18. Un instant de paix
La fumée était si épaisse qu'on n'y voyait pratiquement rien. Elle se teintait de la couleur de néons.
Yoongi me rapprocha de lui et posa ses deux mains autour de mon visage.
- Tu n'as rien ? demanda-t-il d'une voix paniquée.
Je secouai la tête, troublé malgré moi par cette nouvelle proximité qui nous unissait dorénavant.
J'entendis avec soulagement des voix proches de nous. Les autres avaient, eux aussi, été réveillés par l'incendie et étaient descendus.
La silhouette de Namjoon apparut. Il soutenait Taehyung et lui tapait dans le dos maladroitement alors que le mage était pris d'une quinte de toux. Jin regardait autour de lui, complètement désemparé.
Je jetai un coup d'œil à travers les vitres qui se coloraient déjà de noir de suie. Faute de pouvoir approcher, quelqu'un avait propulsé contre les murs des conteneurs de poubelles après y avoir mis le feu. Les flammes léchaient le verre qui commençait à se fendiller sous l'effet de la chaleur intense.
Nous suffoquions.
- Il faut sortir d'ici. Taehyung ! criai-je pour couvrir les bruits de la structure qui se tordait dans un grincement strident.
Le mage se redressa et leva la main, aussitôt un vent puissant écarta l'épais rideau de fumée pour nous ouvrir un passage.
- Jungkook ? Où est Jungkook ? cria Yoongi en regardant autour de lui.
Je levai les yeux vers le plafond qui commençait à s'embraser. Je me concentrai et sentis la présence du jeune homme à l'étage. Il suivit mon regard avant de comprendre.
- Sors, je vais le chercher, dis-je en le poussant vers la porte de service qui donnait à l'extérieur. Sortez ! Maintenant !
- Non ! Cria-t-il en s'accrochant à moi. Je vais y aller, dit-il en se tournant vers l'escalier dont l'entrée était déjà en flammes.
Je l'en empêchai en lui bloquant le passage.
- Je ne risque rien. Fais-moi confiance. Jin, appelai-je, emmène-le.
Le vampire comprit le message. Il devait l'empêcher de me suivre. Il le ceintura et l'entraina avec lui alors qu'il se débattait.
J'arrivai en une seconde dans le couloir qui menait aux chambres. Jungkook se tenait contre le chambranle, au pris avec une toux violente.
La cage d'escalier s'était embrasée derrière moi. Le feu gagnait du chemin, attisé par les hydrocarbures qui avaient été déversés pour l'allumer. J'entendis quelque chose exploser au rez-de-chaussée et priai pour que les autres aient pu sortir.
Je me tournai vers Jungkook, ses yeux noirs me regardaient sans me voir. Il était en état de choc.
Je l'attrapai par le poignet et le tirai dans la direction inverse. Il se laissa faire sans broncher.
Ma chambre et son issue sur l'avant-toit était dorénavant inaccessible. Je me dirigeai vers celle de Jin qui se trouvait à l'extrémité de l'étage. Les flammes ne cessaient de progresser derrière nous, rendant l'atmosphère irrespirable.
J'enlevai mon sweat-shirt et le plaquai sur la bouche de Jungkook. Il releva ses yeux larmoyants vers moi avec une lueur de reconnaissance.
Ils nous restaient peu de temps. Si j'étais moins sensible que lui grâce à ma nature, je ne donnais pas cher de notre peau si nous ne sortions pas rapidement.
Je m'approchai de la fenêtre et essayai de l'ouvrir, mais malgré la force qui était la mienne, elle résista. Le plastique qui en constituait l'encadrement avait commencé à fondre sous l'effet de la chaleur.
Je poussai un juron et regardai autour de moi. Rien ne pouvait faire office de marteau pour la briser.
Je me dirigeai vers le lit et en arrachai le drap pour l'enrouler autour de mon bras.
Je donnai de grands coups pour briser les carreaux. Ils finirent par céder et un vent frais pénétra dans la pièce, mais cela eut pour effet de raviver les flammes qui dansaient autour de la porte.
Jungkook poussa un cri de panique quand je le tirai vers l'ouverture que j'avais créé. Il observait le vide sous ses pieds avec horreur.
Au loin, je pouvais distinguer les autres qui nous regardaient depuis le parking plusieurs mètres plus bas.
Jin et Taehyung maintenaient Yoongi pour l'empêcher de se précipiter vers nous.
J'attrapai Jungkook et passai mon bras autour de sa taille avant de prendre mon élan.
- Accroche-toi.
Il n'eut pas le temps de protester que je sautai dans le vide en l'entrainant avec moi.
J'atterris sur le sol en fléchissant les genoux et lâchai le jeune homme qui me regardait avec des yeux exorbités.
Yoongi, enfin libéré, se précipita vers nous.
Il attrapa son frère par les épaules et l'inspecta sous toutes les coutures.
- Ça va ?
Le jeune homme hocha la tête, l'air complètement perdu.
Il le lâcha, rassuré et se retourna vers moi.
Je n'eus pas le temps de réagir qu'il me serrait dans ses bras à m'étouffer.
- Ne refais jamais ça, murmura-t-il au creux de mon cou.
Je n'étais pas habitué à ce genre d'effusion. J'aurais pu me dégager, cependant je n'en fis rien et me laissai aller à son étreinte.
Je finis par basculer la tête en arrière pour capter son regard. La lueur que j'y lus me fis frémir.
Les autres nous rejoignirent et nous nous éloignâmes l'un de l'autre à regret. Je savais pourtant que ce ne serait que temporaire. Quelque chose nous poussait inévitablement l'un vers l'autre.
Nos regards se tournèrent vers le Diner's qui disparaissait maintenant complétement dans les flammes. Je ne pus m'empêcher de ressentir un coup au cœur en pensant que tout ce que nous avions construit partait en fumée.
La vie n'avait de cesse de m'enlever mes repères, cependant je ne pus être que reconnaissant en les voyant tous réunis autour de moi.
J'étais conscient que je prenais ce risque en déclarant la guerre à Arad, je ne savais pas qu'ils s'en prendraient à nous si tôt.
Il avait voulu frapper là où cela faisait mal, mais je savais qu'il ne se contenterait pas de cet avertissement. Il ferait tout pour me détruire s'il ne pouvait m'avoir.
Je finis par sortir de la torpeur que le spectacle des flammes provoquaient en nous.
- Nous devons partir, dis-je en me retournant vers Jin. Nous sommes vulnérables ainsi.
- Où va-t-on aller ? demanda Taehyung.
Je me dirigeai vers ma moto qui était stationnée près de la voiture de Jin.
Dans notre malheur, nous avions eu la chance que nos véhicules n'aient pas subi le même sort que le restaurant.
- Chez moi, répondis-je simplement en mettant mon casque qui était accroché au guidon.
Jin me lança un regard surpris avant d'esquisser un sourire.
- Chez toi ? demanda Taehyung, sans comprendre.
J'eus un léger sourire qui passa inaperçu, mais déjà, Jin rametait tout le monde vers la voiture. Nous étions sales, certains étaient en pyjamas, nous n'avions plus rien, pourtant je ressentais pour la première fois une certaine euphorie. Peut-être est-ce dû à l'adrénaline qui coulait encore dans mes veines ou au fait que j'avais changé.
J'étais prêt à revenir là où tout s'était terminé pour moi alors que je n'aurai jamais pu l'envisager quelques jours auparavant.
Yoongi me regardait, les yeux emplis de questions. Nous n'avions pas le temps de parler, chaque minute nous était comptée. Je ne savais pas quand viendrait la prochaine attaque, mais je devais les mettre en sécurité avant tout.
Je me penchai et attrapai le second casque qui était accroché à l'arrière de la selle et le lui tendis.
Il l'enfila avec un sourire et monta derrière moi.
Ses bras s'enroulèrent autour de ma taille et je sentis son torse se coller à mon dos comme si nos corps avaient été dessinés l'un pour l'autre.
Je savais ce que je devais faire dorénavant, mais avant cela, je voulais profiter de ce qui m'était donné.
Je démarrai et pris la tête du convoi. Jin suivait dans son pick-up. Nous roulâmes pendant deux heures avant de faire une brève halte dans un petit supermarché isolé. Jin et Namjoon s'y rendirent pour acheter tout ce dont nous pourrions avoir besoin. Nous étions partis sans rien. J'en profitai pour faire le plein de véhicules.
Personne ne posa de questions alors que nous reprenions la route, elles viendraient plus tard.
Nous quittâmes la périphérie de la ville et roulâmes à vive allure pour nous diriger vers la forêt.
Je retrouvai sans même y penser le chemin de terre que je n'avais pas emprunté depuis des années.
J'y avais amené Jin une fois et n'avais même pas pu descendre de la voiture tant mon corps était parcouru de tremblements.
La maison se dressait toujours au milieu des bois, elle apparut au détour d'un virage. La végétation avait repris ses droits et recouvrait ses façades. Au loin, je vis l'eau du lac miroiter doucement au soleil.
Je m'arrêtai devant la porte d'entrée dont les marches du perron avaient subi les outrages du temps et mis pieds à terre. Jin se gara derrière moi et j'entendis les portières claquer.
Yoongi descendit et je le suivis. J'enlevai mon casque et l'accrochai au guidon pour me diriger vers l'entrée. Je poussai la porte qui s'ouvrit avec un grincement et pénétrai dans le hall.
La poussière s'y était accumulée au cours des dix dernières années, mais son odeur restait inchangée. Elle me pénétra avec la force des souvenirs. Les images défilèrent devant mes yeux. J'y voyais mes parents s'embrasser au pied de l'escalier monumental, j'entendis les rires qui résonnaient dans la cuisine, je sentis l'odeur du feu de bois qui brulait dans la cheminée.
Ils ne me tirèrent pas de larmes et c'est en paix que je fis quelques pas à l'intérieur.
Les meubles étaient recouverts de draps, silhouettes fantomatiques dans la pénombre qui régnait au rez-de-chaussée. Jin avait voulu les protéger dans l'attente d'un hypothétique retour de ma part.
Chacun entra tour à tour et se perdit dans la contemplation des poutres sculptées et de la magnificence des lieux.
Je me dirigeai vers la cuisine qui était telle que je l'avais laissé. Je fuyai du regard les reliefs de vaisselle qui trônaient encore sur l'évier.
J'ouvris un placard et actionnai une pompe qui marchait à l'énergie solaire. Je constatai avec soulagement que l'installation n'avait pas subi de dommages.
La maison nécessiterait un profond nettoyage, mais était fonctionnelle.
Quelques minutes plus tard, je retournai enfin vers les autres. Jin me regardait avec fierté.
- Vous êtes ici chez moi. J'ai protégé la maison dans un rayon de deux kilomètres. Vous pouvez accéder à une partie de la forêt et au lac. Vous ne risquez rien ici, cependant il faudra nettoyer.
Je vis des têtes acquiescer. Tous gardaient pour l'instant le silence. Ils connaissaient l'histoire du massacre des bois et avaient compris que c'était là que je les avais amenés.
- Je vous laisse vous installer. Je vais faire un tour, dis-je avec un sourire hésitant.
Il y avait quelque chose que je devais faire avant toute autre chose, quelque chose qui avait été impossible pour moi depuis que j'étais parti.
Je sortis de la maison et m'enfonçai dans la forêt jusqu'à une petite clairière à un kilomètre de la bâtisse. Le chemin était difficilement praticable tant les ronces l'avaient envahi. Les épines griffaient mon jean. Je les dégageai à mains nues sans accorder d'importance aux gouttes de sang qui se formaient à la surface de ma peau.
Je la trouvai là où je l'avais laissé. Une simple pierre marquait l'emplacement de la tombe.
Je me laissai tomber à genoux et posai mes mains dessus.
J'eus l'impression qu'ils étaient là, près de moi et qu'ils m'accueillaient dans une étreinte.
Ma colère et ma peine avaient été telles que je n'avais jamais pu revenir les visiter.
Je caressai du doigt les inscriptions que j'avais maladroitement gravées dans le granit.
- Je suis désolé, murmurai-je simplement.
Je fermai les yeux et me laissai porter auprès d'eux. Je restais ainsi un long moment et enfin quand la paix se fit dans mon cœur, je me relevai pour reprendre le chemin de la maison.
Une centaine de mètres plus loin, Yoongi m'attendait, appuyé contre le tronc d'un arbre centenaire. J'avais senti sa présence à mes côtés pendant le long moment où j'étais resté près de mes parents. Je lui en fus reconnaissant.
Je m'arrêtai pour le contempler et son regard s'ancra dans le mien. Je ne savais pas pourquoi tout me poussait vers lui, mais je ne pouvais plus envisager de le perdre.
Il se détacha du tronc et s'avança vers moi sans me quitter des yeux jusqu'à ce que je sente son souffle sur ma peau.
Sa main se leva et caressa l'ovale de mon visage. J'appuyai ma joue contre sa paume.
Je ne luttai plus, je laissai aller.
Les larmes commencèrent à couler, celles que je n'avais pas versées pour eux, celles que je m'étais refusé.
Il me prit dans ses bras et je me mis à sangloter.
Il était celui qui m'avait permis de pleurer.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top