attack_on_titan&0.7 - Partie 8

Quelque part dans le Nevada, 31 octobre 2003

« Je l'ai fait ! » s'exclamait Marion. « attack_on_titan&0.7... » Elle leva le poing. « Avec ça, et un peu d'optimisation, tu peux envoyer une machine temporelle entière ! C'est marrant... Même si j'espère ne jamais me faire transférer par cette merde. » Kenny la scruta un moment. En effet, son visage oscillait entre l'ironie et l'enthousiasme.

Rebecca s'était absentée avec Historia, mais il n'arrivait pas à dire si elle l'avait remarqué. L'expérience du transfert de plusieurs personnes en même temps avait réussi. Celle de ramener quelqu'un du futur sans passer par une machine était en phase finale. Dans tous les cas, la machine numéro sept trônait au beau milieu d'une vaste pièce en sous-sol, située cette fois-ci au bout de la base.

On ne la voyait pas vraiment, la machine. Tout ce qui accueillait les personnes qui entreraient ici était de longues tables grises encombrées de PC noirs, et beaucoup de câbles partant de ceux-ci, jusqu'à une porte blindée, coincée dans un mur de béton armé au fond du lieu sombre. Il y avait bien trois gros verrous dessus, et pour cause : c'étaient la salle de transferts de masse et la Boîte à Particules qu'il y avait derrière.

Il y avait une cage au verre isolant, aussi, à leur droite. Siège simple, électro-encéphalogramme aux nombreuses électrodes blanches... Ou comment transférer une personne via un système accompli et sûr, sans utiliser la cage globale, très gourmande en énergie. L'extérieur de tout ce petit sous-sol, lui, ressemblait à s'y méprendre à un bunker ; ils en avaient commencé la construction juste après l'arrivée de la jeune femme, sous indication de son accompagnateur.

« On a réussi à construire une machine temporelle en attendant que Marion ne soit prête », qu'il avait dit. En attendant que Marion ne soit prête. Il n'avait appris que par Jelena, il y avait de cela deux mois, que la scientifique était génétiquement modifiée.

« Ils ne savent pas ce qu'ils vont utiliser, entre son corps et son cerveau... Mais c'est étrange, car, jusque-là, personne n'a trouvé de gène de l'intelligence. » Sourire énigmatique, puis expression stoïque. « Ils l'ont suivie à la trace pendant des années, pour découvrir son génie au hasard. De base, elle était juste une arme de guerre... Et ils ne savent pas d'où vient son QI. Comment tu trouves ça, Kenny, d'élever et d'espionner un gosse pour en faire une machine ? Il me semble que tu sais en partie ce que ça fait. »

Il pinça les lèvres. Il lui en avait parlé, à Marion, de la Résistance 2.0. Elle avait refusé. Paraissait qu'elle était mieux ici, avec ses machines... Mais elle ne les avait pas entendus, les cris de leurs ennemis. Elle n'avait pas réalisé que Rebecca s'acharnait à lui faire boire précisément un thé par jour, ni que les soldats la surveillaient à chaque fois qu'elle passait quelque part, ni que ses supérieurs ne la considéraient que comme un cheval de course, ni qu'ils étaient tous prêts à lui éclater le crâne sur simple ordre.

Il ne s'était pas étalé sur le sujet. Qui sait quand est-ce que les Résistants allaient arriver ? Cela faisait des mois que la blonde lui avait dévoilé leur plan. Elle-même ne devait même pas être au courant de la date précise. Elle ne faisait que se tenir prête à faire son travail à la moindre seconde, peut-être côte à côte avec d'autres infiltrés. Kenny n'en avait aucune idée.

« La synthèse est dans le PC du laboratoire... » songea plus modérément son amie en se tournant vers lui. « Il faut la déplacer. » Elle ne bougea pas. « Il faut vraiment l'amener au PC d'ici. » Toujours rien. « Il faudrait... »

Elle se tut de nouveau.

Le jeune homme l'observa un instant : ses traits s'étaient assombris, en l'espace d'une petite minute « Dis... Quand est-ce qu'ils vont jouer à un, deux, trois, soleil ? » Il enfonça ses mains dans les poches de son long manteau.

« Je ne sais pas.

— Et toi. Tu vas jouer aussi ? »

Son cœur se serra.

« Non.

— Mais on ne sait pas qui va gagner. »

Il ne répondit pas. « Kenny. Les américains, ils pratiquent la torture, n'est-ce pas ? » Ses prunelles vertes remontèrent sur son visage, se plantèrent dans les siennes. Elle avait beau être à quatre mètres, il aurait presque pu croire qu'elle était encore à portée de main. Il hocha finalement la tête. Mais ils ne feront pas ça sur toi.

« Mais s'ils font ça sur moi... » Il serra légèrement le poing.

« Ça n'arrivera pas.

— On ne sait jamais. »

Ça n'arrivera pas. « Et Rhys s'en charge, je suppose. Je ne veux pas que ça se passe. Mais si ça devait... » Ça n'arrivera pas. Elle inspira profondément. « Je dois te demander quelque chose. »

Silence. « Dans l'hypothèse qu'ils viennent, qu'ils réussissent, qu'ils m'y envoient, et que je me retrouve malencontreusement dans une merde pas possible... » Il écarquilla brusquement les yeux.

« Wow, wow, wow, jeta-t-il. Deux secondes.

— Je suppose que tu seras toujours chez les américains, donc...

— J'ai dit deux secondes.

— Tu as sérieusement envie que ce soit Rhys qui s'y colle ? »

Il s'apprêta à répliquer, échoua. L'unique larme silencieuse de Marion l'avaient frappé avec trop de violence. « Je ne veux pas que ce soit lui », souffla-t-elle. « Je ne le supporterais pas. Et... Je pense que je ne supporterais personne d'autre. Kenny... » Elle inspira longuement. « S'il-te-plaît... »

Non. « Non. Je suis incapable de faire un truc pareil. » Elle leva mollement la tête.

« Tu as déjà torturé. Tu l'as dit, ça ne te fait rien...

— Ce n'est pas... »

Il s'étrangla. Ce n'est pas comparable. « Je souhaite juste ça. Je sais que je ne t'ai jamais rien donné... » C'est faux. « Mais c'est la dernière chose que je te demanderai. » La dernière chose... Il se figea. Elle le regarda. Elle le regardait. Elle le regardait, dans un cruel mélange d'espoir et de peine et d'espoir et de foi et de crainte et de crainte.

Elle avait peur, elle voulait son aide, ça n'allait peut-être pas arriver, c'était si jamais. Mais il ne pouvait pas. Mais elle venait de lui demander. S'il n'acceptait pas, sa situation serait pire encore. Il ne savait plus.

Alors, il l'imagina, attachée quelque part, à hurler à la mort sous le couteau de Rhys. Du sang, son sang à elle, goutter sur un sol de béton. Sous le couteau de Rhys. « You have my gun. » Il écarquilla les yeux.

« D'accord. »

Ce simple mot tomba sur eux comme une bombe. Comme une bombe, mais ce fut le soulagement qui envahit la face de son amie. « Merci », murmura-t-elle. « Je suis désolée... » Elle a raison. Si elle se fait torturer par Rhys, ça sera une boucherie. Si je le vois la torturer, les conséquences risquent d'affecter sa propre sécurité. Mais... Son cœur se tordit brutalement. Ça sera moi qu'elle haïra...

« Il faut déplacer la synthèse de la machine numéro sept », dit-elle de nouveau. Elle s'avança, passa à côté de lui, s'arrêta. Après quelques instants, il sentit sa main glisser sur la sienne, et s'y lier doucement. « Mais ils n'y arriveront pas, n'est-ce pas ? » Puisqu'il ne pouvait pas lui répondre, il serra un peu plus ses doigts. Ce n'était pas un mensonge.

Silence. Elle finit par le lâcher. « C'est parti », rit-elle nerveusement. Il se retourna à son tour, ils se dirigèrent vers la porte de fer, il l'ouvrit, ils la passèrent, il jeta un œil à la sécurité. Elle n'était pas encore complète. Une interface tactile, pour l'instant remplacée par un simple code. Il n'était connu que des parents d'Historia. Leur couple avait beau être plus que nécrosé, il devait tenir coûte que coûte. Affreux.

Ça aussi, il en avait rapidement causé à Jelena. Voilà qu'il commençait à pencher pour la R2.0... M'enfin, ce n'était que des bavardages. Elle en faisait ce qu'elle voulait. Et puis, il lui avait seulement dit « la petite blondinette est peut-être bien une clef de toute cette merde ». Il ne savait rien de plus, c'était une théorie, le genre de trucs qui entraînait un peu le cerveau.

Nul besoin de mentionner les chèvres non plus. La Trinité Poitevine, hein... Lorsque Marion lui avait annoncé, il n'avait pas pu se retenir d'éclater de rire. Le code pour sceller la machine numéro sept, dans les mains de trois foutues chèvres. Voilà que la race poitevine devenait un produit mondialisé !

Mais au moins tout ne reposait-il pas sur les épaules de la jeune femme. Elle était pour l'instant la seule à maîtriser les commandes d'urgence, la seule à être en capacité de fignoler cet exemplaire jusque-là unique de la septième génération, la seule aussi pour rentabiliser sa consommation d'énergie...

Allait-elle avoir le temps d'envoyer les plans au quarante-et-unième siècle ? On aurait bien dit que oui. La jumelle de cette machine, tranquillement installée au quatrième millénaire, n'avait pour l'instant qu'une capacité de quatre personnes. Déjà pas mal, selon lui... D'autant plus que les transferts les plus importants partaient du vingt-et-unième.

Ils sortirent sous le soleil froid de l'extérieur. C'était définitivement le bout du bout de la base : derrière le grillage couronné de barbelés, le sol sec commençait déjà à onduler. Il pouvait les voir, les montagnes qui se dressaient de nombreux kilomètres plus loin. Il resta là un instant, à observer l'extérieur, sous le regard étonné des gardes éternellement armés de leur M16, ces proches cousines des kalachnikovs.

Le ciel était dégagé ; plus précisément, aucun nuage ne venait perturber son bleu aujourd'hui énergique. Un petit vent soufflait sur quelques touffes d'herbe, survivantes de la construction du vaste bloc de béton duquel ils venaient de sortir. Il y en avait d'autres, des parallélépipèdes rectangles, alignés comme sur une tablette de chocolat, mais ils ressemblaient plus à des hangars qu'autre chose.

« Kenny ? » Il se rendit compte à ce simple appel qu'il était captivé par le paysage. Il s'apprêta à se retourner... Mais plissa les paupières à la place. Est-ce qu'il venait de voir un cerf-volant, si proche de la base ? Les gosses qui y jouaient allaient se faire démonter pour sûr. Tant pis pour eux, ils n'avaient qu'à apprendre à lire.

Il ne s'attarda pas dessus, et suivit son amie à la place. Ils prirent la vaste allée centrale, que les véhicules de l'armée avaient juste assez empruntée pour la marquer de deux légers sillons au relief régulier. Le labo, le labo... Quinze minutes de marche plus tard, ils y arrivèrent. Des murs gris, encore. Ils ne s'en lassaient pas.

Ils descendirent les escaliers lisses, tournèrent à gauche dans le long couloir, manquèrent de se cogner dans Rebecca. Le visage triangulaire de celle-ci passa de la surprise à l'émerveillement. « Marion ! Tu viens copier le fichier ? » L'intéressée hocha la tête. « Superbe. Je vous accompagne, alors », lui dit-elle dans un grand sourire.

Là, elle la prit par les épaules pour l'amener vers la salle. Historia resta un instant pantoise, puis courut derrière elles, et prit la main de la châtaine. Il étudia la scène un instant : un inconnu serait passé là qu'il les aurait pris pour une famille. Pourquoi n'avait-elle pas choisi Rebecca ? Le cœur a ses raisons que la raison sait pas, et patata.

C'était encore et toujours le bordel, mais à force, cela ne le frappait plus. C'en était même marrant : les machines et autres ordinateurs paraissaient presque humains. Ses prunelles égéennes dérivèrent rapidement sur le sac que Rebecca venait de pendre à l'une des chaises. Elle le traînait partout, décidément.

« Allez, petit ordinateur », râla Marion. Encore une fois, l'engin mettait un temps fou à s'allumer. Une minute, une minute trente, c'est qu'il faisait froid, deux minutes, la scientifique l'avait-elle également remarqué ?, trois minutes, elle avait certainement déjà bu son thé, quatre minutes, sa tasse était en effet vide, cinq minutes... Lorsque l'écran tourna enfin au bleu, le soldat manqua de tressaillir.

« Enfin ! » Elle entra rapidement le mot de passe. Elle s'y était habituée, aux touches épaisses et légèrement résistantes du clavier crème. De nouveau, une attente assez longue, mais incomparable à celle qu'ils venaient de vivre. Le menu à l'éternelle colline verte sur ciel bleu s'afficha : elle déplaça la souris vers le dossier, l'ouvrit, ne fit rien de plus.

Une alarme tonitruante venait de s'élever.

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