13. Cette étincelle au fond de moi
J'essayai de faire abstraction des vibrations de mon corps qui semblait être entré en résonance avec le sien.
Il n'avait pas repris sa place. Il était venu s'appuyer sur le comptoir près de moi, trop proche.
Il s'amusait.
Je trempai mes lèvres dans le café, le liquide brulant coula dans ma gorge, noir, amer, ce que je pensai être et pourtant...
Sa voix était douce quand il commença à parler.
- Il y a quelques années, j'ai rencontré Hoseok sur les docks. Il y travaillait comme manutentionnaire. Les patrons aiment embaucher des lycans, leur force surhumaine est un atout majeur. Je m'occupai de contrôler les marchandises qui arrivaient au port.
Son regard était souvent triste comme s'il portait en lui une blessure profonde, pourtant il riait tout le temps. Je crois que c'est cela qui m'a attiré. Nous avons fini par sympathiser.
Je n'avais jamais eu d'a priori sur les autres races. Je juge les gens pour ce qu'ils font, pas pour ce qu'ils sont, dit-il en me jetant un regard.
Je me sentis bêtement heureux de l'entendre.
Il posa sa tasse sur le comptoir et se retourna vers moi, sa hanche appuyée contre le bord en inox.
Son regard me troubla.
- Nous avons fini par sympathiser. Ils nous arrivaient le soir d'aller boire un verre dans un bar. Nous jouions aux fléchettes ou aux cartes. Les conversations n'étaient pas vraiment profondes. On passait le temps. Un jour, j'y ai amené Jungkook avec qui je vivais depuis la mort accidentelle de nos parents. Ils ont accroché et sont devenus potes à leur tour.
Cela a dû durer un an et demi puis j'ai intégré les brigades. Je pensais que je pourrais ainsi le protéger, n'est-ce pas ironique ? demanda-t-il avec un sourire qui n'atteignit pas ses yeux.
La tristesse de son regard me heurta, comme si on enfonçait une fine aiguille sous ma peau.
Je posai mon café et adoptai la même position que lui avant de répondre à sa question par une autre.
- C'est pour cela que tu l'as appelé ? demandai-je.
- Le jour de mon départ des docks, Hoseok était venu me voir. Il m'avait dit que si jamais Jungkook ou moi avions un problème, je devais l'appeler ou venir ici. J'avoue que sur le coup, je me suis demandé pourquoi il disait ça, mais peut-être avait-il senti quelque chose à cette époque.
Nous nous sommes revus à l'occasion, mais bien moins fréquemment, les maraudes de la brigade me prenaient tout mon temps, j'étais rarement chez moi.
Je sentis le regret dans sa voix comme s'il se reprochait d'avoir été absent et d'avoir laissé Jungkook se fourvoyer. J'eus envie de le rassurer pourtant je me tus.
- Quand je suis rentré à l'appartement et que j'ai retrouvé Jungkook en sang. J'ai essayé de le faire parler et il m'a raconté son bobard sur Arad. J'ai repensé à ce que m'avait dit Hoseok et je l'ai appelé, il est arrivé tout de suite et nous a amené ici après avoir entendu le même mensonge de la bouche de mon frère.
Je hochai la tête, pas vraiment surpris du comportement du lycan. Hoseok avait des défauts comme nous tous, mais je le savais à l'écoute et ayant assez de cœur pour aider son prochain, même si pour cela, il devait enfreindre quelques règles.
Comme celles que j'avais instaurées au Diner's.
- Pourquoi les brigades ? demandai-je, amer.
La seule mention de leur nom amenait un gout de bile dans ma gorge.
- Tu ne sembles pas les porter dans ton cœur...
- Je ne les aime pas.
- Pourquoi ?
Les souvenirs affluèrent.
Je pris ma tasse et la posai dans l'évier. Il me suivit.
- C'est moi qui pose les questions, ici.
Il eut un rire sans joie.
- Tu as une drôle de façon d'instaurer un dialogue.
Mes doigts se crispèrent sur le rebord de l'évier. Je sentis la colère monter en moi ainsi qu'une sombre appréhension. Ma respiration se fit plus rapide.
Il dut sentir un changement en moi, car il s'approcha et posa une main sur mon épaule.
Je sursautai et me dégageai en faisant un pas en arrière. Je pouvais sentir le feu qui avait pris place dans mes yeux. Je n'osai pas le regarder.
Sa main se tendit vers moi.
- Ne me touche pas ! dis-je en levant vers lui mes iris de sang.
Je pensais l'effrayer, il n'en fut rien
- Je n'ai pas peur de toi, Jimin, dit-il en faisant un pas vers moi.
Je reculai d'autant, jusqu'à être acculé contre le mur.
Une vague de panique m'envahit quand je sentis mes canines poindre dans ma bouche.
Il pencha la tête sur le côté comme s'il réfléchissait.
- C'est pour ça que tu refuses d'aider les humains, n'est-ce pas ? Ce n'est pas parce que tu les considères comme des sous-êtres, c'est parce que tu as peur de leur faire du mal.
- Tu ne sais rien, crachai-je. Je déteste les humains comme toi, car ils sont vils. Ils cachent leurs véritables natures sous une pseudo-faiblesse, mais de nous tous, ce sont eux les plus cruels. Ils mentent, ils massacrent en utilisant de faux prétextes ou l'excuse d'être brimés par les autres espèces. À l'instar de ceux qui intègrent la brigade, des êtres qui se donnent l'illusion d'œuvrer pour la paix alors qu'ils sont encore plus monstrueux que ceux qu'ils chassent.
Yoongi fronça les sourcils et fit encore un pas vers moi.
Je levai une main que des flammèches bleutées venaient lécher.
- N'AVANCE PAS !
Il se stoppa et poussa un soupir.
- Tu te trompes, Jimin. Les humains ne sont pas ce que tu décris. Ta colère obscurcit ton jugement. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé pour que tu nous haïsses autant, cependant tu te trompes. Il y a du bon dans l'homme, même au sein des membres des brigades. Chaque être, quelle que soit son espèce, est un savant mélange d'ombre et de lumière. Chacun a son histoire, chacun a ses cicatrices, tous n'ont pas été élevés dans la douceur et l'amour. Certains ont poussé leurs premiers cris dans le sang et les larmes. Cette époque, dit-il en faisant un geste ample de la main, notre époque, est sinistre et n'aide personne à devenir des gens biens, pourtant il y en a, des milliers, des millions, humains, vampires, lycans, mages... toi.
- Tu ne me connais pas, je t'interdis de juger de ce que je suis. Tu ne sais rien de mon histoire et de ce qui m'a construit, répondis-je avec colère.
- Non, en effet, je ne connais pas ta véritable histoire, même si je crois la deviner, cependant je me refuse à croire ce que j'ai pu entendre. Ce serait te réduire à une généralité, or, tu es unique, comme moi, comme nous tous. Mais si tu m'interdis de te juger, ne juge pas les autres et n'en fais pas un cliché, dit-il dans un souffle.
Quelque chose au fond de moi se fissura, comme si je sentais les briques de la forteresse qui me protégeaient tomber une à une au sol dans un bruit sourd. Ma colère était toujours là, enflant doucement. Le feu prenait possession de ma peau. Il voulait s'échapper et tout dévaster pour que disparaisse cette douleur qui m'étreignait et que pour la première fois, je ne pouvais endiguer.
- Je ne suis pas quelqu'un de bien, murmurais-je. Pourquoi n'as-tu pas peur de moi ? Je pourrais te tuer en un quart de seconde.
Il eut un sourire qui me transperça le cœur et s'avança lentement jusqu'à n'être qu'à quelques centimètres de moi.
Sa main se leva.
Je voulus m'éloigner, mais ses doigts s'enroulèrent autour de mon poignet.
Mes yeux se portèrent sur son visage. Je m'attendais à voir une expression de souffrance au moment où sa peau rencontra la mienne, bleutée, brulante, pourtant rien ne se produisit.
Je baissai le regard sans comprendre. Les flammèches avaient disparu tout comme ma colère.
Je sentis son autre main se poser sur moi. Il leva délicatement mon visage d'un mouvement doux pour plonger ses iris de ténèbres dans les miens.
- Je n'aurai jamais peur de toi, Jimin.
Nous restâmes ainsi un long moment. Le temps semblait s'être suspendu.
Je finis par sortir de l'étrange transe dans laquelle il m'avait plongé et me dégageai de son toucher à regret.
- Je ne te transformerai pas, Yoongi. Jamais.
Il mit les mains dans les poches de son jean et haussa les épaules.
- Je sais, répondit-il simplement en s'éloignant.
Je suivis des yeux sa silhouette qui rejoignait la salle de restaurant. J'entendis la voix de Hoseok qui l'interpellait alors qu'il gagnait l'étage. Je perçus le frottement de ses semelles sur le bois des marches de l'escalier, le bruit que fit le matelas quand il s'allongea sur son lit. Son odeur s'estompa doucement sans complètement disparaitre.
Mes sens de vampire étaient décuplés. Je pouvais presque entendre les battements de son cœur qui battaient encore la chamade.
Je posai la main sur ma poitrine à l'endroit où battait le mien et à nouveau, je sentis un frémissement comme s'il voulait me murmurer quelque chose, un souffle, une caresse.
Je secouai la tête et regagnai ma chambre, agacé de ne pas me reconnaitre.
Je m'assis sur le bord de ma fenêtre et attrapai une cigarette dans le paquet qui était posé sur le bureau. Je la portai à ma bouche et claquai des doigts avant de suspendre mon geste.
Une petite flamme naquit et pour la première fois, je la regardai vraiment. Elle s'étirait faiblement et tremblotait dans la brise qui traversait la fenêtre ouverte, fragile et forte à la fois. Elle se teintait de bleu et de vert dans son centre, de l'exacte nuance de mes yeux, parfois, elle prenait une couleur orangée.
J'allumai ma cigarette et eus un sourire.
Je n'avais pas brulé Yoongi, il avait éteint la colère en moi et comme la flamme qui brillait encore au bout de mon doigt, je me sentis vivant.
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