Chapitre 21 - Dernier aveu

L'envoyeur du premier message était trivial : Ayaka Eigishi. Comment avait-elle déniché son numéro ? Et celui de Yamaguchi, pour couronner le tout... Elle a fouillé le téléphone d'Eigishi-san ?

Nishinoya, il n'en eut cure ; Kageyama, il se contenta de lui envoyer son adresse avec un « fais vite » tout gentil tout beau. Et vint Eigishi même. Quelle « pièce jointe » avait-elle balancé, encore ? Pas le moindre commentaire ne l'agrémentait : devait-il en être rassuré, ou s'en inquiéter sérieusement ? Avec elle, tout pouvait arriver.

Il attendit donc d'avoir pris sa douche et de s'être bien installé dans sa chambre pour se charger de cette affaire-ci. Une image, remarqua-t-il en ouvrant leur discussion. Une image d'un format différent qu'habituellement, pour que sa messagerie l'ait prise comme une « pièce jointe » bien plus générale. Il anticipa un potentiel inconnu lui ayant piqué son téléphone, ou la face irritée et pseudo-menaçante d'une Ayaka visiblement bien intrusive, ou même un chat mort.

Mais dès que le fichier chargea, un mélange de déception et d'incompréhension le picota. Eigishi lui avait juste balancé la photo d'un jeune homme rondouillard habillé d'une chemise hawaïenne. Sur son visage plein à la barbe bancale s'inscrivait une sourde rage.

« Moi, 16:00 : ... C'est quoi ?

Tsundere, 16:00 : Le youtuber français dont je t'ai parlé ! Regarde, j'ai commencé à sous-titrer. »

Il plissa les paupières ; en effet, des caractères japonais défilaient en bas de l'écran.

« Tsundere, 16:01 : C'est assez lisible ? (ง '̀͜ '́ )ง

Moi, 16:02 : (°_,°)b

Tsundere, 16:02 : Thumbs up ?! (°□°)

Moi, 16:03 : Elle fait plus de 17 minutes, ça prend du temps ?

Tsundere, 16:03 : T'inquiète pas pour ça, c'est plus facile qu'on pense ! »

Il en doutait, mais on ne lui laissa pas le temps de répondre.

« Kageyama, 16:03 : Ne me prends pas pour un idiot. »

« Inconnu, 16:04 : Eh, tu vas répondre ?! »

Kageyama, tu es un idiot – et sa sœur, qu'est-ce qu'elle fait avec mon numéro, déjà ?

« Moi, 16:05 : Au fait, ta sœur m'a contacté.

Tsundere, 16:09 : Quoi ? Comment ?!

Moi, 16:10 : Je ne sais pas. Elle aurait aussi envoyé un SMS à Yamaguchi. Elle a fouiné dans tes contacts ?

Tsundere, 16:11 : Très certainement... cette idiote ! Je suis désolée, j'espère que ça ira. Je lui en dis un mot ?

Moi, 16:12 : Comme tu veux. Je ne lui répondrai certainement pas. »

Suivit une absence de quinze bonnes minutes. Tsukishima la passa à faire tourner son ballon de volleyball sur son doigt, l'œil fixé sur ses figurines de dinosaures. Ses jambes souffraient encore de quelques courbatures de sa vraie course post-Noël. Sa mère n'avait pas dû le rater. Alors, comment prétexter une seconde sortie avant qu'Eigishi ne parte ?

« Tsundere, 16:30 : Je suis vraiment, vraiment désolée. On dirait qu'elle a recontacté Akiteru. Et elle va aussi embêter Yamaguchi... ! Pardon, vraiment.

Moi, 16:31 : Tu n'y es pas pour grand-chose.

Tsundere, 16:32 : o(╥﹏╥)o

Tsundere, 16:33 : Je dois te laisser. Tiens-moi au courant pour la prochaine fois. Je mets un mot de passe sur mon téléphone.

Tsundere, 16:33 : À plus ! (  ̄▽ ̄)/ »

Ces émoticônes, il les imaginait trop bien sur le visage tout pointu de Kana. Un léger sourire étira brièvement ses lèvres, pour s'évanouir juste après lui avoir répondu. Vraiment, comment allait-il s'arranger pour qu'ils se croisent une dernière fois ? Ce casse-tête lui démangea les neurones un bon moment – de la fin d'après-midi à son dîner, en passant par les révisions des cours qu'il allait manquer durant les Nationales.

Sa mère ne semblait toujours pas fine, et Akiteru se cachait derrière un mutisme total. Tout s'opposait à une entre-vue avec Eigishi – le lycéen en arriva à croire que pour l'instant, c'était une cause perdue.

Puis à l'instant où il se leva de table, Sachiko posa deux yeux acérés sur lui.

— Au lieu de faire de la course, va donc voir des amis.

Il ne comprit ni l'origine, ni les motifs de cette phrase. Si elle souhaitait qu'il s'aère, elle l'aurait dit d'un ton moins tranchant – elle avait là semblé se faire violence, à sortir ces mots du bout des lèvres. Et puisqu'il n'avait pas la moindre idée de ce qui lui passait par la tête, il se contenta de prendre ses paroles au pied de la lettre. Il remonta dans sa chambre sans rien dire et sortit de nouveau son téléphone.

« Moi, 20:03 : Après-demain, si ça te va, je t'attendrai derrière le parc. »

***

28 décembre – J-9

« Derrière le parc. » Que voulait-il dire par « derrière le parc » ? Car il y avait bien des façons d'accéder au parc : en passant par la ruelle du poste-relai, on arrivait face au parc ; en faisant un détour, à l'est du parc ; en enfin, en marchant encore derrière, dans un fichu bois longeant le parc. Eigishi ne comprenait pas où était ce fichu « derrière le parc ».

Elle tournait en rond depuis vingt bonnes minutes, à retourner sa cervelle engourdie par l'anxiété et le froid.

Grands Dieux, Ayaka m'a déjà retenue pendant plus d'un quart d'heure ; j'ai au moins trente minutes de retard ! S'il se barre, je le comprendrais bien, tiens ! Ah, que ce monde aille au diable – c'est bien la dernière fois avant bien longtemps qu'on peut se voir, je vais devoir lui annoncer ça, et voilà que je me paume dans ce bourg de mes...

« Deux », mais son portable sonna avant qu'elle ne finisse de jurer. Elle le sortit de sa poche en grommelant, pour se raidir dans l'instant, la gorge serrée. Tsukishima, bien entendu : elle décrocha donc en déglutissant.

— Bonjour, posa-t-elle. Je suis vraiment navrée pour mon retard. Je ne comprends pas où est l'arrière du parc.

Tu es donc vivante ? Tu as juste à traverser le bac à sable.

— ... Je n'avais pas pensé à ça, songea-t-elle. Désolée, j'arrive.

Ainsi raccrochèrent-ils en chœur. En effet, retrouver « l'arrière du parc » s'avéra bien plus simple que ce à quoi elle s'était attendue. Quelle idiote, de ne pas avoir pensé à un trajet aussi court et direct.

Repérer la grande perche qu'était Tsukishima ne s'avéra pas plus compliqué. Elle le rejoignit donc au milieu des quelques arbres longeant l'espace couvert d'une fine couche blanche, puis le salua d'un acquiescement.

— Ça ne ressemble pas beaucoup à « derrière le parc »..., hésita-t-elle ensuite.

Il remonta son écharpe noire au niveau de son menton, puis fourra ses mains dans les poches de son épais manteau beige. Ses prunelles, après avoir brièvement regardé la rue d'où elle était venue, se baissèrent enfin sur elle.

— J'ai peut-être été un peu trop concis. Fais gaffe si tu t'appuies contre un tronc, railla-t-il ensuite, tu vas encore te prendre de la neige dans la face.

Elle étudia les ramures au-dessus d'eux ; le lycéen s'était installé derrière les seules toujours à nu.

— Tu as pris la seule place sans risque, fit-elle remarquer.

— J'ai attendu une demi-heure, je n'avais pas envie d'attraper froid.

C'est vrai, paniqua-t-elle, il a poireauté bien trop longtemps ! Mais alors qu'elle s'apprêtait à s'incliner, il la saisit par les épaules, se détacha de son cher arbre et l'y campa à sa place. Là-dessus, il recula d'un pas, un sourcil haussé.

— Tu allais encore t'excuser ? Tu vas avoir une scoliose à force de te pencher ; il serait dommage de mettre feu à un labo à cause d'une crampe au dos, railla-t-il.

Une crampe ? Elle y réfléchit un instant, l'œil plissé.

— Non, je ne pense pas que les scolioses fonctionnent comme ça.

Il la dévisagea un instant avec surprise, puis se pinça l'arête du nez.

— C'était un trait d'humour, exhala-t-il. Du reste, aujourd'hui, ma mère m'a plus ou moins donné une heure limite à ma « sortie ». Donc je dois décamper dans une demie-heure, et...

Et il cligna de l'œil avec confusion lorsque les traits d'Eigishi se décomposèrent.

— Quoi, tu as vu un fantôme ? Tu manques de sommeil ? Je veux dire, tu ressembles à un panda, avec tes cernes.

— Je suis censée rentrer demain, murmura-t-elle.

Tsukishima se tut à ces mots, la bouche entrouverte. Eigishi ne le connaissait pas encore assez. Elle ne sut s'il était déçu, agacé, simplement surpris, ou s'il n'allait rien en avoir à faire. Alors, elle cacha ses propres doutes derrière un sourire nerveux.

— Ce n'était pas prévu..., commença-t-elle, incertaine. Mais mes parents souhaitent être avec nous pour le nouvel an, et s'inquiètent pour moi à cause de cette affaire avec Tsukamura-san. Je suppose que mon oncle et ma tante ont rapporté que je sortais plus souvent que d'habitude. Sans parler de ma sœur qui a fouiné sur mon téléphone. Je suis désolée, les choses repartent dans tous les sens...

— Je n'aurais pu te voir qu'une seule fois de plus, fit-il alors remarquer.

Elle releva la tête vers lui ; il détournait la sienne, à fixer l'antique balançoire grinçante de l'aire pour enfants.

— Et ce n'est pas la fin du monde, brocarda-t-il, mi-figue mi-raisin. Tant que je reçois la vidéo de ce vieux hawaïen fan de dinos... Oh, au fait, tu avais perdu ta carte de bus avec ton téléphone. Je vais te la rendre maintenant. Enfin, je comptais le faire aujourd'hui, dans tous les cas. Cadeau.

Il la lui tendit sans précipitation ni paresse. En effet, ça ne le chagrine pas, que je me casse aujourd'hui. Il ne s'appelle pas Kana, après tout. Elle reprit son pass là-dessus ; malgré tous ses efforts pour se détendre autant que Tsukishima, son estomac ne cessait de se nouer.

Elle n'avait rien accompli. Ce n'était pas non plus en trente petites minutes qu'elle allait faire avancer les choses entre elle et Tsukishima. Ils étaient coincés au stade de tranquilles discussions dans le froid ; si elle ne lui avait pas pris la main, il ne l'aurait certainement jamais fait. Au final, le rebutait-elle, à enchaîner les soucis et les imprévus ?

Ce n'est pas étonnant : qui supporterait une plaie comme moi ? Je suppose que l'esquisse de béguin qu'il ressent pour moi s'évaporera d'ici son départ à Tokyo. C'est venu vite, après tout. Ça repartira tout aussi rapidement. Car il l'a dit lui-même : il ne sociabilise pas à balles, et je vois qu'il se détache peu à peu de moi. Je deviendrai donc une mère à manuels de chimie, célibataire jusqu'à ma mort... Quoique, réfléchit-elle, ce n'est pas du tout l'enjeu de tout ce bazar. Je dirais plutôt que je n'ai pas envie qu'il parte.

Elle serra discrètement les poings sous la frustration ; à l'instant où elle ouvrit la bouche, quelque chose tapota le haut de son crâne. Le dos du téléphone du lycéen, réalisa-t-elle, stupéfaite. Il la dévisageait désormais d'un air blasé.

— « Ouah, quelle plaie je suis » ? traînassa-t-il. « Personne ne devrait me fréquenter », « je suis une source à problèmes » ? Va faire une sieste en rentrant, tes idées ne sont vraiment pas claires.

— Non, je me disais juste...

— ... que je vais me barrer ? lâcha-t-il. Je ne vais pas me répéter cent fois.

— Tu ne serais pas le premier, murmura-t-elle.

— Tu pourrais arrêter de déterminer à ma place ce que je veux et ne veux pas faire ?

Son timbre incisif la musela pour de bon. Elle étudia ses chaussures avec honte. Si même son manque d'assurance irritait Tsukishima, il n'en avait décidément pas fini.

— « Je reste », voilà tout, conclut-il d'un ton plat. Je ne sais pas quoi dire d'autre.

Elle inspira donc avec difficulté. Sa crainte ne partait pas – mais si elle ne lui faisait pas même confiance, elle ne valait rien en tant que... Que « petite amie » ? grimaça-t-elle. Non plus. C'est pourquoi je ne peux pas rester passive comme une idiote.

— Il commence à faire sombre, commenta-t-il.

— Est-ce que tu as dit tout ça car tu m'aimes ? lança-t-elle de but en blanc.

Il sursauta aussitôt en arrière ; un tas de névé s'effondra sur ses larges épaules, et sa stupéfaction monta d'un cran, tant et si bien qu'il n'essuya pas même la neige recouvrant ses verres de lunettes. Eigishi ne voyait plus ses yeux ; mais malgré ça, et même dans l'obscurité, elle devinait son air estomaqué.

— Sors pas ça comme ça ! s'étrangla-t-il. Les élites font peur !

Son cœur rata un douloureux battement. Puisque les élites « faisaient peur », l'intéressée prit son courage à deux mains, franchit les pauvres deux mètres les séparant... et se prit les bottes dans une racine. Elle chuta en avant dans un petit cri ; ses mains s'accrochèrent de justesse aux manches du manteau de Tsukishima. Ils restèrent plantés ainsi comme des abrutis, l'une la face brûlante sous l'embarras, l'autre raide des pieds à la tête.

Les secondes qui suivirent l'assommèrent un peu plus les unes que les autres. Étreindre le lycéen était assez courageux comme ça ; alors se rater, ça drainait toute la bravoure qu'elle avait d'un coup rassemblé pour esquisser cette dernière approche. Désormais, ils se regardaient dans le blanc des yeux, glacés jusqu'au sang.

Celui d'Eigishi battait de plus en plus fort à ses tempes. Elle finit par se redresser et épousseter les manches de son manteau avec nervosité. Aucun mot ne pouvait combler l'affreux mutisme qui les plombait désormais. La vingtaine de minutes qu'il leur restait, elle eut l'impression qu'ils allaient bien plus les supporter que les savourer.

À cause de moi.

— Navr..., s'étrangla-t-elle.

Mais Tsukishima passa son bras autour de ses épaules et la rapprocha à quelques centimètres de lui. Regard fuyant, aussi bavard qu'une tombe, si raide qu'elle aurait cru enlacer un poteau. Non, ils ne se touchaient même pas, un espace inviolable les séparait toujours. Au moins, Eigishi sentait contre sa joue le tissu souple et chaud de la veste de l'adolescent. Elle y appuya sa tempe, non sans se mordre l'intérieur de la joue.

Quelle plaie. Et elle repartait le lendemain, de surcroît. Les sentiments qu'il avait pour elle – si seulement ils tenaient encore debout après ses bourdes – étaient bien mis à mal ; voici qu'elle avait souhaité marquer un peu leur dernière entrevue, et son échec la cuisait toujours.

Le froid de décembre mordit la partie droite de sa figure. L'autre tressauta quand Tsukishima bougea légèrement. Eigishi se raidit aussitôt : qu'est-ce qu'il voulait faire ? S'éloigner, récupérer son biceps ? Elle le comprendrait sans mal, car cette position devait être sacrément désagréable.

Elle l'entendit prendre une courte inspiration, presque hachée. Sa respiration se coupa quand il ouvrit très légèrement les bras.

Elle serra les poings, prit de nouveau son courage à deux mains, et se contenta de poser son front contre sa cage thoracique. Il ne se mut pas. Elle ne bougea pas plus. Aucune étreinte, ils n'étaient plus que deux statues dans le froid, au détail près que le cœur de Tsukishima battait tout de même sacrément fort.

Alors qu'elle commençait à penser que les minutes s'étendaient à l'infini, le lycéen esquissa un geste, l'arrêta, puis posa une main dans le haut de son dos. Il la ramena brutalement à la réalité, tout en l'enfonçant dans la rêverie dans laquelle elle flottait. Je hais les paradoxes... Néanmoins, ses épaules se détendaient désormais, son propre pouls s'apaisait.

Le temps reprenait son cours normal.

Mais elle ne s'en réjouit pas bien longtemps : Tsukishim se racla la gorge.

— Je dois rentrer.

— Ah, rit-elle avec nervosité.

Ils se détachèrent dans une étrange précipitation avant qu'elle ne détourne le regard. Dis un truc, Kana. C'est un au-revoir, sors je sais pas quoi !

— Bon courage pour les Nationales, toussota-t-elle.

— Merci, et ne regarde pas les matchs. Aussi, on se contactera toujours par SMS, dis pas ça comme un adieu.

— ... Certes.

Ils se scrutèrent un très bref moment – l'une les joues légèrement gonflées, l'autre d'une expression indescriptible.

— Je te raccompagne jusqu'à ton coin de rue ? demanda-t-il.

— Bonne idée, ce toutou pourrait toujours traîner.

— Exact.

— Oui.

— Allons-y.

Les maisons et les voitures passèrent autour d'eux au ralenti, et pourtant bien trop vite. Ils se retrouvèrent bientôt à ce fichu coin de rue, là où ils s'étaient étreints le soir du Réveillon. C'était il y avait désormais quatre jours, mais semblait si proche.

Eigishi expira un coup, puis leva son téléphone, l'œil acéré.

— Je te recontacterai, assura-t-elle avec plus de conviction. Ah, et la clé USB !

Elle fouilla son manteau et lui tendit. Tsukishima la prit, l'étudia ; puis un très léger sourire se dessina sur ses lèvres.

Jurassic Park. Je ne sais pas qui est ce type, mais il a de bons goûts. À plus, donc.

« À plus ». Leur dernière entre-vue s'arrêtait là. Qu'est-ce que je pourrais ajouter ? Elle hocha la tête ; il repartit en lui faisant un signe de la main. Rien, je suppose... Et pourtant, une pointe de déception commençait à piquer son coffre.

Les pas de Tsukishima, étouffés par la neige, s'éloignaient de plus en plus dans son dos. Ils sonnèrent comme de la musique à ses oreilles, rythmèrent ses battements de cœur peu à peu gelés, l'enfoncèrent toujours plus dans une frustration complètement étrangère.

Je ne peux pas le laisser partir là-dessus.

— Tsukishima-kun, l'appela-t-elle à mi-voix.

Pas de réponse. Elle se retourna donc, pour constater, atterrée, qu'il avait déjà tourné dans une rue annexe. Sa trachée se serra, son estomac suivit, elle contracta les mâchoires et rebroussa chemin.

Enfin, elle vit sa grande silhouette passer sous un lampadaire. Elle mit ses mains gantées en porte-voix par réflexe.

— Tsukishima-kun ! Juste, trois secondes... !

Son ton mi-assuré, mi-frémissant parut l'arrêter net. Il lui fit face d'un air inquisiteur, elle remonta son écharpe jusqu'à son nez. La panique l'opprima peu à peu. Si elle ne sortait rien, si elle rentrait sans dire quoi que ce soit, le malaise qui allait suivre pourrait briser la complicité qu'ils avaient tissée.

Et quitte à casser des trucs...

Elle prit une inspiration saccadée, et parvint à le gratifier d'un mince sourire.

— Je t'aime.

Lourd silence. La mâchoire du lycéen se décrocha ; le sang d'Eigishi se glaça dans ses veines, crama ses joues, puis pulsa jusqu'à lui refiler la nausée.

Et maintenant, je putain de cours !

Elle fit volte-face et fila sans attendre de réponse. De toute façon, il ne sortit pas le moindre son. Comment le blâmer ? À sa place, elle aurait bloqué telle une idiote.

Elle dérapa face à son portail, rentra dans le jardinet de son oncle et sa tante et s'accroupit derrière leur haie morte, hors d'haleine. Elle l'avait dit. Je l'ai dit. Putain de bordel à queues, ça ne va pas du tout, s'affola-t-elle.

Quand elle sentit son téléphone vibrer, elle s'en saisit avec vivacité, l'éteignit et laissa ses bras retomber le long de son corps.

Elle attendit que son cœur se calme. Que son visage retrouve sa pâleur. Que ses épaules cessent de trembler et que sa respiration s'approfondisse de nouveau. Dans la rue régnait un mutisme de plomb. Était-il rentré ?

Oui, j'en suis certaine.

Quand la neige commença à s'accumuler sur ses cheveux et qu'elle grelotta sous le vent, elle se résolut à se lever et faire de même.

La chaleur de son logis l'allégea drastiquement. Un poids semblait s'être ôté de ses épaules, et elle s'en soulageait tant qu'elle manquait de tomber dans les pommes. C'est dit... C'est dit, ça y est. Fallait bien, à un moment, eh... je veux dire, quand est-ce qu'on se reverra ?

Elle enleva ses chaussures et son manteau avec lenteur. Dans trop longtemps. Mais c'est mieux que rien – et puis, je l'ai dit, se martela-t-elle. Et après se l'être répétée une centaine de fois, cette pensée acheva d'éradiquer ses esquisses de regrets ou sa tristesse naissance. Car elle avait fait de son mieux, que plus aurait été de trop.

Les Nationales commençaient le cinq, nota-t-elle de retour dans sa chambre. Le samedi. Donc je pourrai les regarder sans problème ! Elle retrouva pour de bon sa bonne humeur. Moins de désastres, plus de bonne chance. Son karma s'équilibrait donc ? Il était temps.

Mais elle allait bien vite apprendre à ses dépends qu'il ne fallait jamais se réjouir d'avance.

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