16. Les sentiments

Je levai la tête et observai la tour dans laquelle se situait l'appartement d'Arad. Je n'étais pas venu ici depuis que j'y avais récupéré Taehyung.

Le gratte-ciel semblait vouloir toucher les cieux tant il était haut. Arad l'avait choisi pour la protection qu'il lui offrait, il habitait le penthouse.

Le reste était occupé en majorité par ses sbires et abritait des étages entiers d'objets de contrebande qu'il vendait au plus offrant.

Il était devenu maitre dans l'art de gérer l'offre et la demande. Une façon supplémentaire d'asseoir son pouvoir.

Je descendis de la moto et ôtai mon casque.

J'avais réussi à me reprendre, pourtant une sombre appréhension me taraudait.

J'avançai dans le hall avec une confiance que j'étais loin de ressentir. Je me demandai où était passé l'individu sûr de lui que j'avais été naguère.

Des hommes tournèrent la tête vers moi, mais aucun ne broncha.

Ils savaient parfaitement qui j'étais et avaient certainement été prévenus de mon arrivée.

L'un d'entre eux vint à ma rencontre et m'indiqua un ascenseur privé.

Je m'engouffrai dans la cabine qui ne comportait qu'un seul numéro, celui du penthouse.

Je savais qu'il y avait assurément une autre sortie. Arad était sûr de lui, c'était un fait, mais c'était aussi un homme prudent. Il devait avoir une solution de repli en cas de grabuge.

Je débouchai sur un hall. Un homme était posté devant une grande double porte de bois sombre, il s'inclina devant moi avant de l'ouvrir à mon arrivée. Je jetai un coup d'œil rapide autour de moi, mais ne repérai aucune autre issue. J'en déduisis qu'elle devait se trouver à l'intérieur même de l'appartement.

L'entrée s'ouvrait sur un immense salon dont le sol de marbre blanc contrastait avec les canapés de cuir noir. Un lustre gigantesque de style rococo brillait au plafond et habillait cet environnement que je trouvai à l'image du cœur de son propriétaire, glacial. Je ne pus m'empêcher de grimacer.

Aucune trace de vie ne s'y trouvait, c'était une vitrine tout au plus. Je me demandai comment Taehyung avait pu demeurer dans cet environnement.

- La décoration ne semble pas à ton gout, dit Arad qui venait d'entrer dans la pièce.

Je ne me retournai pas vers lui et m'avançai vers la baie vitrée qui offrait une vue panoramique sur la ville.

- Tes gouts en matière d'agencement intérieur m'importent peu.

Il éclata de rire avant de se laisser tomber sur le canapé.

- Je te laisserai le refaire à ton gout si c'est cela qui t'inquiète, dit-il d'une voix suave.

Je me tournai vers lui et lui lançai un regard assassin. La façon dont il avait prononcé ces mots me donna la nausée. Il leva un sourcil devant mon expression et passa une main dans ses cheveux gris avec un sourire narquois.

C'était un homme magnifique, il le savait, pourtant ce n'est pas son image qui flottait dans ma tête à cet instant. Lui ne m'évoquait que répugnance.

- Mais je suppose que l'on reparlera de tout cela plus tard, dit-il en se redressant et en posant ses coudes sur ses genoux. Son regard d'argent avait repris son sérieux. Où est Jungkook ? Toujours planqué dans ton petit café ?

- Il ne viendra pas.

- Il ne me semble pas avoir évoqué la possibilité d'un choix. Je te l'ai dit quand je suis venu. Jungkook est à moi et je veux récupérer ce qui m'appartient. Tu n'as aucun pouvoir de me le refuser.

- Je le prends. Jungkook est dorénavant sous ma protection, je ne peux donc accéder à ta requête.

Il se leva et eut un rictus.

- Je crois que tu n'as pas compris les règles du jeu, Jimin. Ce n'est pas toi qui décides. J'ai fait preuve de mansuétude en te laissant Taehyung, mais je ne passerai pas tous tes caprices.
Jungkook m'appartient, tu ne peux rien contre cela, tout comme tu m'appartiendras, dit-il en s'avançant.

Je restai immobile malgré le dégout qu'il m'inspirait.

- Nous avons un accord, tu te rappelles ? dit-il en levant la main vers mon visage dans l'attention manifeste de me toucher.

Je me reculai pour échapper à cette caresse que je refusai et plantai mon regard dans le sien.

- Considère-le comme caduc.

Son expression se ferma complètement et ses yeux se tintèrent de rouge.

- Ne joue pas à cela avec moi. Tu sais parfaitement que tu ne peux pas rompre notre pacte.

Je redressai la tête alors que mes yeux s'enflammèrent à leur tour.

- Il n'a jamais été question d'un pacte ou de n'importe quoi qui pourrait laisser entendre que j'étais d'accord. C'était une menace.

Il pencha la tête sur le côté en faisant mine de réfléchir.

- Et puis-je savoir d'où te viennent ces velléités de rébellion ? Et quelle est cette odeur qui semble imprégner chaque fibre de ton être ? J'ai d'accord cru que c'était celle de Jungkook, mais elle est différente toute en étant ressemblante. Son frère peut-être ?

Je sentis mon cœur louper un battement.

- Réponds-moi, hurla-t-il en attrapant mon poignet pour le sentir.

Je me dégageai brusquement.

- Te serais-tu fourvoyer avec l'un de ces humains ?

Je restai immobile sans bouger alors qu'un sourire salace se dessinait sur ses lèvres. Il y passa la langue comme si cela l'excitait.

- Je peux le comprendre, finit-il par dire. Coucher avec un humain est toujours une expérience divertissante et tu ne seras que plus reconnaissant quand viendra le moment où je te prendrai. Je te baiserai jusqu'à ce que tu ne sois plus qu'une poupée de chiffon entre mes mains, jusqu'à te faire oublier tout ce que tu as vécu avant moi. Je te mordrai ici, murmura-t-il en caressant ma jugulaire et je laperai chaque goutte de ton sang.

Il attrapa mon menton entre ses doigts dans l'intention évidente de m'embrasser, je le poussai de toutes mes forces et il recula de plusieurs mètres, mais déjà, il se jetait sur moi à une vitesse fulgurante. Sa main se serra autour de mon cou et il força la barrière de mes lèvres de sa langue. Je lui mordis violemment la lèvre.

Il se recula avant de me mettre une gifle. Je serrai les poings de colère et le feu se déclencha en moi.

Je vis une lueur de stupéfaction dans son regard avant que n'y danse un certain amusement.

- Tu m'excites, un vrai petit chaton sauvage, dit-il en essuyant sa lèvre sur laquelle perlait une goutte de sang. Tu crois peut-être me faire peur cependant détrompe-toi. Si tu ne viens pas à moi, je t'y obligerais. Je te ferai plier de la pire des façons. Je te détruirai jusqu'à ce que tu viennes toi-même me supplier d'arrêter. Je ne te donne pas une semaine avant de te prosterner à genoux devant moi tant tu voudras que ta souffrance s'arrête. Tu peux jouer les cadors et croire que tu t'en sortiras, mais je connais ton point faible ou devrais-je dire tes points faibles ?

Je refusai de lui répondre tant j'avais peur que ma voix ne trahisse ma panique intérieure. Je venais d'ouvrir la boite de pandore et de défier le diable. Je ne pouvais plus reculer.

Je me dirigeai vers l'ascenseur sans un mot.

- Une semaine ! hurla-t-il dans mon dos.

Quand les portes se refermèrent sur lui, je me laissai aller contre la paroi métallique qui se réchauffa à mon contact. Il réveillait le pire en moi et chassait la lumière pour ne laisser que le démon prendre possession de moi.

Je fermai les yeux et l'image de Yoongi s'imposa.

Les flammes refluèrent lentement et quand j'atteignis le rez-de-chaussée, seul l'éclat carmin de mon regard trahissait encore ma colère.

Les hommes, qui étaient stationnés dans le hall, s'écartèrent sur mon passage, pressentant le danger que je pourrais constituer pour eux.

J'enfourchai ma moto et partis en faisant hurler le moteur. Je n'avais même pas pris la peine de mettre mon casque.

Les images de ce qu'il venait de se passer défilaient devant mes yeux.

Je l'avais défié pour pouvoir tous les sauver, j'avais fait ce que je devais faire et pourtant j'avais l'impression d'avoir signé leurs arrêts de mort.

Arad n'était pas homme à plier, il n'accepterait jamais que je ne sois pas à lui et il savait parfaitement ce qui me ferait souffrir.

Je devais les prévenir. Ils devaient savoir toute la vérité maintenant. Je n'avais plus le choix.

J'accélérai et laissai le vent glisser dans mes cheveux. Je venais de déclencher une guerre.

...

- Yoongi ?

Je me tournai vers la porte de la chambre qui venait de s'ouvrir. Jin se tenait dans l'encadrement, attendant visiblement que je l'invite à rentrer.

- Ça va ? demanda-t-il, une lueur inquiète dans le regard.

Non, ça n'allait pas, rien n'allait plus.

Je me retournai vers la fenêtre que je n'avais pas quittée depuis le départ de Jimin. L'angoisse de le savoir là-bas me torturait.

J'avais vu sa détermination, mais c'est le regard qu'Arad avait posé sur lui qui me hantait littéralement. Il le voulait, je le savais.

J'entendis un soupir dans mon dos, alors que Jin entrait dans la pièce et venait se poster à côté de moi.

- J'aurais dû l'empêcher d'y aller, murmurai-je comme pour moi-même.

- Tu n'aurais rien pu faire pour le retenir. Jimin est... têtu et quand il a décidé quelque chose, rien ne peut le détourner de son but.

- Pourquoi n'as-tu pas l'air particulièrement inquiet ? demandai-je d'un ton un peu plus dur que je ne l'aurais voulu.

Jin leva un sourcil interrogateur, surpris par mon ton agressif. Je m'en voulus.

Il nous avait ouvert sa maison et ne méritait pas que je m'en prenne à lui. Il n'avait pas demandé à nous accueillir. Il n'avait pas à faire les frais des conneries de Jungkook, il n'avait pas à subir les récriminations d'un homme qui était tombé stupidement amoureux le temps d'un éclair.

- Excuse-moi, tu n'y es pour rien. Tout cela est ma faute. J'aurais dû partir au moment où il a refusé de nous aider. Nous n'en serions pas là.

- Tu n'as pas à t'en vouloir à cause de cela. C'est moi qui vous ai dit de rester et je ne le regrette pas.

- Même si cela vous met en danger ?

- Nous l'avons toujours été à partir du moment où Jimin et moi nous sommes lancés dans cette croisade en faisant fi de l'intention d'Arad de se rapprocher de nous et en s'opposant à son désir de domination. Quand nous avons recueilli Namjoon et Hoseok, quand Taehyung a été sauvé par Jimin ou quand je lui ai demandé de ne plus l'approcher. Chaque action, chaque décision que nous avons prise devait nous amener à ce moment précis.

- Si seulement je pouvais faire quelque chose, dis-je en serrant les poings. Je voudrais tuer ce type de mes propres mains pour avoir osé faire du mal à Jungkook, à Taehyung et pour le vouloir lui, pensai-je in petto. Jamais de ma vie, je ne me suis senti si inutile.

Jin eut un sourire et posa sa main sur mon épaule.

- Es-tu donc si aveugle pour ne pas voir ce que tu as déclenché ?

Je levai les yeux vers lui, sans comprendre.

Son sourire s'accentua.

- Jimin a commencé à changer à la minute où tu es rentré dans sa vie. Je le connais depuis des années, jamais, il ne s'était comporté ainsi. Tu as réveillé la lumière qu'il a en lui, là où j'avais échoué. Tu as été capable de brider son côté sombre. Il a fait le choix de se battre pour vous, pour toi.
L'éclat qui brille dans ses yeux, je ne l'avais jamais vu. Il tient à toi, plus qu'il n'osera jamais l'admettre.

Son discours posa un baume sur mes nerfs à vifs. L'angoisse était toujours là. Elle ne me quitterait plus dorénavant cependant, l'idée qu'il puisse ressentir la même chose que moi faisait briller une lueur d'espoir dans les ténèbres qui nous entouraient.

- Je l'aime.

J'attendais une réaction, un refus, un éclat de rire moqueur peut-être. Il n'en fut rien.

Je posai sur lui un regard étonné.

- Je le sais comme nous tous même si lui ne l'a pas encore compris. Nos espèces nous permettent de sentir ce genre de choses, nous croyons aux coups de foudre, aux êtres prédestinés. Je ne sais pas pourquoi le destin a décidé de vous réunir, mais il ne fait jamais rien au hasard. Chaque chose est écrite.

J'eus l'impression de recevoir une bénédiction. Son sourire s'accentua.

- Croyais-tu que je serais choqué ? J'ai plus de deux cents ans, Yoongi. J'ai vu des individus tomber amoureux en un quart de seconde, j'en ai vu se détester dans ce même laps de temps. Les pires ennemis devenir amants. J'ai vu des gens tuer par amour et d'autres choisir de mourir. C'est un sentiment puissant que rien ne peut stopper et qui ne s'explique pas. Il nait tout simplement.

Le destin...

- Que va-t-il advenir maintenant ?

- Je ne sais pas. Je pense qu'Arad n'entendra jamais raison. Même s'il a été mon ami, ça n'en reste pas moins un sombre connard. Il voudra certainement récupérer Jungkook qu'il considère comme sa propriété. Peut-être, nous fera-t-il payer le fait que nous nous rebellions. Quoi qu'il en soit, nous devons attendre le retour de Jimin pour savoir ce qu'il s'est passé.

Je hochai la tête, peu convaincu. Jin ne semblait pas conscient que le réel désir de Arad était de posséder Jimin. Je tus cette information, ne sachant pas s'il l'ignorait ou s'il refusait de voir la vérité.

Le silence s'installa entre nous et s'étira lentement alors que chacun était perdu dans ses pensées.

J'étais décidé à me battre envers et contre tout, car le combat viendrait, je le savais, je pouvais le sentir dans chaque fibre de mon être.

Je me tournai vers Jin.

- Raconte-moi son histoire, demandai-je.

Il n'eut pas vraiment l'air surpris. Son regard plongea dans le mien et je vis une lueur rougeâtre le traverser comme s'il lisait en moi.

Il finit par acquiescer et commença à parler.

Je m'assis sur le bord de la fenêtre et l'écoutai me conter l'histoire de l'homme qui avait volé mon cœur et pour qui j'allais risquer la mienne.

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