5. Le monstre qui vit en moi
- Je n'y arriverai pas, Jin.
Il ne répondit pas. Je continuai de parler sans même tourner la tête vers lui, le regard perdu vers l'extérieur, fixant un point invisible au-delà du rideau de pluie. Mon esprit avait replongé dans les souvenirs.
- Tu sais de quoi je suis capable. L'humain est l'espèce la plus faible, il ne peut ni prévenir, ni rendre les coups que je pourrais lui porter, il ne guérit pas instantanément. Il ne possède aucune protection.
Je refuse de les laisser m'approcher. Tu as vu ce qu'il s'est passé.
Jin se redressa légèrement dans son fauteuil et appuya ses coudes sur ses cuisses en serrant ses mains l'une contre l'autre.
- Tu devrais arrêter de douter de toi. Tu t'es laissé emporter par la colère, néanmoins tu es en capacité de les protéger, au même titre que les autres.
Je tournai mon regard vers lui et tendis ma main dans laquelle apparut une flamme bleutée avant de l'étouffer en refermant mon poing.
- J'aurais pu le brûler vif ou le déchiqueter en morceaux.
- Tu ne l'as pas fait.
- JE L'AI DÉJÀ FAIT ! criais-je alors qu'un gout acide de bile remontait dans ma gorge.
Jin se leva et s'approcha de moi. Il ne m'avait jamais craint, même si au début, il avait fait les frais de mes pouvoirs que je ne maîtrisais pas sous l'effet des émotions.
Quand il m'avait recueilli, il avait soigné les blessures de mon corps, mais celles de mon âme étaient restées à vif. Elles me plongeaient dans des colères noires au cours desquelles je dirigeais ma rage contre lui.
Il savait contrer ma force. C'était un vampire bien plus vieux que moi, cependant jamais, il n'avait pu anticiper mes attaques. Elles se déclenchaient quand mon esprit se noyait dans l'eau profonde de l'ire qui ne me quittait plus depuis ce fameux jour où ma vie avait basculé de la lumière aux ténèbres.
Il avait été brûlé plus d'une fois, tout comme il avait porté les traces de mes dents acérées, mais sa composition lui permettait, même s'il en avait souffert, une cicatrisation rapide. Un humain, lui, aurait péri dans les pires souffrances. Ils en étaient d'ailleurs morts, pour certains, pensais-je en rejouant dans mon esprit, le film de ce jour où ma perte de contrôle avait tué.
Ma rage était telle, ma douleur si immense, que j'avais senti quelque chose prendre le contrôle de moi, me transformant en monstre. La soif du sang s'était réveillée.
Je revoyais les gorges tranchées de ces hommes qui m'avaient pris mon trésor le plus précieux, mais comme le monstre que j'étais, cela n'avait pas calmé ma fureur.
J' avais démembré certains d'entre eux et brûlés vifs d'autres.
J'entendais leurs hurlements de douleurs qui hantaient encore mes nuits.
Je savais de quoi j'étais capable si je perdais le contrôle.
C'était pour cela que j'avais toujours refusé d'aider les humains.
Je leur en voulais de la cruauté dont ils avaient fait preuve, je détestais cette espèce vile et cupide qui pour beaucoup n'avaient ni conscience, ni remord, quand il s'agissait de servir leurs propres intérêts. Je les haïssais d'avoir fait de moi une abomination.
Mais plus que tout, j'avais peur de ce que je pourrais encore leur faire.
Jin savait tout cela.
Il continua d'avancer et posa une main sur mon épaule, je sursautai, si peu habitué au contact des autres.
À part mes parents, il était le seul à me prodiguer ce genre de réconfort. Comme par magie, je sentis les griffes, qui enserraient mes entrailles, desserrer leurs prises.
Je levai les yeux vers lui et croisai son regard bienveillant, le même que celui qu'il avait toujours porté sur moi depuis le premier jour.
Jin avait toujours cru en moi, plus que je n'y avais jamais cru moi-même.
- Je ne peux pas, Jin, répétai-je comme une litanie sans fin.
Sa main serra mon épaule et se retira, il se détourna pour regagner la porte et s'arrêta un instant.
- Je ne t'ai jamais obligé à quoi que ce soit, Jimin et je ne le ferais jamais. Je ne peux pas te forcer à les protéger, mais ils sont en danger. Arad est après eux et s'ils sortent d'ici, ils mourront.
Je ne pus retenir un frisson à la mention d'Arad.
- Cette maison est également la mienne, alors je ferai en sorte de les protéger moi-même. Les autres me suivront même s'ils doivent y laisser la vie, même si nous ne sommes pas de taille. Je ne peux pas laisser ce type faire sa loi, il est tant que tout cela s'arrête.
Je te l'ai dit, je ne te demande rien, mais réfléchis-y, dit-il avant de quitter la chambre.
Je gardai mon regard fixé sur la porte qu'il venait de refermer, impressionné par sa volonté de protéger tout être envers et contre tout, même si cela sous-entendait s'opposer au maître des vampires.
Jin savait que jamais, je ne le laisserais courir le moindre risque, tout comme mes compagnons de vie, pourtant je ne pouvais me résoudre à le suivre dans ce que je qualifiais de folie.
Arad nous avait laissé tranquille pour l'instant, mais je savais que cela n'était qu'un leurre en attendant de mettre ses plans à exécution.
Jin ne savait pas tout.
Il n'avait pas connaissance de la promesse qui me liait à cet être dont nous protégions les plus faibles.
S'il persistait à vouloir garder ces humains au Diner's, je ne donnais pas cher de nous et de tout ce que nous avions créé jusque-là.
Et même dans l'hypothèse où nous arriverions à les protéger d'Arad, qui les protégerait de moi ?
J'occultai le regard de confiance que cet humain avait posé sur moi, provoquant un frisson inconnu dans ma poitrine pour la première fois, et sautai souplement par la fenêtre pour atterrir sur l'avant-toit.
La pluie avait redoublé de violence, cependant je n'en avais cure. Je la laissai couler sur mes joues et imbiber mes vêtements, comme pour me laver des doutes et des interrogations qui m'étouffaient.
J'avais senti son odeur à l'instant où j'étais sorti.
Je tournai la tête et vis l'homme qui avait demandé notre protection pour son frère. Il était appuyé nonchalamment contre le chambranle de la fenêtre de la chambre de Hoseok, une cigarette à la main.
Nos regards s'accrochèrent et je fus surpris de n'y trouver aucune trace de colère alors même que j'avais failli le tuer.
Il m'observait calmement. Rien dans sa posture ou dans son odeur corporelle ne traduisait de la peur ou même de l'appréhension.
Je détaillai sa silhouette et les traits de son visage.
Pour une raison que j'ignorais, je les connaissais déjà par cœur, comme s'ils s'étaient gravés en moi à l'instant où nos regards s'étaient croisés.
Je sentis son pouls s'accélérer face à cet examen, mais de trace de panique aucune.
La colère me submergea quand je m'apercus qu'il n'avait pas peur de moi, mais aussi un certain soulagement.
Il ne fit aucun geste dans ma direction, il ne prononça aucun mot, pourtant j'avais l'impression d'entretenir avec lui une conversation silencieuse.
- Yoongi ?
Je le vis se détourner à regret pour regarder à l'intérieur de la pièce dans laquelle j'avais reconnu la voix d'Hoseok.
Après un dernier coup d'œil dans ma direction, il ferma la fenêtre et tira le rideau, me privant des ténèbres de son regard.
Je m'aperçus alors que, tout ce temps, j'avais retenu ma respiration.
Je fermai les yeux et repoussai ce frémissement qui avait de nouveau pris place en moi, cette émotion que j'étais incapable de nommer.
Une peur irrationnelle me soufflait que les choses étaient en train de changer et que quoi que je fasse, je devrais me laisser porter par le courant, car je serais dans l'incapacité d'y échapper.
Yoongi, c'était son nom.
Je me surpris à le répéter à haute voix avant de secouer la tête et me traiter de fou.
Je ne voulais pas me laisser attendrir. Je ne voulais pas écouter cette voix qui me disait que peut-être quelque chose pourrait changer en moi grâce à cet homme, qui avait fait vibrer une corde qui, jusque-là, m'était inconnue.
Je refusai de croire que Jin avait raison, je préférai m'enfermer dans la sécurité de mes certitudes même si celles-ci étaient tronquées.
Je refusai de penser que je pouvais vivre de manière normale et que je pouvais contrôler mes pouvoirs face aux humains, car en admettant cela, j'admettrai que je n'étais pas un hybride incapable de se maitriser.
La vérité éclaterait en moi et je ne serais plus qu'un monstre parfaitement conscient de ses actes à leurs yeux.
Je m'approchai du bord du toit et regardai autour de moi avant de l'enjamber et de sauter. J'atterris en douceur, les jambes légèrement fléchies avant de me relever.
Je jetai un dernier coup d'œil aux lumières du Diner's qui brillaient dans la nuit et m'enfonçai dans l'obscurité.
J'avais besoin de réponse sur ce qui avait bien pu se passer entre Arad et ce jeune homme et je savais parfaitement où les trouver.
Je marchai dans les rues désertées à cette heure et me dirigeai vers l'échoppe du Barbier où résidait Sowen.
J'arrivai trempé devant la devanture fermée par un rideau de fer. Je jetai un œil à la vieille enseigne rouillée qui grinçait légèrement dans le vent qui s'était levé et rabattis mes cheveux mouillés en arrière.
Je passai la main sur mon visage humide pour chasser les gouttelettes de pluie qui s'accrochaient à ma peau.
Sowen était un vampire qui avait quitté les factions d'Arad quelques années auparavant, refusant de le suivre dans sa folie.
Il utilisait ce lieu délabré comme couverture pour ses activités illicites de vente de drogues en tout genre. Il se trouvait à la tête d'un trafic florissant.
L'usage de stupéfiants n'était plus l'apanage des humains et je savais que bon nombre de ses anciens petits camarades vampires venaient s'approvisionner chez lui, laissant échapper à l'occasion des informations sur leur patron.
Le Barbier comme on l'appelait, se planquait dans les bas-fonds de la ville, de peur que son ancien patron ne découvre ses activités. Celles-ci avaient une fâcheuse tendance à déborder sur son propre business et Sowen craignait qu'il en prenne ombrage et ne lui fasse la peau.
Je ne tolérais pas le trafic qu'il faisait, mais il ne m'appartenait pas de le juger.
J'avais découvert sa planque quelques mois auparavant et avais promis le silence contre quelques informations au moment où j'en aurais besoin.
Et ce jour était venu...
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