20. L'Hysope des larmes
De son visage, je ne vis d'abord que les ombres, puis la lune me fit le cadeau de le caresser d'un de ses rayons.
Je détaillais chacun de ses traits dans cette lumière magique qui n'était destinée qu'à nous.
Je les gravais en moi pour ne jamais en perdre un seul détail, comme si c'était la première fois que mon regard se posait sur lui, comme si c'était la dernière fois.
Était-ce folie que d'aimer si vite, si fort ?
Je redressai le buste et appuyai mes lèvres sur les siennes.
Il me repoussa sur l'oreiller avec un soupir de bonheur.
Les livres qui jonchaient chaque espace libre de ma chambre m'avaient décrit ce sentiment comme étant le plus beau, le plus fort. Il n'était pas que cela.
Il était couleur comme le rouge de ses lèvres et le noir de ses yeux.
Il était fragrance, comme l'odeur de sa peau qui s'enroulait autour de moi.
Il était soupir comme ceux qui déjà franchisaient mes lèvres.
Il était l'univers qui s'était pelotonné au creux de mon cœur.
Il était douceur comme la caresse de ses doigts sur ma hanche.
Il était violent comme l'envie que j'avais de lui.
Il était l'orage qui zèbrerait bientôt le ciel de ses éclairs.
Il était ses sourires que je sentais sur mes lèvres.
Il était tout et rien.
Il était nous.
Je tremblais sous ses doigts qui chérissaient chaque parcelle de ma peau.
J'étais mort pour reprendre vie dans ses bras.
Les étoiles explosèrent en moi et la lumière jaillit si puissante qu'elle pénétra chaque fibre de son être.
Nous étions plus qu'un, mais ne l'avions-nous pas toujours été ?
Je m'endormis dans ses bras alors qu'il murmurait des mots d'amour que j'emprisonnais en moi. Ils seraient ma force quand viendrait le moment pour moi de me battre.
Quand j'ouvris les yeux, ils se posèrent sur lui, abandonné dans le sommeil.
Ses longs cils déposaient des ombres sur ses joues.
Je me glissai hors du lit à regret et me rhabillai.
Mon corps courbaturé me lançait de petites décharges électriques pour me rappeler que je n'avais été qu'à lui.
Le soleil commençait à teinter le ciel de mauve, une douce luminosité qui jetait une voile d'intimité sur son corps alangui.
Je m'agenouillai à côté du lit pour le caresser du regard une dernière fois.
Le drap le recouvrait jusqu'à la taille et je tendis la main pour toucher sa peau du bout du doigt. Elle était chaude et d'une douceur telle qu'elle me donna envie d'y poser les lèvres. J'y renonçai pourtant.
Je me penchai à son oreille et lui murmurai :
- Je pensais que jamais, je ne reconquerrais la paix, mais aujourd'hui, je l'ai enfin trouvé. Elle se cachait juste au creux de tes bras.
Il eut un sourire en dormant comme si mes paroles avaient atteint son cœur. Je déposai un baiser sur ses cheveux en humant une ultime fois son odeur avant de me reculer.
Je m'arrêtai à la porte et me retournai pour un ultime regard.
- Je t'aime Yoongi, envers et contre tout et à jamais.
Je sortis en silence, le cœur lourd.
La maison était plongée dans un profond sommeil, même Jin avait finalement réussir à s'endormir.
Je sortis dans le froid glacial de cette aube naissante et me dirigeai vers ma moto.
Ce que je m'apprêtais à faire était une folie, mais c'était ma décision.
Taehyung était là, assis sur la selle. Il mit pied à terre en me voyant m'approcher.
Il savait bien sûr. Il avait certainement toujours su.
- C'est de la folie, me dit-il. Tu vas à la mort.
Je plongeai mon regard dans ses yeux d'azur.
- C'est ma décision. Je dois l'affronter seul. Je dois les protéger, vous protéger.
- Nous pourrions t'aider.
- Non, car vous êtes ma faiblesse et il le sait.
- Jimin...
Je posai ma main sur ses épaules et l'obligeai à me regarder.
- Ils nous ont suivis, Tae. Ils sont là, à la limite de la protection. Nous ne pouvons pas vivre ainsi. Ils n'attendent qu'une brèche, un faux pas. Ils m'en voudront comme toi, tu m'en veux mais c'est pour vous que je le fais, pour que nous puissions tous vivre enfin sans cette épée de Damoclès qui se balance au-dessus de nos têtes.
Il leva ses yeux humides vers moi. Sa voix tremblait.
- Pas si cela signifie te sacrifier.
Je posai une main sur sa joue.
- Arad me veut et je vais exaucer son souhait. Mais mon cadeau sera de lui planter une dague d'argent dans le cœur au moment où il s'y attendra le moins.
Je ferai en sorte que vous ne manquiez de rien, dis-je en lui tendant une black Card. Fais livrer tout ce dont vous pouvez avoir besoin et fais les déposer au bout du chemin, mais promets-moi que quoi qu'il advienne, vous ne sortirez jamais du cercle.
Je sais que je te demande beaucoup, Taehyung. Tu es avec Jin certainement mon meilleur ami, mais je dois le faire.
Il finit par acquiescer et je le serrai contre mon cœur. Il accepta cette étreinte improbable, la seule que je ne lui aie jamais donnée.
Ma lumière m'avait été rendue et avec elle, mon humanité.
Nous finîmes par nous écarter l'un de l'autre.
- Et lui ? dit-il en levant les yeux vers la maison.
Je n'avais pas besoin de suivre son regard pour savoir de qui il parlait.
Mon cœur se fissurait à l'idée de le laisser.
- Il comprendra, murmurai-je.
- Je n'en suis pas sûr, répondit-il simplement.
Je ne répondis pas, incertain quant à la réponse à lui apporter.
Je ne savais pas si Yoongi comprendrait, j'en doutais et pourtant je le souhaitais de tout mon cœur.
Je partis sans un regard en arrière en poussant mon véhicule sur le chemin. Je ne l'allumais que quand je fus certain qu'il ne réveillerait pas la maisonnée et en espérant que Jin soit encore dans les limbes du sommeil.
Je redoutais de fléchir si je devais leur faire face, je redoutais son regard, son sourire.
Il me rendait faible comme il me rendait fort.
Je pris le chemin de retour la boule au ventre.
Je tenais entre mes mains notre avenir à tous.
Ils me suivaient à distance sans vraiment faire preuve de discrétion.
Il y avait deux véhicules, des SUV noir mat. Ils s'arrêtèrent en même temps que moi quand je fis une halte dans une station service.
Il y avait deux hommes par voiture.
Je pris le temps de les observer et ne baissai pas le regard quand je croisai le leurs.
Ils ne me faisaient pas peur. Je savais pertinemment qu'ils ne me feraient rien.
Arad se réservait ce droit.
Il voulait juste me faire savoir qu'ils m'avaient à l'œil, qu'ils savaient parfaitement où j'avais été et ce que j'y avais fait.
Je leur adressai un grand sourire avant de remonter en selle avec une assurance que je ne ressentais pas.
J'avais peur pour eux, même si je les savais protégés par le charme. J'espérai que Taehyung leur ferait entendre raison et qu'ils ne tenteraient rien de stupide.
Je devais avoir l'esprit tranquille pour pouvoir aller au bout de ce que j'avais décidé.
Je finis par atteindre la ville. Après ces vingt-quatre heures passées en pleine forêt, son odeur m'agressa.
Je pensai que la misère et la peur devaient avoir cette fragrance.
Je me dirigeai vers le Diner's. La zone avait été scellée derrière un ruban jaune, l'œuvre des pompiers certainement.
Je garai la moto et passai au-dessous pour m'approcher au plus près.
Le feu avait été éteint, mais on voyait encore des fumeroles s'échapper des décombres.
Tout avait disparu, de cet endroit que nous avions construit avec Jin, il ne restait plus rien si ce n'était un amas de poutres encore brulantes.
Je serrai les poings tant la rage qui était en moi demandait à sortir. Mes yeux prirent la couleur du sang que je me promis de faire couler.
Je me mis à escalader la montagne de gravats, mon regard balayait chaque recoin quand enfin, je le trouvai.
Je tournai la tête pour vérifier que les hommes qui me suivaient ne me voient pas faire. Ils avaient garé leurs véhicules au bout de la rue et même s'ils distinguaient ma silhouette dans la fumée, ils ne pouvaient pas savoir exactement ce que je faisais. Ils penseraient certainement que je fouillais ces ruines dans l'intention de retrouver des souvenirs.
Je m'avançai dans ce qui avait été la cuisine et dégageai un frigo noirci pour accéder au mur sur lequel il était appuyé.
J'y fis glisser ma main à la recherche d'un léger renflement. La peinture avait cloqué et en avait déformé sa surface. Je finis par le trouver et y apposai une légère pression. Une des briques bascula et laissa la place à une petite ouverture.
Je regardai autour de moi pour être sûr que personne ne regardait et y plongeai la main.
J'avais fait construire cette cache au moment où j'avais imaginé le Diner's. Il y avait un peu d'or, mais également un pochon de soie.
Je le pris dans ma main avant de refermer.
L'or m'importait peu. La majorité avait été placée de telle façon qu'elle me rapportait une fortune dont Taehyung possédait dorénavant le sésame au même titre que Jin qui y avait toujours eu accès.
Je fis glisser son contenu dans ma paume et constatai avec soulagement que le feu l'avait épargné.
Le bijou était intact. Il s'agissait d'une chaine en or sur lequel était accroché un pendentif en forme de goutte. Il contenait un liquide violine qui, si on n'y prenait garde, ressemblait à s'y méprendre à une améthyste de la plus belle eau.
La vérité était tout autre. Sous son aspect précieux, la goutte contenait un poison des plus puissants pour les vampires. Il s'agissait d'Hysope des larmes.
J'avais cherché pendant longtemps cette plante que mentionnaient d'anciens ouvrages. Les népalais l'appelaient Balidana qui signifiait sacrifice. Elle poussait une fois tous les dix ans en très petites quantités sur le renfort de l'Himalaya, à plus de six mille mètres d'altitude, là où rien ne prenait racine. Ses fleurs mauves perçaient la neige sous des températures extrêmes et elle ne survivait que quelques minutes.
J'avais dépensé une fortune colossale pour la trouver et l'avait conservé précieusement à l'abri pour l'utiliser contre Arad en dernier recours.
Peu de personne connaissait l'existence de ce poison et encore moins en possédait.
Certains disaient même qu'il s'agissait d'une légende urbaine.
Je passai le bijou autour de mon cou et le serrai dans ma main.
Il n'y avait qu'une façon de l'utiliser, cependant j'y étais prêt pour les sauver.
Le poison entrainait une mort lente chez le vampire qui le recevait.
Malheureusement, il n'y avait qu'un moyen de l'administrer, il devait être déposé directement dans la bouche du condamné dès l'instant où la capsule serait brisée pour ne pas rentrer en contact avec l'air.
Or, il n'y avait qu'un moyen d'y arriver.
Je secouai la tête pour chasser cette pensée, j'espérai que rien ne m'amènerai à cela.
La vie était revenue en moi et je ne pouvais envisager dorénavant de la quitter.
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