Il faut sauver le soldat Marion - Partie 3

Shiganshina, 15 octobre 851

« Pour résumer... » dit un Erwin de plus en plus consterné. « La meurtrière a tiré deux fois, puis a hurlé à la mort. Ça vous a permis de savoir exactement où elle se trouvait, mais vous êtes arrivés pile au moment où elle se tuait. Et là, vous avez découvert le cadavre d'Isaac. »

Ils hochèrent la tête. Le major, qui était jusque-là debout, s'assit à son bureau en fermant brièvement les yeux. « Donc, elle était assez puissante pour tuer Isaac de deux coups de feu, mais aussi assez désespérée pour se suicider. »

Nouvel acquiescement. Il y eut un silence. Puis, Mike s'avança.

« Elle ne doit pas appartenir aux américains : ils en ont tout autant besoin que nous. Ça pourrait être une personne isolée, mais sa réaction me fait plutôt penser qu'elle a été forcée de tuer Marion. Je suspecte une organisation extérieure d'être dans le coup.

— On aurait un ennemi de plus ? lâcha le petit homme.

— Manifestement.

— On n'a retrouvé aucun autre suspect, rappela-t-il.

— Si elle était si puissante que ça, elle a probablement été la seule envoyée pour cette mission.

— C'est vrai. »

Mike soupira.

« Bon. Le corps est impossible à identifier... Erwin, il faut qu'on envoie quelqu'un dans le passé.

— Je vois ça. J'ai pris ma décision, annonça-t-il. Livaï, on aura besoin de toi ici. Tu es notre meilleur élément, et je ne compte pas laisser l'ennemi gagner aussi facilement. Il n'y a pas que nous en jeu : il y a aussi l'Humanité du vingt-et-unième siècle. »

Il marqua une pause. « On va envoyer Isaac. Seulement... » ajouta-t-il avant que le caporal-chef ne prenne la parole, « tu ne devras pas échouer. Il va falloir que tu arrives à te contrôler. Tu n'y vas pas que pour Marion. Beaucoup d'autres vies vont reposer sur tes épaules. »

Il baissa le menton un instant. Il avait raison, mais il ne pouvait pas s'empêcher de mettre la vie de la chercheuse avant tout le reste. « Est-ce que tu en seras capable ? » Il serra les dents. Si je sauve Marion, je sauve l'Humanité. Et si je sauve l'Humanité... Il écarquilla les yeux. ... je sauve Marion, réalisa-t-il. Dans tous les cas, je la sauve, elle, et c'est ce que je désire le plus au monde. Alors, il planta un regard déterminé sur le major, et acquiesça avec conviction.

« Je t'avais manifestement dit de ne pas changer la trame des évènements, intervint le chef d'escouade. Mais au vu de la gravité de la situation, tu peux foncer. Si tu échoues, je n'aurai qu'à t'envoyer un peu plus dans le passé : ça te ramènera à la ligne d'univers d'où tu viens. Mais ne foire pas trop non plus... Un transfert, ça laisse des dégâts.

— Et puis, lâcha le plus petit, il serait mieux d'éviter qu'une centaine de nos copies ne souffrent comme nous. »

Il hocha une énième fois la tête. Les regards de Hansi, de Livaï et d'Erwin pesèrent sur lui. « Bien. On y va », annonça le chef d'escouade. Ils partirent.

***

Shiganshina, 14 octobre 851

« Régénère ta langue. » « Tue ton alter-ego. » « Ne t'occupe pas de la trame des évènements. » « Fonce. » « Je compte sur toi. » « Sauve-la. »

Isaac se prit la tête dans les mains. Une nouvelle fois, une douleur affreuse lui torturait le crâne. Les paroles de Mike résonnaient indéfiniment dans son cerveau, s'y enfonçaient toujours plus profondément, jusqu'à s'y ancrer avec solidité. Cette fois-ci, il allait faire de son mieux pour les suivre à la lettre.

Cette fois-ci, il allait réussir.

Il se releva péniblement. De nouveau, sa maison. Il ne prit pas la peine de la détailler comme la dernière fois. Le temps lui était compté. Alors, il se donna deux baffes, et s'appuya contre le mur pour avancer.

Il le savait, sa migraine allait mettre longtemps à disparaître. Il pouvait tout juste discerner sa table, sa chaise, la chèvre, et son alter-ego. Je dois le tuer. Il serra les dents. Je dois le tuer... Mais il se voyait mal se battre dans cet état.

L'autre fit tomber son pain. Encore une fois, un temps d'arrêt. Il se vit ensuite chercher son ardoise. « Qu'est-ce que je fous là ? » La même phrase. Cela ne l'étonnait pas. Il écrivit à son tour.

« J'arrive du futur. Je dois sauver Marion.

Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Elle a été assassinée.

Quand ? Par qui ?

Ça va se passer ce soir. Il faut que je te tue. »

Il y eut un silence. La rage qui flambait dans les prunelles du plus jeune s'estompa légèrement.

« Pourquoi ?

On ne peut pas être deux.

Ensemble, on serait plus forts.

Tu ne connais pas la situation.

Explique-la-moi, alors.

L'Humanité va perdre. Je dois gérer ça seul. »

Il effaça rapidement, et hésita un court instant. « Ordres d'Erwin », mentit-il finalement. Sa vision choisit ce moment-là pour se préciser. Il manqua une nouvelle fois de se détailler douloureusement, mais il balaya ce sentiment de justesse. Il ne pouvait plus s'attarder sur de pareils détails.

Son alter-ego récupéra l'outil. « D'accord », inscrivit-il lentement. « Si c'est pour Marion... Je suis prêt à ça. » Il sortit son poignard de sa ceinture. Ses yeux rouges reflétaient une certaine appréhension. Toutefois, le plus âgé n'en eut cure. Il s'approcha de l'autre, se saisit de l'arme, et l'égorgea sans attendre.

Mais lorsqu'il se vit tomber à terre, lorsqu'il vit son sang couler sur le plancher, un sentiment affreux se saisit de lui. Son souffle se coupa : il tomba en arrière, et porta une main tremblante à sa gorge. Il lutta pour trouver de l'air, passa frénétiquement ses doigts sur sa peau à la recherche d'une plaie, s'étrangla encore et encore jusqu'à ce que la tête lui tourne.

Non ! Il tenta de retenir ses convulsions. Ce n'est pas moi. Ma gorge va bien. Ce n'est pas moi ! Il serra les dents, ferma les yeux. Son cœur battait à toute allure, et une peur terrible lui mordait le cœur. Ce n'est pas moi, se répéta-t-il. Ce n'est pas moi...

Puis, il respira enfin. Il avala de grandes goulées d'air, profondément soulagé. Il le savait : c'était ses neurones miroirs qui avaient dégénéré... Mais il ne s'attendait pas à ce que la vision de lui-même en train d'agoniser le frappe avec autant de force.

Il se redressa une seconde fois, et posa son regard sur le pain à terre. Il était imbibé de vermeil. Il allait devoir en prendre un autre. Après tout, son ventre grondait de plus en plus fort : la faim le tenaillait. Depuis quand n'avait-il pas mangé, ni bu, ni dormi ?

Même si un sentiment urgent le poussait à se jeter au-dehors pour récupérer Marion, il devait reprendre des forces. Sans ça, il ne servirait à rien. Il avala donc rapidement sa ration, se servit dans sa gourde, et enfila son équipement tridimensionnel. Le sommeil pouvait attendre. Il avait connu pire.

Par quoi est-ce que je vais commencer ? Il observa ses manettes de commandement. Est-ce que je devrais l'enlever ? Il repensa à la réaction de Livaï, et à son combat contre lui et Annie. Non. Je ne suis pas assez en forme pour ça... Il serra les dents, contrarié.

La meurtrière ne viendra pas par les Murs : la Garnison n'avait rien trouvé. Elle est donc déjà à Shiganshina... Je devrais essayer de la chercher. Si je ne trouve rien avant le coucher du soleil, là, j'irai directement les voir.

Après avoir amené la chèvre à la cave en la gratouillant, il sortit de la bâtisse à demi démolie, et s'élança une nouvelle fois dans la rue étroite. Elle s'était dirigée vers l'ouest... Peut-être qu'elle y est encore ? Ses yeux rouges balayèrent les alentours. Non. Dans la première ligne d'univers, elle était allée au sud. Je devrais plutôt me demander pourquoi est-ce qu'elle a changé de direction.

Il se mit discrètement en rappel sur un mur. La première fois, je n'avais pas recherché l'assassin. Elle a dû m'apercevoir en bas de la cité... Il posa un doigt sur sa tempe. La peur lui rongeait le cœur. Il avait terriblement envie d'aller directement voir Marion, mais cela relevait de la folie. Combien d'erreurs stratégiques avait-il commis en se laissant emporter par ses sentiments ? Il ne tenta même pas de les compter.

Il secoua la tête. Je dois me concentrer. Il observa de nouveau les environs. Une idée lui vint subitement. Elle est rentrée dans la base du Bataillon... Elle y est peut-être en repérage ! Il repartit de plus belle, déterminé. Si je trouve qui que ce soit de suspect, je le mets à terre, et je le tue. Simple, efficace : cela lui convenait. Il accéléra encore.

Il vit enfin le quartier général. Je dois me faire discret. Il atterrit souplement, et longea les murs. S'il restait au sol, les gardes ne pourraient pas le voir. Il ne prit pas la peine de vérifier les écuries : Marion s'y trouvait certainement. Non, il chercha dans les alentours... Et ne trouva rien.

Une légère frustration le piqua : il contourna l'aile droite à grands pas. Il atteignit une allée pavée, bordée de maisons à colombages. Ses yeux rebondirent sur le moindre recoin, ses oreilles cherchèrent le moindre bruit. Puis, il se retourna brusquement. Une femme venait de sortir d'une ruelle.

Il s'apprêta à se jeter sur elle, mais reconnut Hansi de justesse. Son cœur rata un battement. Il ne fallait pas qu'elle le voit. Il regarda précipitamment autour de lui, et repéra une charrette abandonnée. Il courut se dissimuler derrière.

Seulement, c'était la pire cachette qu'il n'eut jamais trouvée. C'était une aubaine que la scientifique ait une mauvaise vue : elle traversa simplement la rue. Il détendit ses muscles, soulagé. J'ai eu chaud.

Une fois sûr qu'aucun autre soldat n'allait venir, il reprit ses recherches. Il chercha derrière la base : rien. Il chercha à l'est : rien. Il retourna même à l'ouest, et n'y trouva pas grand-chose de plus. Son insatisfaction grandissait de manière exponentielle, mais il se força finalement à rester là où il s'était arrêté, et à attendre que le soir tombe.

Il s'était décidé à ne pas avertir tout de suite le Bataillon. S'il changeait le futur maintenant, il ne pourrait plus prédire ce qu'il se passerait après. Non, il entrerait dans le bâtiment juste après que Marion soit sortie du réfectoire.

Il devait bien sacrifier ses sentiments pour elle : cela le hérissait, mais il allait l'utiliser comme appât. De cette façon, il la protégerait, et choperait la coupable en même temps. Deux pierres d'un coup. Il s'appuya contre le mur derrière lui, perpendiculaire au bâtiment ouest de la base. Il pouvait la surveiller sans se faire voir par les sentinelles situées sur les toits. Il allait passer parfaitement inaperçu...

Du moins, c'est ce qu'il se disait jusqu'à ce que la chercheuse ne surgisse de l'arrière du quartier général.

Lien vers l'image : https://www.zerochan.net/1043246

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