Chapitre 4 - Inconnu numéro un
Deux jours plus tard – J-19
Tsukishima étudia ses figurines de dinosaures, son menton posé sur sa joue. Deux jours étaient passés depuis cette dernière discussion sur Eigishi. C'est-à-dire que ça fait quoi, un peu plus d'une semaine qu'elle fait la morte ?
Puisqu'il était vingt-et-une heures, elle était sûrement chez elle. Il étudia leur conversation qu'il considérait déjà vieille ; pour cesser de se tourner les pouces en manquant de se ronger les ongles – et, surtout, afin de balayer ce sentiment désagréable qu'était l'inquiétude –, il avait deux options : lui envoyer un SMS, ou l'appeler.
Le choix était évident. Un SMS était si simple, et contrôlé au mot près, sans avoir à faire traîner sa voix ou que savait-il. Les appels ne le dérangeaient pas, mais ça aurait peut-être été de trop : même lorsqu'ils s'étaient parlés, ils n'avaient jamais évoqué un quelconque vocal.
Ce fut donc pour toutes ces belles raisons qu'il commença à rédiger un « bonjour », le corrigea en « bonsoir », le changer en « es-tu morte ? », et juger que c'était peut-être inapproprié. Je me gratte la tête pour rien : un émoticône fera l'affaire. Il chercha donc dans une liste ASCII sur le bel internet mondial.
Et il y en a plus de cent. Superbe.
Pire encore que de rédiger ce foutu message en question. Lui-même savait qu'envoyer une émoticône ennuyée n'était pas la meilleure idée du siècle. Une face hors-sujet était probablement la meilleure option.
« Moi, 21:07 : ┬┬ノ( º _ ºノ) »
... Combien de points de QI est-ce que j'ai perdu ? Un bonhomme avec une table, sérieusement ? Il passa une paume sur son visage, irrité. Combien de temps passa ensuite ? Qu'allait-on répliquer ? Je vais recevoir quelque chose, au moins ? Superbe, j'ai détruit l'option du vocal. Si j'avais d'abord tenté de l'appeler, laisser un SMS comme ça derrière aurait pu être naturel. Là, ça relèverait du...
Son portable vibra alors : il sursauta aussitôt. Cette imbécile l'avait pris de cours. Mais lorsqu'il lut ce qu'on lui avait envoyé, son souffle se coupa sèchement.
« Eigishi-san, 21:09 : Qui êtes-vous ? »
Elle a perdu ses contacts ?
« Moi, 21:09 : Tsukishima.
Eigishi-san, 21:09 : Supprimez ce numéro. »
Et le blond de rester pantois. Il s'était attendu à tout, sauf une telle réponse. Vouvoiement, message sec – et ce, après un émoticône choisi avec soin. Une table était inappropriée ?
Non, quelque chose clochait, et c'était du sérieux. Il appuya donc sur « appeler », et porta lentement son téléphone à son oreille. Une sonnerie, deux sonneries, il fixa un tyrannosaure, trois sonneries, on décrocha enfin.
— Est-ce que c'est une blague ? posa-t-il.
— Supprimez ce numéro, répondit un timbre grave.
Silence. Tsukishima béa pour de bon, l'œil rond. Un homme – au ton plus mature encore que celui d'Asahi, qui plus était. Or, aux dernières nouvelles, Eigishi avait une voix féminine. Était-ce son père ? Son frère ?
Durant le mutisme qui suivit, il perçut d'autres personnes parler en fond. Eux aussi étaient masculins. Là réalisa-t-il que la jeune fille devait se trouver bien loin de son téléphone.
Il retira derechef le sien de son oreille et raccrocha dans l'urgence. Je n'ai donné que mon nom, réfléchit-il à toute vitesse. Ils m'ont demandé qui j'étais : mes coordonnées ont dû être effacées avant que j'envoie mon message. On serait vite venu me chercher des poux, si on savait où j'habitais. Alors, ils ne connaissent que ma voix et une partie infime de mon identité. Ils ne peuvent rien tirer de ça. Maintenant...
Maintenant, Eigishi.
Il déroula sa liste de contacts, le cœur battant sous l'affolement. Une telle peur était une première. Akiteru était-il aussi touché ? Il ne l'avait pas non plus contacté, depuis ces sept maudits jours. Non, on en aurait entendu parler ! Il serra les dents, et les poings en prime. Ceux-ci tremblaient, réalisa-t-il alors : il cessa tout mouvement.
Paniquer dans une telle situation était plus que naturel ; néanmoins, Tsukishima n'avait jamais vécu ça. Il en était certes heureux, mais il ne pouvait pas rester là à ne rien faire, pas alors que ses données, celles de son frère, celles des autres contacts d'Eigishi, et d'Eigishi même, étaient mis en danger... et qu'il en était témoin.
Il se prit le front dans les mains. Une fois sa respiration calmée, il se leva et marcha jusqu'à sa porte.
— Maman ? appela-t-il tout haut.
Rester normal.
— Oui ?
— Akiteru a appelé, récemment ? demanda-t-il le plus calmement possible.
— Il y a deux jours, s'étonna-t-elle.
Son soulagement l'alourdit tant qu'il s'appuya contre sa porte.
— D'accord, merci.
Sur ce, il retourna dans sa chambre et composa sans attendre le numéro de son frère.
Lui aussi lui répondit bien vite.
— Kei ?
L'intéressé déglutit pour desserrer sa trachée, en vain. Il se contenta donc de bien s'appuyer contre le dossier de sa chaise. Il chopa sa bouteille d'eau, en but une longue gorgée, et appuya son visage contre sa paume moite.
— La dernière fois que tu as eu des nouvelles d'Eigishi-san, c'était quand ?
— Il y a une poignée de jours. Mais on ne parle pas tant que ça...
— Tu as une date exacte ? le coupa-t-il.
— Tu veux que je regarde dans ma messagerie ?
Son cadet massa sa tempe. Son estomac se tordait tant qu'il lui refilait la nausée.
— ... Oui. S'il-te-plaît.
Il devina sans aucun mal la surprise d'Akiteru, mais des soucis bien plus importants le taraudaient. Il ne tenta pas même de se raccrocher au mince espoir qu'il se trompait, que des amis d'Eigishi lui faisaient une blague ou autre scénario loufoque. Aussi ridicule cela était-il, l'hypothèse qu'on lui avait – au moins – volée son téléphone était bien plus grande.
— Douze décembre, vers dix-huit heures, annonça enfin Akiteru. Je l'ai eue en appel pour prendre quelques nouvelles.
Dans ce cas, rien ne va. Pourquoi, de toutes les personnes de cette Terre, Tsukishima devait-il se retrouver dans une telle situation ? Question futile. Les chances ne sont pas nulles. Il y a plus important. Je n'ai pas le temps de me plaindre.
— Elle ne me répondait plus depuis une semaine, se força-t-il à expliquer. J'ai tenté de la recontacter. On m'a demandé qui j'étais : j'ai répondu, et on m'a dit de supprimer ce numéro. J'ai donc appelé, mais c'était un homme, au bout du fil.
— Son père ?
— Non : il y avait d'autres voix derrière. Ils étaient en extérieur. De plus, c'était une voix d'adulte, au moins quarante ans.
— Pas une trace de Kana ?
Il écarta un instant son portable de son visage : il avait besoin de respirer trois petites secondes. « Pas une trace de Kana » s'avéra être une phrase bien plus violente que ce à quoi il s'était attendu. De l'eau. De l'eau, puis il sortit un « non » tiré du tréfonds de ses entrailles.
— Sa sœur n'a rien mentionné, au travail. Mais cette affaire reste un peu inquiétante...
— « Un peu » ? laissa tomber Tsukishima. Tu te fous de moi ? Des personnes ont pu mettre la main sur des centaines de numéros, voire même d'adresses, dont les tiens et les miens.
— Je le sais.
— Qu'est-ce qu'il faut faire, alors ? siffla-t-il. Tu vas pas rester les bras croisés !
— Kei, calme-toi, se précipita Akiteru. Je vais envoyer un message à sa sœur, elles contacteront la police.
Bordel de merde. Il retira ses lunettes et se pinça l'arête du nez.
— Tiens-moi au courant, jeta-t-il. Je raccroche.
Et il joignit le geste à la parole ; par la suite, il ne tenta pas même de s'occuper. La voix de cet inconnu résonnait incessamment dans son crâne, et il la maudit de tous les noms.
Il ne se permit de respirer que lorsque son frère lui confirma par écrit qu'Eigishi était chez elle, et que son téléphone avait été volé. Volé par cette ou ces personnes la suivant, ou volé au hasard ?
Toujours fut-il qu'Akiteru ne lui joignit pas le contact d'Eigishi, et qu'Eigishi ne le recontacta pas.
***
Le lendemain – J-18
Pas de nouvelles, songea Tsukishima après son premier cours.
Rien, naturellement, constata-t-il de nouveau à la pause du midi.
Un message ? Ah, juste Akiteru..., remarqua-t-il entre deux heures.
On a deux fois plus de chimie qu'avant, ou je rêve ? pensa-t-il, sourcil arqué, face aux leçons de leur après-midi.
Et sonna la fin de la journée – mieux encore, le début des activités en club. Il se leva de sa chaise. Leur chère salle de classe blanche, aux tableaux noirs généreusement éclairés par les froids rayons pourpre de décembre, se vida petit à petit ; Yamaguchi arriva vers lui à l'instant où il ouvrit une dernière fois son portable. Puis, il se pencha vers la vitre, et étudia le sol deux étages plus bas.
— Un téléphone résisterait à une chute de quinze mètres ? sortit-il platement.
— Tsukki, ne le tue pas ! s'affola son ami.
Il leva une main, un sourire en coin aux lèvres.
— J'ai une tête à casser des objets ?
— Certes, non...
— Je suppose qu'on y va, alors.
Sur ce, ils traversèrent les couloirs animés du lycée. Chaque minute qui passait assombrissait un peu plus les lieux, et les néons blancs des étroits plafonds durent bientôt s'opposer à la nuit précoce d'hiver. Une cage d'escalier et un porche plus tard, ils pénétrèrent les vestiaires. Leur lumière blafarde aveugla un court instant Tsukishima.
Tanaka et Nishinoya s'y trouvaient déjà, à enfiler leur haut de sport : le blond ne porta pas grande attention à leur discussion. Il se contenta de poser ses affaires sur leurs étagères métalliques, entre deux cartons d'il ne savait quoi. Après s'être rapidement changé sous le froid, il jeta un dernier regard à son pauvre téléphone délaissé.
Il venait de vibrer, mais Tsukishima ne s'attendait plus à grand-chose. Il remarqua à peine le silence soudain tombant sur la pièce lorsqu'il l'alluma.
« Koganegawa Kanji, 17:27 : Tsukki ! Quoi de neuf ? »
Pourquoi on a échangé nos numéros, déjà ? Alors qu'il allait reposer son appareil, les lampes s'éteignirent soudain. Il sursauta aussitôt : les ricanements des deux premières résonnèrent dans les vestiaires.
— Je savais qu'il était distrait ! s'exclama Tanaka. Est-ce que c'est... comment est-ce qu'elle s'appelle, déjà... ?
— Elle ? répéta Nishinoya avec confusion.
Grands Dieux.
— Koganegawa m'a envoyé un message.
— Mais qui est « elle » ? murmura rapidement leur libéro.
— Une fille de je ne sais où..., répondit l'attaquant.
Yamaguchi ralluma les néons de lui-même, et se frotta une énième fois la nuque : Tsukishima en arriva à penser qu'il souffrait d'eczéma.
— C'est une personne qui a tenu un séminaire, justifia son ami d'enfance. Akiteru a inscrit par erreur les coordonnées de Tsukki en fin de conférence : cette femme lui a donc demandé s'il voulait les effacer, et ça a été fait. Voilà tout.
— Tsukishima n'a donc toujours pas de cœur..., regretta Nishinoya.
— Tu ne l'as donc pas recontactée depuis, grogna Tanaka.
— Pourquoi faire ? La chimie ne me passionne pas plus que ça.
Les deux élèves de première eurent beau froncer le nez, ils n'insistèrent pas. Tsukishima remercia son ami d'un bref acquiescement : s'il afficha d'abord un air surpris, il leva enfin le pouce.
Il était encore heureux que Tanaka et Nishinoya soient les seuls commères du coin, ou il aurait vécu un enfer. Yamaguchi, à côté, ne forçait la discussion que bien rarement : cette année-ci, il ne lui avait crié dessus qu'au sujet du volleyball – et à raison.
Alors, lorsqu'il lui demanda pourquoi il avait tiré une tête bien étrange ce matin même, il se permit de ralentir le pas avant d'entrer dans le gymnase.
— J'ai simplement tenté d'appeler Eigishi-san, expliqua-t-il de son éternel timbre neutre. Et je suis plus ou moins tombé sur une mauvaise surprise.
— Elle t'avait bloqué ? suggéra Yamaguchi.
— Ça aurait été préférable. On lui avait volé son téléphone : je ne sais pas qui était au bout du fil, mais...
Mais cette foutue voix de quadragénaire lui refilait toujours la nausée.
— Toujours est-il que, d'après mon frère, elle va bien. J'aurais simplement apprécié qu'on me dise si mes coordonnées ont été volées ou pas.
— C'est pourquoi tu regardais ton téléphone...
— Enfin, il y a toujours une chance que tous les contacts d'Eigishi-san aient été effacés avant qu'on lui choure son portable, car on m'a demandé qui j'étais. Ils auraient dû voir mon prénom s'afficher, sinon. Ils savent juste que je m'appelle Tsukishima, conclut-il.
— Peut-être que « pas de nouvelles, bonne nouvelle » pourrait enfin s'appliquer dans ce cas, si elle ne vient plus te parler.
— Peut-être, railla-t-il.
M'enfin, je ne vais plus utiliser d'émoticônes aléatoires avant un moment.
Son amertume, il parvint à la dissimuler durant l'entraînement. Il bloqua comme toujours, attaqua comme toujours, et reçut les balles comme souvent. Il se surprit même de ces réflexes : ça n'avait pas été compliqué, durant les jours de silence d'Eigishi, malgré son léger dépit. Mais là, il avait tout de même fait face à une situation plutôt désastreuse. Il ne sentit qu'un petit regard appuyé du coach avant la fin de la séance.
Par la suite, il ne chercha pas à répondre à Koganegawa. Il allait éventuellement s'en charger une fois chez lui. Il quitta les vestiaires sur une note si mitigée qu'il abandonna toute idée de vérifier son téléphone.
Ça aussi, je le ferai dans ma chambre.
À l'instant où il retourna dans la nuit noire, une vive course s'éleva dans les escaliers de fer menant aux vestiaires : Nishinoya débarquait d'un air exagérément grave. Oh. Tanaka-san est en regard pour qu'ils aillent se tourner les pouces je ne sais où ? Mais le bougre, au lieu de marcher vers la porte, se tourna vers lui.
— Il y a une nana... à l'entrée de l'école, je ne sais pas qui c'est, mais elle m'a demandé si il y avait un Kei Tsukishima par là !
Fanart par Sukiina sur deviantART : https://www.deviantart.com/sukiina/art/tsukishima-kei-561464737
Bonjour bonjour, me revoici avec un nouveau chapitre ! Je crois qu'à ce stade, on va passer à deux publications à la semaine... si ça ne dérange personne, bien évidemment ! Sinon, on reste au samedi ^^
N'hésitez pas à donner votre avis, et à la prochaine ! ;D
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