Chapitre 20 - Dogue allemand
26 décembre, le lendemain – J-11
Ça ressemble à une excuse de rendez-vous, maugréa intérieurement Tsukishima. En envoyant ce SMS de rien, il avait craint franchir la limite de la potentielle pudeur recouvrant Eigishi : cependant, elle avait accepté sans hésitation.
Elle avait même ajouté un ô gracieux « ('^ㅅ^) » ayant clôturé leur échange.
Sachiko ne semblait plus tenir l'adolescent à l'œil ; Akiteru arborait un comportement étrange depuis la veille, mais il ne pouvait rien y faire. Désormais, il attendait dans le coin de ce fameux parc, adossé contre un arbre au hasard, le menton fourré dans son épaisse veste. Elle a dit qu'elle parviendrait à sortir de chez elle sans éveiller la suspicion de son oncle et sa tante. Cela dit, sa sœur doit être une autre histoire.
Il poussa un soupir autant court que vain : la légère anxiété le rongeant ne partit pas. Il n'en perdait pas son calme, mais malgré lui, ses prunelles guettaient l'arrivée de la jeune fille. Et je n'aime pas cet état. Il ficha de nouveau son regard sur son écran. Son casque étouffait tous les bruits alentours, mais un peu de musique n'allait pas faire de mal.
Mais alors qu'il hésitait entre la neuvième symphonie de Beethoven, la cinquième de Mahler, Schéhérazade de Rimski-Korsakov ou encore Hacking to the Gate, le refrain de Never Gonna Give You Up lui éclata les tympans. Il sursauta derechef, pour écarquiller les yeux en voyant « Tsundere » s'afficher en gros sur son écran.
Il décrocha sans attendre : les premières choses qu'il entendit furent une course précipitée, de frénétiques halètements et un « Tsukishima ! » paniqué. Qu'est-ce qu'elle a, encore ?!
— J'ai contourné mon quartier car le chien du voisin est terrifiant, débita-t-elle alors, mais un autre est en train de... Eh, lâche-moi ! Mon manteau, mon manteau ! Tu veux une carte Michelin dans la tronche ?!
... Bon sang.
— Où est-ce que tu es ? posa-t-il platement.
— Au niveau du poste-relai...
— J'arrive. En attendant, tourne en rond ou je ne sais quoi.
— Compris ! Naturellement ! Sans...
Il coupa la communication avant qu'elle ne s'étale, ramassa un bâton et partit au petit trot, blasé au possible. Soit, se faire poursuivre par un chien n'était pas la meilleure expérience du siècle ; mais il avait de nouveau frôlé la crise cardiaque, en entendant son ton terrifié. Au moins savait-il désormais qu'elle avait peur des canidés – l'une des premières faiblesses qu'il dénichait chez elle, quel bonheur.
Puis, de lourds aboiements résonnèrent au carrefour en face de lui. À son tour de se raidir sèchement. Il accéléra jusqu'au virage : sa face se décomposa dès qu'il vit le foutu dogue allemand en train de courser une Eigishi complètement déboussolée. C'est pas un chien, c'est un monstre – il lui arrive presque aux côtes ! C'est quoi ça, encore ?! Et elle semblait avoir bien conscience que ce clébard-ci pouvait agresser un cheval même, car le regard qu'elle jeta au lycéen était déchiré entre « fuis, pauvre fou ! » et « pourrais-tu éventuellement m'aider ?! ».
Il s'avança de quelques pas en grimaçant. Au prix d'un bref sifflement, ce chien d'un mètre de haut dressa les oreilles droit vers lui. Un lourd silence tomba sur l'allée. Tout parut se figer : les maisons de bois ou de brique, les petites voitures vieillottes rangées avec soin, les hauts murets les encadrant fermement. Tsukishima leva son bâton avec lenteur ; la bête scruta le moindre de ses mouvements ; et Eigishi, elle, se crispa de pied en cap sous la tension l'étouffant.
Mais plus l'adolescent étudiait ce toutou, plus il le trouvait bien ridicule, avec ses gros yeux et ses longues pattes. À côté de son beau mètre quatre-vingt-dix, il ressemblait à un chihuahua. Finalement, il balança son bout de bois avec vivacité ; ce con vola haut et loin, tout content de virevolter entre les rares flocons dansant dans les airs. Si l'animal l'étudia d'abord comme un idiot, il finit par le suivre en jappant bien plus joyeusement. Ses lourdes foulées s'évanouirent peu à peu, pour laisser la place à un mutisme plat...
... du moins pour le lycéen, car Eigishi exhalait dans le plus grand les soulagements. Elle leva ensuite un pouce tremblotant.
— « Nice serve », chevrota-t-elle.
— Ce n'était qu'un bâton et un chien, fit-il remarquer, un sourcil arqué. Un gros chien, certes. Comment tu t'es retrouvée dans cette situation ?
— Navrée..., rit-elle nerveusement. Comme je l'ai expliqué au téléphone, j'ai découvert que le berger allemand du voisin de mon oncle et ma tante avait tendance à aboyer bien fort sur les passants. J'ai donc décidé de faire le tour du quartier, mais ce dogue-ci m'a foncée dessus. La suite, tu la connais...
— Si ce toutou est bien élevé, il va revenir.
— Allons-y ! se précipita-t-elle aussitôt.
Elle marcha vers lui et l'entraîna derrière elle d'un pas vif. Il n'eut pas grand-mal à suivre, mais sa poigne enserrant son avant-bras s'affermissait tant qu'il retint une ou deux grimaces.
Toutefois, il ne lui en tint pas rigueur, car seuls soixante centimètres avaient séparé Eigishi de son ennemi d'un jour. Être petite ne devait décidément pas être une mince affaire.
— Hein ? s'étonna-t-elle. Non, c'est pratique pour se cacher.
Ses paroles le tirèrent de son esquisse de réflexion. Les ombres des arbres nus du parc les surplombaient déjà, remarqua-t-il. Il avait pensé à voix haute, réalisa-t-il ensuite.
— « Te cacher », c'est la première chose à laquelle tu penses ? enregistra-t-il enfin, l'œil clignant sous la confusion.
— J'en ai eu besoin quelques fois, répondit-elle sur un ton d'évidence.
— ... C'est plutôt inquiétant, tu le sais ?
Elle s'adossa contre un tronc et ouvrit la bouche ; mais seul un « hein ? » affolé franchit ses lèvres. Un tas de neige s'écrasa sur ses boucles brunes : elle resta pantoise, là où Tsukishima la désigna du doigt en ricanant. Puis, il lui épousseta la tête dans un petit rictus.
— Eh, laissa-t-elle alors tomber. Tu vas tremper ton gant.
— Je pense qu'il s'en remettra.
— Mais tu vas avoir froid à la main.
— Pense à ton crâne : tu vas choper un rhume. On pourrait finir par penser que c'est ton dada.
— Pas vraiment..., songea-t-elle.
C'était un trait d'humour, mais soit. Le silence qui suivit, il s'étira bien différemment qu'en présence du toutou de l'instant d'avant. La jeune fille s'essuyait vainement les cheveux avec son écharpe, le regard fuyant ; lui finit par étudier l'éternelle balançoire vieillissant au beau milieu de l'espace vert, figé par le givre.
Il avait oublié qu'il avait Eigishi, en face. Que ses sentiments semblaient réciproques, et qu'il faisait défaut à sa mère pour la voir. Il n'allait pas pouvoir prétexter une course tous les jours jusqu'au nouvel an ; il allait désormais devoir rentrer chez lui dans trois quarts d'heure de cela ; les deux lycéens n'allaient que peu avoir l'occasion de s'envoyer des SMS par la suite ; et le lendemain, peut-être était-ce Eigishi même qu'on allait confiner.
— Tsukishima, hésita-t-elle. Si je te contrains d'une quelconque façon...
— Tu ne me contrains pas.
Elle cessa de frotter ses boucles brunes, les lèvres pincées.
— Si je me fais attraper la main dans le cas, continua-t-il, ça sera de ma faute. Tu n'as pas plus choisi que ma mère prenne une telle décision.
Eigishi réajusta son écharpe en frissonnant, pour y fourrer une énième fois le nez.
— Certes, murmura-t-elle. Dans combien de temps tu dois rentrer ? Et les prochains jours, jusqu'au premier, comment est-ce qu'ils vont se dérouler ?
— Dans quarante-cinq minutes environ – et du reste, je ne sais pas. On verra bien.
— Oui... On verra bien.
Il s'adossa à son tour contre un arbre, non sans prendre le soin de ne pas secouer le moindre centimètre de névé. J'espère juste que ma mère arrêtera de te blâmer pour ce que tu n'as pas fait, et que les choses deviendront normales.
— Du reste, tu as eu quoi, pour Noël ? balaya-t-il.
— Une carte Michelin. Je ne sais pas pourquoi.
— Une... quoi ?
— Je me disais bien qu'on n'en trouvait pas au Japon, maugréa-t-elle. C'est une carte du territoire français, et je ne sais absolument pas où ma famille a trouvé ça. Je te l'aurais bien montrée, si ce n'était pas en français.
— ... Je crois que je n'ai jamais entendu parler d'un cadeau aussi aléatoire.
— N'est-ce pas ! Enfin, j'attends toujours ceux de mes parents, rit-elle.
Ils sont toujours dans leur coin ? Ils prennent des vacances ? Même en sachant qu'elle a failli se faire enlever ?
— Ils viendront aussi chez ton oncle et ta tante ? demanda-t-il, l'air de rien.
— Non, ils sont occupés avec la gendarmerie. Ils ont dit préférer me laisser passer mes fêtes de fin d'année tranquille, et s'assurent de... tout ça. C'est aussi pour ça que je reste ici jusqu'au premier : pas de retour à Sendai avant que tout soit réglé et sécurisé.
Autant pour moi, ils sont normaux.
— Dis, Tsukishima..., souffla-t-elle ensuite. Je suis contente que tu n'aies pas fui.
Il détourna le visage dès qu'il sentit ses joues chauffer légèrement. Par moment, elle avait le chic de toucher une quelconque corde sensible. Toujours était-il qu'il se sentit forcé à fixer ses baskets, l'estomac légèrement noué.
— Comment ça, « fui » ? répliqua-il tout bas. Je ne suis pas lâche non plus.
— Je voulais dire, il serait simple de retourner à tes affaires, et personne ne pourrait t'en blâmer. Mais tu restes – je suis contente. C'est... ce que j'ai déblatéré, marmonna-t-elle, mais en plus développé. Et je ne sais pas quoi ajouter. Si tu veux jeter un œil à cette carte Michelin...
— Je te l'ai dit : tu es facile à vivre. Aussi, je n'ai pas envie que tu te retrouves avec un second Tsukamura sur le dos. Je ne suis certes pas très utile...
— Eh, grogna-t-elle, t'as failli te prendre un pain à ma place. Tu t'es même déplacé en pleine nuit. En toute honnêteté, je t'ai maudit au début ; mais au fond, j'étais sérieusement soulagée que tu sois là. Je ne veux pas me targuer de trancher sur ton utilité ou je ne sais quoi – cependant, tu m'as aidée, c'est un fait.
Elle m'a donc quand même maudit. C'était à attendre, puisqu'elle m'a mis un poing dans l'estomac pour que je recule...
— Certes, soupira-t-il.
Et un ange de passer entre eux. Plus ce silence persistait, plus Tsukishima étudiait un quelconque tas de neige, plus Eigishi grattait machinalement la manche de son manteau. Que dire ? Non, même s'il trouvait un quelconque sujet de discussion, il devrait se faire violence pour prendre la parole – peu pour lui. Mais si ce silence persistait, et que son rythme cardiaque continuait à le faire chier de la sorte...
Il sursauta soudain : deux doigts venaient de se poser sur sa main. Ce contact le prit de court. Il dévisagea de longues secondes une Eigishi au regard fuyant et autres pommettes en train de s'empourprer. Étrangement, cette tronche le remit à sa propre place. Puisqu'il n'avait pas réagi, l'index de la jeune fille fila entre ses doigts ; il le rattrapa avant qu'elle ne lâche sa paume.
Elle marmotta aussitôt quelque chose dans une langue étrangère. Se tenir la main relevait d'un niveau de CP, et cette nana connaissait assez de français pour en arriver à recevoir une carte Michelin pour Noël – voici qu'elle manquait de partir la queue entre les jambes ? Un vrai paradoxe ; toutefois, il ne lui en tint pas rigueur. Elle qui enchaînait les désastres, et trouvait pourtant toujours la force de faire des premiers pas, avait bien le droit à un peu de respect.
Et puis, désormais, elle liait ses doigts aux siens avec plus de tranquillité. Leurs gants avaient beau séparer leur peau, il sentait que celle d'Eigishi devenait moite. Elle lui servit cependant un petit sourire en coin.
— Tu viens de lâcher un truc en... français, j'imagine. C'était quoi ?
— Oh ! Ah. Pas grand-chose de passionnant.
— C'est censé me rassurer ? traînassa-t-il.
— Je me maudissais simplement ! assura-t-elle, bien plus joyeuse. Du reste...
Cette fois-ci, son visage toujours rosé tourna au curieux. Elle leva leurs paumes à la hauteur de son nez, l'œil plissé, pour lui couper l'herbe sous le pied lorsqu'il tenta de lui demander ce qu'elle foutait.
— Ouah. T'as de grandes mains.
— Oui, je fais un mètre quatre-vingt-dix.
— Trente centimètres de plus que moi... Je suis petite, au final ? songea-t-elle.
— Tu as dit que tu étais dans la moyenne, brocarda-t-il. Tu reviens sur tes paroles ?
— Une scientifique doit toujours se remettre en question.
Là-dessus, elle redescendit leurs doigts noués, tout sourire.
— D'ailleurs, je m'excuse d'avoir paniqué hier face à Yamaguchi.
— Quel est le rapport... ?
— Comme je pensais à de la chimie, et que la chimie est une science, et que je parlais d'être scientifique, j'y ai repensé.
Elle m'effraie. C'est très logique, mais elle m'effraie.
Puisque son excuse ne valait pas grand-chose, il l'essuya sans y réfléchir à deux fois. Même si Yamaguchi les avait certainement grillés, il n'avait jamais mentionné Eigishi. Les personnes qu'ils rencontraient dans la rue, jusque-là, ne leur avait pas posés de torts ; son ami d'enfance ne forçait pas, Kageyama allait penser jusqu'à sa mort qu'Eigishi était sa cousine, et Ukai n'en avait certainement rien à faire. De plus, il y avait bien peu de chance qu'ils croisent de nouveau...
— Oh, Tsukishima !
... quelqu'un. Mais Nishinoya se trouvait en marge du parc, et tournait une face enjouée vers eux.
Ils se lâchèrent derechef. Heureusement, le libéro aussi possédait une cervelle seulement composée de muscles, car il trottina vers eux sans relever quoi que ce soit.
Manquait plus qu'à espérer qu'il se souvenait qu'Eigishi était la « cousine » de Tsukishima...
— Cousine de Tsukishima ! s'écria-t-il d'ailleurs en la pointant du doigt. Tu...
Et ses mots moururent dans sa gorge. Les petits yeux ambre de la jeune fille clignèrent avec confusion ; elle dégagea au passage l'une des boucles trempées barrant sa petite face pâlotte. Même le blond haussa les sourcils, d'abord curieux... puis profondément blasé.
Les pupilles de son coéquipier brillaient car il avait une fille en face – il commençait même à en faire tomber son sac. Une ombre fila illico sous leur nez ; Eigishi dérapa dans la neige derrière, tout comme elle l'avait fait pour Tsukishima.
Non, non, tu as ouvert la Boîte de Pandore – bon sang, pourquoi ? Malheureusement, elle ne connaissait pas la sauvage nature de Nishinoya, et lui tendait sa sacoche dans un sourire poli et insouciant. Les détails qui péchèrent, ce furent le rouge teintant ses joues et la façon dont elle tripota son manteau moulant sa taille.
Ce con devait tout voir de ça, car sa mâchoire se décrochait.
— Tsukishima, souffla gravement Nishinoya. Tu n'avais pas dit que tu avais une telle fille dans ta famille. Je ne serais pas un mauvais beau-cousin, tu sais. Car je suis un aîné exemplaire. Alors...
Alors, l'intéressé avança entre lui et Eigishi, pour placer une main face à chacun. La pointe d'irritation le piquant, il la cacha sous son usuel rictus obséquieux.
— Tu es sûr, Nishinoya-san ? Elle est plus grande que toi. Ça m'a l'air un peu humiliant.
— Eh ! protesta-t-il vivement. Ça a de nombreux avantages, d'être moins grand. Et ne parle pas à ton aîné comme ça...
— Kana, enchaîna-t-il dans un sourire faussement aimable, il est l'heure pour moi d'y aller. Je te raccompagne, n'est-ce pas ?
— Ne m'ignore pas !
L'intéressée gratifia Nishinoya d'une œillade mitigée. Cependant, il était réellement l'heure d'y aller. Elle le salua donc en s'excusant, et ils repartirent ainsi, le laissant dans le parc les mains jointes et le visage tourné vers le ciel. Priait-il de nouveau Kiyoko ? Ça ne m'étonnerait pas.
— Je pensais que tu ne descendais que Kageyama-san, réfléchit alors Eigishi. Mais ce Nishinoya-san passe aussi sous ton scalpel ?
— Tu rends ça très violent.
— Vraiment ?! Désolée !
Il sursauta en arrière. Un muret heurta son dos : il le sentit juste assez pour grimacer... et c'était tout, car l'expression mi-désolée, mi-brillante de l'adolescente le laissa perplexe. Il remonta ses lunettes sur son nez froncé, elle chopa quelque chose ayant chuté. Sa gourde, remarqua-t-il, qu'elle lui tendit dans un sourire mitigé.
— Elle aurait pu se casser par terre, désolée, rit-elle nerveusement.
« Nerveusement ». Pourquoi ? Jusque-là, elle avait fait preuve d'appréhension pour des motifs justifiés : leurs quelques échanges sincères, l'arrivée de Kageyama ou Nishinoya, et autres silences ayant coulé entre eux. Alors, quelle mouche la piquait ?
En parlant de silence, voici qu'ils en subissaient un nouveau, plus étouffé encore que les précédents. Peu de voitures roulaient près de la ruelle qu'ils empruntaient, aucun enfant ne babillait – un peu plus, et Tsukishima les aurait crus seuls dans ce patelin.
— Si on ne se voit pas avant le premier..., commença alors Eigishi, le regard fuyant. Je ne sais pas. Je pourrai regarder vos matchs ?
— Non.
— Je me disais, que je n'aurais pas dû te demander l'autorisation.
Il haussa les épaules.
— Ta chimie sera plus passionnante, traîna-t-il.
— Oui, je ferai en sorte de finir tous mes devoirs en avance, assura-t-elle avec entrain.
— Merci pour ton honnêteté...
De nouveau, une expression lumineuse ; de nouveau, il ne comprit rien à rien. Il se résigna à la pointer du doigt, circonspect.
— Je peux savoir ce qu'il t'arrive ?
— Je suis juste contente. Je veux dire, j'ai passé un bon après-midi... J'ai échappé à un chien haut comme pas deux, mon oncle et ma tante ne m'ont pas posée de question lorsque je suis partie, j'ai rencontré un autre de tes coéquipiers, j'ai sauvé ta gourde...
— Il t'en faut peu, laissa-t-il tomber.
— C'est mieux que rien ! Moi qui ne vivais que des désastres, ma vie se calme enfin – autant en profiter. Dis, Tsukishima, tu passeras combien de temps à Tokyo ?
— Ça dépend du jour où on perdra.
— C'est peu optimiste... Pour t'occuper, tu voudras que je t'envoie des vidéos françaises ? Je connais quelques chaînes YouTube distrayantes.
Elle a de la fièvre ?
— Je ne parle pas français. Tu devrais rentrer, ton incohérence devient inquiétante.
— Je sais, je les sous-titrerai en japonais, s'étonna-t-elle. Enfin, je ne peux pas me targuer de trouver quelque chose à ton goût... Peut-être que ce n'est que moi et une petite centaine de milliers de francophones que ça fait rire, réfléchit-elle. Juste, je ne t'ai rien donné pour te remercier pour l'autre soir...
— Non, vraiment.
— ... et il y en a une sur Jurassic Park, finit-elle en même temps.
Il s'immobilisa un long moment avant de sortir avec lenteur son téléphone. L'air stupéfait d'Eigishi, il le balaya sans s'en soucier une seule seconde.
— Un fichier vidéo, posa-t-il. Combien d'octets ?
— Aucune idée... ? hésita-t-elle. Mais je te le donne sur une clef USB, si tu veux ?
— Vendu.
Il ne se targuait pas de mériter quoi que ce soit. Il acceptait simplement une offre – qu'y avait-il de mal à ça ? Et puis, lorsqu'il la laissa au coin de sa rue, elle lui lança un « à plus tard » bien enjoué.
Bah, si sous-titrer une vidéo l'embête, elle ne le fera pas. Même si Jurassic Park peut être une bonne affaire, je ne me pourrai pas m'en plaindre. Et puis, si jamais, je comblerai mes soirées en regardant autre chose. Je devrais peut-être lui dire de ne pas s'embêter non plus. Oui, bonne idée.
Dès qu'il rentra chez lui – en loupant au passage le regard appuyé de sa mère –, il commença à taper un petit « par rapport à la vidéo »... qu'il ne finit jamais.
« Inconnu, 14:06 : Fais gaffe à ma sœur, toi ! Je t'ai à l'œil ! »
« Yamaguchi, 14:27 : Tsukki, je ne devrais peut-être pas dire ça, mais j'ai reçu un message bizarre de la sœur d'Eigishi »
« Nishinoya-san, 15:04 : Je promets que je serai un beau-cousin digne de ce nom. »
« Kageyama, 15:06 : Cette fille a laissé tomber un truc avec son téléphone. Je ne sais pas où elle habite. Dis-moi où se trouve ta boîte aux lettres. C'est tout. »
« Tsundere, 15:12 : Tsundere a envoyé une pièce jointe. »
... Qu'est-ce que c'est que ce bordel, encore ?
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