Chapitre 26 - J-1 [partie 2] - Du fond du coeur
— Ouch, mon genou picote toujours, grimaça Ayaka.
Eigishi lui tapota l'épaule sans lui jeter le moindre coup d'œil.
Elles avaient entamé la route jusqu'à Tokyo ; désormais s'étendaient autour d'elles de jolies plaines ou de lointaines villes. La nouvelle voiture d'Ayaka, bien que moins bruyante et plus confortable, semblait lui donner du fil à retordre. Pédales éloignées, nouveau volant à la sensibilité peu rassurante, radio au fonctionnement obscur. La pauvre.
— Toujours sur ton téléphone ? grogna-t-elle. Tu pourrais m'encourager un peu !
— Bravo, chère sœur, posa platement Eigishi. Tu accomplis un travail magistral valant toutes les éloges du monde. Aucun mot ne saurait décrire l'admiration que je...
— Au final, tais-toi.
Cool, je peux retourner à mes affaires. La lycéenne alternait entre Tsukishima et Yamaguchi depuis dix minutes des plus intenses. Elle avait envoyé ses captures d'écran au premier et attendait toujours une réponse ; le second, elle le malmenait avec peine.
« Tadashi Yamaguchi, 12:39 : Kana Eigishi → Eigishi-san, ou Eigishi-chan ?
Moi, 12:39 : Eigishi-san m'a l'air le plus approprié. Toi, Tadashi Yamaguchi → Yamaguchi-kun, ou Yamaguchi-san ?
Tadashi Yamaguchi, 12:40 : Connaissant Tsukki et au vu de ce qu'il va se passer, « -kun » me semble plus approprié. Et tu peux m'appeler comme ça.
Vous avez renommé Tadashi Yamaguchi : Yamaguchi-kun
Yamaguchi-kun vous a renommée : Eigishi-san
Moi, 12:40 : Ok, let's go. Et navrée d'avance.
Yamaguchi-kun, 12:41 : <(^_^)>
Moi, 12:43 :
┻┳|
┳┻| _
┻┳| •.•)
┳┻|⊂ノ
┻┳|
Yamaguchi-kun, 12:44 :
/\_/\
(='_' )
(, (") (")
Moi, 12:44 : ̿̿ ̿̿ ̿̿ ̿'̿'\̵͇̿̿\з= ( ▀ ͜͞ʖ▀) =ε/̵͇̿̿/'̿'̿ ̿ ̿̿ ̿̿ ̿̿
Yamaguchi-kun, 12:45 : (°□°)Une attaque ?!
Moi, 12:46 :
(╯°□°)╯︵ ( \o°o)\
Yamaguchi-kun, 12:47 : (ง •̀_•́)ง ผ(•̀_•́ผ)
Moi, 12:47 : Tu es censé être perturbé, pas content !
Yamaguchi-kun, 12:48 : Mince, pardon !! (≧︿≦)
Moi, 12:48 : T'inquiète pas. Dans un jour, tu maîtriseras l'ASCII sur le bout des doigts. Suis juste mes conseils avisés de professeure, et tu seras un vrai pro
( •_•)
( •_•)>⌐■-■
(⌐■_■)
Yamaguchi-kun, 12:50 : Compris, cheffe !
Yamaguchi-kun, 12:51 : Je vais aller acheter des t-shirt avec Hinata. À plus tard !
Moi, 12:51 : Bons achats (☞⌐■_■)☞
Yamaguchi-kun, 12:51 : Merci !! ( ^∇^) »
Conversation terminée, elle l'étudia en serrant les dents sous le stress. Était-ce assez ? Tsukishima n'allait pas fouiller dans les messages de Yamaguchi, mais voir autant d'émoticônes attirerait l'attention de n'importe-qui. Ce, car ils n'avaient jamais paru « aussi proches », qu'ils ne se parlaient que très peu, qu'une « proximité soudaine » alerterait même peut-être Tsukishima... Mais c'est mieux que rien.
La stratégie des « messages supprimés » aurait fonctionné s'il s'agissait de Sachiko. Car il m'a renommée Tsundere, et qu'elle penserait qu'effacer des conversations avec une jeune fille rentre bien dans son caractère. Il est discret et se met en retrait, donc...
« Tsukishima-kun, 12:55 : Tu l'as vraiment spammé. J'aurais presque de la peine pour lui. »
— Oui, aie de la pitié ! s'écria-t-elle. Le pauvre se tape des échanges complètement bidons !
— Il se passe quoi ?! s'affola Ayaka.
Eigishi se tourna d'un bond vers elle ; sa ceinture de sécurité lui écrasa la poitrine.
— Soeur, j'ai merdé, siffla-t-elle entre la douleur et la culpabilité.
— Raconte tout !
Alors, Eigishi « raconta tout », de l'idée de ce spam à sa bourde monumentale, en passant par cette manigance avec Yamaguchi pour tout glisser sous le tapis. Ses mots déferlèrent de ses lèvres à une vitesse folle. Puis elle arriva au fin mot de l'histoire.
— Et là, Tsukishima-kun vient de répondre qu'il a pitié pour Yamaguchi-san car...
— T'as avoué tes sentiments à Tsukishima, béa Ayaka.
Sa cadette serra les dents, piquée au vif.
— Fais donc la même pour Akiteru ! gronda-t-elle.
— Aki... ?!
La voiture tourna sèchement : la tempe d'Eigishi s'écrasa contre la vitre. Elle poussa d'abord un cri, grogna ensuite, reprit enfin ses esprits grâce à la douleur rongeant sa mâchoire. Au tour de son aînée de braquer ses yeux devant elle, la face rouge pivoine.
— Je le ferai pour sûr, siffla-t-elle. Hors de question que ma petite sœur me surpasse !
— Non.
Elle se tourna vers Eigishi, les sourcils froncés.
— Ce n'est pas un jeu, développa platement celle-ci, et je ne veux rien ruiner. Alors je prendrai le temps qu'il me faut pour Tsukishima-kun. Je ne me précipiterai pas, je ne le presserai pas, je ne ferai rien d'artificiel. Si je sens que ça ne fonctionne pas, tant pis ; si ça le fait, tant mieux. Juste...
« Tsukishima-kun, 13:02 : D'après Daichi, on aura du temps libre après le dîner. »
— Ça se passera comme ça doit se passer, souffla-t-elle.
***
Tokyo, le soir même
« La persévérance est une qualité, même quand on est con... »
Tsukishima souffla du nez et leva le regard vers Hinata, un rictus au coin des lèvres. Beau résumé, « Joueur du Grenier ».
Leur cher feinteur se tourna vers lui dans un sursaut.
— Quoi, pourquoi tu me regardes comme ça ?!
— Rien.
Si tu savais.
Là où ce nain commença à marmonner dans sa barbe inexistante, lui reprit son visionnage, assis sur son futon. Tous venaient de dîner, et une bonne moitié d'entre eux se retrouvait dans leur dortoir aux nombreux matelas et aux fenêtres de simple vitrage. La lumière des lampes se reflétait avec peu de délicatesse sur les murs blancs.
Daichi, Asahi et Sugawara venaient de partir sur le balcon. Il avait aussi vu Tanaka s'éclipser où savait-il. Shimizu restait avec Yachi ; Kageyama se chamaillait avec Hinata ; Nishinoya, Ennoshita et Yamaguchi parlaient de leur côté.
Celui-ci se leva alors et se dirigea vers Tsukishima. L'écran de son téléphone était toujours allumé sur une discussion aléatoire... Avec des émoticônes partout ? nota-t-il. Lui aussi est un féru des ASCII ?
Le pauvre s'était pris le matin même une trentaine de messages de la part d'Eigishi. À défaut de laisser Yamaguchi les dérouler sous ses yeux, l'adolescente avait directement envoyé des captures d'écran. Et elle n'avait pas chômé, entre les « merde », « wtf ? », « mais c'est badass ?! », « oh non non non » et « ce contre est épique !! ». Elle semblait avoir tout balancé à chaud durant l'entièreté du match – avec une coupure lors du climax de fin.
Eigishi-san peut visiblement être bavarde, mais reste efficace. Cela dit, Yamaguchi a l'air mal à l'aise depuis. Je n'aurais peut-être pas dû lui demander un truc pareil. Pourquoi lui avoir délégué une tâche aussi ridicule ? Car j'ai voulu fuir ?
— Eigishi-san ne vient pas ? s'étonna-t-il tout bas en arrivant à sa hauteur.
Tsukishima coupa la vidéo de ce français taré pour relire les SMS de la lycéenne.
« Tsundere, 19:02 : On est enfin arrivées
Ayaka veut manger poulet frit, tu serais dispo vers quand ?
Moi, 19:17 : Avant 21h. »
Et vingt heures quinze avaient sonné. Toujours pas de nouvelles : il oscillait entre la résignation, la déception, et une longue attente mêlée à de la patience.
— Pas encore, commença-t-il...
... pour entrouvrir les lèvres. « Eigishi-san » ? Yamaguchi avait légèrement dévié son écran, mais ce nom n'avait pas échappé au central. Ils ont fait ami-ami depuis ? Cette bataille d'emojis est... surprenante. Le brun s'amusait certes parfois, mais leurs SMS semblaient avoir été envoyés à la seconde près.
Tant mieux. Si je dois lui dire quoi que ce soit, je n'aurai pas à présenter le côté complètement aléatoire d'Eigishi-san. Mais au lieu d'afficher un air détendu, son ami d'enfance se raidit un bref instant. Tsukishima fronça légèrement les sourcils.
— Oui ?
— Oh, rien ! Ça me surprend juste qu'elle n'ait pas encore... genre, montré sa tête, ou...
Il est particulièrement anxieux. Et ce n'est pas lié au match de demain.
— Je veux dire, rit-il avec nervosité, en tant que camarade de collège, la recroiser une petite minute aurait été... ouais.
— Tu es intéressé ? railla Tsukishima.
Les joues de Yamaguchi rosirent d'un coup.
— Quoi ?! Non !
En effet, il n'est pas « intéressé ». Bah, même si c'était le cas... ça ne me regarde pas. Et pourtant, un poids s'était ôté de ses épaules. Le ton de l'adolescent transpirait l'honnêteté : la seule chose titillant désormais Tsukishima, c'était pourquoi il se comportait comme ça.
— Tu pourras venir si tu veux...
— Je pense regarder les vidéos du coach Ukai, le coupa derechef Yamaguchi. Autant que vous deux vous retrouviez seuls...
Et ce fut tout.
Son silence valut tout les mots du monde. Tsukishima resta pantois ; l'autre se pinça l'arête du nez, les dents serrées. Il a vraiment tout compris. De A à Z.
Mais quoi d'autre ? Si tout le monde prenait Eigishi pour sa cousine, Yamaguchi savait que c'était une couverture pour éviter la surexcitation insupportable de Tanaka, Nishinoya et compagnie. Les deux amis d'enfance avaient parlé plusieurs fois de la chimiste en herbe, jusqu'à toucher le sujet « je suis incompétent face à ses problèmes ». Il avait fait part de son sentiment d'inutilité et sa frustration, peut-être même trahi d'autres infimes choses.
Or, ils se connaissaient depuis la primaire. Comment j'ai pu encore douter qu'il ne voyait rien ? Tout devait être trivial, pour lui.
— Argh, se maudit Yamaguchi, je suis désolé... !
— Dans ce cas, n'en fais pas tout un plat.
L'intéressé se frotta la nuque, peu à l'aise.
— Ce n'est pas prévu. Mais si tu as besoin d'aide, je veux dire, pour te couvrir ou quoi, car Tanaka et cætera seraient sur ton dos s'ils savaient...
Tsukishima dévia le regard. En parler est encore plus embarrassant que ce que je pensais, mais à la fois moins compliqué. Il ne sait pas où j'en suis avec Eigishi-san, et je sais qu'il n'insistera pas s'il me pose la question. Toute cette histoire, je dois la gérer seul. Mais ça ne veut pas dire refuser des coups de main.
— Je te fais confiance, répondit-il simplement.
Yamaguchi afficha un grand sourire et ouvrit de nouveau la bouche. L'écran du smartphone de l'autre s'alluma au même instant.
« Tsundere, 20:27 : C'est où, déjà ? Je suis paumée ಥ_ಥ »
— Je vais faire un tour dehors, annonça-t-il à mi-voix en se levant.
— Oh, je peux venir ? s'exclama Nishinoya. J'ai aussi besoin de prendre l'air...
Il le gratifia d'une expression blasée.
— Nishinoya-san, s'étonna Yamaguchi, tu ne voulais pas voir la suite de ta vidéo ?
Leur libéro s'immobilisa tel le simplet qu'il pouvait être – puis se souvint que oui, il était occupé à autre chose. Ainsi Tsukishima sortit-il seul de leur auberge.
La nuit de Tokyo l'accueillit dès son premier pas dehors : un air glacial lui mordit les os, et le silence de l'allée d'en face renforça encore cet hiver qui en aurait frigorifié plus d'un. Il sortit son téléphone de ses mains engourdies.
« Tsundere, 20:32 : Il fait super froid, help
Moi, 20:34 : On loge à la « Villa des Geais », je viens de sortir
Tsundere, 20:34 : Je suis dans une rue avec un hôtel couleur brique qui est plutôt haut. On s'appelle, ou j'utilise Maps ? »
Les voix de Daichi, Asahi et Sugawara s'élevèrent du balcon : il s'éloigna hors de leur vue. Sa gorge commençait à se nouer, alors même qu'ils s'étaient vus plusieurs fois durant les vacances d'hiver. Était-ce car leur dernière entrevue datait du vingt-huit décembre et s'était finie sur un fichu « je t'aime » particulièrement perturbant ?
Oui.
« Moi, 20:35 : Il y a un « hôtel couleur brique qui est plutôt haut » juste à côté de moi. Ça ne serait pas celui-ci ?
Tsundere, 20:35 : (●_●) »
Une silhouette attira l'œil de Tsukishima. Quelqu'un dans un lourd manteau, avec une écharpe, dont la queue-de-cheval bien ordonnée se balançait au rythme de sa marche, et téléphone en main...
Elle sursauta ensuite et le pointa du doigt dans un hoquet.
— No way !
— Yes way, soupira-t-il.
Eigishi pouffa brièvement. Après s'être approché d'elle les mains dans les poches, ils dévièrent hors de la vue des joueurs de Karasuno, entre des voitures, quelques bancs et un muret humide.
Une fois à sa hauteur, elle l'étudia avec confusion. Les lampadaires éclairaient la moitié de sa face en triangle, mais ses petits iris ambre continuaient de briller dans la pénombre.
— ... Quelque chose ne va pas ? demanda-t-elle, les paupières battantes.
De longues secondes sonnèrent aux oreilles de l'adolescent avant que son cerveau s'active de nouveau. S'il avait un problème, c'était aussi le cas pour elle, à le fixer comme ça.
— Je te retourne la question.
— Ah ! Eh bien, j'avais oublié que tu étais grand. Aussi, bonsoir. Et bravo pour le premier round, même si j'étais à peu près sûre que vous alliez gagner.
Elle agrippa l'une des mèches brunes encadrant sa face.
— Mais grands Dieux, j'ai frôlé l'infarctus plusieurs fois. Vous êtes tarés, ce que j'ai certes déjà dit...
— Espérons que tu survives demain, brocarda-t-il.
— Yes, ce premier visionnage m'a vaccinée ! Cela dit...
Il fronça les sourcils quand un air songeur modela les traits d'Eigishi.
— Voir l'autre directement dans les gradins sera une autre histoire. Il y aura certes ma sœur...
— Tu as déjà vu celui contre Shiratorizawa.
Elle secoua l'air d'une main.
— C'était très différent. Je révisais ma chimie en haut, avoua-t-elle en riant. Les seuls moments où je me suis réveillée, c'est quand votre libéro a ramassé les services d'Ushijima-san, que Kageyama-san et Hinata-san ont fait leur attaque de fou, et que tu as embêté puis bloqué le champion de notre école.
Un sourire clair illumina son visage.
— Tout le monde s'était mis à crier, alors je me suis levée et je t'ai vu crier aussi. Je me suis dit « mais c'est un malade ! ».
Tsukishima se figea à l'entente de son conte enjoué. Il se souvint de la frappe douloureuse d'Ushijima, de la brûlure du choc sur sa paume. Il se revit lever le poing, s'entendit de nouveau se lâcher ainsi pour la première fois de sa vie. Il ressentit ses cordes vocales le brûler puis le regret ayant immédiatement suivi quand Tanaka et Nishinoya lui avaient sauté dessus.
— Tu n'aurais pas dû arrêter de réviser pour ça.
— Honnêtement, n'importe-qui aurait fait ça.
— Merci.
— Hein ?
Il haussa les épaules.
— D'avoir lâché ta chimie un bref instant.
— Sur le moment, réfléchit-elle, j'étais vraiment dans le feu de l'action, et...
Et elle retint un sursaut. Ses prunelles se plantèrent de nouveau dans celles du lycéen : les muscles de celui-ci se raidirent. Il maudit son pouls s'affolant, ses joues un poil chauffantes, les efforts qu'il dut fournir pour garder une respiration normale.
Car Eigishi affichait la même tête que lorsqu'elle lui avait jeté « je t'aime » à la face. Lui n'avait toujours rien répondu. Mais plus d'une semaine plus tard, est-ce que ça importait toujours ? Sa « réponse » sortirait de nulle-part.
Alors il ravala toute phrase compromettante – à l'opposé de la jeune fille, qui se frotta le front en serrant les dents.
— Bon sang, marmonna-t-elle. En venant, j'avais plein de trucs à dire, mais je ne peux plus rien sortir !
— Tu n'es plus à ça près, commenta-t-il, le regard fuyant.
— Oui, mais non ! Argh, je suis désolée...
Non. C'est à moi de m'excuser. Tu gères cette « situation » depuis le début. Tu donnes beaucoup. Je devrais te rendre la pareille.
— J'ai un pressentiment étrange.
Les paroles d'Eigishi coupèrent son fil de pensées.
— Comme si les choses se passaient vraiment bien, expliqua-t-elle. Ça ne m'est pas arrivée depuis un moment, et ça fait vraiment bizarre. Je l'ai dit à ma sœur sur la route...
Tsukishima resta silencieux. Si parfois, la façon de réfléchir d'Eigishi lui échappait, il saisissait ce qu'elle voulait dire par là. Elle avait été entourée de personnes toxiques puis s'était retrouvée seule. Elle s'était faite jeter de son groupe de chimie et avait été obligée de s'excuser auprès de tous les contacts de son téléphone volé. Elle avait subi la pression d'un groupe d'étudiants, puis avait manqué de se faire...
Frapper et kidnapper.
Son cœur se contracta, ses dents se serrèrent malgré lui. Pas par inquiétude : on avait mis Tsukamura derrière les barreaux, et plus personne ne traquait Eigishi. Désormais, il ressentait le besoin de compter sur Akiteru et Ayaka Eigishi afin de préserver la lycéenne.
Si autre chose devait se passer, je dois laisser sa famille faire le travail. Sinon, je me mettrais en danger, je la mettrais en danger aussi : ça, c'est clair comme de l'eau de roche. Mais d'après Yamaguchi, je l'aiderais déjà « à ma façon ». Il coula un regard à la jeune fille. Vraiment ?
— Tsukishima-kun, tu te sens plus éloigné de moi qu'avant ? demanda-t-elle de but en blanc.
Timbre bas, mais au calme – pour une unique fois – faussé. Néanmoins, elle ne cachait pas la façon dont elle se grattait les ongles.
— Non.
Elle baissa le menton, il posa son regard ailleurs. La rue était vide ; le grondement des voitures, lointain. Ils se retrouvaient seuls ici depuis le début, et un mutisme tendu commençait à s'installer entre eux. Eigishi était souvent parvenue à briser ces ambiances frôlant le malaise, mais ce soir-ci, elle semblait ne pas en avoir la force.
Tsukishima non plus ne savait ni quoi faire, ni quoi dire. Cependant, « je vais rentrer » sonnait comme la pire phrase qu'il pourrait sortir. Je bloque juste, et je n'aime pas ça. Et après ces vacances complètement aléatoires, je ne peux pas continuer comme ça.
— Eigishi-san.
Elle leva de nouveau ses yeux sur lui ; lui continua de regarder plus loin. Sa voix, aussi basse était-elle, avait brisé ce silence en mille morceaux. Il ferma un très bref instant les paupières, puis se frotta le bras avec discrétion.
— Tu me permettrais de prendre à mon tour les devants ? posa-t-il.
— Oui.
Il contracta ses doigts sur la manche de sa veste de sport. De longues secondes, voire une bonne minute peut-être, ponctuèrent la répondre d'Eigishi. Elle attendait juste, à l'écoute, sans le moindre signe d'impatience. Et pendant ce temps, Tsukishima ne trouvait rien à ajouter.
À quoi avait servi cette question, s'il restait ensuite inactif ? Il allait bientôt devoir repartir à l'auberge. Il n'allait plus voir la lycéenne avant un moment. Elle le savait. Mais elle pourrait attendre pendant une heure.
Il laissa échapper un soupir aussi court que discret, et se tourna légèrement vers elle. Les petits iris d'Eigishi ne flanchèrent pas – et pour une fois, ceux de Tsukishima non plus. Un autre laps de temps plus tard, elle hocha très légèrement la tête.
Après ces quelques semaines, il était sûr d'une chose : Eigishi commençait à moins lui échapper. Ambitieuse mais dotée d'une confiance en soi misérable. Calme et polie, tout en sortant des fusils en pleine conversation virtuelle. Dotée d'une intelligence qu'elle s'était probablement construite, sans fierté toxique malgré ses notes au niveau affolant. Franche. Logique. Simple. Patiente. Par moment, complètement aléatoire.
Pourtant, au milieu de tout ça, elle se considérait comme un « désastre », se maudissait de tous les noms et s'excusait au moindre problème. Quand est-ce que j'ai commencé à aimer une fille comme elle ? Depuis quand mes sentiments sont réciproques ?
Et là cessèrent ses pensées. Car à l'instant où leurs lèvres se nouèrent, son esprit s'éteignit pour de bon.
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