Chapitre 7 - Maudite couverture
Tsukishima s'appuya sur son lavabo froid, les paupières closes, le sang battant à ses tempes. S'il restait plus longtemps ici, Eigishi allait se poser des questions. Il prit donc une longue inspiration, se saisit de la ô promise serviette de toilette pour qu'elle sèche sa tignasse trempée, et retourna face à sa chambrée. À défaut de pouvoir croiser ridiculement les doigts, il y entra en espérant transpirer le flegme. Car Eigishi-san a autre chose à faire que de supporter un énergumène aussi bas que...
« Tu n'as rien de naze ! T'es bête, ou quoi ?! »
Et les paroles de Yamaguchi de percer son crâne. Il s'immobilisa un court instant en le revoyant lui crier dessus après le match contre Shiratorizawa. Face à son bureau, Eigishi le gratifia d'un air surpris : il s'assit sur son lit et lui lança la serviette.
— Cadeau.
Elle la rattrapa de justesse ; même lorsqu'elle se frotta les cheveux, et que le tissu blanc cacha son visage, ses gestes laborieux trahirent sa légère fatigue. Jusque-là, le côtoyer n'avait pas l'air de l'avoir dérangée, si ses deux-trois capacités pour sociabiliser n'étaient pas parties à la poubelle. Il déglutit avec discrétion, la gorge nouée.
— Jolie... maison, hésita-t-elle enfin. Je ne pensais pas que j'allais rester.
— Qu'est-ce que tu y peux ? Ce n'est pas l'apocalypse non plus : tu ne vas pas rester confinée ici trois heures.
Elle laissa échapper un bref rire.
— Dans tous les cas, je n'aurais certes pas pu décamper aussitôt. Navr...
Elle toussota un instant. « Navrée », encore ?
— Mon arrivée était subite, se corrigea-t-elle. J'aurais dû faire le lien entre les vacances, l'adresse de ton frère et toi.
— Tu es différente qu'à l'écrit, fit-il remarquer. Quoique, tu gardes ta... politesse.
— Je n'ai pas de fusil dans la vraie vie..., songea-t-elle. Et il paraît que je suis peu expressive et assez molle. Donc j'ennuie les gens.
Elle haussa les épaules dans un sourire résigné.
— Mais au moins, l'écrit pallie à ça.
C'est honnête.
— Donc, tu te crées un autre personnage ?
— Quoi ? s'affola-t-elle aussitôt. Non : c'est mon moi normal, mais deux fois.
Il arqua un sourcil. Ça veut dire quelque chose, au moins ?
— Je ne pense pas que ce soit une mauvaise chose, reprit-il toutefois.
Eigishi laissa ses mains agitées en suspens ; il détourna le regard sur ses propres chaussons.
— Quelqu'un qui saute partout pour rien..., développa-t-il, le nez froncé. Ça, c'est une personne qui me taperait sur les nerfs.
— Du vécu ?
— Tu as vu la sauterelle rousse dans notre équipe, non ?
— Ah, le numéro dix ! Lui t'irrite ?
— Accordons-lui au moins le fait qu'il marque des points, railla-t-il.
Elle jeta une œillade à côté de sa porte : son haut de sport de Karasuno pendait sur un cintre. Son beau « 11 » inscrit en blanc tranchait avec bio avec le noir et orange au milieu duquel il baignait.
— Tu es le numéro d'au-dessus..., songea-t-elle.
— Et c'est à peu près tout.
Eigishi hocha la tête, un petit sourire aux lèvres.
— Oui. Je suppose que c'est « à peu près tout ».
Là seulement Tsukishima remarqua-t-il que son ton traînait de plus en plus. Sa « légère fatigue » s'accentuait de façon exponentielle : l'impression de forcer la discussion le piquait de plus en plus. Alors, il se tut. Puis, releva son propre manque de politesse. Il ouvrit donc la bouche, mais ne trouva rien à dire.
— On se parle par SMS, songea alors Eigishi. Cependant, on ne se connaît pas vraiment.
C'est moins désagréable que des formalités à la pelle...
— Qu'est-ce que tu comptes faire, après le lycée ?
... qu'elle pose au final sur la table. Il ne pouvait néanmoins pas l'en blâmer. Plus les épaules de l'adolescente se ramollissaient, plus il notait les cernes soutenant ses yeux ambre. Elle avait sacrément besoin d'une sieste, mais il ne pouvait pas lui prêter son lit. Je suppose qu'il vaut mieux partir sur une discussion banale. Facile à suivre, sans casse-tête.
— Je ne sais pas encore, répondit-il. Toi ?
— Je suppose que ça se voit. Chimiste. Chercheuse de préférence – sinon, prof à l'université, je suppose...
C'est déjà pas mal.
— Mais mon frère a mentionné que tu avais été « tirée de force » dans la conférence où on s'est rencontrés.
Elle se retint sans subtilité aucune de dodeliner de la tête.
— Ah... C'était une obligation du club. Majorer en chimie en seconde ne veut pas dire grand-chose, mais Shiratorizawa est une école réputée. Alors, dès qu'on a donné l'occasion à mon enseignant de donner un coup de main lors d'un séminaire, il a... sauté... sur l'occasion.
Son effort pour cacher un quelconque bâillement s'avéra tout aussi vain ; et pourtant, elle ne se tut pas. Elle semblait plus tenter de rester éveillée que de soutenir la discussion.
— Ton frère l'a su via ma sœur, continua-t-elle d'un ton bas. Que j'étais obligée, je veux dire.
Mon frère, toujours.
— Tu le connais depuis longtemps ? questionna-t-il spontanément.
Alors qu'il commençait à maudire son indiscrétion, elle se frotta simplement le menton.
— Ça doit faire quatre ans ?
Depuis ses dix-sept ans ? Tsukishima cligna de l'œil, confus. Eigishi le remarqua sans mal, car elle secoua une main, un sourire gêné collé aux lèvres.
— Ma sœur, une nouvelle fois, justifia-t-elle. Rien de plus, rien de moins ! Il passait parfois à la maison, et j'y étais toujours. Donc j'ai petit à petit fait connaissance, et voilà le travail. Ces deux-là...
Elle haussa laborieusement les épaules. Dors, Grands Dieux. Je ne sais pas où. Sur le tapis, peut-être. Mais fais une sieste, tu vas tomber malade.
— Comme ils sont proches, et qu'ils s'appelaient par leur prénom, il m'a appelée par mon prénom, et je l'ai appelé par son prénom. C'est un peu comme... un grand-frère ?
... Pourquoi ça ne m'étonne pas ? « Ces deux-là » voulait tout dire. Lorsqu'ils avaient pris leur téléphone en chœur, Akiteru avait-il donc attendu un message de la sœur d'Eigishi ? Le hasard faisait bien mal les choses. Tsukishima n'avait pas grand-chose à faire de la vie amoureuse de son frère, mais voici qu'il se retrouvait aussi avec une Eigishi sur les bras.
S'il poursuivirent leur échange plus simple que jamais – « mon chat s'appelle Neko », « votre numéro neuf est flippant » –, le lycéen finit par saisir une pause dans leur discussion afin de se lever. Un « je vais chercher du thé » plus tard, il laissa Eigishi dans sa chambre.
Comme il s'y était attendu, sa mère le gratifia d'un air joyeux et Akiteru se fit bien petit sur le canapé. Tsukishima lui servit un regard acide avant de remonter, une tasse vide et une autre pleine en main ; puis, il ouvrit la porte de sa chambre en silence. Et naturellement, Eigishi s'était assoupie sur son bureau, la tête fourrée entre ses bras croisés.
L'adolescent n'avait pas largué une boisson pour rien. Il savait qu'en laissant la jeune fille seule quelques minutes, elle allait céder au grandiloquent appel du sommeil qu'elle subissait depuis une heure déjà. Une bonne chose de faite, j'imagine. Il s'installa à même le sol en soupirant, pour siroter sa propre boisson chaude.
Le silence qui suivit, seulement brisé par la lente respiration d'Eigishi, se révéla plus confortable que ce à quoi il s'était attendu. Il en arriva même à attraper un livre – non sans prendre le soin de ne pas faire craquer le plancher. Combien de temps allait-elle pioncer ? Il est seize heures. Je n'aurai qu'à la réveiller avant que la nuit tombe.
Il laissa les tic-tac de son réveil résonner dans la pièce. Ses yeux avaient beau se fixer sur son bouquin, ils n'en enregistraient que deux mots sur trois. Et pour cause : Eigishi dormait sur son bureau, à deux mètres de lui. Sa concentration manquait de partir à la poubelle.
Si elle se réveillait seule, elle allait s'excuser quatre fois pour son « impolitesse ». La réveiller de lui-même pouvait s'avérer embarrassant – comment diable était-il censé s'en charger ? Un verre d'eau sur le crâne ? Non, c'est démodé. Peut-être lui mettre mon casque sur les oreilles et monter le volume à quatre-vingt-dix pourcents...
Il finit par fermer son livre d'un geste tout aussi sec que muet. Puisqu'il ne parvenait pas à bouquiner, son portable allait faire l'affaire. Il descendit donc pour la seconde fois ; cette fois-ci, il se prit des regards surpris. Il ignora sa parente et son excuse de frère, chopa son téléphone et s'apprêta à remonter.
Sa mère posa sa main sur son épaule avant qu'il ne quitte le salon-cuisine.
— Kei. Tu l'inviteras de nouveau, pour qu'on puisse faire connaissance ?
— Ah, maman.., hésita Akiteru. En réalité, c'est moi qui ai ouvert à Ka...
Brève toux. Tsukishima arqua un sourcil d'un air dubitatif ; mais derrière son dos, ses doigts se tripotèrent d'eux-mêmes.
— Ka... ? répéta-t-elle.
— Eigishi, se corrigea Akiteru. C'est moi qui ai ouvert à Eigishi. C'est la petite sœur d'une collègue à moi.
— C'est pour ça qu'elle connaît Kei..., songea-t-elle.
Elle se tourna de nouveau vers lui. Ses prunelles pétillaient ; de nouveau, il fusilla son aîné du regard.
— C'est une bonne chose !
— C'est une amie d'Akiteru, mais oui.
Il les quitta là-dessus – sans la moindre œillade pour son frère, car leur mère n'aurait pas réagi ainsi si Eigishi était simplement restée dans la cuisine.
— Akiteru, c'est une amie à toi ? s'étonnait-elle désormais. Pourquoi ne pas...
— Oh, Kei s'entend bien avec elle !
C'est définitif : je ne t'accorderai plus jamais ma confiance, même sur mon lit de mort.
Son lit tout court, il s'y assit de nouveau. Elle dort toujours. Il s'attarda un instant sur ses mèches raides et brunes, glissant désormais sur son pull. Puis il ouvrit sa messagerie : naturellement, Yamaguchi lui avait envoyé un autre message.
« Yamaguchi, 15:32 : Désolé, Tsukki, le documentaire c'était hier ! »
Décidément, c'est une merveilleuse journée... Alors qu'il tapait une réponse, un courant d'air frais le fit frissonner. Il jeta un regard mauvais à sa fenêtre. Et Eigishi-san a la tignasse trempée : elle ne doit pas en mener plus large.
Après un soupir, il se concentra de nouveau sur son échange avec Yamaguchi. Lui ne faisait pas grand-chose de sa journée non plus ; au bout de quatre pauvres messages, Tsukishima grimaça en relisant ce qu'il venait d'envoyer.
« Moi, 16:09 : Dans ce cafd, boncourage pour survivre à ton aprem. »
Deux fautes de frappe. Il plaqua sa main contre son front, la trachée nouée. C'est pas possible. Je vais balancer cette fille sur le canapé. À Akiteru de s'en charger... mais il ne s'y résolut pas. Son bureau avait l'air confortable. Sa chaise aussi.
« Yamaguchi, 16:10 : Tsukki ? Il y a un problème ? »
Non.
« Moi, 16:10 : Akiteru.
Yamaguchi, 16:11 : Oh, qu'est-ce qu'il s'est passé ? »
Il m'a piégé.
« Moi, 16:12 : Deux-trois malentendus.
Yamaguchi, 16:12 : C'est rare, que tes doigts glissent sur ton clavier comme ça »
C'est la nana qui pionce dans ma chambre qu'il faut blâmer. Il exhala brièvement. Échapper aux griffes de Yamaguchi allait être compliqué, et lui ne plongeait pas dans les quiproquos.
« Moi, 16:13 : C'est la nana qui pionce dans ma chambre qu'il faut blâmer.
Yamaguchi, 16:13 : ... (◉-◉)
Moi, 16:13 : Je te l'ai dit : Akiteru.
Yamaguchi, 16:14 : C'est Eigishi-san ??
Moi, 16:14 : Elle est venue s'excuser auprès de mon frère. Il l'a invitée à prendre un thé, comme elle était fatiguée. Donc, elle est restée.
Yamaguchi, 16:15 : Je veux dire... comment elle a atterri dans *ta* chambre ?
Moi, 16:15 : Cet idiot a voulu la cacher lorsque ma mère est rentrée ; elle est montée dans ma chambre. Elle est crevée. Elle dort.
Yamaguchi, 16:16 : Tsukki... Si ta mère la trouve, ça va être compliqué ! »
Il passa une main sur son front. C'est déjà fait. Qu'est-ce que je suis en train de babiller, sérieusement... ? Un nouveau courant d'air passa sous sa veste ; il frissonna avec irritation, puis jeta une œillade à Eigishi. Les fins poils de ses avants-bras commençaient à se dresser. Elle aussi avait froid, mais en dormant.
Il étudia sa chambre à la recherche d'une quelconque couverture : mais – ç'aurait été trop simple –, il ne croisa que deux vestes sur son porte-manteau. C'est non. Il quitta de nouveau sa chambre, à délaisser à même le sol son portable toujours ouvert.
Les airs curieux qu'il se prit en descendant se transformèrent en stupéfaction dès qu'il chopa un plaid. Il leva une main en claquant la langue. Puisqu'aucune justification n'allait calmer l'imagination spéciale famille de sa mère et son frère, il remonta sans un mot, s'approcha de l'adolescente en silence, et s'apprêta à poser négligemment le tissu sur ses épaules : elle dodelina de la tête au même instant.
Puis, elle releva le menton.
Puis, elle posa avec surprise ses yeux tombants sur lui.
Il se raidit sur place, sa couverture en suspens ; lui-même sentait ses traits se figer. Et le silence interminable qui suivit n'arrangea rien. Il avait cette hideuse d'impression d'avoir été pris la main dans le sac, en train de commettre un quelconque délit de second rang. Plus les yeux d'Eigishi s'arrondissaient, plus son cerveau carburait pour trouver une justification, plus ses muscles se raidissaient.
« Pris la main dans le sac », et ça lui déplaisait au plus haut point.
Fanart par Pixiv Id 4359805 sur Pixiv
Eh bien eh bien, bonjour ! J'espère que vous avez passé un bon week-end et que ce chapitre vous a plu.e.s ^^ Il était censé faire plus de 3000 mots mais j'avais peur que ce soit trop gros pour le format de cette fanfiction, donc la "seconde partie" arrivera, comme toujours, mercredi :)
N'hésitez pas à voter ou discutailler ! :D
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