Il faut sauver le soldat Marion - Partie 1
Shiganshina, 14 octobre 851
Isaac ouvrit les yeux avec peine. Comme après chaque transfert, sa tête lui parut sur le point d'exploser : la douleur battait au rythme effréné des pulsations de son cœur. Il dut attendre un petit moment avant de recouvrer une vue correcte.
Il réalisa alors qu'il se trouvait dans sa propre maison, sur son plancher poussiéreux et bancal. Il se releva en grognant, et regarda autour de lui. Chaise, table, chèvre, Isaac...
Il se raidit. Son alter-ego se trouvait juste en face de lui, la bouche ouverte. Son visage pâle reflétait une stupeur sans égale. Il fit tomber son bout de pain, et ils restèrent quelques minutes à se regarder... durant lesquelles il put admirer son corps, ses yeux et ses traits trop féminins.
C'était une aubaine pour eux qu'ils soient habitués au silence : sans ça, ils auraient eu du mal à supporter son poids. Au bout d'un laps de temps interminable, Isaac le jeune attrapa son ardoise, et écrivit dessus. « Qu'est-ce que je fous là ? » L'autre la prit à son tour.
« Il y a eu des problèmes avec Marion. » Il se vit écarquiller les yeux.
« Quels problèmes ?
— Elle a été assassinée. »
Cette fois-ci, l'albinos numéro un dut se tenir à sa table. Puis, la rage fit surface chez lui.
« Quand ? Par qui ?
— Ça va se passer ce soir.
— Et pourquoi je suis revenu ?
— Mike m'a envoyé pour la sauver.
— Je veux t'aider.
— Il vaut mieux qu'on ne soit qu'un seul.
— Pourquoi ?
— Mike m'a conseillé ça.
— Je ne vois aucune raison de faire ça.
— Moi non plus.
— Tu penses qu'on peut se débrouiller à deux ?
— Peut-être qu'il faudrait suivre les conseils de Mike.
— C'est vrai qu'il en connaît un rayon.
— Le seul problème, c'est Livaï. »
Le regard des deux s'assombrit en même temps.
« Je peux le distraire pendant que tu la sauves, écrivit le plus jeune.
— C'est risqué de changer les évènements qui vont se passer.
— Tu as raison.
— Il vaut mieux les préserver du mieux qu'on peut.
— En plus, il est chargé de la protéger.
— Car on n'est pas autorisé à le faire.
— Qu'est-ce qu'il s'est passé, après qu'elle est morte ? »
Le plus âgé marqua une pause. « L'Humanité a perdu. »
Ils réfléchirent un moment.
« J'ai une idée, inscrivit Isaac transféré.
— Moi aussi.
— Tu peux aller chercher dans la ville...
— ... Pendant que tu t'introduis dans la base.
— Et je surveille Marion.
— Et je cherche le coupable. »
Ils hochèrent la tête au même moment.
« C'est décidé, dit Isaac le cadet. Je serai le numéro un.
— Comme tu es le plus jeune.
— Et toi, le numéro deux.
— Parfait.
— On fait comme ça.
— Tu prends l'équipement tridimensionnel. »
Numéro un acquiesça, et ils se mirent au travail. Numéro deux, quant à lui, prit un manteau, et rabattit la capuche sur sa tête. Ils sortirent dehors, échangèrent un dernier regard rouge, et prirent des directions opposées. Ce jour-là, il faisait affreusement beau.
La base. Il courut dans les ruelles détruites. Son esprit n'était focalisé que sur une chose : Marion. Il revit ses yeux verts, ses cheveux ondulés, son sourire. Il ne pouvait pas s'imaginer vivre une vie dans laquelle elle n'existait pas.
Apprendre sa mort avait été un enfer. Il avait tellement frappé son mur que celui-ci avait commencé à se fissurer. Heureusement pour lui, il avait pu utiliser ses pouvoirs de régénération pour soigner ses mains, qui avaient laissé de belles traces de sang contre la pierre.
Il ne revivrait ça pour rien au monde.
Il aperçut bientôt les drapeaux verts du Bataillon, qui ondulaient au gré du vent. Il prit soin d'emprunter les petites ruelles de terre battue : il ne devait pas être vu. Il devait attendre la nuit pour agir. En attendant, il fallait qu'il surveille les moindres mouvements de la jeune femme.
Mike lui avait fait un résumé. Le matin, elle s'était entraînée à la manœuvre tridimensionnelle. L'après-midi, elle était partie regarder le Titan Mural avec Hansi, avait nourri les chevaux, et avait aidé à préparer le réfectoire. Elle avait aussi épluché quelques pommes de terre. Livaï ne l'avait pas quittée d'une semelle, comme à son habitude.
Il serra les dents. Voir cet enfoiré lui coller aux baskets était particulièrement rageant. Pourquoi avait-il été choisi, lui, pour la protéger ? Il le méritait bien plus. Il avait veillé sur elle des années durant. Il la connaissait mieux que quiconque. Il s'était entraîné uniquement pour ça : la maintenir en vie. Et voilà que cet arrogant avait débarqué, et lui avait volé ce qui lui revenait de droit. S'il l'avait su, à l'époque où il l'avait eu en face, il lui aurait déjà tranché la gorge.
Mais puisqu'il le détestait tant, pourquoi l'avait-il sauvé ?
Il arrêta sa course. Pourquoi l'avait-il rattrapé avant qu'il ne tombe à terre, et s'était occupé de ses bourreaux ? Il posa un doigt sur sa tempe. Était-ce car il avait été son tuteur, car il lui avait donné les moyens de remplir son devoir ? Le voyait-il toujours, au fond, comme un idéal ?
Il fronça les sourcils. Il n'y avait pas moyen qu'il considère l'homme qui lui avait tranché la langue comme tel. Alors, il chassa ses interrogations, et reprit sa marche. Il n'avait pas de temps à perdre.
La base en U lui apparut bien plus nettement. Ils étaient en milieu d'après-midi. Les écuries se trouvaient parallèles au bâtiment central : il longea une ruelle, se plaqua contre un mur, et y jeta un œil.
Dès qu'il vit la chercheuse, son cœur rata un battement. Elle était là, à quelques mètres. Elle était en vie. Il avait terriblement envie d'aller la voir, mais il se contenta de rester ici. Je ne dois pas interférer. Je dois uniquement la protéger. C'est mon devoir.
Alors, il attendit. Il regarda ses cheveux légèrement mêlés se balancer au gré de ses mouvements, son petit visage rond se faire doux lorsqu'elle caressait un cheval, ses prunelles vertes s'assombrir de nouveau dès qu'elles se détournaient des animaux.
Il plissa les paupières. C'était la première fois qu'il remarquait une telle expression chez elle. Il se remémora les moments qu'il avait passés avec elle : était-elle si joviale, avant ? Il chercha, chercha encore. Non. Il entrouvrit les lèvres. Non, en réalité, elle ne souriait presque jamais.
Combien de temps était-il resté aveugle ?
Je dois me concentrer. Annie souleva un seau de graines. Il aurait reconnu son long nez entre mille. Ils s'étaient rapidement croisés, dans l'armée, mais cet élément de sa face était quelque chose d'assez inoubliable. Il secoua une nouvelle fois la tête. Je dois me concentrer !
Le temps passa. Le soleil descendit derrière les Murs. Le duo – il avait pris soin de ne pas faire attention à Livaï – était rentré depuis longtemps. Une heure plus tard, Marion traversa de nouveau la cour, et entra la base.
Était-ce le moment de s'y infiltrer ? Le Truc de Hansi allait se dérouler dans le réfectoire. Non, il valait mieux qu'il la surveille d'un lieu peu visible des gardes.
Il s'avança prudemment jusqu'aux stalles. Là, il garda un œil rouge fixé sur les fenêtres du self. Ils avaient commencé à danser. C'était un bordel monstre : peu de personnes prenaient la chose au sérieux.
Sauf, entre autres, Livaï et Marion. Il serra les dents. Pourquoi dansaient-ils avant tant de passion ? La colère rongea son estomac. Il ne les quitta pas du regard... Et se rendit compte qu'ils étaient plus en train de se battre qu'autre chose.
Devait-il être soulagé ? La hargne brillait dans les yeux de la chercheuse. Il pinça les lèvres. Cela ne pouvait que les rapprocher. Tous cessèrent alors de bouger, et les deux quittèrent précipitamment la pièce. Cette fois-ci, son sang ne fit qu'un tour dans ses veines.
Il jeta un regard aux gardes. Il pouvait y aller. Alors, il longea discrètement les murs, fila à pas de loup vers la porte, et posa sa main sur la poignée froide. Il se trouvait à deux mètres des fenêtres de la salle. Il fallait être discret.
Il prit le temps d'écouter les bruits alentours. Le rire essentiellement composé de consonnes de Marion résonnait dans le rez-de-chaussée. Il ouvrit doucement le battant : dès qu'il mit un pied à l'intérieur, quelqu'un l'attrapa par le bras.
Ni une ni deux, il prit l'épaule du garde, lui ficha une béquille dans la cuisse, et l'assomma. Il tomba inconscient : Isaac l'étala doucement à terre, et l'enjamba. « Marion ! » entendit-il, suivi de hoquets de surprise.
Dix mètres, à peine. Il se colla au mur du hall, et avança lentement vers le corridor. Les soldats retournèrent dans le réfectoire. Il déglutit : à partir de ce moment-là, personne ne savait où était passée la scientifique.
Il scruta la lumière dansante des torches. De nouvelles exclamations s'élevèrent. Un soldat passa rapidement devant lui : son cœur rata un battement. J'ai failli me faire voir. Ils circulent ! C'était une chance qu'il ne se soit pas fait repérer. Il fallait qu'il retourne à l'extérieur avant qu'il ne perturbe trop la trame des évènements.
« Baston ! Baston ! » scandaient les soldats. Il partit rapidement derrière le battant, et le referma presque complètement. Il laissa toutefois une fine ouverture afin de surveiller le couloir. Le combattant revint avec une bouteille et un gâteau. Quelques secondes coulèrent. « Erwin, joyeux anniversaire ! » hurla une femme.
Suivit un boucan monstre. Il plissa les paupières. Je ne dois pas me laisser distraire. Il attendit, attendit encore. Puis, il vit Marion passer.
Elle est sortie du réfectoire ? Il s'apprêta à l'interpeller, mais se retint de justesse. Il ne devait pas intervenir, pas maintenant. Mike l'avait prévenu : il ne devait s'avancer qu'en voyant quelqu'un de suspect.
Seulement, il n'avait rien remarqué de curieux. Aucun mouvement anormal, aucun inconnu au Bataillon. Il contracta le poing. L'assassinat pouvait se passer d'une minute à l'autre, mais il ne trouvait rien.
La jeune femme retourna alors vers la grande salle. Il crut discerner des larmes sur son visage. Le choc le cloua sur place. Pourquoi est-ce qu'elle pleure ? Il poussa lentement la porte de sa main pâle. La voir dans un état pareil le désolait au plus haut point.
Il secoua la tête, et se claqua les joues. Lorsqu'il rouvrit les yeux, elle était en train de finir un second aller-retour, et son regard était bien plus lugubre. Elle fait les cent pas. Qu'est-ce qu'il lui prend ?
Les minutes passèrent. Il ne perçut plus que le bruit des discussions en provenance du Truc de Hansi. Il fronça les sourcils. Elle y était retournée aussi. Il n'y avait pas eu d'assassinat. Il se souvint alors que son alter-ego était en train de chercher le meurtrier. Il l'avait certainement attrapé. Il jeta un bref coup d'œil derrière lui : la Voie Lactée s'étendait de tout son long.
Toutefois, il voulait en avoir le cœur net. Il n'y avait manifestement personne dans le corridor : il pouvait y retourner sans risque. Alors, il s'y glissa une nouvelle fois, et retourna à sa place initiale. Là, il regarda de nouveau l'entrée du réfectoire. Son souffle se coupa.
Un cadavre était étalé là. Il se précipita vers le corps : lorsqu'il reconnut Marion, il manqua de tomber à terre.
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