Chapitre 24 - J-4
2 janvier 2013 – J-4
« Tsundere, 8:02 : Je suppose que ta mère est partie au travail
Navrée de te contacter aussi tôt, mais j'ai deux-trois nouvelles. Notamment, je peux venir à Tokyo dimanche »
Toujours embourbé par la sonnerie de son réveil, Tsukishima resta coi.
Eigishi, gradins, dimanche ? Elle l'avait prévenu qu'elle allait venir samedi, et arriver de préférence vendredi soir. Cette organisation aurait probablement été la plus optimisée pour elle. Les matchs commençaient tôt, et la route de Sendai à Tokyo était sacrément longue. Comptait-elle partir au beau milieu de la nuit ? Elle va s'endormir face au match, si elle fait ça.
« Moi, 8:58 : Évite de te faire remarquer. On a deux bestiaux, dans l'équipe.
Tsundere, 8:58 : T'inquiète, je fais un mètre soixante ヽ('▽')/ »
Il esquissa un très bref sourire, puis se leva en s'étirant. La lumière du petit matin dérangea ses mirettes, un bâillement agressa son visage, son portable vibra, il posa deux yeux curieux sur le message d'Eigishi, il se raidit d'un coup de pied en cap.
« Tsundere, 9:00 : Un peu moins drôle, mais on a eu des nouvelles de la police hier. Dis-moi si tu souhaites que je t'appelle »
Sans blague ?! L'adolescent jeta son smartphone sur son matelas, changea rapidement d'habits, le reprit à la volée et se planta sur sa chaise de bureau.
« Moi, 9:01 : Quand ?
Tsundere, 9:01 : Le temps que tu émerges ? Je ne vais pas te déranger dès le réveil »
Tu me regardes par la fenêtre, ou quoi ?! Mais lorsqu'il rédigea une réponse, elle lui coupa l'herbe sous le pied : « Il n'y a pas mort d'homme, c'est juste mes parents, des nouvelles mesures, etc ». SMS n'attendant aucune réponse spéciale ; pire, Eigishi l'invitait à bien s'installer avant de pouvoir l'appeler. Comment devait-il prendre l'efficacité de cette phrase ? Eigishi-san rime avec logique et franchise, se rappela-t-il. Donc si elle dit que ce n'est pas si urgent, c'est vraiment le cas.
Pourtant, cette urgence, il la sentait mordiller ses nerfs à petit feu.
Il retourna dans sa chambre une petite demi-heure plus tard. Il le savait, au fond de lui : ça ne sentait pas bon. Qu'avait rapporté la police, quelles étaient les « mesures » prises par ses parents ?
— Allô, marmotta-t-elle d'un timbre fatigué.
— Tu n'as pas l'air plus en forme que moi, brocarda-t-il. « Attendre que j'émerge », c'est ça ?
— Chacun son rythme.
Les sourcils de Tsukishima se haussèrent à l'entente de son grognement. Il s'appuya sur le dossier de son fauteuil avec plus de calme. Sa main s'était légèrement crispée sur son portable ; elle se détendait désormais, peut-être car Eigishi ne semblait pas perturbée le moins du monde.
— Donc ?
— Tsukamura-san est derrière les barreaux.
Direct en détention – comment ça, y a pas mort d'homme ?!
— Du coup, je ne risque plus rien.
— Qu'est-ce qu'il a fait, exactement ?! C'est pas normal, de se faire enfermer aussi vite !
— Mes parents sont restés flous, expliqua-t-elle. Ils ont dit qu'il avait « avoué les faits », c'est-à-dire avoir en effet voulu me kidnapper. Je suis vraiment dé...
— Ce n'est pas à toi de t'excuser, s'exaspéra-t-il, sous tension.
Rire nerveux, à l'autre bout du fil. Le lycéen en profita pour souffler en silence. Elle n'avait rien demandé, faire preuve d'irritation était immature. C'était elle, la victime. Elle n'avait jamais demandé de se faire menacer par un taré.
Cette scène était gravée dans sa mémoire : Tsukamura qui tentait de lui mettre un pain, Eigishi s'étant interposée, la jouxte verbale puis physique entre eux, l'arrivée du coach Ukai et des gendarmes. Mais maintenant, elle est en sécurité. Je vais pas m'emballer comme ça.
— Tes parents t'ont donnée d'autres détails ? demanda-t-il avec plus de sérénité.
— Mmh... J'ai dû leur poser des questions pour avoir d'autres infos. Tout d'abord, mon père a menti : il a dit que lui et ma mère ne savaient pas quelle peine Tsukamura allait avoir. Ensuite, il a affirmé que je n'allais plus jamais le recroiser : là, il disait la vérité.
— Tu es quoi, un détecteur de mensonges ?
— Je les connais bien, l'entendit-il sourire. Et enfin, il n'a pas de complices.
Si son ton allégé l'avait déjà rassuré, cette dernière information balaya une bonne partie de son inquiétude. Il planta ses coudes sur son bureau dans un très long soupir. Il n'imaginait pas la peur dont souffrait Eigishi ; peut-être la cachait-elle même derrière son amabilité et sa sympathie. Non, pour sûr.
— Et toi, ton état ?
— Hein, moi ?
— Oui, lâcha-t-il, tu es au centre de ce bazar.
— Certes... Je fais deux-trois cauchemars et je n'oserai pas sortir dehors seule pendant un moment, mais sinon, je suis bien.
— Ça ne ressemble pas à un « ça va ».
— Soit. Je flippe ma race.
Sa franchise soudaine le stupéfia. Il baissa le menton, et déglutit avec difficulté dans l'espoir de dénouer sa gorge.
— Je me dis que si ça se trouve, d'autres gens me visent, se mit-elle à déballer. À l'université où j'ai participé à cette conf', chez des connaissances de Tsukamura-san, au lycée...
Au lycée ?
— Quelques étudiants dans le supérieur ont tenté de me rabaisser car ils n'aimaient pas mes notes et mon investissement. Mais ils sont peu, pourquoi je me plains... ? Et des gens m'aident, je n'ai pas le droit de chipoter. C'est ultra rare, les tentatives de kidnapping, ça n'arrive qu'une fois. Alors je n'ai pas à m'inquiéter, je me fais juste des films. Désolée, rit-elle nerveusement.
— Tu as un entourage impliqué. La police aussi.
— Je n'ai pas grand-monde autour de moi, mais certes.
Tsukishima se frotta le front. Un joli mal de crâne commençait à ronger ses tempes.
— Et à Shiratorizawa ? Des personnes peuvent te raccompagner chez toi ?
— Je n'ai pas d'amis, que des connaissances : je ne veux pas les traîner là-dedans. Rien que t'impliquer dans ce désastre..., s'étrangla-t-elle.
— C'est moi qui y ai mis les pieds.
— Et je n'ai pas à penser à ta place, compléta-t-elle, tout comme tu l'as dit.
Petit sourire, suivi d'un profond sérieux.
— D'ailleurs, tes parents ?
— Ah, ça...
Eigishi lui expliqua leur couvre-feu de vingt heures à six heures et l'interdiction de sortir seule, la seule exception étant pour se rendre au lycée. C'était de bonnes mesures en attendant que la situation se calme pour de bon. Mais elles ne parviennent pas à rassurer Eigishi-san. Tsukishima posa son menton dans sa paume ; ses yeux traînèrent sur ses figurines de dinosaures sans les voir.
— Et tu veux quand même venir à Tokyo ?
— Oui.
Timbre tranchant, décidé. Le jeune garçon battit des cils avec surprise. Malgré son « je flippe ma race », elle se bornait à aller voir les Nationales ?
Elle pouvait les regarder à la télévision. Elle n'aurait pas à se mettre en danger en se déplaçant jusqu'à la capitale. Son absence le décevrait certes, au fond ; mais le contexte l'enveloppant contrebalançait toute pointe d'amertume. La sécurité d'Eigishi devait primer sur tout le reste. Et sa famille est d'accord pour qu'elle se déplace ?
— Tes parents t'ont vraiment donnée feu vert ?
— Ma mère a parlé de notes et de classement, avoua-t-elle.
Eigishi ne voyait pas du tout le problème.
— Et je ne comprends pas pourquoi.
Et cette fois-ci, Tsukishima non plus.
— La discussion était normale : j'ai dit quelque chose comme « Huit heures trente. Si nous prenons le train, il faudra partir à six heures au plus tard. Avec la voiture, deux heures du matin. Je suppose que c'est compromis ».
Est-ce que tu viens de te citer ? C'est quoi, cette précision ?!
— Et elle a répondu « Quel a été ton score, aux examens de décembre ? », donc je lui ai donnée mes notes. Si c'est pour me récompenser, c'est fichu : j'ai perdu trois places.
— Ça dépend de ton dernier classement.
Malgré sa voix neutre, Tsukishima commençait à sérieusement froncer les sourcils. J'aimerais bien savoir à quoi ressemble son bulletin. Cela dit, c'est peut-être indiscret de lui demander ça directement. Mais passer par des combines ridicules, je ne...
— Quatrième, soupira-t-elle, donc je ne suis plus dans le top trois.
Il s'étrangla derechef avec sa salive ; l'adolescente poussa une exclamation surprise tandis qu'il se frappait le torse, les yeux écarquillés.
— Tsukishima-kun ? Ça...
L'intéressé posa son téléphone avant d'entendre la suite ; il reprit sa respiration avec labeur puis posa ses doigts sur ses tempes. Il se retrouvait sur le cul. Quatrième à Shiratorizawa, ce lycée ridiculement réputé. Désormais, connaître les résultats de cette fille le terrorisait. Il avait une fichue élite à l'autre bout du fil. Non, non, cette fichue élite, il échangeait avec elle tous les jours. Pire, elle s'était bien trop rapprochée de lui...
« Je t'aime. »
Coup fatal. La voix feutrée d'Eigishi l'assomma pour de bon ; son pouls s'affola dans un mélange de confusion et d'embarras. Voici qu'il ne savait plus où donner de la tête, entre « je ne lui ai pas répondu », « c'était beaucoup trop franc » et autre « elle perd son temps avec moi ».
Bon, se força-t-il. Tout d'abord, je vais me calmer. Ensuite, reprendre cet appel avant qu'Eigishi-san appelle les secours. Enfin, prier pour que notre discussion ne me mène pas à connaître les détails de son bulletin. Car à se stade, il n'allait presque plus rien contrôler de leur échange. Espérer qu'Eigishi ne se vante pas était la seule chose à laquelle se raccrocher.
Il prit une grande inspiration, reprit son téléphone, « je ne suis plus dans le top trois », le reposa avec vivacité. Elle a dit ça avec déception, ce n'était même pas de la fausse modestie. Donc ses notes, elle pourrait les balancer sans se douter que même mon ego en prendrait un coup. Puis, il l'entendit parler plus fort : son sang se glaça dans ses veines. Il rattrapa son smartphone dans un mélange d'urgence et de panique.
— J'appelle le...
— Oui, allô, posa-t-il.
Son cerveau carbura ensuite pour trouver une excuse ; Eigishi intervint avant lui.
— Oh, tu vas bien. Tu m'as fait peur, grogna-t-elle.
Il plaqua une main sur son front. Et elle avait un ton normal ? Elle n'allait jamais cesser de le stupéfier. Quatrième à Shiratorizawa, « je t'aime », sa propre incapacité à réagir en bonne et due forme. Oui. Elle perdait réellement son temps. Quelqu'un de la plèbe comme lui n'avait rien à faire aux côté d'un tel cerveau sur pattes.
Nul doute qu'elle se citait avec précision, récitait sans difficulté aucune les configurations d'éléments chimiques, donnait des fichues conférences de chimie, jurait par la logique : elle était douée d'un intellect hors norme. Hinata version cerveau...
D'où pouvait-il se considérer comme son égal ? Je suis déjà crevé par cette histoire. Tout ça à cause d'un classement. C'est ridicule.
— Désolé. Je suppose que ta mère va t'offrir ton escapade à Tokyo. Cela dit, nos matchs ne sont pas aussi importants que ça, ils ne valent pas de se faire une frayeur en sortant de Sendai.
— Donc, tu préfères que je ne vienne pas ?
Je n'en sais rien.
— Tu fais comme tu veux. Mais, Eigishi-san, ne mets pas la barre trop haute si tu nous regardes, railla-t-il.
Il perçut une brève inspiration, qui ne donna naissance à aucun mot. Elle avait pour sûr remarqué qu'il ironisait pour la forme, esquissé une remarque, l'avait ensuite ravalée. Peut-être que depuis le début, elle me lit comme un livre ouvert.
— Tu as mis l'accent sur mon suffixe, hésita-t-elle.
— Ton suffixe ?
— Tu as appuyé « -san ».
Ah. Ça l'importe vraiment ?
— Navré si ça t'a...
— Je me demande ce que ça donnerait, sans suffixe.
— « Eigishi » ?
— Ouah, doucement ! balbutia-t-elle. Je suis toujours pas habituée à ta transition de « tsundere » à « à peu près classique »...
— « À peu près » ? releva-t-il d'une voix blasée.
— Je détesterais te mettre dans la case « normie ».
— La quatrième des seconde de Shiratorizawa me dit vraiment ça ? brocarda-t-il.
— Ne me réduis pas à ça !
Il se raidit à ces mots... Irrités, indignés, colériques ? Non.
Apeurés.
Combien ne l'avaient associée qu'à ses notes ? Il ne réalisa qu'à cet instant qu'il s'était abaissé à un tel niveau d'irrespect. Car ces étudiants souhaitant la rayer de la concurrence pensaient de même. Et même si le ressenti de Tsukishima partait d'une base aux antipodes de la colère, elles résultaient sur une même chose : « Eigishi n'est qu'une machine ».
Depuis qu'il avait entendu ce « quatrième », il s'était enfoncé dans un fil de pensées truffé d'erreurs ridicules. Il ne s'était toujours pas débarrassé de cette résignation qui avait entravé sa motivation pour le volleyball ? Il avait réglé celle-ci, mais s'appliquait-elle désormais aux études ?
« Elle n'est qu'une machine ». Expliciter une telle insulte, ça faisait mal. Car elle lui avait démontré une belle palette de sentiments – et il n'en avait toujours pas vu les limites.
— Certes. Excuse-moi.
Au mutisme qui suivit, il imagina bien Eigishi se frotter le front ou pincer les lèvres. J'ai sacrément bien merdé.
— Dis, Tsukishima-kun, souffla-t-elle. Maintenant que j'ai lâché ça, tu me mettras l'étiquette « intello » sur le front ?
— Très peu pour moi.
— Vraiment ?
— Ça m'a juste surpris. C'est tout.
Elle respira profondément avant de reprendre la parole.
— Je te jure que je vais voir tes matchs, siffla-t-elle.
— Hein ?
— Prépare-toi à me voir dans les gradins. Je dois te laisser, car j'ai mine de rien des devoirs à finir d'ici dimanche. Donc tu t'y attends, d'accord ?!
— Ça sort d'où, ça ? laissa-t-il tomber.
— De ma profonde indignation. À plus !
— Eh, attends trois secondes !
— Je...
Toux sèche.
— Oui, non, peu importe. Je raccroche, je te dis à plus tard.
Elle coupa ainsi leur appel ; lui resta interdit un bon moment. Un rire nerveux avait ponctué cette dernière phrase.
D'une, elle avait toujours peur de Tsukamura. De deux, elle tenait tout de même à venir. De trois, elle avait bien montré qu'elle détestait ces « Eigishi égale bonnes notes ». De quatre, elle avait hésité sur que savait-il.
Il se retrouva d'autant plus paumé qu'avant. À ce stade, la comprendre était une cause perdue. Je vais juste... je ne sais pas. Elle va faire de la chimie, je suppose... Il jeta une œillade à l'extérieur. Toujours pris de court, mais moins enchaîné par son ébahissement. « Prépare-toi à me voir dans les gradins » : ça couplé aux souvenirs du dernier tournoi le poussèrent droit vers ses baskets.
Moi aussi, j'ai un but à atteindre.
***
Tokyo, 4 janvier 2013 – J-2
— Tout le monde, on est arrivés ! s'éleva la voix du professeur Takeda.
Tsukishima se réveilla en grommelant. Le froid de l'hiver le saisit d'abord. La vue de leur hébergement simplissime l'attira ensuite – là-dedans, il devait faire bien plus chaud. Enfin, il jeta un rapide coup d'œil à son écran de téléphone et retint un sourire.
« Tsundere, 8:01 : Je ne peux venir que dimanche, donc essayez de gagner ce round-ci.
Let's go ԅ(≖‿≖ԅ) »
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