Chapitre 3 - La menace ASCII
1er décembre, le lendemain – J-36
Tsukishima mangea une autre bouchée de riz, l'œil posé sur son téléphone vide de toute nouvelle d'Eigishi. Toujours rien. Ça ne m'étonne pas. Tant pis.
— Ça ne m'étonne pas..., dit justement Yamaguchi.
Autour d'eux, bien des élèves circulaient entre les tables blanches de leur cafétéria, plateaux en main. Leurs bavardages effleuraient tout juste le blond. Eigishi avait fui, l'affaire était bouclée.
Mais la gendarmerie, allait-elle au moins la voir ?
— Tu as franchi l'étape d'au-dessus, avec ton conseil.
Tsukishima haussa un sourcil.
— Quelle étape ? Je ne nourris pas un intérêt spécial pour elle.
— Je ne parlais pas d'intérêt, s'étonna Yamaguchi. Simplement, lui donner un conseil... Comment dire... Selon la personnalité d'Eigishi-san, ça aurait pu l'embarrasser. Elle s'est excusée trois fois, après tout, non ?
— Ça me rappelle le professeur Takeda. S'excuser trois fois, j'entends.
Son ami laissa échapper un petit rire.
— C'est vrai. Dans tous les cas, j'espère pour elle qu'elle se porte bien. « Pas de nouvelles, bonne nouvelle », dirait-on... Mais si elle a « quelques problèmes », c'est une autre histoire.
— Je ne vais pas m'impliquer dans sa vie...
... privée. Son cher téléphone vibra au même instant. Il reposa ses baguettes, pour allumer son écran.
« Eigishi-san, 12:42 : Yes pour la police. Et merci pour Akiteru, je lui ai envoyé un SMS le lendemain. Désolée pour le retard, j'avais perdu mon téléphone
Moi, 12:42 : Un SMS sans ton téléphone ?
Eigishi-san, 12:42 : Ah. Certes.
Eigishi-san, 12:42 : C'était un mensonge. ♨_♨
Moi, 12:43 : ... Tu te brûles les yeux ?
Eigishi-san, 12:43 : C'était le premier smiley dans mes recommandations. »
— Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda-t-on soudain.
— Elle a mis un émoticône dont les yeux... brûlent ?
Yamaguchi sortit son propre portable, et lui montra ce même motif.
— Celui-ci ? Il me fait plus penser à un bonhomme avec des pizzas en guise d'yeux.
— Ou des tartes..., réfléchit Tsukishima, les sourcils froncés.
« Moi, 12:45 : Tes recommandations sont étranges.
Eigishi-san, 12:45 : ლ(⨪ˬ⨪ ლ) »
— Je suis à court de réponses, annonça Tsukishima d'un ton plat.
Sur ce retourna-t-il à son repas. Son riz était froid. Fade en bouche, aussi. Puisqu'il venait de lâcher son portable, il entendit de nouveau le brouhaha des élèves ; flaira de nouveau la fragrance des quelques plats chauds proposés par l'établissement ; perçut de nouveau sur sa manche le froid soleil spécial début décembre. L'air frisquet de l'extérieur s'infiltrait au travers de la fenêtre à côté de laquelle il était assis : il donna deux faibles coups au radiateur électrique sous sa table Il était en panne, naturellement.
Tout autour de lui sentait l'hiver, et les fêtes de fin d'année approchant à grands pas. Yamaguchi en parla d'ailleurs, avant qu'ils n'entament leurs cours de l'après-midi : il allait passer Noël avec sa famille, avant leurs prochains matchs de volleyball. Tsukishima, lui, ne savait toujours pas ce que sa mère leur préparait.
Akiteru allait pour sûr passer, et c'était tout. Simple, comme tous les ans.
Oh, chimie, remarqua-t-il après l'anglais. Mais leur enseignant ne mentionna pas une quelconque méthode VPRES. Il ne parla que de nomenclature, bien plus accessible pour des élèves de leur année. Eigishi, elle, devait sacrément s'ennuyer, si elle avait chimie à cet instant précis.
« Elle a été tirée dans cette conférence de force » : ces paroles de son aîné lui revinrent en tête de nulle-part. Ces deux-là devaient échanger souvent, pour qu'Akiteru sache qu'elle avait des « problèmes » et qu'on l'avait obligée à réviser des cours de faculté. Après la sonnerie, il se munit une dernière fois de son portable.
« ┐(・_・)┌ », se contenta-t-il d'envoyer à Eigishi avant l'entraînement. Ses yeux se posèrent de nouveau sur l'émoticône de la jeune fille, qu'il décida de nommer Monsieur Pizza, car les noms à rallonge lui plaisaient peu.
Quelques heures de retard pour un smiley, ce n'est pas un désastre..., songea-t-il.
***
Dix jours plus tard – J-26
« Eigishi-san, 20:44 : (╯°□°)╯︵┻━┻
Moi, 20:45 : ( •_•)
Eigishi-san, 20:46 : 屮(ఠ𐤃ఠ)屮
Moi, 20:47 : ( • . •)
Moi, 20:47 : <,︻╦╤─ ҉
Moi, 20:47 : /﹋\
Eigishi-san, 20:48 : |(• ◡•)|
Moi, 20:48 : C'est l'exacte tête qu'un ami tire
Eigishi-san, 20:49 : Pour flex ses biceps ?
Moi, 20:49 : Non... lorsqu'il sert au volley
Eigishi-san, 20:50 : Tu fais du volley aussi ?
Moi, 20:50 : Oui. »
— Kei, l'appela-t-on alors.
Il se tourna vers la porte de sa chambre : sa mère ouvrit, et jeta une énième œillade à ses figurines de dinosaures. Personne ne semblait comprendre leur esthétisme, tant et si bien qu'il ne réagissait plus lorsqu'on les gratifiait d'un air mitigé.
Il vit enfin la tasse que portait sa parente : elle lui apporta dans un petit sourire.
— Un chocolat chaud pour accompagner tes révisions, expliqua-t-elle en désignant la paperasse recouvrant son bureau.
Je les ai déjà finies, mais...
— Merci.
Elle sourit simplement, pour croiser les bras.
— Pour Noël. Qu'est-ce que tu voudrais ?
Noël. Il l'oubliait tous les jours, jusqu'à ce que Yamaguchi, le professeur Takeda, la sauterelle qu'était Hinata ou leur imbécile de Tanaka ne le mentionne. Il n'avait donc pas la moindre idée de ce qu'il voulait. Une encyclopédie sur les dinosaures aurait pu faire l'affaire, s'il n'en possédait pas déjà une petite poignée.
— Je ne sais pas, expliqua-t-il.
— De l'argent de poche suffirait, dans ce cas ?
— Je pense que oui.
Elle repartit donc dans un petit « bonne nuit » : là put-il étudier ses cahiers et ses livres de cours. Il avait oublié de les ranger, à balancer des messages aléatoires à Eigishi.
Depuis leur premier vrai dialogue, deux-trois émoticônes s'étaient glissées dans sa conversation avec elle. Ça devenait routinier. « Bonjour », quelques nouvelles simples, et suivait un échange de smileys divers et variés. Il avait appris qu'elle avait un chat, elle savait désormais qu'il faisait du volley-ball. Transcendant.
Cependant, il était aisé de converser avec elle : pourquoi l'ignorer ? L'un des seuls problèmes se posant était Tanaka et Nishinoya. Tsukishima prenait garde à ne pas sortir son téléphone durant les entraînements – déjà n'y avait-il pas sa place, mais en plus jetterait-on des coups d'œil par-dessus son épaule... Ou sous mes coudes, plutôt, pensa-t-il, un sourire un coin, en se rappelant son mètre quatre-vingt-dix.
Pourquoi l'ignorer. Pourquoi l'ignorer... Mais, au final, ce fut lui qui ne reçut jamais de réponse.
***
16 décembre, cinq jours plus tard – J-21
Tsukishima referma son téléphone dans un court soupir. Tout ce qui restait de sa conversation avec Eigishi était son « Oui » suite à sa question, qu'il commençait à trouver bien ridicule.
Et pourtant, voici qu'il se retrouvait à vérifier son portable dès qu'il vibrait – l'addiction qu'Eigishi nourrissait pour les émoticônes aléatoires avait dû le contaminer. Il avait même songé à demander à Akiteru si elle s'était fait renverser par un camion sur le chemin du retour vers sa maison, trop occupée à chercher le smiley le plus farfelu du monde.
Il n'y croyait pas, il souhaitait bien rarement la mort de quelqu'un, et il tendait bien plus à espérer qu'Eigishi soit vivante plutôt qu'écrabouillée sur une chaussée. Son frère l'aurait de toute façon prévenu, même s'il ne savait pas le moins du monde que les deux lycéens avaient échangé durant une dizaine de jours.
Peut-être qu'elle hait le volley-ball, pensa-t-il avec cynisme.
Il releva la tête vers un Yamaguchi au nez froncé. Il semblait peu apprécier l'éternel riz qu'il était en train de manger, et le blond le rejoignait là-dessus : éternellement sec, mal cuit, fade. Tout ça mis à part, rien ne changeait autour d'eux. Un éternel brouhaha régnait toujours sur la cafétéria, leur éternel radiateur boudait toujours, et l'éternel air glacé de décembre continuait de passer toujours par la frêle fenêtre à côté d'eux.
— Les Nationales sont au tournant, souffla alors Yamaguchi. Ah...
Il se frotta la nuque.
— Je crois que je suis assez stressé, rit-il avec nervosité.
— Mangez cette excuse de riz, ça passera.
— Tsukki..., commença-t-il.
L'intéressé leva de nouveau les yeux sur son camarade : il parut hésiter, avant de parler enfin.
— Comment tu sens nos prochains matchs ?
Tsukishima haussa les épaules avec neutralité.
— Je me figure plutôt Hinata fuir vers les toilettes, rencontrer un gars qui fait trois fois sa taille et revenir sur le point de vomir. Quoi d'autre ?
— Rien, certes. Je ne me serais pas attendu à grand-chose d'autre de ta part...
— Plaît-il ?
Yamaguchi retourna simplement à son déjeuner ; l'autre étudia son sac où résidait son téléphone.
— Tu allais demander pour Eigishi-san ? relança-t-il.
Son camarade sursauta. Je m'en doutais.
— Elle devait être à court d'émoticônes, elle a abandonné la partie, ironisa donc Tsukishima.
— Tu ne vas pas demander à ton frère comment elle va ?
— Peu m'importe.
— Tu ne tires pas la tête de quelqu'un qui n'en a rien à faire.
L'intéressé plissa les paupières.
— Je ne...
— Tu vérifies assez souvent ton téléphone, fit remarquer Yamaguchi.
— Je mets juste en pratique ce que tu as conseillé : « faire gaffe » car « on ne sait jamais ». Cela dit, je peux lui donner son numéro, si tu préfères t'en occuper.
— « C'est sa vie privée », non ? rétorqua son ami.
Pourrais-tu arrêter de me retrancher dans je ne sais quoi ?
— Exact, répondit platement le blond. C'est sa vie privée : donc, je ne la relancerai pas. En débattre est futile. Puisque tu voulais parler des prochains matchs...
— Mais c'est rare, que tu parles régulièrement avec quelqu'un, tâtonna-t-il. Est-ce que... son absence te gêne ?
Tsukishima se raidit imperceptiblement ; son ami d'enfance le connaissait certes, mais pas au point de tenter de le lire au sujet de ses rares relations sociales avec les autres. Il finit donc pas afficher un petit rictus.
— « C'est ma vie privée. » De plus, je ne serais pas bien utile en me mêlant de ses « deux-trois soucis ». Alors, ça n'a pas d'importance.
— Soit, murmura Yamaguchi. Désolé d'avoir insisté.
Il ne me croit pas le moins du monde. Enfin, tant qu'il laisse tomber le sujet, peu importe. Eigishi devenait assez désastreuse pour lui comme ça. Qu'on lui en rajoute une couche à côté, et cette affaire allait sérieusement l'irriter. Pourquoi se comporter ainsi, tel un gamin, car on ne lui répondait pas ? Ces dernières années, son seul interlocuteur avait certes été Yamaguchi. Il n'avait certes pas eu l'habitude de converser avec quelqu'un d'autre...
Trois secondes, s'arrêta-t-il. Il enregistra enfin le bout de leur discussion au sujet de la « situation complexe » d'Eigishi. Si c'est lié à ce quelqu'un qui la suit, ça peut sentir mauvais. De ce que j'en sais, une personne qui envoie des émoticônes aléatoires est peu encline à couper les ponts durant une semaine.
Il se le dit. Il se le dit, mais il se résigna à s'arrêter à de pauvres spéculations. Il tournait en rond, et il n'aimait pas ça : alors, il ne la recontacta pas.
Ni le jour même, ni le lendemain, ni le surlendemain, ni les jours suivants. Mais plus le temps passait, plus il aurait dû balayer Eigishi, plus il considérait sérieusement l'hypothèse qu'elle se soit faite écraser.
Puisqu'il commençait pour de bon à en avoir ras le bol, il songea enfin à céder.
Fanart par Pixiv ID 694027 sur Pixiv, lien : https://www.zerochan.net/1770091
Chose promise, chose due : malgré le chapitre de ce jeudi, voici un autre chapitre ce dimanche (bon "chose due" à un jour près du coup xD)
J'espère que ça vous a plus ! Si vous avez des remarques à faire, n'hésitez pas ^^
PS : Avec ces smileys ASCII de fifdge, ils dépasseront peut-être les fcking dimensions des pages Wattpad sur appli. J'ai dû renommer "Eigishi Kana" sur le téléphone de Tsukishima en "Eigishi" car sinon, les choix auraient été très limités. Navrée pour ça >< J'espère qu'il n'y aura pas de souci dans les prochains chapitres !
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