attack_on_titan&0.7 - Partie 5

Quelque part dans le Nevada, 24 janvier 2002

Marion regarda sans la voir la fourchette blanche étalée sur la paillasse, elle-même enfermée dans une cellule transparente. Des câbles reliaient certes celui-ci à sa Boîte à Particules et au PC ; elle avait certes vérifié trois fois que tout était en place ; Rebecca se tenait certes prête à appuyer sur la touche « entrée ».

Mais aujourd'hui, Antoine est né...

Une vieille douleur résonna dans sa poitrine. Depuis son enlèvement, son meilleur ami lui manquait quand même un poil. Elle avait beau tenter de ne pas y penser, elle les revoyait encore, ses rictus narquoisement irritants et ses cheveux longs, très longs, si longs qu'ils en devenaient presque fascinants.

Comment avait-il réagi à sa disparition ? Il a dû s'y habituer. Ma famille aussi. Je ne suis pas quelqu'un de spécialement mémorable. Elle jeta un œil à Kenny, assis sur une chaise, les mains interminablement enfoncées dans son long manteau. Lui était peut-être bien le seul à l'accepter dans son entièreté, avec son fanatisme de la physique et ses moments difficiles et ses ronflements affreux.

« Marion », l'appela la voix de sa collègue. Elle releva la tête. J'ai une machine à finir. Elle avait achevé la première, enregistrée sous le fichier attack_on_titan&0.1, qui servait essentiellement à communiquer avec le futur. Elle avait réussi à la connecter à une autre particule, et c'était tout : ils avaient donc deux interlocuteurs possibles.

Elle se trouvait désormais face à son ébauche de machine numéro deux. Transférer des objets. Elle observa le pauvre couvert un long moment. Sur son manche de plastique était inscrite au feutre noir la signature de la jeune fille. Rien de mieux pour être sûr que ce qu'on allait leur renvoyer était bien ce qu'ils avaient transféré.

A l'idée de connaître l'issue de cette expérience, l'enthousiasme la saisit de nouveau : elle se retourna vers les deux autres en une fraction de seconde, et leva le poing. « Expérience Numéro Trois... Start ! » clama-t-elle dans un grand sourire. Celui du jeune homme se fit plus modéré, mais se fit tout de même. Spectacle à la fréquence d'environ une fois tous les cinq jours et dix heures.

Toutefois, il ne dura pas très longtemps : le noir noya subitement la pièce. Un hoquet de surprise s'échappa de la gorge de la chercheuse. D'où cela venait-il ? Elle se tourna, se retourna, n'eut pas le temps de chercher ; sa cécité se fit brève, trop brève. Armoires à électricité, la Boîte à Particules, son ami, la jeune mère, le berceau d'Historia.

Elle bloqua un long moment. Qu'est-ce qu'il vient de se passer ? J'ai eu un problème de vision ? « C'était quoi, ça ? » En entendant les paroles du soldat, elle releva brusquement la tête. « Vous aussi, vous avez eu un petit problème, là ? » reprit-il.

Court silence. « Oui », souffla Marion. « Et toi, Rebecca ? » Hochement de tête. Elle resta un instant plantée là, le cœur battant. Les photons. Ils n'avaient pas pu se volatiliser. Ce n'était pas possible. Elle se résigna finalement à marcher jusqu'à leur table tout en longueur, et s'appuya dessus, les yeux écarquillés.

« La lumière a disparu... Quel genre de personne peut voir un transfert spatio-temporel en direct... ? Mais comment est-ce que cette merde peut se faire ? Rien ne se perd, rien ne se crée ! Tout se... » Son souffle se coupa. « Tout se transforme », laissa-t-elle tomber. « Elle s'est peut-être transformée en quelque chose, puis est revenue... En une fraction de seconde. Ce n'est pas grand-chose, une fraction de seconde. Il y a une explication. Il y a une explication... » Elle empoigna rageusement ses cheveux. « Mais laquelle ?! »

Bien évidemment, on ne lui répondit pas. Kenny était doué pour trancher des gorges. Sa maîtresse majorait en neurologie. Ils auraient été coincés dans le trou de ver ? Ça n'a pas fait ça, avant. Car l'information est passée par le câble... Elle entrouvrit les lèvres.

Les photons du câble... Alors, est-ce qu'autour de la fourchette... ? Est-ce que le trou de ver se serait formé juste dans la cellule ? Elle redressa brutalement la tête. « La fourchette, est-ce qu'elle a été envoyée ?! » Elle remarqua alors l'expression ébahie de la brune. Elle fut plus parlante que des mots.

Elle fit immédiatement volte-face. Il y avait bien quelque chose, dans le compartiment transparent, un bout de couvert. L'objet avait été réduit en morceaux. Elle se précipita dessus, ouvrit le couvercle, et posa le doigt sur sa surface blanche. Un cri de douleur s'échappa de sa gorge : elle était brûlante... Mais il y avait une fraction de sa signature, là. Elle avait à moitié réussi.

« Superbe », murmura-t-elle. Elle revint vers les deux, qui la gratifièrent d'un air stupéfait. « Je... J'ai... » Incapable d'en dire plus, elle plaqua ses mains sur son visage, secouée de sanglots.

« Marion », souffla le combattant. Elle l'entendit se lever, et marcher vers elle. D'autres pas s'élevèrent ; bientôt, une main bien connue se posa sur son épaule, et l'odeur sucrée de la jeune mère titilla ses narines. « Chiale pas comme ça », hésita-t-il. Elle leva une main, se risquant à découvrir de nouveau sa face à eux. Là, au milieu de ses larmes, un grand sourire naquit.

« Mon premier voyage dans le temps... »

***

Quelque part dans le Nevada, 23 mai 2002

attack_on_titan&0.2, encore et toujours. Marion rivait depuis deux bonnes minutes ses yeux verts sur le nom de ce PDF, aux lettres blanches pixellisées au possible, et grossièrement surlignées d'une barre bleue. Il n'y avait pas de débat possible, le design des ordinateurs du début des années 2000 était à chier.

C'était à chier, mais ce titre collait étrangement bien sur la fenêtre écrue qu'elle avait ouverte quelques instants plus tôt. Elle avait finalisé la machine numéro deux, en avait synthétisé les plans, et l'avait appelée comme sa mère, au dernier chiffre près. Les mots, eux, faisaient trivialement référence au carnage qui se déroulait au quarante-et-unième siècle... Celui-ci même qui était si lointain qu'il lui passait complètement au-dessus. Elle ne pouvait pas se le figurer, elle ne voulait pas se le figurer.

Elle avait pu découvrir que sa Boîte à Particules ne retenait pas du tout les particules en question lorsqu'il s'agissait d'un objet complexe. Des données, pas de problème, puisqu'il suffisait d'en alterner l'état. Il n'y avait probablement même pas de tunnel spatio-temporel en jeu ; nul besoin pour elle de se fatiguer à marcher jusqu'au PC.

Mais pour ouvrir un trou de ver, elle n'en faisait qu'à sa tête, et se déplaçait par un moyen qui lui était complètement obscur jusqu'à l'organisme à transférer. C'était pratique, les plombs ne sautaient pas, mais quant à savoir pourquoi et comment... Son programme la forçait bien à se changer en antiparticule – elle le pensait du moins. Cependant, pour qu'elle tienne hors de la Boîte...

Peut-être ce phénomène était-il la raison pour laquelle les photons se barraient aussi en steak. La consommation d'énergie de la machine était pourtant normale, c'est-à-dire beaucoup trop élevée. Ils ne servaient donc pas de carburant...

Ainsi, Marion ne comprenait pas, et ce seul fait était terriblement frustrant. Elle ne pouvait que conjecturer que le tunnel spatio-temporel les « aspirait » pendant un instant. Pourtant, lorsqu'ils recevaient quelque chose, le phénomène se répétait. Où diable est-ce qu'elle passait ? Dans le vide quantique, ou dans les tréfonds des quatre dimensions ?

Peu importe. Ça fonctionne, on peut envoyer des kalaches une par une. J'ai pu fixer ce problème de casse, tout est réglé, plus qu'à optimiser. Elle passa une main sur son front. Plus qu'à nommer le phénomène, aussi... Seuls les trous noirs peuvent aspirer la lumière tant ils sont massifs. On aurait ça dans une pièce, ça serait une catastrophe... Or, rien n'a été réduit en miettes. Seuls les photons ont subi un effet.

Elle croisa machinalement les jambes. L'Aspirateur à Photons. C'est joli, comme nom. Allez hop, c'est décidé, et je... Elle écarquilla les yeux. Et je dois finir le programme pour sceller l'intrication en cas d'urgence ! Elle se redressa d'un bond, et posa ses mains sur le clavier. Je suis là, à me prendre la tête sur quelque chose de hors-sujet, alors que j'ai encore plein de trucs à faire !

Ses doigts se saisirent de la souris, ouvrirent la fenêtre noire aux caractères blancs, commencèrent à taper frénétiquement sur les touches. Ses yeux verts passèrent à grande vitesse sur ce qui précédait ce qu'elle écrivait désormais. Elle en connaissait le moindre signe. Elle y était presque, elle y était presque, il fallait reprendre le modèle du déclenchement de l'intrication, ça ne résumait pas, bien entendu, c'était plus complexe, mais au moins la structure était-elle la même, pour sceller à tout jamais, on aurait pu croire qu'il suffisait de faire l'opération contraire, seulement...

« Marion. » Elle se redressa en sursaut. « Oui, quoi, où ça ?! » s'exclama-t-elle. Un rire, celui de Rebecca. Le visage triangulaire de la brune se trouvait à dix centimètres du sien. « Ton thé », prononça sa bouche rouge. « Je t'ai fait un thé. »

Elle m'a fait un thé... Mais le parfum sucré de la femme recouvrait talentueusement celui bien plus amer de la boisson. Elle le comprit d'ailleurs, car elle posa la tasse, et passa son pouce sur sa joue. Un frisson remonta l'échine de la plus jeune, et s'intensifia lorsque l'autre se mit doucement à califourchon sur elle. Elle se retrouva coincée entre sa chaise et le corps chaud de sa collègue.

Ses lèvres pulpeuses se lièrent aux siennes quelques secondes plus tard. Sa main effleura sa mâchoire, son cou, descendit lentement vers son sein. Marion ferma les paupières ; sa peau se faisait déjà terriblement sensible. En était-il de même pour son amante ? Alors qu'elle approfondissait enfin leur baiser, ses doigts glissèrent sous le pull noir de la femme. Ils ne firent rien de plus ; une voix avait recouvert leurs respiration sifflante.

« Je vois que vous vous amusez. »

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