Coup de grâce - Partie 1
Ceci est le tome 7 de attack_on_titan&0.7 /!\
Mur Maria, 2 juillet 853, deux mois avant la bataille de Shiganshina
« Il fait chaud, bon sang. »
Marion arqua un sourcil, peu mécontente, tandis qu'Antoine s'étirait sous le soleil matinal. Haut simple de lin, pantalon brun, cheveux détachés lui arrivant en bas du dos ; il semblait savourer son réveil.
Ce jour-ci, Kenny avait décidé qu'ils étaient de repos. « Trimer tous les jours avant cette putain de bataille où on va défoncer nos alter-ego va juste nous tuer, donc reposez-vous trois secondes », avait-il grogné de son éternel ton aimable : donc Leah était restée dans sa chambre, Annie n'était nulle-part en vue, et Antoine et Marion s'étaient retrouvés à petit-déjeuner au même instant.
Le jeune homme poussa alors un lourd soupir et s'affala sur les marches de bois aux côtés de la chercheuse. Le chant des oiseaux et les bruissements de la forêt s'immiscèrent entre eux. Ce silence ne les dérangeait pas – et elle en était bien heureuse, car ils s'en coltinaient de plus en plus. On ne pouvait pas trouver une infinité de sujets de conversation, ainsi allait la vie.
« Oh, une feuille est tombée sur ta tête », commenta alors Antoine. ... Et il essaie quand même. Marion esquissa un maigre sourire et secoua ses cheveux ; son ami bougonna quelque chose avant de s'allonger pour de bon sur le dos. Le plancher craqua sous son poids.
« Mettons qu'on survive après la guerre, posa-t-il de but en blanc. Tu feras quoi ?
— Je serais en taule. Pas beaucoup d'options, j'ai été chez les 'ricains et le Tribunal n'a pas aimé.
— Ah. C'est vrai. Mais mettons que tu t'enfuies ?
— Mmh... Ton « on » implique qui ? »
Il se frotta le front, les sourcils froncés.
« Je sais pas. La troupe. Même si c'est peu probable. Y en aura forcément qui mourront dans le tas. » Le coeur de Marion se tordit à ces mots. Qui allait y passer ? Annie, Leah, Antoine, Kenny, eux tous ? Elle sentit soudain sa tête tourner et s'allongea à son tour.
« Super ambiance dès le matin, Antoine, murmura-t-elle.
— ... Certes. Bon, alors, mettons qu'on survive tous les deux et que t'es pas emprisonnée. On fait quoi ?
— Je ne sais pas, on trouve une maison ?
— Oh, sourit-il. Et mettons que c'est que toi et Livaï qui s'en sortent ?
— À peu près sûre qu'il ouvrira une boutique de thé. Je pense que je serais à l'hosto.
— Bon point. Toi et Leah ?
— Moi et Leah ? grimaça-t-elle. Si on habite ensemble, c'est par pur avantage financier.
— Et toi et Annie ? »
Marion ouvrit la bouche – ses mots restèrent coincés dans sa gorge. « On vivrait ensemble aussi. » La scientifique passerait par la case hôpital dans tous les cas, si elle devait se remettre de la mort de qui que ce soit. Aussi fort le souhaitait-elle, elle n'était toujours pas insensible au décès de ses proches et n'allait jamais l'être.
Antoine se tourna sur le côté : elle jura sentir ses prunelles turquoise la percer.
« La question est compliquée, donc, souffla-t-il.
— Bien sûr qu'elle l'est. Je penses savoir où tu veux en venir : est-ce que je passerais le restant de mes jours avec untel ? Tout dépend de ce qu'on aurait commis entre-temps, chuchota-t-elle. Soit, toi et Annie vous êtes remis de mes années aux USA, mais qui sait ce qu'on fera durant cette guerre ? Vous deux, je vous suivrais dans tous les cas – et le cas inverse ?
— Je te suivrais dans tous les cas aussi.
— Et Annie ? exhala-t-elle.
— T'as vu comment elle t'a accueillie ? Gros câlin. Je pense que vous vous suivriez aussi. Ça fait combien d'années que vous vous tournez autour ?
— Antoine, ça fait combien d'année que toi et moi nous tournons autour ?
— Tu m'aimes ? laissa-t-il aussitôt tomber. »
Elle le regarda comme s'il avait perdu cinquante points de QI.
« Oui ? Et je te l'ai dit ? Et on en avait déjà parlé ?
— Non, non, se précipita-t-il. Je t'ai dit « je t'aime » et tu m'as répondu « moi aussi et j'en suis navrée » et... Oh. Ah. Oui. Ça y est. En effet. »
Marion ôta ses lunettes et se passa la main sur le visage. « Et il t'a fallu des années pour le saisir... ? » Autre silence. Elle étudia le ciel bleu là-haut, entendit son ami se remettre sur le dos, nota qu'un écureuil venait de filer plus loin comme un dératé. Sa gorge se nouait de plus en plus au fil de cette discussion.
Un mauvais, très mauvais pressentiment la rongeait désormais.
« Marion, tu aimes aussi Annie, non ?
— Les joies d'être pansexuelle et polyamoureuse, posa-t-elle platement.
— Si j'y passe et qu'elle survit, s'il-te-plaît, continue ta vie avec elle.
— Dans ce cas, si j'y passe et que tu survis, ouvre une école d'arts martiaux avec Annie.
— Pourquoi elle ? Je veux dire, j'aimerais super trop bien être son pote. Mais elle me déteste. »
Un léger rire remonta les lèvres de Marion.
« Non, elle est juste une tsundere, tout comme Isaac, Leah et Livaï. Ils t'apprécient au fond, mais bon sang que tu les fais chier. Dans le bon sens du terme. Je crois.
— Mais quand même, murmura-t-il d'un ton sérieux. Ne t'en veux pas de finir avec Annie ou je sais pas qui si je meurs. Vraiment. La première chose que je veux, c'est que tu finisses bien ta vie, pas que tu restes coincée dans le deuil. Si tu meurs, je ne t'oublierais pas et irais de l'avant. Tu peux faire ça pour moi aussi ? »
D'un coup, le ciel et les ramures des arbres et les quelques nuages devinrent flous. Marion chercha la main d'Antoine et la serra brièvement dans la sienne. « Mmh », parvint-elle simplement à sortir. Elle l'entendit souffler du nez dans un sourire audible ; puis il se releva et s'épousseta le pantalon.
« Je retourne manger du pain. Je te laisse ?
— Bon appétit.
— Donc je te laisse. Noté. »
Il partit là-dessus. Un nouveau silence tomba sur Marion, plus froid, plus vicieux. Puis des pas s'élevèrent à sa droite : elle se releva avec précipitation en s'essuyant les joues. Annie était apparue de derrière leur cabane, ses yeux glace rivés sur ses mains.
« Donc tu ferais tes deuils comme ça, posa-t-elle.
— Tu as tout entendu ?!
— Blâme Antoine. Il m'a dit d'attendre là pendant qu'il te causait. »
L'enfoiré. Il a tout prévu. Bordel de merde.
« Pansexuelle et polyamoureuse, hein, songea la semi-géante à mi-voix. Ça a plus de sens.
— Qu'est-ce qui a plus de sens... ? hésita une Marion grimaçante.
— Pourquoi tu nous regardes de la même manière, Antoine, son alter-ego et moi. Quoique, le caporal, il y a débat... Je suppose ? Vous êtes des aliens, tous les deux, se blasa-t-elle brièvement. Je n'arrive pas à vous comprendre – et je crois que je n'en ai pas envie, de toute façon. »
Oh, merde. Adieu tristesse, bonjour embarras, ses pommettes chauffaient déjà, Annie lui coupa l'herbe sous le pied le regard fuyant. « Pourquoi être aussi surprise ? Tu m'as littéralement avouée tes sentiments avant la première version de la bataille qu'on va régler. C'est moi qui devrais vouloir m'enfoncer six pieds sous terre. » Elle tritura machinalement sa bague. « Car je ne t'ai jamais répondue. Alors que j'ai dit que je le ferais. »
... C'est vrai, j'ai fait ça. Le pouls de la chercheuse se calma peu à peu. Elle se redressa plus proprement et fixa ses bottes.
« Ça fait des années pour toi, mais seulement un an environ pour moi... ou quelque chose comme ça, je ne compte plus les mois. Donc je comprendrais que... » Que rien. Rien du tout. Car Annie s'avança, s'accroupit en face d'elle et continua d'étudier son anneau.
« Et si tu meurs, je fais quoi ? souffla-t-elle faiblement.
— ... Ce que tu veux, s'étonna Marion.
— Déserter ?
— Si tu en as envie.
— Ou rester et crever sous les balles des ennemis ?
— Annie, je ne veux pas que ma potentielle mort impacte quoi que ce...
— Explique-moi comment elle ne m'influencerait pas. »
La chercheuse se tut, aucune réponse ne lui vint. Donc c'était comme ça. Elle le savait déjà, mais c'était à demi explicité. Annie m'aime en retour. Ça fait des lustres qu'on sait l'une pour l'autre. Et des lustres qu'on semble être sur la même longueur d'onde.
« Je n'aime pas ces jeux de si », reprit-elle d'ailleurs. Tu l'as dit à Antoine : on ne peut rien prévoir. Et je te fais confiance pour garder la tête froide ou faire ce que tu veux sauf te tuer si j'y passe avant toi. »
Elle retira son bijou et le plaça au creux de sa paume. Ses mèches platine cachèrent un instant son visage.
« Si je crève, cette bague est à toi », déglutit-elle. « Je veux... comment dire... te laisser quelque chose. Fais ce que tu veux de ta vie. Juste, garde ça. » Silence. Les yeux de Marion s'écarquillèrent, son coffre se compressa puis se tordit puis se gonfla puis s'apaisa d'un coup. Non, elle ne regardait pas Antoine et Annie de la même façon. Car Annie, je ne pourrais pas rester amie avec elle. Je veux dire, qu'on regarde notre passif : est-ce qu'on l'a seulement été une seule fois ?
Ses doigts épousèrent ceux ouverts de l'américaine. Puis ils remontèrent au creux de sa mâchoire et caressèrent sa joue. Annie la gratifia d'une expression surprise, pour soupirer imperceptiblement. Ses épaules se détendirent. Ses yeux la rencontrèrent enfin. Marion ferma les siens et colla leur front ; le nez de la blonde effleura le sien. Néanmoins, elles n'allèrent pas plus loin. Ce contact ne dura qu'une poignée de secondes.
Et pourtant, leur bulle n'éclata jamais. Peut-être même était-elle assez solide pour tenir au-delà de la mort. La guerre forgeait tout un chacun, leurs liens n'y échappaient pas.
« Mais je n'ouvrirai pas d'école martiale avec cet idiot », exhala alors Annie. « Quoi qu'il se passe, c'est non. Je te jure que si tu meurs et qu'il ne reste que lui et moi, il fera sa vie dans son coin. »
Et je me jure que dans le cas où tu meurs, je n'oublierais rien et continuerais d'avancer, pensa Marion les dents serrées. Avec Antoine, ou Livaï, ou Carla, ou Hansi, ou tous sans exception, je continuerais sans t'oublier. Mais tu es bien la dernière qui pourrait y passer... Eh, Annie, je pense même que ce sera moi avant toi.
Son amie exhala alors doucement, s'écarta et s'assit à côté d'elle. Le toucher chaud de sa peau contre la sienne s'estompa trop vite. Puis le sang de la chercheuse se glaça pour de bon quand on reprit la parole, plus bas, plus lentement.
« Aux USA, pour toi », souffla Annie. « C'était comment ? Je veux dire, le début. Tu dis te souvenir de tout, tu as raconté la fin, on a quelques infos de la part de Kenny, mais le tout début ? Je... »
Elle serra ses poings sur ses genoux. « Je sais que tu es un monstre. J'en suis un aussi. Mais maintenant, tu te démènes contre les américains. Donc au tout début, tu t'es battue comme tu le fais maintenant, ou la seule idée que tu touches au temps t'a persuadée ? »
Son timbre hésitant serra le coeur de Marion. Elle fixa ses bottes la gorge nouée. « J'ai été enlevée sur le chemin vers mon BAC de français. Je me suis réveillée dans un coffre puis on m'a rendormie. Je me souviens brièvement d'une infirmière aux longs cheveux noirs – j'étais dans le pâté... Puis j'ai été transférée au quarante-et-unième et ai rencontré Rhys. Je veux dire, Rhys plus âgé. Rhys version le Rhys qu'on combat.
« Il m'a dit qu'il m'aiderait. Je ne sais pas comment, mais ce Rhys-là est devenu ma seule accroche. Donc quand j'ai atterri en l'an 2001, j'ai refusé toute négociation. Ils ont enchaîné capitaine sur capitaine pendant une semaine, à m'interroger et me menacer toute la journée, mais je n'ai jamais plié. Même si j'étais paumée dans une décennie complètement inconnue, que je n'avais personne, je préférais mourir que me plier aux USA.
« Au final, j'ai réclamé Rhys. Je l'ai rencontré : c'était une version de lui plus jeune, on aurait presque dit qu'il était dans la vingtaine. J'ai failli péter les plombs tant j'étais soulagée. Sauf que quand je lui ai débité qu'il m'avait promis de m'aider, il a tiré juste à côté de moi et a dit une phrase : « Tu es seule ». Il a achevé le peu d'espoir qu'il me restait, et pourtant, il était hors de question de me plier aux USA. Puis j'ai rencontré Kenny et Rebecca et j'ai bossé... »
Sa voix creva sur ces dires. « Hors de question de me plier aux USA. » « Puis j'ai bossé. » Une étape manquait, une sacrée étape, un souvenir scellé qui retournait ses entrailles et asséchait sa gorge et floutait sa vue. Une peur primaire la mordit en plein coffre : car elle comprit que quelque chose manquait, et ce quelque chose avait été une vraie torture.
Elle compara les dates, les événements, rien ne colla. Elle entendit de loin la voix inquiète d'Annie sans parvenir à répondre. Un vide. Il y avait un vide complet de douze jours, et le goût qu'il lui laissa lui flanqua la nausée. Elle se releva d'un bond la tête tournante : une main chaude agrippa alors la sienne.
« Marion ! »
Elle bondit vers un Antoine aux yeux ronds. Annie se tenait derrière, complètement interdite. Elle les regarda tour à tour sans comprendre, pour se rasseoir juste avant que ses genoux ne la lâchent. Son ami d'enfance l'accompagna et s'accroupit face à elle, une longue mèche ébène à travers le visage.
« Antoine, Annie... », trémula-t-elle. « Je crois qu'il manque un gros morceau du puzzle. Je crois que... » Elle serra les dents à s'en casser une molaire.
« Je crois que j'ai oublié douze jours décisifs au début de mon séjour aux USA. »
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