23. Sacrifice

Letia avait passé l'après-midi avec moi à me présenter ses créations.

Elle était douce et réservée, le parfait opposé de l'image qu'elle renvoyait avec ses vêtements au style tapageur.

J'avais essayé de la faire parler sans vraiment de succès.

Elle avait juste mentionné qu'elle était dans la tour depuis deux ans.

Elle n'avait pas eu à en dire plus. J'avais reconnu en elle les stigmates d'une esclave.

Une humaine qui servait de garde-manger aux vampires et parfois plus que cela.

La peur dont elle transpirait s'était peu à peu estompée. Elle avait compris que je ne lui ferai pas de mal, que son sang ne m'intéressait pas, que son corps non plus.

Je l'avais laissé faire son travail, hochant la tête de temps en temps pour valider un ensemble que je ne porterai jamais.

J'avais fini par en passer un parce qu'elle m'avait supplié de le faire, de peur certainement de prendre des coups si elle ne remplissait pas la mission qu'on lui avait confiée.

Je m'étais isolé un bref instant pour passer un pantalon de cuir noir et une chemise vaporeuse de la même couleur, elle flottait sur mon corps. Je l'avais choisi, car elle me permettait de garder mes bottes dans lesquelles je sentais l'acier de la dague contre mon mollet.

Letia eut l'air satisfaite et m'adressa un timide sourire de remerciements avant de repartir.

L'angoisse revint aussitôt, mais elle n'était pas vraiment partie. Tout commencerait quand Arad reviendrait, tout finirait.

Les minutes s'égrenaient, puis ce furent les heures.

Le soleil se coucha sur la ville et j'observais sans le voir le dégradé de couleurs qui formaient des arabesques dans le ciel en me disant que j'aurais voulu être aimé sous ce spectacle féerique.

Je refusais de penser à Yoongi pourtant tout en moi l'appelait.

Quelqu'un frappa à la porte, c'était Jared qui amenait un chariot regorgeant de victuailles. Je ne le remerciai pas. Je n'en avais que faire.

Il me lança un regard mauvais qui amena un sourire sur mes lèvres. Il n'appréciait pas de devoir faire le majordome pour la nouvelle poupée de son amant.

Il repartit et le silence revint.

Je restais immobile, passant et repassant le film des événements à venir dans ma tête.

M'approcher d'Arad, le laisser m'embrasser, sortir le couteau, lui trancher la gorge.

Je répétais inlassablement mes actions comme si je pouvais en faire un mantra, un gage de bonne fortune, mais rien ne se passe jamais comme on le souhaite, je le savais.

Il rentra quelques heures plus tard en décrétant qu'il avait demandé à n'être dérangé sous aucun prétexte.

Tout se passa comme je l'avais imaginé.

Il avait affiché un sourire suffisant en voyant que je l'attendais, sans savoir que mon désir n'était que celui de son dernier souffle.

Il avait jeté un coup d'œil au chariot intact en levant un sourcil puis s'était approché de moi en détaillant la tenue que je portais.

Ses mains avaient directement trouvé le chemin de ma taille alors que ses lèvres se posaient sur les miennes. J'eus un haut le cœur en sentant le gout du sang frais qu'il venait de boire dans sa bouche, pourtant je ne reculai pas. Je ne le pouvais plus.

Il ne prononça pas un mot, il ne cherchait pas à me séduire, il me voulait simplement, plus que ça, il me considérait comme sien.

Il disposait de moi.

Il m'amena vers le canapé et s'y laissa tomber en m'entrainant avec lui.

J'aurais pu rire de sa prévisibilité. Il était si basique.

Je me retrouvai à califourchon sur lui. Je pouvais sentir son désir pour moi contre mes fesses.

Il n'était que répugnance.

Je le laissai me prendre dans ses bras et m'allonger sur le cuir froid. Ses mains étaient partout. Mon corps ne réagissait pas, mon esprit hurlait.

Il attrapa mes cheveux et les tira en arrière pour dégager ma jugulaire, j'y vis une ouverture.

- Si tu savais depuis quand j'attendais ce moment, dit-il en passant sa langue sur ma peau en me tirant un frisson de dégout.

Je me contorsionnai sous lui comme si j'étais en proie au plaisir et réussi à atteindre ma botte.

J'en tirai la dague et levai le bras pour la planter dans son cou, mais avant que la lame ne pénètre sa peau, il se redressa brusquement et elle ne lacera que sa joue.

Il poussa un cri inhumain, je laissai le démon prendre possession de moi. Il prit vie avec ma terreur. Le feu naquit de mes mains et ma vision devint sanguine. Je me redressai pour assener un nouveau coup, mais l'acier ne déchira que sa poitrine en faisant jaillir un flot de sang noirâtre à l'odeur pestilentielle.

Sa nature vampirique prit le dessus. Son visage se stria de veines bleutées qui lui donnèrent l'air d'un cadavre. Ses yeux brillaient d'argent.

Il se jeta sur moi et nous tombâmes au sol. Je frappais avec l'énergie du désespoir, mais les blessures que je lui infligeais se refermaient déjà.

- J'aurais dû me douter que rien ne serait facile avec toi. Tu ne fais que pimenter le jeu si tu penses pouvoir me tuer, grogna-t-il en immobilisant mes poignets au-dessus de ma tête pour atteindre la ceinture de mon pantalon.

Le feu se propageait à mon corps. Sa peau grésillait sous la mienne, l'odeur de chair brulée était âcre et envahissait tout l'espace, mais il ne lâchait pas.

Il avait une force bien supérieure à la mienne et réussit à propulser mon arme à l'autre bout de la pièce d'un geste de la main. Je lui envoyais un coup de pied dans le bas ventre qui le fit se courber en deux, j'en profitais pour me dégager et me précipiter vers la dague, mais il fut plus rapide que moi. Il se releva et m'attrapa par les cheveux.

- Reviens ici, je n'en ai pas fini avec toi !

Il était étrangement calme, comme s'il s'était préparé à ça. Sa peau partait en lambeaux à certains endroits, mais déjà la chair se reformait pâle et exempte de tout défaut.

J'aurais pu hurler, mais personne ne serait venu m'aider, j'étais à sa merci.

Je laissai tomber mes bras le long de mon corps, vaincu.

Le temps se suspendit, j'entendis clairement l'horloge du salon sonner minuit. Mon regard se perdit au-delà de la baie vitrée, vers un endroit invisible d'ici qui gisait au milieu des sapins.

Un lieu qui avait vu mon bonheur pendant quelques heures, où j'avais vécu une vie normale près de ceux que j'aimais, où ma lumière s'était rallumée. Les couleurs du crépuscule avaient laissé place à la noirceur de la nuit teintée du rouge de la lune de sang. Seules les étoiles y brillaient comme autant de rubis étincelants.

Le spectacle était d'une beauté à couper le souffle. Elle portait la couleur de ma mort.

Je pensais pouvoir retourner auprès de lui, mais j'avais échoué.

Le feu se tarit. Je vis dans mon reflet, les couleurs de mes yeux réapparaître.

Arad prit mon immobilisme pour une reddition et relâcha son étreinte pour passer son bras autour de ma taille.

Je ne luttais plus.

Il se pencha et lécha la peau juste sous mon oreille.

Je n'essayai plus d'échapper à son contact.

Mon esprit n'était plus dans la pièce, elle était auprès de lui.

Je portai le bijou que je tenais dans ma main à ma bouche d'un geste lent. Il ne le vit pas tant il était occupé à parsemer ma peau de baisers humides.

Le verre craqua sous ma dent et je sentis le liquide couler dans ma bouche, amer.

Je murmurai un pardon et une larme solitaire glissa sur ma joue.

J'avais tant de choses à vivre, tant de mots que j'aurais voulu prononcer, mais je n'avais plus le temps.

Arad me tourna dans ses bras et posa ses lèvres sur les miennes, je les ouvris sous la pression de sa langue.

Il lui fallut un quart de seconde pour comprendre. Il se recula brusquement en passant la main sur sa bouche. Le poison colorait déjà sa peau d'une teinte violine. Il picotait la mienne, je le sentais se distiller dans mes veines.

- QU'EST-CE QUE TU AS FAIT ? hurla-t-il en crachant au sol.

Il s'approcha en proie à la pire fureur et me gifla violemment, mais il ne réussit pas à effacer le sourire qui ornait mes lèvres.

Je me laissai tomber à genoux en proie à un rire hystérique. Les larmes coulaient sur mes joues sans que je ne fasse rien pour les empêcher.

Je pleurais ma vie, je pleurais mon histoire et pourtant je riais comme jamais, je ne l'avais fait.

J'avais réussi, mais la tristesse étreignait mon cœur.

- Tu vas mourir, dis-je simplement alors que mon rire se tarissait.

Je vis pour la première fois la peur dans ses yeux. Il s'approcha de moi et déchira ma chemise sous lequel reposait le pendentif dont la goutte de verre était brisée.

Il l'arracha et le regarda sans comprendre.

- De l'Hysope des neiges, l'informai-je. Le poison des vampires. Il te tuera assez lentement pour sentir la vie te quitter peu à peu.

- Ce n'est qu'une légende, dit-il pour se rassurer, mais je voyais sa main trembler.

Il jeta le bijou au loin et se précipita vers moi pour m'assener un coup de pieds dans les cotes. Je sentis les os craquer et mon souffle se couper. Je ne fis rien pour éviter la pluie de coups qui pleuvaient sur moi.

Je fermai les yeux et le laissai à sa rage.

Je me réfugiai mentalement très loin de là où j'étais. Dans ma chambre d'enfance, dans les bras de l'homme que j'aimais.

J'entendais la respiration d'Arad devenir de plus en plus erratique. Les coups perdaient en puissance. Le poison s'infiltrait dans chaque parcelle de son organisme.

Je le savais, car je pouvais suivre son chemin dans mon propre corps.

Il tomba à genoux près de moi. Je refusai d'ouvrir les yeux et d'avoir pour dernière image sur ce monde la vision de son visage.

Je retournai à mon rêve et laissai la douleur prendre possession de moi. Mon corps se mourrait, mais mon cœur était intact. Il battrait jusqu'au dernier instant.

Je sentais la flamme qui vivait au fond de moins s'éteindre lentement comme une bougie que l'on aurait privée d'oxygène. Sa chaleur se dissipa et ne resta que le froid et l'obscurité.

La lumière s'était tarie elle aussi.

Chaque cellule de mon corps succombait progressivement, une à une, pourtant je n'avais aucun regret.

J'avais fait ce que je devais faire, je les avais protégés jusqu'au bout.

Moi, l'abomination qui aurait dû périr par le feu à ma naissance, j'avais survécu pour sauver les miens, pour le sauver lui.

Un dernier sourire vint se poser sur mes lèvres craquelées de fièvre, son odeur m'avait rejointe pour m'accompagner dans mon dernier souffle.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top