attack_on_titan&0.7 - Partie 4
Quelque part dans le Nevada, 24 décembre 2001
« Joyeux Noël », dit posément Rhys en levant son verre à pied.
Pourquoi s'était-il assis à la table de Kenny et Marion ? Le mystère resterait entier, mais se faisait particulièrement désagréable pour cette dernière, qui se crispait plus qu'elle ne se tenait sur sa chaise. Il fallait l'avouer, l'ambiance était spéciale. De toutes les tables grises du restaurant militaire blanc sobrement décorés d'une ou deux guirlandes rouges, le commandant avait décidé d'amener Rebecca et Historia ici.
Le garde lui-même sentait le malaise qui battait entre les deux jeunes femmes et le père. Il devait avoir deviné les petites aventures entre celles-là, car ses yeux vairons ne quittaient pas l'adolescente du regard. Son calme olympien se faisait sérieusement intimidant... Et il en avait conscience, c'était une certitude.
Voilà ce que Kenny appelait un connard au niveau alternatif. La situation dans laquelle il les mettait relevait de l'élitisme ; frapper sa femme, d'une bassesse assez impressionnante. Après tout, si c'était au premier abord de la manipulation fine, elle témoignait d'une sérieuse nécrose interne.
Le type était sur les nerfs toute la journée. Et vas-y qu'il commençait à se rendre compte que ses plans étaient dévastateurs pour le monde, qu'il avait été sacrément con de tomber dans le piège du conditionnement de l'armée, et qu'il n'y avait plus de retour en arrière possible. Mais bon, il fallait bien trouver un peu de fun dans tout ça, ou c'était la noyade. Alors, il s'appliquait à développer un sadisme loin d'être inné, et Rebecca servait de cobaye. Naturellement, Marion n'aimait pas cela.
Elle paraissait d'ailleurs partagée entre l'envie de lui mettre une mandale, et celui de se faire enterrer six pieds sous terre. En bref, l'effet escompté... Et face à ça, Kenny avait bien envie de le saigner. Il pourrait gagner son poste, en plus : d'une pierre deux coups. Le plan parfait. Cependant, il aurait des impacts trop importants sur l'environnement de Marion ; il allait devoir se contenter d'un pain dans la face.
« Comment avancent les recherches ? » s'enquit le blond après avoir savouré une gorgée de vin – américain, de la sous-marque : le français n'en avait pas voulu. Elle déglutit.
« On a envoyé un message dans le futur. Ils nous ont répondu. On en est donc au stade où on peut transférer des données.
— Bien... Je compte sur toi pour développer tout cela.
— Bien entendu, bafouilla-t-elle. »
Sourire sobre, qui n'améliora pas la situation.
Kenny observa rapidement son amie. Au moins parvenait-elle à manger sa dinde, même si son appétit ne semblait pas très intense ce soir. De toute manière, elle allait retourner à ses recherches après le repas, ce qui allait probablement lui changer les idées. Et il n'aurait certainement pas à jouer aux analystes... Une aubaine pour lui : il était si peu doué dans le domaine qu'il ne voulait pas prendre le risque de déblatérer des conneries. Il était seulement capable de lui dire ce qu'il pensait.
Bientôt partirent-ils chercher de pauvres petits bouts de bûche rafistolée. La salle était bien ordonnée : les tables regroupées en un nombre pair de groupes étaient aussi équidistantes les unes des autres que les chaises de bois. Ce fut donc avec facilité qu'ils naviguèrent dans l'une des veines mineures du fond, pour retrouver l'artère principale qui traversait le restaurant militaire dans sa largeur. En face d'eux, le self, avec ses plats imposants de nourriture grossièrement servie à la louche.
Ainsi attendirent-ils derrière la quelque quinzaine de soldats kakis, et Kenny se mit-il à évaluer les centimètres de sec dans la chevelure de Marion. Cinq ou dix, son cœur balançait... Mais lui-même, si peu maniaque soit-il, avait terriblement envie d'arranger ces mèches qui glissaient sur le haut de son pull marron. Il n'en eut pas le temps, puisque leur tour arriva.
Jelena les attendaient de petites assiettes merdiquement blanches et fêlées. La femme les scruta brièvement de ses yeux noirs et impénétrables ; une nouvelle fois, son regard leur était destiné.
C'était quelqu'un d'intelligent. Elle avait dû sentir à dix mètres cette douce odeur de gêne flottant autour d'eux, et l'air faussement affable du haut gradé n'arrangeait rien. Elle y répondit avec un rictus qui ne déforma qu'à peine son visage triangulaire. Ils retournèrent à leur place après que Rhys l'ait remerciée d'un hochement de tête.
Puisqu'ils étaient à l'armée, et non à la Maison Blanche, le gâteau sentait encore un peu le congelé. Au beau milieu de la crème au chocolat trop sucré, il crut même avaler un bout d'emballage. Cette expérience perturbante le poussa à jeter un œil à la part de la jeune fille. Tout allait bien de son côté.
On sonna la fin des festivités. Ils rangèrent leur plateau, quittèrent la vaste salle, sortirent dans l'air froid. La petite famille partit vers la salle des officiers ; eux se contentèrent des dortoirs, comme toujours. Le jeune homme ne s'en plaignait : La Communauté de l'Anneau l'attendait sur sa table de chevet.
En apprenant, mi-septembre, que l'adaptation cinématographique allait sortir le dix-neuf décembre, il s'était plongé dans le bouquin... A défaut de pouvoir aller au cinoche. Il mettait un temps fou à lire à cause de sa dyslexie, et le fait de n'avoir trouvé que la version anglaise n'arrangeait rien, mais cela restait une expérience plus agréable que le bilboquet.
Il ne fit plus attention au chemin qu'ils prirent, et ne s'attarda que sur le lit aux draps un peu trop bien ordonnés de Marion. Elle n'y dormait plus. Elle ne pionçait pas sur son bureau non plus, ni dans la salle de bain, ni sur le sol, ni même dans l'armoire. C'est lui qui lui servait de peluche ; en quatre foutus mois, il s'était largement habitué à ses ronflements. Et puis, cela ne le dérangeait pas vraiment.
« Bonne lecture », souhaita rapidement la scientifique en s'installant face à ses schémas d'il-ne-savait-quoi. Merci. Il s'assit sur son matelas, prit le livre, l'ouvrit à la page où il en était. Gnagnagna, Frodo va devoir aller porter l'anneau en Mordor... Même moi, je le sais ! Merci, Tolkien, pour ce faux suspense !
Il fronça le nez, détailla chaque ligne avec une certaine difficulté, échangea quelques lettres d'imprimerie sur le papier blanc, imagina Boromir pousser son coup de gueule... Le lecteur râlait, mais la scène restait prenante, même avec son léger handicap. L'auteur avait fait du bon boulot, c'était trivial.
Tiens, Aragorn va ramener sa tronche. Il plissa les paupières. Le bougre à la barbe mal rasée traversa élégamment le cercle d'elfes, de nains, et autres hobbits ; après quelques paroles classes, il s'agenouilla devant Frodo, interminablement soutenu par Gandalf.
« You have my sword », dit-il. Legolas s'en mêla à son tour : « And my bow. » Quelques secondes. Bien évidemment, il fallait représenter les petites gens, car Gimli ouvrit sa gueule. « And my axe ! »
Kenny bloqua un long moment. You have my sword, my bow, and my axe, récita-t-il, bouche bée. Il leva ses yeux sur Marion, laquelle était plongée dans sa future création. Dans un geste compulsif, il dégaina son revolver, s'avança vers elle, et posa brutalement un genou à terre.
« You have my gun ! »
Silence. Elle le regarda un long moment avec stupeur, moment assez difficile pour lui. Quel genre de connerie est-ce qu'il venait de sortir ? Peut-être que le Seigneur des Anneaux manquait de fusils. Oui, cela, et uniquement cela pouvait expliquer la spontanéité de son geste... Et pourtant, elle eut un rire, et lui ébouriffa les cheveux. « Merci beaucoup ! »
... Ça fait combien de fois que je frôle la mort ?
« Tu sais... » songea-t-elle alors. Tiens, j'ai réveillé le Nazgûl qui sommeille en elle. « Je crois que je n'ai utilisé que l'intrication quantique pour envoyer le message vers le futur. C'est quand même compliqué, de cumuler trou de ver et particules intriquées, c'est si rare... Quoique, peut-être que c'est logique, en fait... » Elle soupira longuement. « Je crée quelque chose, mais je ne comprends même pas complètement ce qu'il se passe. Je ne me base que sur de la théorie... »
Le soldat ferma les paupières, pour enfin observer son flingue. Au bout d'un moment, il plongea son regard dans celui de son amie. « Particules intrintrucs. Propriétés... » Il fronça les sourcils. « Je sais plus. Qu'est-ce que c'est ? J'ai beau tenter de comprendre... »
A ces mots, un grand sourire se dessina sur le visage désormais ravi de Marion. « C'est vrai ? Je peux t'expliquer ?! » En le voyant hocher la tête, elle poussa une exclamation ravie. « Alors... » Elle enleva ses lunettes rouges, les fit rapidement tourner entre ses doigts fins, les remit.
« L'espace, énonça-t-elle mystérieusement. Trois dimensions, n'est-ce pas ?
— Jusque-là, ça va.
— Perdu, y en a quatre !
— ... Hein ? »
Elle s'assit sur sa chaise sombre ; il s'accroupit devant elle, concentré au possible. Il le sentait, il risquait de devoir s'accrocher.
« Il y en a quatre, d'après des physiciens du vingtième siècle. On a prouvé que les notions de temps et d'espace étaient relatives à chaque individu. Mettons, tu es devant un train, tu vois un type dans un wagon. Il va falloir l'admettre : puisqu'il est en mouvement par rapport à toi, l'aiguille de sa montre ira plus lentement que la tienne, son temps te paraîtra plus lent que le tien. C'est la même pour l'espace, on pourrait dire qu'il se contracte dans le sens du mouvement – c'est déjà plus intuitif... Et cela vient du fait que la vitesse de la lumière est constante, peu importe où tu te trouves, et que rien ne peut la dépasser. »
Il hocha la tête. « Donc, pas de temps universel. Pas d'espace universel non plus... Juste, la lumière. Le temps et l'espace sont liés jusqu'à la moelle : l'un ne va pas sans l'autre. Voilà pourquoi on parle d'espace-temps... Maintenant ! » s'écria-t-elle subitement. Il sursauta ; une fois sûr qu'il n'allait pas non plus faire de crise cardiaque ce jour-ci, il soupira longuement.
« La physique quantique... » Elle retint difficilement un gloussement, et remonta ses verres sur son nez. « Tout ce qui touche aux particules, ces petites bêbêtes qu'on modélise par des billes. Mais ne te fais pas avoir... Ce ne sont rien de plus que des zones d'énergie mal délimitées aux propriétés intrinsèques difficilement représentables. Comme propriétés, le spin, par exemple... » Elle fronça le nez.
« Bon, ça, ça va être chaud. » Il déglutit, mais acquiesça tout de même. « Regarde, la poignée de la porte de la salle de bain. » Il l'étudia donc : manche tout droit de plastique bancal, donc le noir se confondait presque avec le battant lui-même. « Pour ouvrir la porte, tu appuies dessus, n'est-ce pas ? Le mouvement que subit la poignée, c'est-à-dire sa rotation, est appelé « moment angulaire ». Moment, pour le mouvement ; angulaire, pour l'angle. Elle tourne autour d'un point : ici, la jonction entre elle et le battant. »
Moment angulaire : rotation. « Eh bien, le spin d'une particule, tu peux rapidement l'imager comme ça. Mais, comme je te l'ai dit, une particule, c'est de l'énergie, pas une bibille trop mignonne avec laquelle tu jouerais dans un bac à sable. Donc l'analogie s'arrête là. »
Silence.
« Du coup... hésita-t-il. Tu n'as rien expliqué.
— C'est vrai.
— Marion...
— Mais mathématiquement, ça existe. On ne sait pas à quoi ça correspond, mais ça existe. Tu peux brièvement identifier un « nord » et un « sud » à ta particule grâce à ça – lui donner une polarisation, quoi... Mais rien n'est moins sûr...
— Je dois juste admettre, c'est ça ?
— C'est comme ça que ça marche, la physique quantique. »
Ses yeux en amande le scrutèrent un instant. « Enfin, c'est l'un des paramètres associés à notre petite bête. Il y a la masse, la charge, la position... Mais il y a des choses que tu ne peux pas savoir en même temps. Par exemple, pour la lumière : tu sais que c'est à la fois une onde et une particule, n'est-ce pas ? On parle de dualité onde-particule. »
Dualité onde-particule : bidule à la fois onde et particule. « Seulement, ça, tu ne peux pas le voir dans tes résultats. Selon ce que tu mesures, ça sera soit une onde, soit un photon. Ainsi, tu ne peux pas avoir la longueur d'onde et la position du photon en même temps... » Elle eut un grand sourire. « Et c'est ce que j'aime, dans ce domaine. Tu ne comprends qu'en surface ! »
C'était une étrange passion, trouvait-il... Cependant, la jeune fille rayonnait tellement en lui parlant de tout cela qu'il ne pouvait qu'être contaminé. Peu importait que ses cheveux soient secs, ou que sa prémolaire droite soit un poil plus en avant que les autres – détail qu'il venait tout juste de remarquer, tant ses sourires s'étaient faits rares. A cet instant-là, il ne pouvait plus se mentir : elle était peut-être bien au paroxysme de son charme.
« Donc, les particules intriquées... Ce sont des particules qui partagent ces mêmes paramètres, qui les vivent « en même temps ». Bien qu'en même temps ne veuille rien dire... Mais comment veux-tu que je l'explique autrement ? » se plaignit-elle. « Enfin... Elles sont connectées, mais se trouvent à différents points de l'espace-temps. C'est curieux, car cela voudrait dire que l'information irait plus vite que la lumière. Ce qui, d'après la relativité, est impossible. Mais bon, ça se passe quand même... »
Elle haussa les épaules. « Et c'est sur ça que j'ai joué pour les trous de ver. Trou de ver, qui est donc une sorte de tunnel reliant deux points de l'espace-temps. C'était un objet théorique... Et je ne sais pas si le transfert d'informations d'ici au quarante-et-unième siècle, et inversement, fonctionne vraiment là-dessus. Toutefois, c'est un modèle plausible, et le seul qui représente au mieux ce qu'il se passe. »
Trou de ver : tunnel... « Pour les messages, c'est assez simple. Il suffit de le coder en binaire, et de définir, pour un état de la particule, le « un », et pour un autre, le « zéro ». Puis, tu choisi un protocole de communication, et c'est comme ça que j'ai envoyé l'équation ! C'est pour les transferts d'organismes où ça va être plus compliqué. Il faudrait peut-être les scanner, les synthétiser dans le PC, envoyer son code sous forme d'information le plus rapidement possible... Et la suite, je ne sais pas », souffla-t-elle, soudainement démotivée. « Je mets trop de temps, pour une qualité trop basse... »
Face à son expression dépitée, ses paupières s'écarquillèrent. « Non », trancha-t-il. Elle le regarda avec surprise : il lui avait pris la main par réflexe. Au bout de quelques secondes, il la lâcha, mais ne détourna par ses pupilles. « Ta théorie est classe. Même Rebecca, elle peut pas suivre son avancée. Tu vas super vite, et tu fais des trucs qui marchent dès le premier essai. C'est aussi cool que... » Il réfléchit un instant. « Que Han Solo, au moins. »
Elle resta un instant figée, la bouche entrouverte. Ses yeux commencèrent alors à s'embrumer. Elle descendit rapidement de sa chaise, et se jeta contre lui. Il l'accueillit de justesse ; déjà avait-elle réfugié son visage dans son cou. « Merci ! Merci beaucoup. »
Un moment de flottement. Il finit par l'étreindre à son tour. Ils restèrent ainsi un moment, parfaitement silencieux. A peine la sentit-il inspirer, hésiter, soupirer longuement.
« Kenny... » murmura-t-elle. « Je t'aime. »
Lien vers l'image : https://78.media.tumblr.com/5fbd491bdc4ac18cb5e365055007ce1d/tumblr_inline_oxd6k4VNmv1tgkyhp_540.png, nom de l'artiste sur le fanart
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