Lui taper le dos ! Ça va arranger sa situation, peut-être ? Il déglutit avec difficulté. J'ai vraiment pas été gâté au niveau du cerveau... M'enfin, je sais toujours pas quoi faire, aussi ! La peluche ne fonctionnait plus ; le coup du verre d'eau, c'était inutile. Son état s'empirait de jour en jour.
Il se doutait qu'elle s'en voulait toujours à mort d'obéir aux américains, mais il ne savait plus quoi lui dire. Il ne lui avait pas répété qu'elle pouvait faire du chantage une fois ses recherches abouties : elle aurait refusé. Ce n'était pas de son genre, elle était trop honnête pour faire un coup comme ça. Quelle idée, d'être gentil, aussi !
« Kenny, attention ! » Il s'arrêta brutalement. A deux centimètres de son nez, l'entrée de métal des dortoirs. Il dut loucher un instant dessus afin de réaliser qu'il avait failli perdre le peu de neurones qu'ils lui restaient. « Oh. Merci. » Il abaissa la poignée, et ils entrèrent dans le bâtiment bas et toujours, toujours gris.
Ils savent ce que c'est, la peinture ? Premier couloir, virage à gauche, trois portes, la leur, la chambre aux deux lits et au bureau encombré et à l'armoire noire et à la salle de bain étroite-mais-quand-même-cool. Il entendit Marion fermer le battant... Puis, plus rien.
Il se retourna avec surprise, pour sursauter la seconde d'après. Ses lèvres roses étaient pincées ; ses poings, serrés au possible. Et, surtout, des larmes coulaient en abondance sur ses joues. « Marion ?! » Il s'avança, recula, regarda frénétiquement autour de lui. La panique le saisit : il ne savait absolument pas quoi faire, ni même où poser son bilboquet.
Mais il n'eut pas le temps de réfléchir qu'elle plaquait brutalement son front contre son torse. « Putain ! » ragea-t-elle. Les yeux du jeune homme s'écarquillèrent. Bon, bon, bon. Au moins, c'est pas comme d'habitude. Une envie de meurtre, peut-être ? Il inspira profondément, dans l'espoir plutôt vain de calmer son rythme cardiaque effréné.
« Euh... hésita-t-il. Qu'est-ce qu'il se passe ?
— Je suis conne !
— Ce n'est pas vraiment l'impression que tu donnes dans la vie de tous les jours...
— Mais je le suis vraiment ! »
Le soldat déglutit. « Pourquoi ? » Silence. Puis, un sanglot brisa sa gorge. « Rebecca », hoqueta-t-elle. « Je crois qu'elle se fait frapper. » Il fronça les sourcils.
« Ah bon ?
— Ne dis pas juste « ah bon » !
— Par qui ? se corrigea-t-il rapidement.
— Rhys... »
Oh. « Et... » « Comment tu sais » ? Couillon, plus inutile que ça, tu crèves.
« Et du coup ?
— Du coup, c'est grave, souffla-t-elle.
— Certes... Mais pourquoi tu pleures ?
— Car je suis une enfoirée.
— Je ne pense pas vraiment.
— Kenny, je ne sais pas quoi faire, laissa-t-elle tomber. »
Il ouvrit la bouche. Aucun son n'en sortit. « J'aimerais bien l'aider, mais c'est un commandant qu'elle a en face ! Je ne peux rien faire, je suis complètement inutile... Et y a Historia dans l'histoire, en plus. Et je ne me sens pas capable de la soutenir, Rebecca, je veux dire, car... »
Elle s'étrangla. Il ne devina ses pleurs silencieux qu'à la manière dont ses épaules tremblèrent contre lui. Au bout d'un long moment, il posa sa main libre derrière le crâne de la scientifique. Il pouvait presque la sentir, la culpabilité qui la dévorait.
« Bah, elle peut porter plainte, je pense... Bon, même si tu connais mon amour de la justice. C'est un conseil comme un autre, hein. » Elle hocha la tête. « Puis, pour Historia... Je sais pas. Peut-être que tu devrais pas te rajouter du boulot avec ça. M'enfin, tu fais ce que tu veux. » Quelques secondes. Elle finit par se détacher de lui, et essuyer ses joues.
« Je verrai. » Ses yeux rougis et cernés restèrent plantés sur la moquette grise un instant, pour se promener brièvement sur la pièce. Un bâillement plus tard, elle rejoignit son bureau, et s'installa lourdement sur sa chaise noire.
Là, elle croisa les jambes ; ou, plutôt, elle posa sa cheville droite sur son genou gauche avec une aisance qui aurait pu contraster avec sa personnalité. Mais Kenny le savait, désormais : il n'y avait que ses idées suicidaires pour entraver sa désinvolture. Les autres soldats, eux, ne commençaient que tout juste à voir en elle plus qu'une adolescente coincée et timide.
Quoique, désinvolture... C'est encore plus subtil que ça. Il observa ses mèches ondulées retomber sur sa face, son bras se poser tranquillement sur le dossier de sa chaise, son pied tapoter frénétiquement le sol. Que lisait-elle ? Son écriture si caractéristique remplissait avec brio les feuilles sur lesquelles elle avait reporté son attention. Quel était le sujet sur lequel la jeune fille planchait désormais ?
Ses prunelles bleues parvinrent à se détacher d'elle pour se poser sur son propre lit. Il s'y assit, et étudia le bilboquet de bois clair que lui avait prêté Rebecca il y avait des mois de cela. Puisqu'il n'avait rien d'autre à faire, il laissa la boule pendre au bout de la corde, plissa les paupières, lui donna une impulsion. « Kenny... » dit alors Marion. « Merci. »
Pour la première fois de la journée, il rata son coup.
Lien vers l'image : https://www.wattpad.com/365292289-im%C3%A1genes-de-levi-y-kuchel-ackerman-el-t%C3%ADo-kenny
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top