Chapitre 8 - Pris la main dans le sac
Eigishi se redressa enfin avec lenteur. Un peu plus, et elle se serait transformée en paresseuse choquée à vie ; seules ses joues rosissant peu à peu détruisaient cette analogie.
— ... Oh, sortit-elle enfin.
Au beau milieu de sa confusion naquit un sourire embarrassé.
— Je suis désolée de m'être endormie. Si tu as froid, je connais quelqu'un qui peut isoler une maison à bas prix ou réinstaller un double-vitrage..., songea-t-elle ensuite en jetant une œillade à l'extérieur.
Prends cette fichue couverture. C'est désagréable. Lui jeter sur le dos lorsqu'elle dormait, pourquoi pas ; mais l'aider alors qu'elle était réveillée était bien trop franc. Et elle parut le remarquer – il ne sut s'il devait en rire ou en pleurer –, car elle s'en saisit dans un second acquiescement.
— Tsukishima-san... Merci, murmura-t-elle.
« Tsukishima-san » ? Façon plutôt polie de s'adresser à quelqu'un de son âge.
— C'est juste une couverture.
— Mais ta mère a dû te regarder bien étrangement, lorsque tu es allé la chercher.
Il haussa les épaules. Lorsqu'il ouvrit la bouche pour répondre, elle lui coupa l'herbe sous le pied.
— Cela dit, il est tard. Il faut que je rentre...
— Je doute que mon frère te laisse partir en vélo alors que tu tires une telle tronche.
— N'est-ce pas ! rit-elle. Mais si je le laisse ici, je vais devoir le rechercher.
Ça pose problème ? pensa-t-il. Elle se leva au même instant, emmitouflée dans le plaid qu'il lui avait tendue. Un frisson la fit trembloter : sur sa face s'inscrivit un air renfrogné. Oui, ça pose problème.
— Bon, revenir me dérangerait pas..., marmonna-t-elle alors. Le thé était bon.
Tsundere ? Je suis tombée sur une tsundere ?! Yamaguchi, aux secours.
— Akiteru t'en resservira demain. Tu le connais. Donc, je te raccompagne en bas, lui ordonne de te rameuter chez toi, et...
Il se tut un instant.
— Tes parents ne peuvent pas venir te chercher ? fit-il remarquer.
— Ils travaillent – quelle idée. Akiteru me doit une brique de lait, de toute manière : c'est pareil qu'un voyage vers chez moi ! Donc, je reviens quand ?
« Une tsundere » ? Non, son ton fleuri balaya aussitôt cette conjecture. Tsundere amicale, peut-être. Ou elle est juste polie, comme toujours, rien de plus.
Il se pinça l'arête du nez. Et puis, depuis quand ça existe, une « tsundere amicale » ? Et Eigishi-san n'a aucune raison d'être une tsundere ou je ne sais quoi. C'est Eigishi-san. La nana qui ne s'intéresse qu'à la chimie et aux émoticônes avec des fusils. Si je commence à me donner de faux espoirs, je n'irai nulle-part.
— Tsukishima-san ?
Il se raidit dans l'instant. C'est un screamer !
— Passe quand tu veux, conclut-il, c'est ton vélo.
— Let's go, alors ! déclara-t-elle dans un grand sourire.
Elle a l'air plus heureuse de partir que de revenir. Naturellement, Akiteru accepta de la ramener à Sendai, leur mère accepta de ranger son vélo à l'abri, et Eigishi les salua au moins trois fois avant de quitter la maison.
Dès que leur porte d'entrée se referma, sa parente haussa un sourcil.
— C'est donc ton amie ? glissa-t-elle. Elle est polie. Je l'aime bien.
— Je l'ai dit, c'est une amie d'Akiteru.
— Qu'est-ce qu'elle faisait dans ta chambre, alors ? contra-t-elle.
Il poussa un court soupir... suivit d'un sourire en coin. Il est temps de prendre ma revanche.
— Lorsque tu es rentrée, Akiteru a cru que croiser Eigishi-san allait créer des malentendus : donc il m'a indiqué de la faire monter à l'étage pendant que tu rangeais les courses. De base, elle prenait un thé et allait repartir juste après. Si elle est restée aussi longtemps, intervint-il ensuite, c'est car elle s'est endormie la tête sur mon bureau.
— ... Oh.
Elle se frotta l'arrière de la nuque.
— Ceci explique cela, rit-elle.
S'il-te-plaît, ne me regarde pas comme si ma vie sociale était morne à en mourir.
Il retrouva sa chambre là-dessus. Ses yeux bloquèrent sur son bureau. Quelques cheveux y traînaient, remarqua-t-il ; il les balaya d'un regard bas, puis se saisit de son téléphone.
Quoique, elle n'aurait pas tort. Mon entourage est globalement bien restreint. « Globalement », mais son portable vibra, le tirant de ses pensées.
« Eigishi-san, 17:03 : Merci ! ( ^ ᗜ ^ ) »
***
Au même instant
Alors qu'Akiteru conduisait en fredonnant, Eigishi trouva enfin l'occasion se plaquer sa main sur son front brûlant. Grands Dieux, je me suis endormie, je l'ai fait chier et je reviens demain ?! Si je commence à le déranger... Elle serra discrètement les dents. Ça recommencera. Une personne à qui je tiens me jettera à la poubelle. Dès qu'il découvrira que je suis un désastre, il me jettera à la poubelle... !
— Kana, posa alors son aîné, ne te mets pas la rate au court-bouillon.
Elle sursauta aussitôt, prise de court. À cet instant précis, elle aurait préféré s'enterrer six pieds sous terre plutôt que se confronter à Akiteru. Elle qui avait usuellement la discussion facile avec lui se retrouvait à se crisper sur son siège telle une enfant venant de boucher les toilettes.
— Je ne m'inquiète de rien du tout, grommela-t-elle.
— C'est marqué sur ton front : tu as peur que Kei te déprécie.
— Il fait ce qu'il veut !
Il laissa échapper un léger rire.
— Il t'aime bien. Je le sais, c'est mon petit frère.
— Oui, mais pour combien de temps ? maronna-t-elle. Là est la question. Dès qu'on apprend que j'ai deux-trois soucis, on me laisse tomber comme une vieille chaussette !
— Tu penses que Kei est quelqu'un comme ça ?
— Je ne le connais pas.
— Alors fais-moi confiance.
Elle poussa un long soupir, mais sa gorge ne se dénoua pas.
— Je veux bien te « faire confiance », murmura-t-elle donc. Cependant, je déteste m'attacher autant à quelqu'un. Et puis, le risque zéro n'existe pas : ça se trouve, ton frérot interagit avec moi par pure politesse...
— Il avait l'air d'attendre des messages de ta part, avant que tu m'appelles. On a attrapé notre téléphone en même temps, mais le sien était en silencieux : je l'ai rarement vu incohérent comme ça. Sans parler du regard qu'on s'est servis...
— Quoi, tu attendais aussi un message de ma part ? balança-t-elle, pince-sans-rire. Je suis mineure. Attends un peu, avant de me donner l'occasion de te mettre un râteau.
À lui de se raidir, les yeux ronds.
— Hein ? protesta-t-il. Qu'est-ce que tu racontes ?!
— C'était une blague.
— Oh... Ne me fais pas peur comme ça. Les gens se méprennent assez lorsqu'ils nous voient. Même Kei a dû se poser des questions sur moi, grimaça-t-il.
— Tout va bien, je lui ai signalé que tu n'étais intéressé que pas ma sœur.
— Tu as quoi ?! s'étouffa-t-il, les joues rouges.
Eigishi leva les mains dans un léger sourire. Néanmoins, quelques secondes plus tard, le sérieux retomba sur eux. Akiteru retrouva un teint normal, Eigishi regarda les champs enneigés plongés dans la nuit.
— Ces gens, commença-t-il avec plus de gravité, ils ont arrêté de te suivre ?
— Il y en a moins. Donc la police a lâché l'affaire.
— Si tu as un problème et que ta sœur n'est pas disponible, tu peux m'appeler.
Elle secoua doucement la tête.
— Si tu t'impliques dans une agression, même pour me défendre, tu ne pourras pas servir de témoin extérieur. On te considérera comme de mon parti : ça rendra la chose plus compliquée encore face à la gendarmerie.
— Ma présence pourrait au moins les dissuader de t'approcher. Je veux dire, je suis plus grand que la moyenne.
— Mais tu as une tête de bisounours.
Du coin de l'œil, elle le vit baisser le menton.
— Ces étudiants sont si coriaces que ça ?
— Même s'ils ont réussi à me jeter de mon club de chimie, ils restent jaloux de mes compétences en sciences ; et ceux qui ont les chevilles les plus gonflées sont toujours prêts à me dissuader de faire des études là-dedans. Enfin quoi, je pourrais leur « prendre leur potentiel job », grogna-t-elle.
— Fais attention à toi.
Eigishi baissa ses prunelles sur son téléphone.
« Tsukishima-san, 17:05 : ¯\_(•_• )_/¯
Tsukishima-san, 17:16 : En espérant que tu aies passé un savon à mon frère. »
— Combien de messages ? glissa Akiteru.
— Deux, répondit-elle par automatisme. Espacés de onze minutes...
Et elle s'étrangla à ses propres mots.
— Ne me force pas à lâcher des infos comme ça ! gronda-t-elle.
— Tu vois, il t'apprécie.
— Peut-être, mais ne t'attends pas à ce que je te fasse un compte-rendu sur nos échanges ! C'est privé. Et c'est ton frère. Alors cette fois-ci, nada.
— D'accord, rit-il légèrement. Désolé.
Elle se contenta de retourner sur son téléphone, le nez froncé. Sa face retrouva son impassibilité. Ce fut avec un pincement au cœur qu'elle répondit par un pouce en l'air. Même si elle l'appréciait, qu'il l'appréciait peut-être aussi, et qu'elle ne pouvait pas vraiment s'empêcher de continuer leurs conversations, ses craintes n'en démordaient pas.
Et si la prochaine fois qu'on chipait son portable, on s'en prenait à lui ?
Fanart par Hachiro : https://www.zerochan.net/1707312
Ça fait très, très longtemps (genre dix mois), mais j'espère que vous êtes quand-même au rendez-vous ! La publication reprend enfin ^^ Je vous souhaite de bonnes fêtes et un Joyeux Noël pour celleux qui le fêtent ! :D
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